B. LE DISPOSITIF RÉSULTANT DES ARTICLES 11 ET 61 DE LA CONSTITUTION
1. Le cadre fixé par la Constitution
a) L'esprit de l'article 11 de la Constitution : une nouvelle forme d'initiative parlementaire davantage qu'une nouvelle voie de consultation référendaire
Contrairement à ce que pourrait laisser penser la
dénomination
- abusive - de
« référendum d'initiative populaire », les
troisième à sixième alinéas de l'article 11 de la
Constitution instaurent une nouvelle forme d'initiative parlementaire pouvant
déboucher sur l'organisation d'un référendum.
L'initiative n'est pas populaire mais parlementaire : les citoyens n'interviennent que pour soutenir l'initiative parlementaire.
Le référendum n'est pas automatique : il ne devient obligatoire qu'en l'absence d'examen de la proposition de loi par le Parlement, ce dernier conservant la faculté de s'en saisir afin de l'adopter, la modifier ou la rejeter .
En résumé, le soutien populaire et la perspective du référendum n'apparaissent que comme un aiguillon vis-à-vis du Parlement pour l'inciter à débattre d'une proposition de loi.
La disposition s'apparente davantage à un droit de pétition contraignant le Parlement à examiner un texte qu'à une nouvelle modalité de consultation référendaire. Telle est la conclusion à laquelle avait abouti notre ancien collègue Robert Badinter lors des débats en juin 2008 : « Giraudoux avant raison : l'imagination est la première forme du talent juridique. Ici, elle a simplement pris le tour que Clemenceau se plaisait à dénoncer sarcastiquement : « Vous savez ce que c'est qu'un chameau ? C'est un cheval dessiné par une commission parlementaire » Aujourd'hui, nous avons affaire à un chameau comme, depuis plus de douze ans que je suis sénateur, je crois n'en avoir jamais rencontré. » . 12 ( * )
b) La procédure instituée par les articles 11 et 61 de la Constitution
Le constituant a élaboré un dispositif décomposé en plusieurs étapes :
(1) La formulation, sous forme de proposition de loi, d'une initiative émanant d'un cinquième des membres du Parlement
Comme le précise la seconde phrase du troisième alinéa de l'article 11, l'initiative « prend la forme d'une proposition de loi ».
Cette rédaction, qui n'est pas dénuée d'ambiguïté, a donné lieu à deux interprétations :
- l'une, littérale, conduit à considérer que l'initiative de l'article 11 de la Constitution consiste en une proposition de loi d'un nouveau type qui présenterait la particularité de pouvoir être signée à la fois par des députés et des sénateurs, dont le nombre serait au moins équivalent à un cinquième des membres du Parlement ;
- on pourrait aussi considérer qu'il existe deux objets, une proposition de loi à laquelle s'appliquerait le droit commun d'une part, et, d'autre part, une initiative assimilable à une saisine du Conseil constitutionnel, signée par au moins un cinquième des membres du Parlement, députés et sénateurs confondus, visant à soumettre ce texte à référendum. Mais une telle interprétation s'éloigne à l'évidence du texte de la Constitution.
(2) Le recueil du soutien d'un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales
Lorsque l'initiative a valablement été soutenue par une partie des membres du Parlement, elle doit être ouverte au soutien de l'électorat. Le seuil fixé est de 10 % des électeurs, soit actuellement plus de 4 millions de citoyens.
Le recueil du soutien populaire à l'initiative parlementaire implique la mise en place d'un dispositif de collecte et la fixation d'un délai à l'expiration duquel le Conseil constitutionnel constatera si cette condition est ou non remplie.
(3) Le double contrôle de cette initiative par le Conseil constitutionnel
Conformément au quatrième alinéa de l'article 11, le Conseil constitutionnel « contrôle le respect des dispositions de l'alinéa précédent ». À ce titre, il procède, d'une part, à un contrôle de recevabilité de l'initiative. Celui-ci comporte à la fois une dimension formelle - nombre de soutiens parlementaires et de citoyens requis - et une dimension matérielle.
Le Conseil constitutionnel doit en effet s'assurer du respect du domaine d'intervention de la loi référendaire prévu au premier alinéa de l'article 11 de la Constitution, qui comprend :
- l'organisation des pouvoirs publics ;
- les réformes relatives à la politique économique, sociale ou - depuis la révision constitutionnelle de 2008 - environnementale de la Nation et aux services publics qui y concourent ;
- la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.
Toutefois, ce champ ne couvre pas les questions sociétales , comme l'indiquait lors de son audition par la commission des lois de l'Assemblée nationale, à l'occasion de l'examen du projet de révision constitutionnelle à l'été 1995, M. Jacques Toubon, alors garde des Sceaux : « En limitant l'extension du champ référendaire aux matières économiques et sociales, le Gouvernement a choisi d'exclure les sujets touchant à la souveraineté comme la défense et la justice ou ce qu'il est convenu d'appeler les questions de société avec les libertés publiques, le droit pénal, ou encore les lois de finances dont l'examen relève des prérogatives traditionnelles du Parlement. Il doit donc être clair qu'il ne saurait y avoir de référendum sur des sujets tels que la peine de mort, la repénalisation de l'avortement ou sur l'expulsion des immigrants clandestins, le référendum n'étant pas - et ne devant pas être - un instrument de démagogie. » 13 ( * )
Il convient d'observer que le champ du référendum incluant notamment l'organisation des pouvoirs publics, rien ne semble s'opposer, à défaut d'indication contraire, à ce que la proposition de loi faisant l'objet d'une initiative ressorte du domaine des lois organiques.
Le Conseil constitutionnel s'assure également que la condition, prévue au troisième alinéa de l'article 11, selon laquelle la proposition de loi ne peut avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an est remplie.
En vertu du premier alinéa de l'article 61, le Conseil constitutionnel procède, d'autre part, à un contrôle de la conformité à la Constitution de la proposition de loi.
Par souci de clarté et de lisibilité de la procédure de recueil des soutiens populaires, ce contrôle de constitutionnalité a priori doit intervenir avant la phase de collecte des signatures afin d'éviter au juge constitutionnel de devoir censurer une proposition de loi qui aurait déjà recueilli le soutien d'au moins un dixième des électeurs et afin d'éviter la mise en oeuvre d'une procédure très lourde de recueil de très nombreuses signatures sur la base d'un texte qui ne serait pas conforme à la Constitution.
Une dernière condition de recevabilité est posée par le sixième alinéa de l'article 11 de la Constitution : aucune nouvelle proposition de référendum portant sur le même sujet ne peut être présentée avant l'expiration d'un délai de deux ans suivant la date du scrutin.
(4) L'examen par les deux assemblées parlementaires ou, s'il n'a pas eu lieu, l'organisation d'un référendum par le Président de la République
Une fois l'initiative déclarée recevable et conforme à la Constitution, le Parlement peut en engager l'examen. Celui-ci doit se dérouler devant chacune des chambres dans un délai préfix. À défaut, le Président de la République a compétence liée pour soumettre la proposition de loi à référendum.
Une fois adoptée par référendum, la loi doit être promulguée dans un délai de quinze jours, conformément au dernier alinéa de l'article 11 de la Constitution.
2. La nécessaire intervention du législateur organique
a) Les renvois à la loi organique contenus dans le texte constitutionnel
Afin de rendre ce dispositif effectif, la Constitution ne donne pas habilitation générale au législateur organique pour préciser les modalités d'application de cette procédure. Son article 11 ne prévoit l'intervention de la loi organique que pour :
- déterminer les « conditions de présentation » de l'initiative ;
- déterminer les conditions du contrôle opéré par le Conseil constitutionnel ;
- fixer le délai dont disposent les deux assemblées pour examiner la proposition de loi, à l'expiration duquel le Président de la République la soumet à référendum.
En outre, l'article 63 de la Constitution prévoit que la loi organique détermine la procédure qui est suivie devant le Conseil constitutionnel.
b) Les questions pendantes auxquelles le législateur organique pourrait apporter une réponse
De l'avis de certains observateurs, la lecture des articles 11 et 61 de la Constitution laisse nombre de questions sans réponse par rapport à cette nouvelle forme de référendum.
Si le législateur organique ne peut en aucun cas se substituer au constituant pour résoudre d'éventuelles difficultés nées de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (refus du contrôle de conventionalité dans le cadre de l'article 61 14 ( * ) , du partage de compétence entre la loi et le règlement 15 ( * ) ), en revanche il lui appartient d'expliciter certains termes ou de préciser les délais.
Il en va ainsi notamment de la notion d'« examen » de la proposition de loi par le Parlement ou encore des points de départ ou d'achèvement des délais prévus aux troisième et sixième alinéas. L'autorité en charge du contrôle du respect de cette dernière condition n'est pas désignée explicitement par l'article 11 de la Constitution ; il revient donc au législateur organique de la déterminer.
* 12 Cf. JO Débats Sénat, séance du 19 juin 2008, p. 3037.
* 13 Rapport de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur le projet de loi portant extension du champ d'application du référendum , instituant une session parlementaire ordinaire unique et modifiant le régime de l'inviolabilité parlementaire (n° 2138, Xe législature).
* 14 Décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, « IVG ».
* 15 Décision n° 82-143 DC du 30 juillet 1982, « Blocage des prix et des revenus ».