Rapport n° 560 (2012-2013) de M. Daniel REINER , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 14 mai 2013
Disponible au format PDF (108 Koctets)
N° 560
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013
Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 mai 2013 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg pour le développement de la coopération et de l' entraide administrative en matière de sécurité sociale ,
Par M. Daniel REINER,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Louis Carrère , président ; MM. Christian Cambon, Jean-Pierre Chevènement, Robert del Picchia, Mme Josette Durrieu, MM. Jacques Gautier, Robert Hue, Jean-Claude Peyronnet, Xavier Pintat, Yves Pozzo di Borgo, Daniel Reiner , vice-présidents ; Mmes Leila Aïchi, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Gilbert Roger, André Trillard , secrétaires ; M. Pierre André, Mme Kalliopi Ango Ela, MM. Bertrand Auban, Jean-Michel Baylet, René Beaumont, Pierre Bernard-Reymond, Jacques Berthou, Jean Besson, Jean-Marie Bockel, Michel Boutant, Jean-Pierre Cantegrit, Luc Carvounas, Pierre Charon, Marcel-Pierre Cléach, Raymond Couderc, Jean-Pierre Demerliat, Mme Michelle Demessine, MM. André Dulait, Hubert Falco, Jean-Paul Fournier, Pierre Frogier, Jacques Gillot, Mme Nathalie Goulet, MM. Alain Gournac, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Gérard Larcher, Robert Laufoaulu, Jeanny Lorgeoux, Rachel Mazuir, Christian Namy, Alain Néri, Jean-Marc Pastor, Philippe Paul, Bernard Piras, Christian Poncelet, Roland Povinelli, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Claude Requier, Richard Tuheiava, André Vallini, Paul Vergès . |
Voir le(s) numéro(s) :
Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : |
577 |
|
Sénat : |
416 et 561 (2012-2013) |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
La France et le Luxembourg sont liés, en matière de sécurité sociale, par plusieurs textes. Tout d'abord, le règlement 883/2004/CE du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, ainsi que son règlement d'application en matière de coopération administrative dans le champ de la sécurité sociale. Ensuite, un accord bilatéral de sécurité sociale, depuis 2008, visant à compléter les dispositions communautaires, en particulier en matière de prestations et de recouvrement des cotisations et trop-versés.
Néanmoins, les autorités des deux pays ont souhaité développer encore plus cette coopération, répondant ainsi à une faiblesse du dispositif : le besoin d'une coopération renforcée et directe entre les organismes de sécurité sociale des deux États.
Ainsi, la France et le Luxembourg ont conclu un accord par échange de lettres, en avril et juin 2011, visant à moderniser leur coopération bilatérale en matière de sécurité sociale.
C'est cet accord qui est aujourd'hui soumis à l'approbation du Sénat.
I. LES DISPOSITIONS DE L'ACCORD
Composé de 25 articles, cet accord cherche essentiellement à lutter contre la fraude aux prestations.
A. DES PRINCIPES GÉNÉRAUX TRADITIONNELS
Les titres I et II définissent les principes généraux de l'accord.
1. Le champ d'application de l'accord
Celui-ci s'applique aux personnes relevant du champ d'application personnel du règlement 883/2004/CE, soit l'article 2 dudit règlement, ainsi qu'aux personnes en situation de besoin.
Règlement 883/2004/CE Article 2 Champ d'application personnel 1. Le présent règlement s'applique aux ressortissants de l'un des États membres, aux apatrides et aux réfugiés résidant dans un État membre qui sont ou ont été soumis à la législation d'un ou de plusieurs États membres, ainsi qu'aux membres de leur famille et à leurs survivants. 2. En outre, le présent règlement s'applique aux survivants des personnes qui ont été soumises à la législation d'un ou de plusieurs États membres, quelle que soit la nationalité de ces personnes, lorsque leurs survivants sont des ressortissants de l'un des États membres ou bien des apatrides ou des réfugiés résidant dans l'un des États membres. |
Le champ matériel de l'accord couvre donc celui défini par l'article 3 du règlement : prestations de maladie ; de maternité et de paternité assimilées ; d'invalidité ; de vieillesse ; de survivant ; d'accidents du travail et de maladies professionnelles ; les allocations de décès ; de chômage ; de préretraite ; et les prestations familiales.
Enfin, le champ territorial est bien entendu limité aux deux pays, dans les frontières du territoire du Luxembourg pour celui-ci, et, pour la France, en métropole, dans les départements d'outre-mer, et toute zone sur laquelle la France exerce sa juridiction.
2. Une coopération renforcée entre les deux pays
L'entraide administrative est facilitée par la possibilité, désormais, pour une des deux Parties, d'interroger l'autre, et, pour celle-ci, de transmettre des informations.
Cette saisine se fait dans le cadre du traitement et du règlement d'un dossier. L'autre partie doit transmettre la réponse dans un délai de 3 mois, qui peut être raccourci en cas d'urgence justifiée. L'aide peut être apportée sous forme de réponse à une demande de renseignement ou d'information, ou de transmission de fichiers à des fins de rapprochement et d'exploitation. Dans ce cas, le but est de constater une fraude, une erreur ou un abus, ayant pu être commis lors de versements de prestations, de recouvrement de cotisations ... La vérification porte essentiellement sur des éléments tels que l'état-civil de la personne, son lieu de résidence, ou encore ses ressources.
Comme toute coopération nécessitant la divulgation de données à caractère personnel, celle-ci doit se faire dans le respect de la législation du pays en matière de protection de ces données. La communication de ces informations à l'autre partie vise uniquement à l'application de la législation en vigueur.
B. DES DISPOSITIONS VISANT À LUTTER CONTRE LA FRAUDE
L'essentiel de l'accord consiste en la définition des principes de coopération entre les deux pays en matière de prestations, d'assujettissement, et de contrôles.
1. La coopération en matière de prestations
Le premier champ de coopération concerne les prestations. Il s'agit en l'espèce de permettre à l'une des parties de vérifier auprès de l'autre, en cas d'incertitude, si une personne peut bénéficier de l'affiliation à un régime de protection sociale ou de l'octroi d'une prestation.
Outre les conditions d'éligibilité et de résidence, la coopération en matière de prestation peut prendre la forme d'une appréciation des ressources dont la personne est susceptible de bénéficier sur son territoire, notamment dans le cas d'une prestation soumise à condition de ressources.
Également, dans ce cadre, une partie peut vérifier que la personne n'est pas bénéficiaire de prestations dont le cumul avec une autre prestation versée par la partie contractante serait interdit.
Enfin, la coopération est également prévue en matière de recouvrement de prestations dues, ou à l'inverse de règlement d'une prestation.
En fonction des informations obtenues, une partie est en droit de refuser, suspendre ou supprimer une prestation.
2. La coopération en matière d'assujettissement
Cette coopération concerne en particulier les travailleurs détachés 1 ( * ) , puisqu'est prévu le contrôle par les autorités compétentes des conditions de détachement, afin de pouvoir déterminer la législation applicable.
Les conditions devant être respectées sont celles de l'affiliation à la législation du pays d'envoi préalablement au détachement, de la justification par l'entreprise d'envoi d'une activité réelle, et du maintien du lien de subordination.
Si les autorités compétentes s'aperçoivent qu'une attestation de détachement a été établie à tort, elles doivent en informer leurs interlocuteurs dans l'autre État, qui doivent alors, dans un délai d'un mois, se prononcer sur le maintien ou le retrait de l'attestation en question.
Les autorités compétentes en charge du recouvrement peuvent interroger celles de l'autre Partie afin de vérifier que les cotisations ou contributions sont effectivement dues.
Enfin, est prévue une transmission annuelle des fichiers des statistiques de détachement sur le territoire de l'autre Partie.
3. La coopération en matière de contrôles
Le soutien aux actions de contrôle est érigé en principe entre les deux Parties contractantes. Afin de permettre au mieux la réalisation des contrôles, des agents peuvent être échangés afin d'appuyer des opérations de contrôles sur le territoire de l'autre Partie. Dans ce cas, ils ont uniquement le statut d'observateur.
Enfin, en cas d'arrêt de travail, une Partie contractante (celle à la législation de laquelle est soumis le salarié) peut demander à l'autre Partie (celle sur le territoire de laquelle le salarié a sa résidence) de procéder aux mesures de contrôles prévues par la législation. Ces mesures doivent être mises en oeuvre sans délai et le résultat transmis aux autorités à l'origine de la demande. De même, un médecin peut être mandaté afin d'effectuer une visite de contrôle au domicile du salarié.
II. UN ACCORD DANS LA CONTINUITÉ DES TEXTES PRÉCÉDENTS
A. LES RELATIONS ENTRE LA FRANCE ET LE LUXEMBOURG
Les relations bilatérales entre la France et le Luxembourg sont excellentes, autant économiques que politiques ou culturelles.
Mais c'est surtout la coopération transfrontalière qui tient une place de choix au sein des relations franco-luxembourgeoise. Celle-ci s'appuie sur divers instruments comme l'accord « Sar-Lor-Lux-Trèves-Palatinat », l'accord de Karlsruhe (dont l'extension aux entités fédérées belges frontalières est aujourd'hui achevée), et Grande Région créée à l'initiative de M. Juncker. Actuellement un grand chantier transfrontalier est ouvert à Esch-Belval Ouest, suivi par un groupe technique transfrontalier franco-luxembourgeois, en vue d'un développement concerté de cette ancienne friche industrielle d'Arcelor de plus de 100 hectares, à cheval sur le sud du Luxembourg et les communes frontalières de Lorraine.
Dans le domaine de la sécurité, un accord bilatéral franco-luxembourgeois de coopération policière et douanière a été signé le 15 octobre 2001 à Luxembourg. Ce texte instaure un droit de poursuite et porte création d'un « centre commun » à Luxembourg, fonctionnant comme un service d'échange d'informations et de coordination, et a été soumis en début d'année à l'approbation du Sénat.
Plus globalement, la coopération franco-luxembourgeoise a permis la signature de 85 accords bilatéraux.
Une commission intergouvernementale franco-luxembourgeoise pour le renforcement de la coopération transfrontalière a également été instaurée, et sa dernière réunion s'est tenue à Senningen le 19 mars 2013. Les autorités ont souligné l'importance particulière de la relation transfrontalière entre les deux pays, et se sont félicitées des progrès accomplis concernant le site d'Esch-Belval-Alzette, ensemble de projets d'activité économique qui inclut notamment un supercalculateur au service des entreprises locales. Des progrès ont également été enregistrés dans les transports routiers et ferroviaires, avec un accent mis sur la multimodalité (consultations pour la création d'une troisième voie de l'autoroute A31 et mise en service de lignes de transports en commun transfrontalières). La commission a par ailleurs salué la signature, en février dernier, d'un accord de coopération dans le domaine de la recherche.
En termes d'échanges humains, les statistiques du STATEC 2 ( * ) estiment à 35 200 le nombre de ressortissants français au Luxembourg en 2013, en progression constante. A l'inverse, on estime à un millier le nombre de Luxembourgeois établis en France. Le nombre de travailleurs transfrontaliers s'établit, quant à lui, à plus de 75 000.
Enfin, les salariés détachés dans le sens Luxembourg France, et dont l'activité a donné lieu à l'émission d'un formulaire de liaison, étaient au nombre de 3 000 en 2011. Dans le sens France-Luxembourg, on comptait 2 000 personnes pour la même année.
B. LA FRAUDE SOCIALE : UN MANQUE À GAGNER NON NÉGLIGEABLE ET UNE PRÉOCCUPATION COMMUNAUTAIRE
L'article 8 du règlement CE/883/2004 dispose que « Deux ou plusieurs États membres peuvent conclure entre eux, si nécessaire, des conventions fondées sur les principes et l'esprit du présent règlement » et son article 76 encourage la coopération, l'assistance et l'entraide entre États membres, via leurs autorités compétentes, pour l'application du règlement.
Ainsi, les États membres sont invités à prendre les mesures et adopter les procédures nécessaires en vue d'améliorer la coopération dans les domaines visés grâce aux modalités pratiques de coopération et d'entraide administrative. Sont notamment encouragées la communication directe entre les organismes compétents, la désignation de centres nationaux de liaison dans les États membres en vue de faciliter la coopération et la notification de ces centres aux États membres et à la Commission, la transmission de toute demande de coopération à l'organisme compétent de l'État membre, l'entraide administrative des organismes compétents (communication d'informations et transmission de documents), et la coopération entre les organismes compétents en matière de transmission des données et de demande d'informations, tout en respectant le droit à la confidentialité dans le traitement des données à caractère personnel.
La pratique montre que si cette coopération est cruciale pour la mise en oeuvre de la coordination, elle est parfois complexe à effectuer, faute d'un cadre bilatéral ou multilatéral conduisant à des engagements précis et réciproques en matière de coopération. Cet accord avec le Luxembourg s'inscrit donc dans la droite ligne des préconisations communautaires.
Compte tenu de l'importance des échanges humains entre la France et le Luxembourg, les flux financiers qui en découlent sont, eux aussi, à un niveau très élevé. Les statistiques du CLEISS 3 ( * ) montrent ainsi qu'en 2011, les remboursements français de soins de santé effectués au Luxembourg s'élevaient à 2 millions d'euros. A l'inverse, le Luxembourg devait rembourser une somme de 114 millions d'euros à la France.
Concernant les détachements, cet accord a pour but de rendre inopérants certains comportements frauduleux visant à éviter les règles d'assujettissement, notamment dans le cadre des missions de détachement effectuées par des salariés d'entreprises de travail temporaire. En effet, en permettant une meilleure application du règlement, une telle coopération conduira les deux États parties à éviter les fraudes et les erreurs, ce qui représentera un gain indéniable pour la sécurité sociale des deux pays.
Toutes branches de la sécurité sociale confondues, le montant des fraudes détectées (hors assurance-chômage) en France est passé de 228 millions d'euros en 2006 à 457 millions en 2010, dont 156 millions pour l'assurance maladie.
Il est difficile de déterminer aujourd'hui s'il existe des fraudes ou erreurs aux prestations sociales dans les échanges entre la France et le Luxembourg, il s'agit donc plus, en l'espèce, d'un accord de clarification et de prévention. En effet, la résidence d'un côté de la frontière et l'accomplissement d'une activité de l'autre côté de la frontière, voire plusieurs activités professionnelles menées des deux côtés de la frontière, impliquent des règles d'affiliation au terme de la coordination de sécurité sociale qu'il convient de vérifier afin d'éviter erreurs et fraudes.
CONCLUSION
En conclusion, il s'agit d'un accord qui s'inscrit dans le prolongement des dispositions communautaires en la matière, et de l'accord de sécurité sociale précédemment conclu avec le Luxembourg. Il complète ces textes en permettant la mise en place d'une coopération concrète entre les autorités compétentes des deux pays.
La France a signé des accords similaires avec la République Tchèque et la Belgique.
La Chambre des députés du Grand-Duché de Luxembourg a adopté le 30 janvier 2013 le projet de loi, et la loi portant approbation de l'Accord est datée du 26 février 2013, publiée au « Mémorial » (Journal officiel) du 5 mars 2013. Néanmoins, la partie luxembourgeoise n'a pas encore notifié avoir accompli ses procédures internes requises pour l'entrée en vigueur de l'Accord.
Votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous recommande donc l'adoption de ce projet de loi.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie sous la présidence de M. Jean-Louis Carrère, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du présent projet de loi le 14 mai 2013.
Après l'exposé du rapporteur, un débat s'est engagé.
M. Michel Boutant - Quelle est l'importance du travail transfrontalier ?
M. Daniel Reiner - Les échanges humains sont très importants et sont présents entre tous les pays transfrontaliers. Par exemple, on dénombre des travailleurs allemands, assez peu nombreux, mais en revanche beaucoup de Français travaillent en Allemagne, dans les usines automobiles notamment, alors même qu'on a une industrie automobile en Lorraine : Smart, Renault, les moteurs Peugeot. Pourtant on ne trouve pas de mécaniciens en Lorraine, ils préfèrent travailler en Allemagne où ils sont payés 20 % de plus.
Des Lorrains travaillent aussi en Belgique, en particulier dans la zone autour de Liège. A l'inverse, on dénombre peu de Belges travaillant en France, par contre de nombreux Belges travaillent en Belgique et habitent en France !
Enfin, Belges, Luxembourgeois et Allemands viennent faire leurs courses en Lorraine, où les prix dans les grandes surfaces sont moins élevés.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté le projet de loi. Elle a également proposé qu'il fasse l'objet d'une procédure d'examen simplifié en séance publique.
* 1
La notion de détachement, au sens du code du travail, désigne toutes les situations où un employeur établi hors d'un État intervient dans un autre État avec ses propres salariés pour y effectuer une prestation de services, dans le cadre d'un contrat commercial avec un client établi dans ce pays. Elle conduit à déterminer les dispositions de la législation du travail du pays où est exercé le travail (État de destination ou d'accueil) qui seront applicables, même si le contrat est régi par la loi d'un autre pays (le plus souvent le pays d'où est détaché le salarié ou État d'origine). Elle se distingue en cela de la notion de détachement au sens de la sécurité sociale qui, dans la même situation, porte sur le maintien de l'application de la législation du régime de sécurité sociale de l'État d'origine pendant la période de détachement dans l'État d'accueil. |
* 2 Portail des statistiques du Grand-Duché du Luxembourg
* 3 Centre des Liaisons Européennes et Internationales de Sécurité Sociale - Rapport statistiques 2011