ARTICLE 10 - (Art. 237 bis A du code général des impôts) - Suppression de l'avantage fiscal lié à la provision pour investissement

Commentaire : le présent article supprime l'avantage fiscal accordé, sous la forme d'une « provision pour investissement », à certaines entreprises ayant adopté des règles plus généreuses que le droit commun en matière de participation ou effectuant certains types de versements complémentaires à des PERCO ou des PEE .

I. LE DROIT EXISTANT

A. LA « PROVISION POUR INVESTISSEMENT » : UN AVANTAGE FISCAL DESTINÉ À FAVORISER LA PARTICIPATION SANS NUIRE À L'INVESTISSEMENT

La participation a « pour objet de garantir collectivement aux salariés le droit de participer aux résultats de l'entreprise » (article L. 3322-1 du code du travail). Elle prend la forme d'une « participation financière à effet différé, calculée en fonction du bénéfice net de l'entreprise, constituant la réserve spéciale de participation » (article L. 3322-1 précité).

Elle est obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés - tandis que l'intéressement demeure toujours facultatif - et la formule de calcul de la réserve spéciale de participation (RSP) est fixée par l'article L. 3324-1 du code du travail .

Conformément aux règles du droit du travail, les entreprises peuvent déroger de manière plus favorable aux dispositions légales en matière de participation.

Par exemple, la formule de calcul de la RSP peut être plus généreuse que la formule légale. De même, une entreprise de moins de 50 salariés peut décider de mettre en place une politique de participation bien qu'elle n'y soit pas légalement contrainte.

Logiquement, le choix de distribuer une part plus importante des bénéfices sous forme de participation vient diminuer les capacités d'investissement de l'entreprise . C'est pourquoi l'article 32 de l'ordonnance du 21 octobre 1986 relative à l'intéressement et à la participation des salariés 72 ( * ) a créé la « provision pour investissement » , régie par le II de l'article 237 bis A du code général des impôts (CGI), modifié par le présent article.

La « provision pour investissement », d'un montant variable selon les entreprises concernées ( cf. infra ), est déductible du résultat fiscal . Dans les deux ans suivant sa constitution , elle doit être utilisée pour l'acquisition ou la création de biens présentant le caractère d'immobilisations, c'est-à-dire des biens durables pour l'entreprise .

Si elle n'est pas utilisée conformément à son objet (l'investissement), elle est rapportée au bénéfice fiscal et imposée selon le droit commun de l'impôt sur les sociétés (ou de l'impôt sur le revenu si l'entreprise relève du régime des bénéfices industriels et commerciaux). Même dans ce dernier cas, l'entreprise aura bénéficié d'un avantage de trésorerie puisqu'elle aura attendu deux ans avant d'être imposée.

La provision ainsi constituée n'est pas une provision au sens comptable : elle ne vient pas couvrir une dépréciation ou une perte probable. C'est une provision réglementée, de nature purement fiscale. Elle permet de faire comme si une partie des bénéfices n'avait pas été affectée à la participation et demeurait donc disponible pour l'autofinancement de l'entreprise.

L'avantage fiscal est conçu pour concilier une participation avantageuse pour les salariés sans pour autant contraindre les capacités d'autofinancement - et donc d'investissement - de l'entreprise .

Exemple chiffré

Une entreprise S conclut un accord de participation par lequel elle s'engage à augmenter de 20 % la réserve spéciale de participation par rapport au droit commun.

La RSP de droit commun est de 1 000. Elle est portée à 1 200.

L'entreprise peut passer une provision de 100 (50 % x 200) au titre de la « provision pour investissement » en franchise d'impôt.

Dans un délai de deux ans, elle acquiert un équipement de 100. La provision est alors effacée. Dans le cas contraire, les 100 sont imposés.

B. UNE « PROVISION POUR INVESTISSEMENT » À GÉOMÉTRIE VARIABLE

Hormis les deux cas cités précédemment, la « provision pour investissement » peut être constituée dans de nombreux cas prévus par le II de l'article 237 bis A du code général des impôts.

La part de la RSP pouvant faire l'objet de la provision est variable selon le cas considéré. Il convient également de noter que certains versements de l'entreprise au titre d'un PERCO (plan d'épargne retraite collectif) ou d'un plan d'épargne entreprise (PEE) sont également éligibles à la provision.

Part de la réserve spéciale de participation ou des versements éligibles à la « provision pour investissement »

1

Droit commun de la participation

0 %

2

Entreprises soumises à participation obligatoire

En cas de formule de participation plus généreuse que la formule légale

50 %

du montant correspondant au supplément par rapport à la RSP légale

(a)

3

Entreprises de moins de 50 salariés soumises à la participation à titre facultatif

25 %

(cumulable avec le cas n° 2)

(a)

(b)

4

Sociétés coopératives ouvrières de production (SCOP)

(d)

Si la SCOP est détenue à 50 % au moins par des coopérateurs ou à plus de 50 % par une autre SCOP

100 %

Si la SCOP est détenue à plus de 50 % par des non-coopérateurs ou par des titulaires de certificats coopératifs d'investissement

0 %

5

Sociétés anonymes à participation ouvrière (SAPO)

50 %

Si l'entreprise affecte, par prélèvement sur les résultats, au titre de chaque exercice, à un compte de réserve non distribuable, une somme égale à 25 % des sommes portées à la RSP

75 %

6

Abondements de l'entreprise à un PERCO ou un PEE

Abondement à un PERCO

25 %

des versements complémentaires

35 %

si les versements viennent en complément pour l'acquisition de parts de fonds solidaires

(c)

50 %

si ces versements complémentaires donnent accès au capital de l'entreprise

Entreprise de moins de 100 salariés ayant conclu un accord d'intéressement avant le 20 février 2003 et ayant mis en place un PEE

50 %

de l'abondement qu'elle verse au titre des primes d'intéressement affectées au PEE

7

Accord de groupe et intégration fiscale

En cas de réserve globale de participation pour l'ensemble du groupe

La « provision pour investissement » est constituée par chaque société du groupe dans la limite de sa contribution effective à la participation globale.

Toutefois, chaque société peut transférer tout ou partie de son droit à constitution de ladite provision à l'une ou plusieurs sociétés du groupe.

(a) Taux réduit de moitié lorsque la durée d'indisponibilité des sommes attribuées est de 3 ans.

(b) 50 % pour les accords conclus avant le 20 février 2003 ou entre le 31 décembre 2006 et le 31 décembre 2009.

(c) Les titres doivent alors être conservés pendant deux ans.

(d) Les dotations à la réserve légale et au fonds de développement de ces sociétés peuvent tenir lieu, à due concurrence, de provision pour investissement. Le délai d'utilisation de la provision est alors porté à quatre ans.

Source : article 237 bis A du code général des impôts

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le présent article complète l'article 237 bis A du CGI afin de supprimer l'avantage fiscal de la « provision pour investissement ». Il convient de noter que, pour des raisons de lisibilité de la loi, le II de l'article 237 bis A n'est pas en lui-même supprimé mais ses effets fiscaux seront désormais nuls.

Tout d'abord, le présent article ( alinéa 2 ) prévoit que les « provisions pour investissement » cessent d'être considérées comme une charge déductible au titre des exercices clos à compter de la date de publication de la présente loi de finances rectificative. La suppression de l'avantage fiscal s'applique donc aux exercices en cours .

Ensuite, les provisions déjà constituées et figurant à l'ouverture du premier exercice clos à compter de la publication de la présente loi de finances rectificative seront rapportées au bénéfice fiscal imposable dans les conditions du droit en vigueur ( alinéa 3 du présent article ).

Par exemple, l'exercice d'une entreprise se déroule du 1 er janvier au 31 décembre. Elle constitue une « provision pour investissement » au titre de l'exercice 2011. A compter du 1 er janvier 2012, elle dispose de deux ans pour l'utiliser à des fins d'investissement. A défaut, lors du calcul du bénéfice imposable 2013 (exercice clos le 31 décembre 2013), elle doit rapporter la provision à ses bénéfices imposables.

Le présent article ne change rien à cet état du droit. Ainsi, les provisions constituées au titre des exercices 2011 ou antérieurs pourront bénéficier de l'avantage fiscal jusqu'au 31 décembre 2013.

III. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

A l'initiative de notre collègue Jean-Louis Dumont et avec l'avis favorable de la commission des finances et du Gouvernement, l'Assemblée nationale a adopté un amendement tendant à maintenir le bénéfice de la « provision pour investissement » pour les sociétés coopératives et participatives (ou société de coopération ouvrière de production, SCOP). Le coût de l'amendement serait de l'ordre d'un à deux millions d'euros.

IV. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

A. UN AVANTAGE FISCAL LIMITÉ MAIS ENCORE MAL CONNU

D'après les données de l'évaluation préalable annexée au présent projet de loi, le coût annuel de l'avantage fiscal serait d'environ 31 millions d'euros et concernerait près de 2 600 entreprises 73 ( * ) . En juin 2011, le rapport du Comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales (rapport Guillaume) avançait un coût de l'ordre de 95 millions d'euros.

Néanmoins, votre rapporteur général ne dispose pas d'une ventilation de l'avantage fiscal entre la dizaine de cas référencés plus haut . Le rapport Guillaume relevait déjà que « le nombre de bénéficiaires potentiels de ce dispositif n'étant pas connu, il n'est pas possible de déterminer le taux de recours à ce dispositif ». Or il serait utile de savoir s'il a un impact plus marqué pour telle ou telle catégorie d'entreprises, par exemple pour les entreprises qui recourent à la participation à titre facultatif.

B. UN AVANTAGE FISCAL CRITIQUÉ

Bien que ne disposant pas de données détaillées, le rapport Guillaume avait cependant attribué la note 1 à l'avantage fiscal, considérant que « l'impact réel de ce dispositif sur l'investissement ne peut être déterminé et l'avantage définitif que procure ce dispositif paraît excessif au regard des objectifs qui lui sont assignés et de l'impossibilité d'en mesurer l'efficacité réelle ».

Ses effets sur la participation ou l'investissement apparaissent somme toute réduits .

S'agissant tout d'abord de l'investissement, la différence de chiffrage entre le rapport Guillaume et l'évaluation préalable du présent article tendrait à montrer que, en période de difficultés économiques, l'avantage fiscal n'est pas suffisant pour déterminer, à lui seul, une décision d'investissement. A ce titre, le rapport Guillaume soulignait d'ailleurs que « cette provision ne garantit pas à l'entreprise de disposer des liquidités nécessaires aux investissements projetés ». Dès lors, le dispositif pourrait comporter un effet d'aubaine : les entreprises qui bénéficient de l'avantage fiscal sont celles qui, de toute manière, auraient investi.

Surtout, il apparaît évident que le champ des investissements éligibles est trop large. Par exemple, l'acquisition de titres de participation peut être considérée comme une immobilisation et bénéficier ainsi de l'avantage fiscal. Le rapport Guillaume rappelle que « dans la logique première du législateur, ce mécanisme de provision était destiné à permettre aux entreprises de continuer à investir pour le développement de leur activité, malgré la participation qu'elles accordent à leur personnel. Seuls les investissements "productifs", c'est-à-dire utiles à l'exercice de l'activité de l'entreprise, quelle qu'elle soit, étaient donc intrinsèquement visés ».

De même, l'avantage fiscal ne semble pas avoir d'effets décisifs en termes d'incitation à la participation. En effet, le plus souvent, les accords de participation sont négociés entre les représentants du personnel et l'entreprise. Dans ce contexte, il apparaît peu probable que l'avantage fiscal soit de nature à bouleverser l'équilibre de la négociation .

Néanmoins, faute d'une connaissance intime du dispositif, il est impossible d'apprécier le caractère incitatif de l'avantage fiscal pour les petites et moyennes entreprises (PME) qui décident de recourir à la participation alors qu'elles n'y sont pas légalement obligées ou encore pour les SCOP ou les SAPO.

A cet égard, votre rapporteur général estime que, s'agissant des SCOP, le maintien de la « provision pour investissement » est justifié. En effet, les dotations à la réserve légale et au fonds de développement de la SCOP peuvent également tenir lieu de « provision pour investissement », en sus des accords de participation dérogatoires éventuels.

Cette particularité de la constitution de la provision pour les SCOP leur permet de pallier l'inconvénient que présente leur statut pour accéder à des financements en fonds propres. La « provision pour investissement » leur permet donc de préserver leur capacité d'investissement .

Un amendement de précision rédactionnelle devrait toutefois être adopté afin de rendre le dispositif totalement opérant.

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi modifié .


* 72 Ordonnance n° 86-1134 du 21 octobre 1986 relative à l'intéressement et à la participation des salariés aux résultats de l'entreprise et à l'actionnariat des salariés.

* 73 Le gain budgétaire serait toutefois doublé en 2013, du fait du paiement du solde d'impôt sur les sociétés acquitté au titre de l'exercice 2012 et de l'économie réalisée au titre de l'exercice 2013.

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