Rapport n° 162 (2011-2012) de M. Bernard CAZEAU , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 7 décembre 2011
Disponible au format PDF (683 Koctets)
Tableau comparatif au format PDF (387 Koctets)
-
AVANT-PROPOS
-
I. LA TRANSPARENCE DES LIENS D'INTÉRÊTS
ET LA GOUVERNANCE DES PRODUITS DE SANTÉ : LE REFUS DES SOLUTIONS
TROUVÉES PAR LA COMMISSION MIXTE PARITAIRE
-
II. LE MÉDICAMENT À USAGE HUMAIN : LA
MISE EN PÉRIL DES AVANCÉES
-
A. L'AUTORISATION DE MISE SUR LE
MARCHÉ : DES RESTRICTIONS APPORTÉES À LA MISE EN
oeUVRE DES ESSAIS COMPARATIFS
-
B. LES PROCÉDURES D'OCTROI DES AUTORISATIONS
TEMPORAIRES D'UTILISATION : UN ENCADREMENT LIMITÉ
-
C. LA PHARMACOVIGILANCE : UNE MISE EN
CONFORMITÉ AVEC LE DROIT COMMUNAUTAIRE
-
D. LA PROTECTION DES DROITS DES PATIENTS : LE
REFUS DE TOUTE AVANCÉE
-
E. LES MESURES DE PROMOTION, L'INFORMATION ET LA
FORMATION DES PROFESSIONNELS MÉDICAUX : UN TEXTE EN PROFOND
RECUL
-
F. LA CRÉATION D'UN PÔLE PUBLIC
D'EXPERTISE EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ SANITAIRE : LE
RISQUE D'IMPRÉCISION
-
A. L'AUTORISATION DE MISE SUR LE
MARCHÉ : DES RESTRICTIONS APPORTÉES À LA MISE EN
oeUVRE DES ESSAIS COMPARATIFS
-
III. LES DISPOSITIFS MÉDICAUX
-
IV. LES DISPOSITIONS DIVERSES
-
I. LA TRANSPARENCE DES LIENS D'INTÉRÊTS
ET LA GOUVERNANCE DES PRODUITS DE SANTÉ : LE REFUS DES SOLUTIONS
TROUVÉES PAR LA COMMISSION MIXTE PARITAIRE
-
TRAVAUX DE LA COMMISSION
N° 162
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012
Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 décembre 2011 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN NOUVELLE LECTURE APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE, relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé ,
Par M. Bernard CAZEAU,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , président ; M. Jacky Le Menn, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Alain Milon, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Louis Lorrain, Jean-Marie Vanlerenberghe, Gilbert Barbier , vice-présidents ; Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, Catherine Deroche, M. Marc Laménie , secrétaires ; Mmes Jacqueline Alquier, Natacha Bouchart, Marie-Thérèse Bruguière, MM. Jean-Noël Cardoux, Luc Carvounas, Mme Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, M. Yves Daudigny, Mme Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mme Muguette Dini, M. Jean-Léonce Dupont, Mmes Odette Duriez, Anne-Marie Escoffier, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Mme Samia Ghali, M. Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mmes Chantal Jouanno, Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Claude Léonard, Jean-Claude Leroy, Hervé Marseille, Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet, M. Louis Pinton, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. René Teulade, Michel Vergoz, André Villiers, Dominique Watrin. |
Voir le(s) numéro(s) :
Première lecture : 3714 , 3725 et T.A. 741
Nouvelle lecture : 3881 , 3964 et T.A. 766 |
Première lecture : 5 , 44 , 45 et T.A. 8 (2011-2012)
Commission mixte paritaire : 100
Nouvelle lecture : 130 (2011-2012) |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
L'Assemblée nationale était saisie, après l'échec de la commission mixte paritaire 1 ( * ) , des cinquante et un articles du projet de loi restant encore en discussion. En nouvelle lecture, les députés ont adopté dix articles dans la rédaction du Sénat 2 ( * ) . Au total, dix-huit articles de ce texte ont donc été adoptés dans une rédaction commune et quarante et un sont encore à examiner. Il convient de noter que, parmi les articles à examiner, dix-sept ont été modifiés par l'Assemblée pour rétablir le nouveau nom de l'agence en charge de la sécurité du médicament 3 ( * ) ; c'est là parfois le seul changement 4 ( * ) et on peut considérer qu'il ne s'agit pas d'un point majeur.
Les améliorations rédactionnelles apportées par le Sénat ont été dans la plupart des cas conservées, de même que plusieurs amendements de fond adoptés par notre assemblée. Les amendements proposés par le Gouvernement et la majorité de ceux proposés par le groupe UMP ont ainsi été conservés, de même que certains amendements du groupe CRC ou des sénateurs Verts.
L'Assemblée a cependant refusé les principaux renforcements qu'avait apportés notre commission, puis le Sénat en séance publique, concernant le contrôle des liens d'intérêts, la prévention des conflits d'intérêts et le renforcement des droits des victimes. Le refus de toute avancée en matière d'actions de groupe est à ce titre particulièrement révélateur. Ont également été écartés tous les débats de fond tendant à l'octroi de moyens publics pour la mise en place d'un corps d'experts indépendants 5 ( * ) , le financement des associations de patients, ainsi que la question de la formation initiale et continue des professionnels de santé et celle de l'avenir des visiteurs médicaux.
Le refus de discuter de ces sujets, marqué dès la commission mixte paritaire, a fait voler en éclats la perspective d'élaborer un texte consensuel. A l'Assemblée nationale, le groupe socialiste, radical et citoyen s'était abstenu lors de la première lecture pour laisser une « seconde chance » à ce projet de loi. L'intransigeance de la majorité présidentielle l'a conduit à voter contre le texte issu de la nouvelle lecture. Le texte du Sénat était pourtant directement issu des propositions de la mission commune d'information sur le Mediator 6 ( * ) , adoptées à l'unanimité de ses membres. En cohérence avec cette position, le groupe de l'union centriste et républicaine avait voté le texte issu des travaux du Sénat en séance publique.
Même les avancées adoptées en première lecture par l'Assemblée nationale ont été restreintes. L'application de l'article 9 bis qui prévoit de soumettre à des essais comparatifs les médicaments proposés au remboursement a ainsi été conditionnée à la prise d'un décret en Conseil d'Etat. Le prétendu risque d'entraver la diffusion de médicaments innovants à servi une fois encore à protéger le remboursement des nombreux « me too » 7 ( * ) sans apport thérapeutique réel qui encombrent le marché du médicament.
Au total, en dehors d'une amorce de contrôle des dispositifs médicaux, enjeu majeur de sécurité sanitaire, l'essentiel des apports de ce texte réside dans la transposition de la directive communautaire relative à la pharmacovigilance. Les autres dispositions soit figuraient déjà dans les compétences de l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), soit dépendront, à titre principal, de mesures réglementaires dont le contenu est incertain. Le flou qui entoure plusieurs dispositions est par ailleurs de nature à faciliter les contentieux et à inhiber à nouveau la future agence dans l'exercice de ses compétences.
Pour manifester avec la plus grande fermeté son opposition aux demi-mesures contenues dans le projet de loi en matière de sécurité sanitaire, qui ne sont pas de nature à prévenir la survenance d'une nouvelle affaire comme celle du Mediator, votre commission présente une motion tendant à opposer la question préalable. Elle souhaite témoigner ainsi de son plein désaccord avec le projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé tel qu'il a été présenté par le Gouvernement et tel qu'il ressort des travaux de l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.
I. LA TRANSPARENCE DES LIENS D'INTÉRÊTS ET LA GOUVERNANCE DES PRODUITS DE SANTÉ : LE REFUS DES SOLUTIONS TROUVÉES PAR LA COMMISSION MIXTE PARITAIRE
Le texte de l'Assemblée nationale ne retient aucune des rédactions sur lesquelles la commission mixte paritaire était, dans un premier temps, parvenue à l'élaboration d'un texte commun. En effet, avant de constater son désaccord, elle avait adopté les articles 1 er à 5 relatifs aux liens d'intérêts et à la gouvernance de la sécurité sanitaire, dans la rédaction du Sénat, amendée le cas échéant par les parlementaires qui en étaient membres.
A. LIENS D'INTÉRÊTS : LE STATU QUO
Sur l'article 1 er , qui définit une obligation de déclaration publique d'intérêts imposée aux membres des organes consultatifs placés auprès des ministres, et aux membres des organes collégiaux de tous les organismes compétents en matière de sécurité sanitaire ou de produits de santé l'Assemblée nationale est, pour l'essentiel du fond, revenue à son texte.
Ainsi que votre rapporteur l'avait souligné lors de la première lecture au Sénat, ce texte n'ajoute pourtant pas grand chose au droit en vigueur, les obligations en matière de déclaration d'intérêts étant généralement déjà prévues par les textes spécifiques à chaque organisme, quelquefois par référence au régime de l'Afssaps. Seuls, semble-t-il, n'étaient pas concernés les agences régionales de santé (ARS) et l'institut national du Cancer (INCa), mais ce dernier pratiquait déjà sans texte un régime de déclaration d'intérêts.
Il est à craindre que ce regroupement nuise à la lisibilité du code, d'autant plus qu'il n'est pas prévu, dans les parties du code relatives aux différentes agences, de renvois aux dispositions du nouveau titre.
Afin de donner une portée plus large à cet article, le Sénat avait étendu l'obligation de déclaration aux dirigeants des organes consultatifs ou collégiaux compétents en matière de sécurité sanitaire ; l'Assemblée nationale a, fort heureusement, conservé cette disposition.
Elle a, à l'inverse, supprimé celles relatives aux compétences, vis-à-vis des personnels des conseils et agences sanitaires, de la commission de déontologie créée par la loi de janvier 1993, dite loi « Sapin » 8 ( * ) . En particulier, le texte du Sénat prévoyait que les déclarations d'intérêts prévues par le projet de loi soient transmises à cette commission par les autorités qui en seront destinataires et qu'elle puisse les assister pour leur contrôle. La commission aurait également exercé, en matière d'établissement des déclarations publiques d'intérêts et de prévention des conflits d'intérêts, un rôle de conseil des intéressés.
Il s'agissait là d'éléments essentiels pour assurer la cohérence de ce projet de loi avec les autres dispositions envisagées pour lutter contre les conflits d'intérêts car c'est à partir de cette commission que sera créée la future autorité de la déontologie de la vie publique envisagée par le projet de loi « Sauvé ». L'Assemblée est revenue sur cet ensemble de dispositions.
Elle a également supprimé le contrôle que le Sénat avait confié à la commission d'accès aux documents administratifs (Cada) pour éviter qu'une invocation abusive des secrets protégés par la loi n'entrave la publicité des débats.
Enfin, l'Assemblée a rétabli l'approbation par décret d'une charte de l'expertise sanitaire. Votre commission avait supprimé cette disposition, considérant qu'il n'appartenait pas à une charte de poser des définitions qui devraient relever du législateur, comme celle des notions de lien d'intérêts et de conflit d'intérêts et, surtout, que cette mesure n'avait aucune portée normative.
L'Assemblée a par ailleurs supprimé l'article 1 er bis mettant en place une procédure d'appel à candidature pour la désignation du président du conseil d'administration et de président du conseil scientifique de l'INCa.
B. AVANTAGES CONSENTIS : L'OBSCURE CLARTÉ
Sur l'article 2 relatif au « Sunshine Act à la française » , l'Assemblée a également choisi le retour à son texte, en supprimant l'obligation de publication des conventions passées avec l'industrie, la centralisation des informations sur un site internet unique, accessible gratuitement et consultable par nom et par raison sociale. Dès lors, toute personne souhaitant connaître les liens d'intérêt d'un professionnel de santé devra consulter un à un les sites de l'ensemble des entreprises du secteur ou espérer que son moteur de recherches lui apportera des résultats exhaustifs. A également été rétablie la possibilité pour les étudiants se destinant aux professions de santé de passer des conventions avec les laboratoires ou de faire bénéficier leurs parents de prestations dites d'hospitalité. Cette innovation est contraire à la volonté affichée de supprimer les liens entre l'industrie et les professionnels dès le stade de la formation initiale.
L'Assemblée a rétabli dans la rédaction qu'elle avait adoptée en première lecture l'article 3 relatif aux sanctions pour non respect des obligations de déclaration des avantages reçus.
C. GOUVERNANCE : LE CHOIX DE L'AFFICHAGE
Sur l'article 4 relatif au nom de l'agence en charge du médicament et à ses compétences, l'Assemblée nationale a rétabli celui initialement proposé par le Gouvernement. Votre rapporteur regrette ce choix qui fait primer la volonté d'affichage sur l'exactitude terminologique. En effet le nom d' « agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé » ne fait pas sens dans le contexte européen de la pharmacovigilance : il aurait été préférable de conserver, dans son intitulé, sa spécificité d'agence « française » . Surtout, le médicament étant lui-même un produit de santé, singulariser ce terme est impropre et ouvre la voie à de nouvelles modifications du nom de l'agence lorsqu'une crise sanitaire concernera un autre type de produit de santé.
L'Assemblée a supprimé l'article 4 bis A relatif à l'observatoire national des prescriptions chargé de l'analyse des déterminants médicaux, sociaux, culturels et promotionnels de la prescription, dont l'apport aurait été particulièrement utile dans le cadre du renforcement de la pharmacovigilance.
Sur l'article 5 relatif au fonctionnement de l'agence, l'Assemblée nationale a refusé de prévoir une représentation spécifique des associations de victimes d'accidents médicamenteux au sein du conseil d'administration, de même que tout débat sur le mode de financement des associations d'usagers du système de santé. Le refus de poser ce débat et d'envisager des ressources publiques qui se substitueraient aux avantages consentis aux associations par l'industrie est particulièrement regrettable. Votre rapporteur considère que la question du lien entre les associations et l'industrie ne pourra pas être éternellement éludée.
A l'article 5 bis , l'Assemblée nationale a confié l'élaboration de la base informatique relative aux produits de santé à l'agence en charge de la sécurité du médicament sous l'égide du ministère de la santé. Votre rapporteur considère que cette organisation est de nature à prolonger l'enlisement de ce projet promis par plusieurs ministres de la santé au cours de ces dernières années mais jamais mis en oeuvre.
II. LE MÉDICAMENT À USAGE HUMAIN : LA MISE EN PÉRIL DES AVANCÉES
A. L'AUTORISATION DE MISE SUR LE MARCHÉ : DES RESTRICTIONS APPORTÉES À LA MISE EN oeUVRE DES ESSAIS COMPARATIFS
Les articles 6 et 7 relatifs à l'autorisation de mise sur le marché des médicaments (AMM) ne comportent pas de différences notables avec le texte adopté par le Sénat. A l'article 8 , le retour au texte de l'Assemblée présente le mérite de ne pas limiter au motif officiel donné par l'entreprise la notification à l'agence du retrait d'un médicament dans un pays étranger, ainsi que le prévoyait le texte adopté en séance publique au Sénat contre l'avis de son rapporteur.
L'Assemblée a cependant jugé nécessaire de renvoyer à un décret en Conseil d'Etat la fixation des conditions d'application de l'article 9 bis qui prévoit l'obligation d'essais comparatifs pour soumettre le médicament au remboursement. Cette entrave apportée à l'application directe de l'article le plus important du projet de loi, le seul qui soit réellement porteur d'avancée en matière sanitaire, est une défaite qui montre que la volonté première du Gouvernement reste de faciliter la diffusion des médicaments. En effet, ainsi que votre rapporteur l'avait souligné lors de la première lecture, les arguments portant sur le danger d'écarter des médicaments innovants du remboursement sont sans fondement pratique et ne servent qu'à repousser le renforcement du contrôle exercé par la commission de la transparence.
Les articles 11, 14, 14 bis et 14 ter relatifs à la prescription et à la délivrance des médicaments ne comportent pas de différences notables avec le texte du Sénat. L'article 12 bis , inséré au Sénat sur amendement du groupe CRC et prévoyant l'obligation pour le médecin de préciser à la main le caractère non substituable d'une prescription, a été adopté conforme par les députés.
L' article 12 relatif à la forme des prescriptions a, en revanche, été rétabli dans le texte de l'Assemblée, qui permet la mention de la dénomination dite « de fantaisie » d'un médicament. Votre rapporteur estime que cette faculté prive cet article d'efficacité s'agissant de la promotion de la dénomination commune internationale (DCI). Il rappelle que le dialogue entre le médecin, le pharmacien et le patient est de nature à éliminer toute confusion pour les personnes habituées à se voir prescrire une spécialité pharmaceutique précise et que les risques de confusion sont donc mineurs si l'on supprime le recours au nom commercial des médicaments dans les ordonnances.
B. LES PROCÉDURES D'OCTROI DES AUTORISATIONS TEMPORAIRES D'UTILISATION : UN ENCADREMENT LIMITÉ
Définir les modalités de la procédure d'autorisation temporaire d'utilisation (ATU ; article 15 ) implique à la fois de garantir l'accès précoce à l'innovation thérapeutique et d'éviter que l'ATU soit utilisée comme moyen de contourner la procédure d'AMM et la fixation des prix par le comité économique des produits de santé (Ceps).
Le texte présenté en première lecture conduisait à distinguer clairement une procédure de droit commun et une procédure dérogatoire pour certaines ATU nominatives, destinées à répondre à des situations souvent isolées et particulièrement difficiles.
Le Sénat avait souhaité aller jusqu'au bout de cette logique en affirmant que, à partir du moment où les ATU entrant dans la procédure de droit commun ne constituent qu'une première étape vers l'AMM, leur durée de vie devait être limitée. Il avait donc proposé, à l'initiative des membres du groupe CRC de la commission des affaires sociales, de limiter à un an renouvelable deux fois la durée de vie des ATU.
L'Assemblée nationale est revenue à son texte de première lecture, qui ne fixe aucun critère précis de durée des autorisations et laisse à l'agence en charge de la sécurité du médicament la responsabilité de les renouveler ou non.
Le Sénat n'avait apporté aucune restriction concernant la procédure dérogatoire, allant même jusqu'à élargir la définition de l'ATU compassionnelle. L'Assemblée nationale est allée plus loin : alors que le texte du Sénat prévoyait que l'ATU compassionnelle pourrait être accordée lorsque, « en l'état des thérapeutiques disponibles, des conséquences graves à court terme pour le patient sont très fortement probables » , l'Assemblée nationale a supprimé cette notion de « court terme » .
Le Sénat avait par ailleurs enrichi le texte de façon à garantir la remontée d'informations sur les patients faisant l'objet d'une ATU auprès de l'agence en charge de la sécurité du médicament. Ces apports ont, cette fois, été conservés par l'Assemblée nationale.
C. LA PHARMACOVIGILANCE : UNE MISE EN CONFORMITÉ AVEC LE DROIT COMMUNAUTAIRE
Le Sénat avait apporté peu de modifications à l'article 17 qui définit la pharmacovigilance et fixe les compétences de l'agence en charge de la sécurité du médicament en la matière. L'Assemblée nationale a conservé la rédaction proposée par le Sénat, n'adoptant qu'un amendement de coordination visant à rétablir le nom de l'agence tel qu'il était prévu initialement par le projet de loi.
D. LA PROTECTION DES DROITS DES PATIENTS : LE REFUS DE TOUTE AVANCÉE
Deux articles avaient été insérés au Sénat à l'initiative des groupes socialiste-EELVr et CRC qui conduisaient à des changements profonds dans la protection des droits des patients. Ils ont été supprimés en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale.
Le premier introduisait la responsabilité sans faute des fabricants de médicaments pour risque de développement ( article 17 bis ).
Aujourd'hui codifiée à l'article 1386-11 du code civil 9 ( * ) , l'exonération de responsabilité pour risque de développement des médicaments, qui apparaît après la mise sur le marché, a été introduite au moment de la transposition de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux. En pratique, un fabricant ne peut être responsable du dommage causé par un produit défectueux lorsqu'il lui était impossible, au moment de sa mise en circulation, de déceler l'existence d'un défaut dans sa conception. Aux termes de l'article 15 de la directive, la transposition par les Etats membres de ce point précis est facultative.
Or la jurisprudence française tendait à reconnaître la responsabilité sans faute du producteur pour risque de développement. Il aurait alors été logique de faire le choix de ne pas introduire en droit français l'exonération de responsabilité pour risque de développement. La commission des lois du Sénat s'était d'ailleurs opposée à l'introduction de cette exonération, estimant que cela conduisait à revenir sur une jurisprudence établie et particulièrement protectrice.
Le législateur français a d'ailleurs fait, en 1998, le choix d'utiliser la souplesse permise par l'article 15 de la directive pour que les produits issus du corps humain n'entrent pas dans le champ de l'exonération 10 ( * ) . Il aurait été légitime, compte tenu des risques inhérents à l'utilisation des médicaments, que ceux-ci ne soient pas soumis au régime de responsabilité de droit commun mais plutôt à celui des produits issus du corps humain.
Le second article avait également pour objet de revenir sur les conséquences défavorables pour les victimes d'accidents médicamenteux de la directive de 1985 ( article 17 ter ).
L'article 1386-9 du code civil impose aux victimes d'accidents médicamenteux de prouver « le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage ». L'article 17 ter devait permettre d'alléger la charge de la preuve en utilisant la méthode du faisceau d'indices.
Aurait été considérée comme la manifestation d'un effet indésirable :
- toute affection similaire à un effet désirable mentionné dans la notice du médicament ;
- toute affection figurant sur une liste définie par décret en Conseil d'Etat.
Cette méthode du faisceau d'indices est aujourd'hui appliquée par les juges administratif et judiciaire français. La Cour de cassation admet ainsi que le dommage causé par le défaut d'un médicament peut résulter de simples présomptions, pourvu que celles-ci soient graves, précises et concordantes.
Or, l'Assemblée nationale s'est notamment appuyée sur le fait que l'article « ne fixe aucun critère précis pour juger de la présomption de causalité entre l'affection du patient et la prise du médicament » 11 ( * ) pour le supprimer. Cette critique est doublement surprenante : l'objectif de l'article 17 ter était justement d'apporter plus de souplesse dans l'établissement du lien de causalité ; le législateur a cependant utilisé pleinement sa compétence en disposant que la liste d'affections définie par décret en Conseil d'Etat devrait préciser « tous les éléments de nature à établir le dommage et l'implication d'un médicament dans la survenue de ce dernier ».
E. LES MESURES DE PROMOTION, L'INFORMATION ET LA FORMATION DES PROFESSIONNELS MÉDICAUX : UN TEXTE EN PROFOND RECUL
Le principal point de désaccord entre le Sénat et l'Assemblée nationale concernant la réglementation de la publicité pour les médicaments ( article 18 ) porte sur les vaccins. A l'initiative de son rapporteur, le Sénat avait interdit les campagnes de publicité relatives à des vaccins menées par les industriels et destinées au grand public.
L'Assemblée nationale est revenue sur cette interdiction. Ce retour au texte initial permet, certes, un encadrement accru de ce type de publicité, mais ne garantit en aucun cas l'existence d'un système efficace de prévention. Votre rapporteur reste convaincu que celle-ci relève exclusivement de l'Etat qui doit par conséquent y consacrer des moyens financiers suffisants.
L'article 18 prévoit par ailleurs l'interdiction de toute publicité pour un médicament lorsque celui-ci fait l'objet d'une réévaluation de son rapport bénéfices-risques ainsi que l'obligation pour l'exploitant du médicament d'informer les professionnels de santé de cette réévaluation. L'Assemblée nationale a ajouté en nouvelle lecture que l'information fournie doit être conforme à celle délivrée par l'agence en charge de la sécurité du médicament.
L'article 19 vise à mettre en place, à titre expérimental, pour une durée de deux ans maximum, la visite médicale collective dans les établissements de santé . En première lecture, l'Assemblée nationale avait exclu les médicaments de réserve hospitalière, de prescription hospitalière et de prescription hospitalière initiale du champ de la visite médicale collective. Le Sénat était revenu sur cette dérogation, estimant qu'elle avait pour effet de vider de son sens l'expérimentation : ces médicaments sont justement ceux pour lesquels les enjeux d'innovation et de sécurité sont les plus importants.
L'Assemblée nationale a réintroduit cette dérogation et en a ajouté une supplémentaire concernant les dispositifs médicaux. Cet ajout est d'autant plus étonnant que l'Assemblée nationale avait pris soin, en première lecture, de préciser que les dispositifs médicaux étaient bien inclus dans le champ de la visite médicale collective.
Il est particulièrement dommage de constater que, malgré les études répétées qui montrent la nécessité pour cette profession d'évoluer, l'Assemblée nationale préfère le statu quo . La commission des affaires sociales du Sénat a, pour sa part, décidé de mettre en place un groupe de travail interne sur ce sujet, afin d'être en mesure de proposer rapidement des solutions concrètes pour faire évoluer cette profession.
L'article 19 a également pour objet de permettre au Ceps d'infliger des sanctions financières en cas de non-respect par les entreprises pharmaceutiques des objectifs d'évolution des pratiques qu'il leur aurait fixés en matière de visite médicale. Alors que le Sénat, à l'initiative des membres du groupe CRC de la commission des affaires sociales, avait prévu que ces sanctions prendraient la forme de baisses de prix, l'Assemblée nationale est revenue au dispositif initial de sanctions financières égales au maximum à 10 % du chiffre d'affaires réalisé en France sur le ou les produits considérés. Des changements identiques ont été apportés pour les dispositifs médicaux aux articles 24 et 26 concernant respectivement le pouvoir de sanction du Ceps et des ministres en charge de la santé et de la sécurité sociale.
Votre rapporteur demeure convaincu que des sanctions prenant la forme de baisses de prix seraient plus dissuasives vis-à-vis des laboratoires pharmaceutiques et permettraient en outre des économies pour l'assurance maladie.
Inséré au Sénat à l'initiative du groupe socialiste-EELVr, l'article 19 bis prévoyait la remise au Parlement d'un rapport sur la formation initiale et continue des médecins. L'Assemblée nationale a supprimé cet article en nouvelle lecture.
L'article 20 bis , ajouté à l'initiative des membres du groupe CRC de la commission des affaires sociales, avait pour objet d'élargir l'assiette de la contribution sur les dépenses promotionnelles des entreprises pharmaceutiques aux frais de publication et d'achats d'espaces publicitaires dans la presse médicale. L'Assemblée nationale a supprimé cet article, estimant qu'il aurait dû trouver sa place dans la loi de financement de la sécurité sociale. Votre rapporteur admet cette critique et se satisfait que l'article 24 du projet de loi de financement pour 2012 élargisse l'assiette de la taxe. Il regrette cependant que cet élargissement soit limité aux médicaments non remboursables. Par cohérence avec sa position sur le présent projet de loi, le Sénat avait prévu, en première lecture du projet de loi de financement pour 2012, que l'assiette serait également étendue aux médicaments remboursables.
F. LA CRÉATION D'UN PÔLE PUBLIC D'EXPERTISE EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ SANITAIRE : LE RISQUE D'IMPRÉCISION
L'article 22 a pour objet la création d'un groupement d'intérêt public (Gip) chargé d'autoriser et de mener des études dans le domaine de la sécurité sanitaire. En première lecture, le Sénat avait précisé la composition du Gip ainsi que les produits qui entreront dans son champ d'intervention : il avait pour cela fait référence à l'article L. 5311-1 du code de la santé publique qui porte sur les compétences de l'actuelle Afssaps.
Comme elle l'avait fait en premier lecture, l'Assemblée nationale a choisi d'introduire l'adverbe « notamment » avant cette référence. Ce choix est justifié dans son rapport de nouvelle lecture par le souci de permettre au Gip de mener « des études impliquant des techniques de prise en charge autres que les seules techniques médicamenteuses » 12 ( * ) . Cette exigence apparaît cependant déjà satisfaite à partir du moment où le renvoi à l'article L. 5311-1 du code susmentionné permet d'élargir la compétence du Gip au-delà du seul champ des médicaments, notamment aux dispositifs médicaux.
III. LES DISPOSITIFS MÉDICAUX
Tout au long de l'examen du texte, ces dispositions ont fait l'objet d'un relatif consensus. Elles vont en effet bien au-delà du droit existant, jusqu'à présent très peu protecteur.
Votre rapporteur regrette cependant que sur les articles 24 et 26 , l'Assemblée nationale soit revenue au système de sanctions initialement prévu et n'ait donc pas accepté la proposition du Sénat de prévoir des sanctions prenant la forme de baisses de prix.
IV. LES DISPOSITIONS DIVERSES
A. LE RENVOI AUX ORDONNANCES
Le Sénat avait supprimé, en première lecture, les articles 27, 28 et 29 qui avaient pour objet d'habiliter le Gouvernement, en application de l'article 38 de la Constitution, à prendre par ordonnances les mesures relatives à :
- la transposition de certaines dispositions de la directive 2011/62/UE du 8 juin 2011 ;
- l'harmonisation au sein du code de la santé publique des sanctions administratives et pénales avec les dispositions prévues par le présent projet de loi ;
- l'extension et l'adaptation de la loi à Wallis-et-Futuna et, en tant que ses dispositions relèvent des compétences de l'Etat, à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française.
L'Assemblée nationale a rétabli ces trois articles, mais ramené de quatre à trois mois le délai de dépôt du projet de loi de ratification à compter de la publication de chaque ordonnance. Votre rapporteur reste néanmoins opposé à cette forme de dessaisissement du Parlement que constitue le recours à l'article 38 de la Constitution lorsque celui-ci n'est pas pleinement justifié.
B. LES DISPOSITIONS TRANSITOIRES
Concernant les dispositions transitoires prévues à l'article 30 , deux changements importants ont été introduits.
Le premier vise à avancer au 1 er janvier 2012 l'entrée en vigueur de l'article 9 bis . Cependant, dans le même temps, l'Assemblée nationale a modifié cet article afin de renvoyer sa mise en oeuvre à la publication d'un décret en Conseil d'Etat. Il est particulièrement regrettable, sur cette disposition centrale du projet de loi, d'afficher une position de principe ambitieuse à l'article 30 tout en se laissant des marges de manoeuvre par le renvoi à des dispositions réglementaires dont on peut craindre qu'elles n'interviendront pas tout de suite. La position du Sénat était à la fois plus simple, plus sincère et plus respectueuse des entreprises : sans renvoyer à un hypothétique décret, elle laissait aux entreprises une année pour se préparer aux changements d'ampleur qu'apporte l'article 9 bis .
L'Assemblée nationale a également modifié le paragraphe IX, introduit par le Sénat et qui prévoyait que la Haute Autorité de santé (HAS) remette au Parlement un rapport sur les dispositifs médicaux . L'Assemblée nationale estime que c'est à l'agence en charge de la sécurité du médicament de produire ce rapport. Cette position est contestable : si l'agence est en effet compétente en matière de dispositifs médicaux, elle agit au cas par cas tandis que la HAS a une vision d'ensemble de la législation applicable à ces produits.
C. LES ACTIONS DE GROUPE : UNE OCCASION MANQUÉE
A l'initiative des groupes socialiste-EELVr et CRC, le Sénat avait introduit une procédure d'action de groupe pour les victimes d'accidents médicamenteux ( article 30 bis A ).
Saluée par de nombreuses associations, cette novation en droit français partait du constat de l'absence de mécanisme de protection judiciaire des victimes d'un produit défectueux et massivement utilisé, comme peut l'être le médicament, ce que plusieurs travaux parlementaires ont confirmé 13 ( * ) . Il est cependant regrettable de voir que si cette carence est quasi-unanimement reconnue, toutes les initiatives engagées jusqu'à présent pour introduire l'action de groupe en droit français ont été vouées à l'échec.
Concernant plus spécifiquement la réparation des accidents médicamenteux, la recommandation n° 52 du rapport d'information de l'Assemblée nationale sur le Mediator invitait à envisager « l'octroi aux associations représentatives de patients de la possibilité de demander en justice réparation au nom de leurs mandants » 14 ( * ) .
Sans doute aurait-il été préférable d'introduire un tel dispositif pour les victimes d'accidents médicamenteux dans le cadre d'un texte dédié à l'action de groupe, mais ce progrès dans la protection des patients aurait mérité davantage qu'une fin de non recevoir de la part de l'Assemblée nationale, qui a fait le choix de supprimer ici l'article 30 bis A.
D. LES AUTRES ARTICLES ADDITIONNELS
L'Assemblée nationale a également supprimé les articles 30 bis et 30 ter , insérés au Sénat à l'initiative des membres du groupe CRC de sa commission des affaires sociales, qui portaient respectivement sur le nom et les pouvoirs de la commission de la transparence de la HAS et sur la remise d'un rapport sur la profession de visiteur médical.
L'Assemblée nationale a rétabli l'article 34 relatif à l'encadrement des exportations parallèles de médicaments, qui avait été supprimé par le Sénat à l'initiative de son rapporteur, sceptique sur la portée pratique du dispositif proposé.
*
Réunie le mercredi 7 décembre 2011, sous la présidence d'Annie David, présidente, la commission a adopté une motion portant question préalable sur le texte de nouvelle lecture transmis par l'Assemblée nationale.
TRAVAUX DE LA COMMISSION
Réunie le mercredi 7 décembre 2011 , sous la présidence d' Annie David, présidente, la commission procède à l' examen du rapport de nouvelle lecture de Bernard Cazeau sur le projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé .
Bernard Cazeau, rapporteur . - Le texte issu de la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale du projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé montre qu'un accord est possible sur tout, sauf sur l'essentiel.
L'Assemblée nationale était saisie, après l'échec de la commission mixte paritaire, des cinquante et un articles du projet de loi restant encore en discussion. En nouvelle lecture, les députés ont adopté dix articles dans la rédaction du Sénat. Ajoutés aux huit qui avaient déjà fait l'objet d'un vote conforme, dix huit articles de ce texte auront donc été adoptés dans une rédaction commune. Restent quarante et un articles, parmi lesquels dix-sept ont été modifiés par l'Assemblée en nouvelle lecture pour rétablir le nom de la future agence en charge de la sécurité du médicament souhaité par le Gouvernement ; c'est là parfois le seul changement qui a été opéré et on peut considérer qu'il ne s'agit pas d'un point majeur même si je persiste à penser qu'il n'est pas judicieux d'intituler cette agence « nationale » et non « française », ce qui a plus de sens dans les instances internationales.
Les améliorations rédactionnelles apportées par le Sénat ont été, dans la plupart des cas, conservées, de même que quelques amendements de fond adoptés par notre assemblée, principalement ceux proposés par le Gouvernement ou le groupe UMP, ce qui ne vous étonnera pas, mais aussi certains émanant du groupe CRC ou des sénateurs Verts.
L'Assemblée a cependant refusé les principaux renforcements qu'avaient apportés notre commission puis le Sénat en séance publique concernant le contrôle des liens d'intérêts, la prévention des conflits d'intérêts et le renforcement des droits des victimes. Ont également été écartés tous les débats de fond tendant à l'octroi de moyens publics pour la mise en place d'un corps d'experts indépendants, le financement des associations de patients, ainsi que la question de la formation initiale et continue des professionnels de santé et celle de l'avenir des visiteurs médicaux.
Le refus de discuter de ces sujets, manifesté dès la commission mixte paritaire, a fait voler en éclats la perspective d'élaborer un texte consensuel. En première lecture, le groupe socialiste, radical et citoyen de l'Assemblée nationale s'était abstenu lors du vote final pour laisser une « seconde chance » à ce projet de loi devant le Sénat. L'intransigeance de la majorité présidentielle l'a conduit à voter contre le texte de nouvelle lecture. Le texte du Sénat était pourtant directement issu des propositions de sa mission commune d'information sur le Mediator, adoptées à l'unanimité de ses membres. En cohérence avec cette position, le groupe UCR avait d'ailleurs voté le texte résultant des travaux du Sénat en séance publique.
Il n'est pas anodin d'observer que même les avancées adoptées en première lecture par l'Assemblée nationale ont été restreintes en nouvelle lecture. L'application de l'article 9 bis, initiative heureuse des députés pour soumettre à des essais comparatifs les médicaments proposés au remboursement, a cette fois été conditionnée à la prise d'un décret en Conseil d'Etat. Le prétendu risque d'entraver la diffusion de médicaments innovants a servi une fois encore à protéger le remboursement des nombreux « me too », ces médicaments sans apport thérapeutique réel par rapport à l'existant qui encombrent le marché.
Au total, en dehors d'une amorce de contrôle des dispositifs médicaux, enjeu majeur de sécurité sanitaire, l'essentiel des apports de ce texte réside dans la transposition de la directive communautaire relative à la pharmacovigilance. Les autres dispositions soit figuraient déjà dans les compétences de l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), soit dépendront, à titre principal, de mesures réglementaires dont le contenu est incertain. Le flou qui entoure plusieurs dispositions est par ailleurs de nature à faciliter les contentieux et à inhiber à nouveau la future agence dans l'exercice de ses compétences.
Je noterai simplement quelques points saillants de désaccord avec le texte qui nous est soumis.
L'Assemblée nationale a refusé d'harmoniser, comme nous l'avions prévu, la procédure de contrôle des déclarations d'intérêts prévue pour les acteurs de la sécurité sanitaire avec celle prévue par le projet de loi « Sauvé ». Ce seront donc des comités d'éthique internes aux organismes et aux moyens limités qui seront chargés du contrôle de l'exactitude des déclarations, ce qui sera peu efficace. Par ailleurs, l'Assemblée a refusé l'interdiction, pourtant limitée, de tous liens d'intérêts pendant trois ans pour diriger les principales agences sanitaires que nous avions souhaitée. Il me semble, en effet, que la position tout à fait particulière des dirigeants des agences était de nature à justifier cette exclusion et le fait que d'éminents professeurs de médecine seraient privés de ces postes ne me paraît pas déterminant : ils auraient pu, s'ils souhaitent conserver des liens d'intérêts, exercer des fonctions d'expertise au sein des agences, ou mieux encore, continuer à oeuvrer directement pour la recherche et le soin au sein des services hospitaliers.
S'agissant des avantages consentis par les entreprises, l'Assemblée a également supprimé la mise en place d'un site internet gratuit centralisant ces informations...
Toute personne désirant connaître les liens d'un professionnel de santé ou d'un établissement devra donc consulter l'intégralité des sites des entreprises du secteur ou espérer que son moteur de recherche lui fournira un lien vers toutes les pages pertinentes. La pertinence de Google tiendra donc lieu de transparence !
Concernant les autorisations temporaires d'utilisation (ATU), l'Assemblée nationale est revenue sur le choix du Sénat de limiter leur durée de vie à une année renouvelable deux fois. Je demeure pourtant convaincu qu'il aurait été préférable de marquer clairement la différence entre les ATU de droit commun, qui ne sont qu'une première étape, par définition temporaire, vers l'AMM, et les ATU délivrées dans le cadre d'une procédure dérogatoire, qui répondent à des situations isolées et douloureuses, et ne doivent être soumises à aucune contrainte temporelle.
Le Sénat avait fait le choix d'inscrire dans la loi une interdiction de principe de la publicité concernant les vaccins. L'Assemblée est revenue à un système d'autorisation encadrée qui, à mon sens, n'apporte toujours pas les garanties suffisantes pour assurer la correcte information des patients. Je l'ai dit et le réaffirme, la politique de prévention en matière de vaccins doit relever exclusivement de la puissance publique.
Sur l'expérimentation de la visite médicale collective dans les établissements de santé, l'Assemblée nationale a réintroduit les dérogations que nous avions supprimées pour certains médicaments à prescription restreinte. Elle en a même « rajouté une couche » puisque les dispositifs médicaux ne seront pas non plus inclus dans le champ de la visite médicale collective. Autant dire que l'expérimentation qui nous est proposée est aujourd'hui totalement vidée de son sens...
Le ministre a été pris à son propre jeu. Il ne peut même plus faire d'expérimentation ! Cela amène à se poser quelques questions sur l'importance de certains lobbies que je ne veux pas citer présents à l'Assemblée nationale !
J'en viens maintenant à la question de la protection des droits des patients. A l'initiative des groupes socialiste-EELVr et CRC, le Sénat avait introduit trois articles mettant directement en pratique le principe énoncé par le ministre de la santé selon lequel « le doute doit désormais bénéficier au patient ». L'Assemblée est revenue sur ces trois avancées.
L'article 17 bis portait sur la responsabilité du fabricant du fait d'un produit défectueux. Depuis la transposition, en 1998, de la directive du 25 juillet 1985 sur la responsabilité du fait des produits défectueux, un fabricant ne peut être jugé responsable du dommage causé par un produit défectueux lorsqu'il lui était impossible, au moment de sa mise en circulation, de déceler l'existence d'un défaut dans sa conception. Prenant en compte la spécificité des médicaments, l'article 17 bis visait à supprimer cette exonération en matière de médicaments, alignant par là même leur régime juridique sur celui qui s'applique actuellement aux produits issus du corps humain.
Revenant lui aussi sur les conséquences défavorables pour les victimes d'accidents médicamenteux de la directive de 1985, l'article 17 ter mettait en place un système de faisceau d'indices qui permettait d'assouplir la charge de la preuve qui pèse à l'heure actuelle sur les requérants lorsqu'ils demandent réparation des dommages causés par un médicament.
Si elle a reconnu l'intérêt que pouvaient présenter ces deux articles, l'Assemblée nationale n'a pas jugé bon de les conserver dans le texte adopté en nouvelle lecture.
Enfin, l'article 30 bis A introduisait en droit français une procédure d'action de groupe pour les victimes d'accidents médicamenteux. Nous sommes aujourd'hui confrontés à un paradoxe sur cette question des actions de groupe : tout le monde ou presque reconnaît leur utilité mais toutes les tentatives mises en oeuvre jusqu'à présent pour les introduire en droit français ont été vouées à l'échec. Alors, certes, il aurait été préférable de mettre en place un tel dispositif dans le cadre d'une loi générale sur l'action de groupe. Mais à partir du moment où celle-ci semble reportée sine die, il était légitime de prévoir une procédure spécifique dans le cadre du présent projet de loi pour les victimes d'accidents médicamenteux. Pourtant, l'Assemblée nationale a préféré le statu quo et a choisi de supprimer l'article en nouvelle lecture.
Pour tous ces motifs, je crains qu'il soit inutile de nous acharner à convaincre les députés du bien-fondé de nos observations. Je vous propose donc que notre commission présente une motion tendant à opposer la question préalable, afin de manifester notre désaccord profond avec le projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé tel qu'il a été présenté par le Gouvernement et tel qu'il ressort des travaux de l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.
Jean Desessard . - Une question de procédure : ce texte nous revient de l'Assemblée nationale, après une CMP infructueuse. A-t-on la possibilité de l'amender ?
Annie David, présidente . - Bien sûr. On peut recommencer le travail fait en première lecture. Nous aurions à ce moment un nouveau texte, bien sûr différent de celui de l'Assemblée nationale sur lequel nous ne pourrions trouver un accord. Le texte repartirait alors à l'Assemblée nationale, qui aurait le dernier mot.
La procédure que nous propose le rapporteur est celle que nous avons utilisée pour le PLFSS, la situation s'étant déjà produite à cette occasion. Nous avions adopté en commission le dépôt d'une question préalable en séance publique, que j'avais d'ailleurs défendue. Après son vote en séance publique, les débats se sont interrompus et l'Assemblée nationale a adopté son propre texte en dernier lieu.
Jean Desessard . - Ce n'est donc pas une question préalable mais un point final !
Annie David, présidente . - M. Cazeau a été explicite : il n'existe aucune possibilité d'accord sur les points importants. Cela vaut-il la peine de recommencer tout ce que l'on a déjà fait ? Je pense que sa proposition est la plus pertinente.
Aline Archimbaud . - Si j'ai bien compris, ce texte, dans sa nouvelle version, est plus mauvais que celui que le Sénat avait amendé. Je suis quelque peu abasourdie ! On avait bien senti, lors de la CMP, une volonté délibérée de ne pas trouver de solution. Nous avions pourtant essayé mais il nous avait été répondu, en des termes assez durs, que les choses n'étaient pas négociables.
Je trouve cela dommage car on a là un problème de société très fort. Peut-être avez-vous entendu ce matin, sur une station de radio, l'interview de visiteurs médicaux à propos de l'affaire Servier, qui revient sur le devant de la scène dans le cadre d'une nouvelle audience. Ces témoignages sont clairs et renvoient à la nécessité de légiférer pour imposer que les décisions de santé publique soient prises par des décideurs sans intérêts privés à défendre.
Par ailleurs, la protection des lanceurs d'alerte qui figurait dans la première version est elle au moins maintenue dans celle-ci ?
Je suis d'accord avec le fait que l'on ne peut s'acharner, ni mener à nouveau un débat qui sera identique au précédent. On risque même de se décrédibiliser. Aucune avancée n'étant possible dans le cadre constitutionnel, il vaut mieux consacrer notre énergie à travailler sur autre chose. C'est malheureux mais, dans la mesure où il n'existe pas d'autre alternative, la question préalable est une bonne proposition.
Jean-Marie Vanlerenberghe . - Le groupe UCR regrette cette situation ; nous avons voté le texte du Sénat, qui nous paraissait conforme aux orientations de la mission d'information. Avec un petit effort, on aurait pu se mettre d'accord en CMP mais l'Assemblée nationale ne désirait pas aboutir à un texte commun. Faire passer le nôtre ne servirait à rien, le dernier mot revenant à l'Assemblée nationale.
Cet ostracisme est véritablement regrettable, alors qu'il est urgent d'aboutir à un texte intelligent. Je ne nie pas que celui-ci comporte des avancées ; il répond même à certaines de nos interrogations mais il est, une fois de plus, marqué par la pression des industriels du médicament, ce que nous voulions combattre.
Nous aurons, pour toutes ces raisons, à prendre position sur la question préalable mais nous sommes globalement en accord avec la proposition du rapporteur.
Isabelle Pasquet . - Je tiens à faire part de notre frustration au regard de la situation actuelle. Nous avions pris l'initiative d'une mission d'information dont les conclusions en faveur d'un renforcement de la législation sur le médicament ont été adoptées à l'unanimité. Le Sénat a débattu de ce projet de loi et y a, autant que faire se peut, intégré les préconisations du rapport de la mission. Aujourd'hui, tout est bouleversé par l'Assemblée nationale. Etant donné l'issue à laquelle on peut s'attendre, autant voter la question préalable.
Jean-Louis Lorrain . - Je ne vais pas revenir sur l'ensemble du rapport, même si je pense qu'en plus des dix articles adoptés dans la rédaction du Sénat, d'autres auraient sans doute pu bénéficier d'un avis moins drastique que ce à quoi nous avons abouti, en particulier dans la partie qui porte sur la responsabilité, sur les avantages acquis ainsi que sur les déclarations d'intérêts. Il existe néanmoins des points irrémédiablement incompatibles.
Après consultation de mes collègues du groupe UMP, la proposition d'une question préalable nous semble justifiée mais sans doute nos motivations ne sont-elles pas les mêmes que celles du rapporteur. C'est pourquoi nous nous abstiendrons sur ce rapport...
Michel Vergoz . - Je sens que certains sont quelque peu frustrés. Ne serait-on pas naïf en politique ? Je fais des lois à vos côtés, mes chers collègues, je mène des auditions, je participe aux commissions d'enquête mais il ne faut pas oublier que nous sommes dans une situation extrêmement sensible et que l'on a des échéances électorales ! Les réponses de l'Assemblée nationale sont des réponses politiques, au sens électoral du terme. Soyons donc plus combatifs ! Le travail que l'on a fait sur le PLFSS ne sera pas inutile. Il faudra, un jour prochain, le plus tôt possible - dans trois mois, j'espère, lorsque nous serons aux affaires - le ressortir et mettre nos intentions en pratique !
Ce n'est pas du temps perdu et je félicite celles et ceux qui ont travaillé à enrichir ces textes, qui constituent des avancées pour notre République.
Bernard Cazeau, rapporteur . - Je salue l'optimisme de M. Vergoz !
Je ne pense pas que l'attitude de l'Assemblée nationale soit la traduction d'une action politique dans cette affaire : en l'occurrence, elle est même revenue sur certaines propositions du ministre. Je pense qu'il s'agit plutôt d'une action lobbyiste ce qui est encore plus grave ! Un certain lobby l'a emporté sur les autres, qu'il s'agisse de l'article 9 bis ou de celui sur les visiteurs médicaux et les visites collectives, dont l'idée émanait du ministre. Ce n'est pas lui qui est revenu en arrière entre deux lectures !
En réponse à la question technique de Mme Archimbaud, je confirme que la protection des lanceurs d'alerte est bien toujours prévue dans le texte.
QUESTION PRÉALABLE
Bernard Cazeau, rapporteur . - Je vous fais lecture du texte de la motion que je soumets à votre approbation. En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat :
- considérant que l'Assemblée nationale n'a retenu aucune des rédactions approuvées par la commission mixte paritaire sur les articles relatifs aux liens d'intérêts, aux avantages consentis par les entreprises et à la gouvernance des produits de santé ;
- considérant que les dispositions tendant à renforcer les droits des victimes d'accidents médicamenteux ont été supprimées et que, tant l'Assemblée nationale que le Gouvernement, ont manifesté leur volonté de reporter sine die toute avancée dans ce domaine ;
- considérant que les dispositions du texte, par leur imprécision ou le renvoi à des textes d'application réglementaire, le vident en grande partie de sa portée ;
- considérant que cette entrave à l'application directe des mesures votées par le législateur porte en particulier sur l'obligation d'essais contre comparateurs actifs pour l'admission au remboursement des médicaments prévue à l'article 9 bis ;
- considérant que toute réflexion sur la question de la création d'un corps d'experts indépendants, sur le financement des associations d'usagers et sur l'avenir des visiteurs médicaux a été écartée ;
- considérant, dans ces conditions, que ce projet de loi n'est pas de nature à empêcher la survenance d'une nouvelle affaire comme celle du Mediator ;
- décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture n° 130 (2011 2012).
Aline Archimbaud . - N'est-il pas possible, dans les considérants, de faire allusion au fait que les propositions de la mission sénatoriale d'information, adoptées pourtant à l'unanimité, n'aient pas trouvé leur traduction dans le texte voté par l'Assemblée nationale ? Je n'étais pas sénatrice à cette époque mais c'est ce qui nous a été dit, et c'est un l'élément important.
Annie David, présidente . - On pourrait aussi l'indiquer au cours de la discussion générale.
Bernard Cazeau, rapporteur . - Je ne suis pas opposé à ce qu'on ajoute cette référence dans le corps de la motion. Je signale cependant que l'ensemble des commissaires n'étaient pas présents à la réunion au cours de laquelle a été adopté le rapport de la mission commune d'information.
Annie David, présidente . - Si le rapporteur en est d'accord, on pourrait faire figurer la mention des travaux de cette mission dans le dernier considérant qui évoque précisément l'affaire du Mediator.
La commission adopte la motion tendant à opposer la question préalable.
* 1 Rapport Sénat n° 100 (2011-2012) et AN n° 3941 (XIII e législature) de Bernard Cazeau, sénateur, et Arnaud Robinet, député, fait au nom de la commission mixte paritaire.
* 2 Il s'agit des articles 4 bis, 9 ter, 12 bis, 14 quater, 21, 31, 32, 35, 36 et 37.
* 3 Il s'agit des articles 4, 5 bis, 6, 8, 11, 14, 14 bis, 14 ter, 15, 16, 17, 18, 20, 22, 23, 24, 30.
* 4 Pour les articles 14, 14 bis, 14 ter, 16, 17, 20 et 23.
* 5 L'article 1 er bis A prévoyant la remise d'un rapport sur ce sujet a été supprimé.
* 6 Rapport d'information Sénat n° 675 (2010-2011) de Marie-Thérèse Hermange, fait au nom de la mission commune d'information sur le Mediator.
* 7 Médicaments qui prétendent à une AMM parce qu'ils présentent le même apport thérapeutique que d'autres déjà présents sur le marché.
* 8 Loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.
* 9 Le 4° de l'article 1386-11 du code civil dispose que le producteur est exonéré de la responsabilité du dommage causé par un produit défectueux lorsque « l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut ».
* 10 Article 1386-12 du code civil : « Le producteur ne peut invoquer la cause d'exonération prévue au 4° de l'article 1386-11 lorsque le dommage a été causé par un élément du corps humain ou par les produits issus de celui-ci ».
* 11 Rapport de nouvelle lecture AN n° 3964, fait par Arnaud Robinet au nom de la commission des affaires sociales, p. 47.
* 12 Ibid. p. 58.
* 13 Voir notamment : rapport d'information Sénat n° 499, Laurent Béteille (UMP), Richard Yung (Soc.), au nom du groupe de travail sur l'action de groupe de la commission des lois, mai 2010.
* 14 Rapport d'information AN n° 3552, Gérard Bapt (Soc.), Jean-Pierre Door (UMP), au nom de la commission des affaires sociales, « Mediator : comprendre pour réagir », juin 2011, p. 108.