C. UN TEXTE SOURCE D'INSÉCURITÉ JURIDIQUE
La majoration des droits à construire, et tout particulièrement la modification des limites de hauteur ou de gabarit des bâtiments, pourrait être source de nombreux contentieux. On peut être certain que les riverains, à titre personnels ou réunis en association, se saisiront, ce qui est leur droit le plus strict, de tous les motifs pour tenter de faire annuler les décisions individuelles qui les dérangent et, au-delà, les documents d'urbanisme sur le fondement desquels elles sont prises. Or, ce texte présente des problèmes de sécurité juridique à plusieurs niveaux et donne prise à ce contentieux.
Le premier niveau d'insécurité est celui de la procédure de consultation du public. Le texte prévoit que la commune ou l'EPCI met à la disposition du public une note d'information présentant les conséquences de l'application de la majoration de 30 % sur son territoire, notamment au regard des objectifs mentionnés à l'article L. 121-1 du code de l'urbanisme. Deux questions peuvent alors se poser :
- d'une part, on peut se demander quel est le lien entre la note d'information produite, le recueil de l'avis du public et le sens de la délibération de la collectivité . La rédaction initiale laissait craindre que la décision de la collectivité soit liée par les étapes de l'élaboration, l'alinéa 9 de l'article unique disposant que la commune délibère : « au vu des résultats de la consultation du public ». Ce problème semble toutefois avoir été réglé à la suite de l'adoption par les députés d'un amendement qui remplace l'expression : « au vu de » par les mots : « à l'issue de » ;
- d'autre part, on peut se demander quel doit être le degré de précision de cette note d'information . Une augmentation de 30 % des droits à construire sur l'ensemble du territoire couvert par un PLU ne constitue pas une modification anodine, de sorte qu'en déterminer l'impact n'est pas techniquement évident sans une étude approfondie. Or, face à une note insuffisamment précise, il y a un risque que la délibération de la commune et la modification subséquente du PLU soit attaquées sur le fondement de l'article 7 de la Charte de l'environnement 6 ( * ) , qui fait partie du « bloc constitutionnel », au motif que le niveau d'information délivré au public était insuffisant. Que se passera-t-il par ailleurs si la commune ne produit aucune note d'information et que la majoration entre en vigueur au bout de neuf mois ?
Le deuxième niveau est celui de la cohérence interne et externe des documents d'urbanisme.
En ce qui concerne la cohérence interne du PLU , il faut veiller à ce que la majoration des droits à construire n'entre pas en contradiction avec le projet d'aménagement et de développement durables du PLU. On sait par exemple que le dispositif de majoration de l'article L. 127-1 s'applique « sous réserve de ne pas porter atteinte à l'économie générale du plan d'occupation des sols ou du projet d'aménagement et de développement durables du plan local d'urbanisme ». On peut certes penser qu'une commune qui délibèrera au sujet de l'application du nouveau dispositif prévu à l'article L. 123-1-11-1 veillera à éviter toute remise en question de la cohérence de son PLU et rejettera le cas échéant cette majoration sur tout ou partie de son territoire pour ce motif. Mais trois cas apparaissent problématiques :
- le premier est celui d'une commune dans laquelle, en l'absence de délibération, le nouveau dispositif s'applique d'office . N'ayant pas fait l'objet d'une adaptation aux circonstances locales, la majoration des droits à construire peut tout à fait ruiner la cohérence interne du PLU. Or, il ne s'agit pas d'un cas de figure théorique, puisque l'on compte à ce jour plus de 17 300 PLU ou POS approuvés. Les maires concernés, particulièrement dans les plus petites communes, seront-ils bien informés de l'existence de la mesure ? En outre, si la majoration automatique des règles entre en vigueur neuf mois après la promulgation de la loi, puis que la commune décide ensuite de revenir sur les effets de cette majoration comme ce texte l'y autorise, les règles de constructibilité auront alors été modifiées trois fois de suite dans un délai très bref. Est-ce souhaitable du point de vue de la stabilité de la norme juridique ?
- le deuxième cas problématique est celui des PLU intercommunaux . Comme cela a déjà été souligné, le texte prévoit qu'une commune puisse prendre une décision contraire à celle de l'EPCI qui, pourtant, possède la compétence en matière de PLU. Elle appliquerait alors la majoration alors que la communauté ne l'applique pas -ou inversement. Outre que cela constitue une remise en cause brutale et injustifiée de la politique suivie depuis plusieurs années pour encourager la coopération intercommunale, on imagine quel usage fera de cette disposition une commune malthusienne insérée dans une intercommunalité où existent de fortes tensions sur le logement. Verra-t-on un EPCI attaquer devant le juge la décision d'une commune membre concernant la majoration ou, inversement, une commune attaquer la décision de son intercommunalité. Cela n'a guère de sens ;
- le dernier cas est celui d'un PLU en cours d'élaboration ou de révision . Les communes ou leurs groupements vont-ils devoir mettre en oeuvre une procédure d'évaluation des effets du dispositif et la consultation du public alors même qu'une enquête publique est en cours ou vient de s'achever dans le cadre de la procédure d'élaboration ou de révision du PLU ?
En ce qui concerne la cohérence entre le PLU et les autres documents d'urbanisme , les choses ne vont pas de soi non plus. Les PLU s'inscrivent en effet dans une hiérarchie des documents d'urbanisme. Ils doivent être compatibles avec le PLH et le SCOT, qui fixent des objectifs de plus en plus précis dans le domaine du foncier et du logement et, pour le second, également dans le domaine des transports. On peut, là encore, supposer que les communes, avant de décider d'une majoration des droits à construire sur leur territoire, s'interrogeront pour savoir si cette décision risque d'avoir un impact sur la cohérence entre le PLU et les documents supérieurs. Il n'en reste pas moins que ce texte s'écarte de la logique encouragée depuis de nombreuses années qui veut que les questions stratégiques en matière de logement soient pensées et coordonnées au niveau intercommunal. Verra-t-on demain certains PLU attaqués au motif qu'après majoration des droits à construire, ils ne sont plus compatibles avec un document supérieur ?
Enfin, des questions de sécurité juridique se posent également s'agissant des relations contractuelles entre personnes privées. On peut penser aux risques de contentieux entre colotis sur le fondement que certaines constructions ou agrandissements seraient contraires au cahier des charges du lotissement.
* 6 Charte de l'environnement, article 7 : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement. »