II. UNE POLITIQUE PÉNALE DE « CLÉMENCE ET DE SÉVÉRITÉ »13 ( * )
Selon un slogan déjà en vigueur à l'époque maoïste, la politique pénale de la Chine consiste à « équilibrer l'application de la justice entre clémence et sévérité ». Cette dualité reflète l'évolution que celle-ci a connu depuis 1979, année de la première loi pénale. ( Cf. tableau 1).
Un grand nombre de réformes sont intervenues pour assouplir les infractions ou punir de nouveaux faits. Les plus récentes datent de 2011 et 2012.
A. À LA RECHERCHE D'UN SYSTÈME PLUS JUSTE
Le système judiciaire chinois repose sur deux institutions :
- L'assemblée nationale populaire et les assemblées provinciales ou locales 14 ( * ) s'agissant des tribunaux et de la magistrature ;
- Le ministère de la justice en matière de gestion des prisons 15 ( * ) et des centres de rééducation, d'aide judiciaire et de supervision des professions d'avocats, notaires et experts.
Rappelons que le système pénal chinois a été reconstitué à partir de 1979 après le vide juridique créé par la Révolution Culturelle. La loi pénale et la loi de procédure pénale ont été révisées en 1997. Cette révision tend à renforcer la sécurité juridique. Ainsi, elle a affirmé le principe de légalité en abandonnant la doctrine dite de l'analogie. Cette dernière permettait de sanctionner des faits analogues à une infraction incriminée dans le code pénal sans qu'ils aient été prévus par la loi 16 ( * ) . Un effort de codification a été également entrepris.
Depuis 1997, sous l'influence notamment du droit international 17 ( * ) , des amendements ont été adoptés par le Comité permanent de l'Assemblée nationale populaire afin de remédier aux imprécisions du texte ou alourdir certaines peines.
Ces modifications ont conduit également à créer de nouvelles infractions, le plus souvent en rapport avec l'évolution de la criminalité.
Il s'agit notamment du crime spécifique de trafic d'organes humains ou encore celui du refus de paiement de rémunération 18 ( * ) .
Crime de trafic d'organes « Auparavant ce comportement était réprimé mais au travers de chefs d'accusation tels que le crime d'exploitation illégale (activités illégales dans le cadre d'opérations commerciales), ou de blessures volontaires, ou de meurtre. La personne organisant le trafic d'organes humains encourt désormais une peine d'emprisonnement maximale de 5 ans et une amende ; la peine d'emprisonnement de plus de 5 ans et une amende ou une confiscation des biens sont appliquées aux crimes assortis de circonstances graves. L'amendement stipule que le prélèvement d'organe sans l'accord du propriétaire, ou le prélèvement d'organe du propriétaire âgé de moins de 18 ans, ou le fait de forcer ou tromper autrui en vue de l'amener à faire don de ses organes font encourir à leur auteur les peines de l'homicide volontaire ou des coups et blessures volontaires(articles 232 et 234 actuels du Code Pénal) : c'est-à-dire, selon les circonstances : emprisonnement de trois à dix ans, emprisonnement minimal de dix ans, emprisonnement à perpétuité, peine capitale. L'amendement dispose aussi que les prélèvements des organes d'une dépouille contre la volonté du défunt avant sa mort, ou avec l'accord de celui-ci mais à l'encontre de la réglementation nationale, ou encore à l'encontre de la volonté de la famille du défunt, sont sanctionnés selon l'article 302 du Code Pénal, c'est-à-dire l'emprisonnement maximal de trois ans, la détention criminelle ou la surveillance publique. » Source : Ministère des affaires étrangères |
Plus récemment, le 14 mars 2012, la loi de procédure pénale a été réformée 19 ( * ) et est entrée en vigueur au 1 er janvier 2013. La nouvelle révision permet de progresser dans le domaine des droits de l'homme et de la sécurité juridique. Elle contient des dispositions visant à interdire l'emploi de la torture, de la violence ou de la menace dans l'obtention des preuves. Elle tend à renforcer le rôle de l'avocat.
Elle aborde également un point particulièrement sensible, la détention secrète d'un individu pour crimes mettant en danger la sécurité de l'Etat, de terrorisme, ou crimes graves de corruption.
Selon le ministère des Affaires étrangères, « le texte contient une amélioration par rapport à l'avant-projet rendu public en août 2011 : la mise en résidence surveillée en dehors du domicile devra faire l'objet d'une information auprès des familles, si ce n'est la seule exception d'impossibilité d'y procéder. »
En ce qui concerne la politique pénale proprement dite , définie par les autorités chinoises dans une approche de « clémence et de sévérité », elle est impulsée tant par le parquet populaire suprême que par la cour populaire suprême . Ces deux institutions présentent chaque année, lors de la session annuelle de l'assemblée nationale populaire, un discours général de politique pénale.
Force est de constater qu'en dépit de réformes tendant vers la sécurité juridique, le système judiciaire chinois présente certaines failles que les autorités en charge de la justice tentent de combler, ainsi que l'illustrent les rapports respectifs du président de la cour populaire suprême et celui du procureur général du parquet populaire suprême
En effet, dans son dernier rapport présenté le 10 mars 2013, le président de la cour populaire suprême a mentionné les difficultés suivantes rencontrées en 2012 :
« - Le système judiciaire ne garantit pas l'indépendance des cours ;
- La transparence et la démocratie de la justice ne répondent pas aux demandes du peuple ;
- La difficulté éprouvée par les justiciables pour déposer plainte et la question de l'effectivité des suites données aux plaintes dans les villes ;
- Le fait que certains juges ne soient pas professionnels et qualifiés ;
- Les conditions de travail demeurent modestes dans certaines cours ».
Il a ensuite énuméré les principaux axes de la politique pénale de la cour pour 2013 , en l'occurrence :
« - Accomplir la fonction de jugement selon les lois afin de fournir une garantie puissante pour le développement économique et social ;
- Réaliser les efforts nécessaires pour atteindre le but d'une justice au profit du peuple ;
- Renforcer la confiance du peuple dans le système judiciaire, maintenir la justice et protéger les intérêts du peuple ;
- Approfondir la réforme juridique et judiciaire ;
- Renforcer la construction d'un corps de juges plus qualifiés, plus professionnels ;
- Accepter les inspections des autres organes . »
Quant au dernier rapport du procureur général du parquet populaire suprême , présenté le même jour, il a fixé des objectifs de politique pénale pour 2013 similaires 20 ( * ) , en précisant la nécessité de renforcer la prévention et la lutte contre la corruption.
Tableau n° 1 : Principaux repères juridiques
1979 : Promulgation de la loi pénale. 1981 : Révision de la loi chinoise sur le mariage. 1982 : Nouvelle Constitution de la République Populaire de Chine L'accession au pouvoir de Deng Xiaoping en 1978, a marqué la fin de la Révolution Culturelle et le début d'une « révolution intellectuelle » : les juristes chinois se sont vus autorisés et encouragés à puiser dans les modèles juridiques étrangers. La Constitution de 1982 s'inscrit dans le prolongement de cette dynamique. Elle pose les fondements actuels de la République Populaire de Chine. 1986 : Promulgation des Principes de droit civil Compilés en neuf chapitres, ces principes forment la base du droit civil chinois contemporain. 1999 : L'établissement d'un État de droit devient un principe constitutionnel. Cette initiative s'inscrit dans le cadre d'une priorité donnée, en 1997, à la réforme de la justice par le Chef de l'État M. Jiang Zemin. Elle marque la volonté de la Chine de donner une réelle efficacité à l'appareil judiciaire. 2002 : Création d'un examen national pour l'accès aux professions de juge, de procureur et d'avocat ; dépôt d'un projet de Code civil auprès de l'Assemblée Nationale Populaire. Ces deux événements vont affecter considérablement le devenir du droit chinois. La création de l'examen national permet en effet d'assurer une professionnalisation du personnel juridique au cours des années à venir tandis que le dépôt du projet de codification remet sur la table un débat récurrent en Chine depuis le début du siècle et qui pourrait bien, cette fois-ci, être mené à son terme. 2004 : Intégration de la notion de protection des droits de l'homme dans la constitution chinoise. 2011 : Révision du Code pénal de la Chine - 8 ème amendement 2012 : Révision de la Loi de procédure pénale 2012 : Révision de la Loi de procédure civile Source : http://www.ambafrance-cn.org/Les-dates-cles-du-droit-chinois.html |
* 13 Kuanyan xiang ji,
* 14 L'article 2 de la Constitution dispose « Tout le pouvoir en République populaire de Chine appartient au peuple. Les organes par lesquels le peuple exerce le pouvoir d'Etat sont l'Assemblée nationale populaire et les Assemblées locales populaires » .
* 15 La République populaire de Chine compte trois types de prisons :
- Les prisons destinées aux personnes condamnées, avec parfois des établissements réservés aux courtes peines et d'autres aux longues peines ;
- Les maisons d'éducation réservées aux mineurs ;
- Les centres de rééducation par le travail (en voie de suppression).
* 16 Le principe de légalité « nullum crimen, nulla poena, sine lege » (aucun crime, aucune peine, sans loi) est désormais garanti.
* 17 L'adhésion de la Chine à certaines conventions internationales et la prise en compte de risques, tels que le terrorisme, ont, ainsi, conduit le Comité permanent de l'ANP à modifier la loi pénale.
* 18 Selon le ministère des Affaires étrangères « L'amendement dispose que toute personne, en capacité de payer, mais s'abstenant d'acquitter la rémunération d'une somme relativement importante au travailleur, en transférant ses biens ou s'enfuyant dans la clandestinité, et ne se conformant pas à l'injonction de payer des départements gouvernementaux, encourt une peine d'emprisonnement maximale de trois ans ou la détention, outre une amende le cas échéant. En cas de conséquence grave, l'auteur de tels faits encourt une peine d'emprisonnement de trois ans à sept ans, ainsi qu'une amende . »
* 19 La loi de procédure pénale, adoptée en 1979, avait déjà fait l'objet d'une première révision en 1996 et la préparation de nouveaux amendements avait débuté en 2009.
* 20 - Servir et garantir le développement économique, social et scientifique ;
- Maintenir la sécurité de l'Etat, la stabilité et l'harmonie sociale ;
- Promouvoir le développement d'un Etat gouverné par le droit ;
- Améliorer la qualité professionnelle des procureurs et les conditions de travail des parquets.