III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : MIEUX GARANTIR LA PRISE EN COMPTE DES SPÉCIFICITÉS DES ÉTATS MEMBRES
A. S'ASSOCIER À LA POSITION DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES EN CE QUI CONCERNE LES RÈGLES RELATIVES À LA COMMANDE PUBLIQUE
Votre commission des lois s'associe pleinement aux observations que la commission des affaires européennes a formulées dans la proposition de résolution qui lui a été transmise. Aux yeux de votre rapporteur, le constat dressé par notre excellent collègue, M. Bernard Piras, est pleinement pertinent.
À sa suite, on peut recenser les avancées, même timides, qu'apportent les propositions de directives :
- un approfondissement de la dimension sociale et environnementale de la commande publique : possibilité de calcul du coût de cycle de vie et non du simple coût direct, chapitre spécifique aux services sociaux et culturels avec maintien des formalités allégées, critère du respect des normes environnementales et sociales aux soumissionnaires extérieurs à l'Union européenne ;
- un effort pour rendre plus accessible la commande publique aux petites et moyennes entreprises (PME) : possibilité d'examiner les offres avant la sélection des candidatures, obligation de principe d'allotir les marchés à partir de 500 000 €, généralisation de la déclaration sur l'honneur en lieu et place de la production de documents fastidieux.
Ce dernier point est d'autant plus crucial que la question du soutien au tissu économique des PME est régulièrement relancée. Or, il semble que, si les PME remportent, en moyenne et hors sous-traitance, 60 % du nombre des marchés publics, représentant 27 % du montant total des marchés publics 23 ( * ) , ce résultat est inférieur à la représentation réelle de ce secteur dans l'économie française 24 ( * ) .
Les propositions de directives ne manquent pas, pour autant, de susciter des inquiétudes que notre collègue relève avec justesse.
Des modifications contestables des règles relatives aux marchés publics
Votre commission souhaite exprimer son scepticisme à l'égard de deux points d'importance dans la révision de deux directives de 2004 en matière de marchés publics.
En premier lieu, le choix de la Commission de figer la jurisprudence communautaire relative à la coopération public-public ne paraît pas judicieux. Aux yeux de votre commission, il semble préférable de laisser la jurisprudence se développer et arriver à une certaine maturité avant de la cristalliser au sein d'une directive. On peut relever, à cet égard, qu'en matière de coopération intercommunale au regard du droit de la commande publique, la Cour de justice n'a rendu à ce jour qu'un seul arrêt 25 ( * ) et que les juridictions nationales entament à peine sa mise en oeuvre dans les affaires qui leur sont soumises. Il semble donc particulièrement périlleux de prétendre, comme le fait la Commission, d'en déduire des principes généraux qui puissent s'appliquer à l'ensemble des situations rencontrées.
Ce choix est d'autant moins compréhensible que les propositions de directives ne se contentent pas d'une codification à droit constant de l'oeuvre prétorienne de la Cour de justice, mais modifient sensiblement les critères des contrats « in-house ». En substituant au caractère essentiel des activités entre le pouvoir adjudicateur et l'organe contrôlé un seuil plancher de 90 % d'activités, la Commission prétend tirer de la jurisprudence des enseignements que la Cour de justice elle-même n'a pas nécessairement regardée comme une règle intangible. Il est incontestable que sur ce point, la Cour de justice a une vision plus pragmatique et susceptible de davantage s'adapter aux situations d'espèce. Il semble donc plus sage à votre commission de différer la fixation des règles des partenariats public-public dans un texte communautaire.
En second lieu, la faible ouverture à la procédure négociée conduit votre commission à certaines réserves vis-à-vis des présentes propositions de directive. Cette procédure existe dans le droit français et a montré, du point de vue des acheteurs publics, son efficacité. Or, contrairement à l'esprit des annonces initiales effectuées par la Commission, la procédure négociée demeure une possibilité réservée à certaines catégories de marchés . Votre commission ne peut donc être totalement satisfaite de l'absence d'avancée significative en ce domaine dans le cadre de la révision du cadre législatif des marchés publics.
Une rigidification critiquable des règles d'attribution des concessions de service en contradiction avec la législation française
Actuellement, les collectivités publiques bénéficient d'une liberté plus grande lors de la désignation d'un délégataire de service public que pour l'attribution d'un marché public. Les délégations de service public restent soumises aux grands principes du marché intérieur, mais ne sont encadrées par des actes dérivés que de manière marginale.
Cette différence de régime est justifiée traditionnellement par le fait que la délégation est un contrat intuitu personae qui dépasse la seule fourniture d'un service ou la livraison d'un bien. C'est une véritable relation de confiance qui doit lier l'autorité délégante à son délégataire. Dans la mesure où le délégataire va assurer une partie du service public, en assumant de surcroît le risque d'exploitation du service, le pouvoir discrétionnaire du délégataire paraît légitime, et ce, d'autant plus que le contrat de délégation peut s'établir pour plusieurs décennies.
La proposition actuelle de directive prévoit pourtant de soumettre les concessions dont le montant est supérieur ou égal à 5 000 000 euros -ce qui est relativement faible dans la pratique- à des contraintes procédurales fortes : publicité au Journal officiel de l'Union européenne, fixation d'exigences à remplir et de critères d'attribution hiérarchisés ou pondérés, information des candidats sur la procédure (étapes, règles de sélection, etc.) et le choix final. Ces règles dépassent largement les conditions posées en droit français et se rapprochent davantage d'un régime de marché public, méconnaissant ainsi gravement la nature particulière de la délégation de service public.
Ce nouveau régime engendrerait un alourdissement des contraintes procédurales (sans effet avéré sur la libre concurrence), et ce, en contradiction avec l'objectif affiché. En outre, il se traduirait par un renchérissement des coûts pour les autorités publiques lors de la passation des délégations de service public alors même que la Commission européenne affirme, sans étayer son raisonnement, qu'un simple coût de mise en place est à anticiper. Il enferme enfin les délégations de service public dans un cadre étroit qui ne permettra pas toutes les souplesses de gestion actuelles notamment en termes de modification ou de résiliation de ces délégations.
Il apparaît donc clairement que les propositions de directives méconnaissent la spécificité de la concession de services en étendant des techniques, telles que la fixation et la pondération de critères d'attribution, qui sont directement inspirés des marchés publics. Le formalisme excessif qui en découlerait nuirait fortement à la négociation des contrats de délégation de service public et ne manquerait pas de créer de nouvelles possibilités de contentieux.
En outre, des doutes peuvent exister sur le périmètre exact du champ d'application matériel de la directive E 6989. Par sa formulation, les directives couvrent le secteur de la distribution et de la fourniture d'électricité et de gaz au tarif réglementé qui s'analysent comme des concessions de service au sens de la proposition de directive. En matière de service public de l'électricité, la législation française prévoit actuellement qu'en contrepartie des obligations de service qui pèsent sur le délégataire unique -ErDF pour le réseau et EDF pour la distribution-, ce dernier dispose d'un monopole d'attribution. Formellement, des renouvellements de contrats sont effectués à échéance entre les autorités concédantes et ces entreprises mais le choix du délégataire est contraint par la loi. Dans ce contexte, on peut légitimement s'interroger sur le fait de placer dans le périmètre de la directive ces opérateurs économiques qui détiennent un droit exclusif et qui devraient en conséquence être exclus du champ de la procédure de mise en concurrence, ce qui pourrait avoir comme risque de rompre l'équilibre du système.
* 23 Ces statistiques sont issues des publications de l'observatoire économique des marchés publics pour 2010. Les PME françaises remportent donc pour l'essentiel des marchés publics à faible montant.
* 24 Les PME françaises remportent donc pour l'essentiel des marchés publics à faible montant.
* 25 CJCE, 9 juin 2009, Commission c/ République fédérale d'Allemagne, aff. C-480/06.