B. UNE INFORMATION OBLIGATOIRE
1. Onze seuils légaux de déclaration
Toute personne physique ou morale , agissant seule ou de concert, doit déclarer à l'émetteur et à l'AMF le nombre total d'actions et de droits de vote qu'elle possède dès lors qu'elle franchit, à la hausse ou à la baisse, certains seuils légaux de détention . Ces seuils, fixés par l'article L. 233-7 du code de commerce, sont au nombre de onze, soit 5 %, 10 %, 15 %, 20 %, 25 %, 30 %, un tiers, 50 %, deux tiers, 90 % et 95 % 4 ( * ) .
En réalité, on peut considérer qu'il en existe vingt-deux puisque l'information porte aussi bien sur le capital que sur les droits de vote. Par exemple, certaines actions portent un droit de vote double, il est donc possible de franchir un seuil en termes de droits de vote mais pas en capital.
Le franchissement d'un seuil doit être déclaré dans le délai de quatre jours de bourse.
L'émetteur peut également prévoir dans ses statuts des obligations supplémentaires d'information portant sur des seuils supérieurs à 0,5 % (et inférieurs à 5 %) du capital ou des droits de vote.
2. Une assimilation non extensive des actions prises en compte dans le calcul du franchissement des seuils
Comme le rappelle notre collègue Philippe Marini dans l'exposé des motifs de la présente proposition de loi, « la subtilité du dispositif réside dans la définition du périmètre des titres qui sont assimilés à des actions et devant être déclarés ».
En effet, le déclarant peut exercer un contrôle sur une fraction du capital ou des droits de vote sans pour autant posséder directement les actions s'y rapportant . Très simplement, il peut s'agir de titres détenus par une filiale ou par un tiers qu'il contrôle ou, sans les contrôler, qui détiennent pour son compte ces actions. Il existe également des instruments dérivés ouvrant droit à l'acquisition d'actions à terme ou sous certaines conditions.
Face à la sophistication de l'ingénierie financière, le législateur et le régulateur sont invités à définir les titres, instruments ou accords financiers devant être assimilés aux actions - dites « en dur » - pour le calcul du franchissement des seuils 5 ( * ) .
Le rapport Field note en effet que « le système de l'assimilation permet d'éviter le jeu d'effets de seuils et la situation dans laquelle un investisseur pourrait se trouver à n'avoir à effectuer aucune déclaration alors que sa position globale lui conférerait un poids certain sur l'émetteur parce que, par exemple, il détiendrait directement 4,5 % d'actions et 4,5 % par l'intermédiaire d'options d'achat. [L'assimilation] doit a minima prendre en compte les instruments financiers répondant aux conditions prévues par la directive Transparence, mais peut aller au-delà, comme le permet la directive ».
Dès lors que le régime des franchissements de seuils relève d'une logique de transparence, l'assimilation devrait être la plus extensive possible . Les articles L. 233-7 et L. 233-9 du code de commerce tracent la limite entre d'une part, les actions détenues « en dur » et les titres, accords ou instruments financiers assimilés, et, d'autre part, les titres, accords ou instruments financiers non assimilés.
En un sens, on peut considérer que l'assimilation est une fiction juridique destinée à appréhender au plus près la réalité de l'exposition économique.
a) Toutes les actions contrôlées directement, indirectement, de concert ou de manière optionnelle mais à la seule initiative du déclarant sont prises en compte dans le périmètre d'assimilation
Au titre de l'assimilation, le I de l'article L. 233-9 du code de commerce inclut dans le périmètre de calcul tous les titres possédés directement, indirectement, de concert ou de manière optionnelle . Dans ce dernier cas, sont plus particulièrement visés les accords et instruments financiers donnant droit à la seule initiative du déclarant à des actions de la société (4° du I de l'article L. 233-9).
La directive d'exécution de la directive Transparence 6 ( * ) dispose ainsi que « le détenteur de l'instrument doit bénéficier, à l'échéance, soit du droit inconditionnel d'acquérir les actions sous-jacentes, soit du pouvoir discrétionnaire d'acquérir ou non ces actions ».
L'article 223-11 du RGAMF précise que le déclarant « prend en compte le nombre maximal d'actions déjà émises qu'il est en droit d'acquérir à sa seule initiative, immédiatement ou à terme, en vertu d'un accord ou d'un instrument financier ». Il s'agit notamment, d'après le même article, des obligations échangeables en actions, des contrats à terme, des options qu'elles soient exerçables immédiatement ou à terme.
b) Seuls les titres, accords et instruments financiers qui ne donnent pas accès aux actions de manière certaine sont exclus du périmètre d'assimilation
Les actions à émettre sur lesquelles le déclarant aurait des droits (bons de souscription d'actions, bons d'option, obligations convertibles en actions, obligations convertibles ou échangeables en actions nouvelles ou existantes) sont logiquement exclues du périmètre d'assimilation. En effet, pour ces titres, il ne s'agit pas d'actions émises mais à émettre que l'on peut donc qualifier de « capital virtuel ».
Par exemple, si le déclarant décide aujourd'hui d'exercer à terme ses bons de souscription d'actions, il ne peut connaître les intentions des autres titulaires de bons. Il lui est impossible de connaître le nombre total d'actions souscrites et, in fine , en circulation et donc de calculer s'il a ou non franchi un seuil.
Les options dites « à barrière activante (ou désactivante) » ne sont pas non plus comprises dans le périmètre de calcul car la condition d'activation de l'option (par exemple que le prix de l'action descende en-dessous d'un prix convenu) ne dépend pas du déclarant . Toutefois, dès que le seuil est atteint, l'option rentre logiquement dans le périmètre de déclaration.
Enfin, les actions déjà émises « sur lesquelles porte tout accord ou instrument financier [...] réglé exclusivement en espèces et ayant pour cette personne un effet économique similaire à la possession desdites actions » sont également exclues. Il s'agit des instruments financiers à dénouement monétaire ( cf . encadré infra ), qui par conséquent ne se traduisent pas par une livraison d'actions à son terme.
Dans un premier temps, le législateur a considéré que ces instruments, dès lors qu'ils ne donnent accès ni au capital, ni aux droits de vote, devaient être exclus du périmètre de calcul. De récentes opérations financières ont cependant montré qu'ils pouvaient être utilisés pour monter au capital d'une entreprise tout en contournant la législation sur les franchissements de seuils ( cf. II infra ).
L'objet de la présente proposition de loi est donc de les faire entrer dans le périmètre d'assimilation.
Qu'est-ce qu'un instrument dénouable en numéraire conférant une exposition économique sur les actions d'un émetteur ? Dans l'optique de la présente proposition de loi, la notion d'instrument dénouable en numéraire (ou en espèces) recouvre différents types d'accords ou d'instruments financiers dont le RGAMF, en son article 223-14, donne les principaux exemples : contrats financiers avec paiement d'un différentiel, contrats d'échange relatifs à des actions ou tout instrument financier exposé à un indice d'actions de plusieurs émetteurs s'ils sont suffisamment diversifiés. Ils sont plus connus sous leur dénomination anglo-saxonne : cash-settled equity swap, equity swap, total return swap, contract for difference ; le tout formant la catégorie des « cash settled derivatives » (CSD), soit les instruments dérivés dénouables en numéraire. Le RGAMF précise qu'un instrument dénouable en numéraire doit correspondre aux conditions suivantes : - il doit être référencé, indexé ou relatif aux actions d'un émetteur ; - il procure une position à l'achat (dite « position longue ») sur les actions pour la personne tenue à l'obligation de déclaration. Concrètement, ces instruments offrent une exposition économique aux actions sans pour autant les détenir . Par exemple, dans l'affaire Wendel/Saint-Gobain, un commentateur explique le schéma mis en oeuvre entre la société Wendel et plusieurs banques à travers des instruments appelés « total return swap » ou TRS : « Les TRS mis en place en l'espèce par Wendel (le 22 décembre 2006 avec la Deutsche Bank, le 4 janvier 2007 avec Natixis, le 6 avril 2007 avec HSBC et le 21 juin 2007 avec la Société Générale) avaient pour objet de conférer à Wendel une exposition économique au titre Saint-Gobain en définissant entre les banques et Wendel " des obligations réciproques exclusivement monétaires " : pendant la durée du contrat, Wendel s'acquittait envers les banques d'une rémunération et percevait d'elles l'équivalent des dividendes attachés aux actions Saint-Gobain ; lors du dénouement du contrat, qui pouvait intervenir soit au terme prévu, soit de façon anticipée à l'initiative de Wendel, était calculée la différence entre, d'une part, le "prix de référence", correspondant à la valeur du titre lors de la constitution des TRS et, d'autre part, le "prix de dénouement", correspondant à sa valeur à la date du dénouement ; en cas de plus-value, celle-ci était acquise par Wendel, alors qu'en cas de moins-value, Wendel versait la différence à la banque » 7 ( * ) . Dans le cas présenté ci-dessus, comme indiqué, les relations entre la société et les banques sont « exclusivement monétaires ». Au terme des contrats (le dénouement), il n'existe qu'un flux monétaire entre les deux entités : aucun transfert d'actions n'est prévu. En réalité, pour remplir leurs obligations et assurer leur couverture, les banques contreparties sont obligées d'acquérir les actions . Aussi, lors du dénouement, est-il toujours possible de prévoir un avenant afin que la société cocontractante puisse acquérir les actions dont les banques n'ont plus besoin. |
* 4 Il s'agit des seuils applicables pour les sociétés cotées sur Euronext. Pour les sociétés cotées sur Alternext, il n'existe que deux seuils : 50 % et 95 %.
* 5 Sur ce point, la sémantique peut varier. Certains commentateurs utilisent l'expression « en dur » pour qualifier l'ensemble des titres rentrant dans le périmètre de calcul, soit les actions et les titres, accords et instruments financiers assimilés.
* 6 Directive 2007/14/CE de la Commission du 8 mars 2007 portant modalités d'exécution de certaines dispositions de la directive 2004/109/CE sur l'harmonisation des obligations de transparence concernant l'information sur les émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché réglementé.
* 7 Hervé Le Nabasque, « Total return swap : l'obsession du numérateur » , in Revue des sociétés, 2011, p. 212 .