B. UN PROCESSUS DE RÉFORME LONG ET CHAOTIQUE
A l'issue du large processus de concertation entamé avec le rapport Ballereau, un consensus semblait avoir été trouvé pour engager la réforme de la biologie médicale sur des lignes qui garantissent une approche pleinement intégrée aux nouvelles exigences de la médecine et compatible avec les exigences du droit communautaire. Dans cette optique, l'article 69 de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) a autorisé le Gouvernement, dans les conditions prévues par l'article 38 de la Constitution, à prendre par ordonnance, dans un délai de six mois à compter de la publication de la loi, toutes mesures relevant du domaine de la loi, réformant les conditions de création, d'organisation et de fonctionnement des laboratoires de biologie médicale et visant à :
1° Harmoniser les dispositions applicables aux laboratoires de biologie médicale publics et privés ;
2° Mieux garantir la qualité des examens de biologie médicale, notamment en mettant en place une procédure d'accréditation des laboratoires ;
3° Définir les missions du biologiste, du laboratoire de biologie médicale et du personnel technique dans le cadre du parcours de soins du patient, en assurant l'efficacité des dépenses de santé ;
4° Instituer les mesures permettant d'assurer la pérennité de l'offre de biologie médicale dans le cadre de l'organisation territoriale de l'offre de soins ;
5° Eviter les conflits d'intérêts et garantir l'autorité du biologiste responsable sur l'activité du laboratoire de biologie médicale ;
6° Adapter les missions et prérogatives des agents habilités à effectuer l'inspection des laboratoires de biologie médicale ;
7° Adapter le régime des sanctions administratives et pénales ;
8° Disposer que les laboratoires de biologie médicale privés doivent être exploités en nom propre ou sous la forme d'organismes à but non lucratif, de sociétés civiles professionnelles régies par la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles ou de sociétés d'exercice libéral régies par la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participation financière de professions libérales, ou de sociétés coopératives régies par la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération. Les sociétés anonymes et les sociétés à responsabilité limitée qui, à la date de publication de la présente loi, exploitent un laboratoire de biologie médicale dans les conditions fixées à l'article L. 6212-4 du code de la santé publique devront, dans le délai d'un an suivant la publication de la loi ratifiant l'ordonnance prévue au présent article, transférer cette exploitation à une société ou à un organisme relevant de l'une des catégories mentionnées au présent alinéa.
L'ordonnance du 13 janvier 2010 relative à la biologie médicale a cherché à atteindre ces objectifs en prévoyant une réforme d'ensemble de la biologie médicale. Pour cela elle a :
- réaffirmé le statut médical de la discipline ;
- donné une définition du biologiste médical : un médecin ou un pharmacien spécialiste en biologie médicale ;
- harmonisé les règles de fonctionnement des laboratoires de biologie médicale entre les secteurs public et privé ;
- cherché à garantir la continuité de l'offre de biologie médicale sur un même territoire de santé ;
- maintenu une limite territoriale de l'activité d'un laboratoire ;
- garanti la pluralité de l'offre de biologie médicale sur un territoire donné.
Surtout, les actes de biologie médicale resteront sous le contrôle d'un biologiste responsable, et un système d'accréditation venant compléter le système de contrôle actuel a été mis en place. Ces améliorations sont de nature, selon votre rapporteur, à offrir une plus grande sécurité au patient et à réduire les coûts liés à la multiplication d'examens parfois jugés, à tort ou à raison, peu sûrs par les prescripteurs.
Le groupe socialiste du Sénat s'était opposé au recours à une ordonnance, le sujet méritant un débat parlementaire approfondi. Néanmoins ce n'est pas sans étonnement pour notre assemblée qu'est intervenue, lors de la discussion en première lecture du projet de loi relatif à la bioéthique à l'Assemblée nationale, l'adoption d'un amendement visant à abroger l'ordonnance du 13 janvier 2010 relative à la biologie médicale.
Les députés entendaient ainsi soulever certaines difficultés posées par l'application de l'ordonnance : notamment en ce qui concerne la nomination de professeurs des universités-praticiens hospitaliers à la tête des services de biologie médicale, les ristournes sur les prix des actes et les prélèvements par les infirmières en cabinet libéral.
Suite à l'adoption de cet amendement de suppression, le ministre Xavier Bertrand a fait la déclaration suivante en séance publique au Sénat le 17 février 2011 :
« Je tiens à rassurer tous ceux qui s'inquiètent de cette situation, en premier lieu les biologistes : le texte est toujours en vigueur aujourd'hui puisqu'il n'y a pas eu de vote du Sénat. Il n'est pas question non plus de supprimer cette ordonnance qui permet d'organiser le fonctionnement de la biologie dans notre pays.
Il faut, nous le savons, retravailler certains points spécifiques de cette ordonnance d'ici au passage au Sénat. Ce sera l'objet des travaux des prochaines semaines en concertation. »
Le Sénat a, pour sa part, estimé que les difficultés soulevées pouvaient pour une large part être réglées par décret ou dans le cadre de négociations avec les professionnels et qu'elles ne justifiaient pas à elles seules l'abrogation de l'ordonnance tout entière, alors même que celle-ci avait commencé à être appliquée. Notre assemblée a donc rejeté l'abrogation de l'ordonnance.
Plusieurs amendements tendant à la ratification de l'ordonnance et à la modification de plusieurs points la concernant ont été discutés dans le cadre de la proposition de loi modifiant certaines dispositions de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires 4 ( * ) . L'Assemblée nationale a ainsi adopté sept amendements revenant sur différents points de l'ordonnance.
Ils tendaient à :
- rétablir, dans la nouvelle définition de l'examen de biologie médicale résultant de l'ordonnance, la distinction opérée par les textes antérieurs entre ces examens et les actes d'anatomie et de cytologie pathologiques ;
- permettre que, lorsque la phase pré-analytique d'un examen de biologie médicale ne peut être réalisée dans un laboratoire de biologie médicale (LBM) ou dans un établissement de santé, elle puisse l'être en tout lieu, par un professionnel de santé et sous sa responsabilité, dans le respect de la procédure d'accréditation ;
- rétablir le système des « ristournes » que le laboratoire pouvait consentir, avant l'intervention de l'ordonnance du 13 janvier 2010, à des établissements de santé publics ou privés, ou à d'autres laboratoires dans le cadre de « contrats de collaboration », pour les analyses et examens dont ils étaient chargés ;
- rouvrir l'accès des vétérinaires au diplôme d'études spécialisées de biologie médicale ;
- permettre le recrutement de professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH) et de maîtres de conférence des universités-praticiens hospitaliers (MCU-PH) non titulaires du DES de biologie médicale ;
- permettre une accréditation partielle des laboratoires de biologie médicale ;
- encadrer les modalités de participation au capital d'une société exploitant un laboratoire de biologie médicale ;
- ratifier, sous réserve de modification, l'ordonnance sur la biologie médicale.
Le Sénat a amendé ces différents articles en refusant principalement de repousser indéfiniment l'obligation d'accréditation des LBM prévue par l'ordonnance. Il a également refusé le retour à la pratique des ristournes et la réouverture de l'accès des vétérinaires au diplôme spécialisé de biologie médicale.
Mais, à l'issue de la discussion de la proposition de loi « Fourcade », les cinq articles relatifs à la biologie médicale, dont l'article de ratification de l'ordonnance, ont été invalidés par le Conseil constitutionnel en tant que cavaliers législatifs 5 ( * ) .
La proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale par Valérie Boyer, Jean-Luc Préel et plusieurs de leurs collègues le 22 novembre 2011 reprenait une partie des amendements adoptés par les deux chambres dans le cadre de la proposition de loi « Fourcade » et prévoyait la ratification de l'ordonnance du 13 janvier 2010. Malgré son adoption large à l'Assemblée nationale, les contraintes du calendrier parlementaire et électoral, notamment, n'ont pu permettre sa discussion au Sénat, alors même que la commission avait désigné comme rapporteur notre collègue Alain Milon.
Les élus socialistes de l'Assemblée nationale et du Sénat ont repris le processus de concertation avec les professionnels et rédigé une proposition de loi.
Les professionnels du secteur attendent depuis trop longtemps que le statut de l'ordonnance soit définitivement fixé afin de prévenir toute instabilité juridique et que les modifications demandées par les biologistes soient prises en compte afin que la réforme de la biologie médicale puisse être pleinement mise en oeuvre sur le terrain et bénéficier aux patients.
* 4 Proposition de loi dite « Fourcade », adoptée définitivement par le Sénat le 13 juillet 2011.
* 5 DC n° 2011-640 du 4 août 2011.