CHAPITRE IV - L'autorisation temporaire d'utilisation
Article 15 (art. L. 5121-12, L. 1121-16-1 et L. 1123-14 du code de la santé publique) Modification des procédures d'octroi des autorisations temporaires d'utilisation nominative
Objet : Cet article renforce l'encadrement des procédures d'autorisations temporaires d'utilisation (ATU).
I - Le dispositif proposé
L'ATU constitue une procédure dérogatoire à l'AMM . Aux termes de l'article L. 5121-12 du code de la santé publique, les ATU sont délivrées à titre exceptionnel par l'actuelle Afssaps pour des médicaments ne disposant pas d'AMM centralisée ou nationale, destinés à traiter des maladies graves ou rares pour lesquelles il n'existe pas de traitement approprié.
L'article L. 5121-12 définit deux types d'ATU :
- l'ATU de cohorte peut être délivrée pour un groupe de patients lorsque les essais thérapeutiques menés en vue de la demande d'AMM permettent de présumer fortement de l'efficacité et de la sécurité du médicament. Si aucune demande d'AMM n'a été déposée, le demandeur doit s'engager à le faire dans un délai déterminé ;
- l'ATU nominative est délivrée pour un patient nommément désigné et ne pouvant participer à une recherche biomédicale. Deux conditions cumulatives doivent être remplies pour que l'ATU soit accordée :
- le médicament doit être susceptible de présenter un bénéfice pour le patient ;
- soit son efficacité et sa sécurité sont présumées en l'état des connaissances scientifiques, soit le pronostic vital du patient est en jeu à court terme en l'état des thérapeutiques disponibles (ATU dite « compassionnelle »).
L'ATU nominative engage la responsabilité du médecin qui doit justifier que le patient, son représentant légal ou la personne de confiance qu'il a désignée a reçu une information adaptée. La procédure suivie est en outre inscrite dans le dossier médical.
C'est le titulaire des droits d'exploitation du médicament (pour l'ATU de cohorte) ou le médecin prescripteur (pour l'ATU nominative) qui dépose auprès de l'Afssaps la demande d'ATU.
L'ATU de cohorte doit être sollicitée dans le cadre d'un protocole d'utilisation thérapeutique et de recueil d'informations établi avec le titulaire des droits d'exploitation et concernant notamment les conditions réelles d'utilisation et les caractéristiques de la population bénéficiant du médicament ainsi autorisé. Le demandeur de l'ATU de cohorte adresse systématiquement à l'agence, après octroi de l'autorisation, toute information concernant notamment les conditions réelles d'utilisation et les caractéristiques de la population bénéficiant du médicament.
Le suivi des patients est plus souple concernant l'ATU nominative, l'Afssaps ayant le pouvoir de demander la mise en place d'un protocole d'utilisation thérapeutique et de recueil d'informations, sans que cette démarche revête un caractère systématique.
Attribuées pour une durée limitée, les ATU peuvent être suspendues ou retirées par l'Afssaps si les conditions prévues à l'article L. 5121-12 ne sont plus remplies, ou pour des motifs de santé publique.
L'ATU constitue une procédure nécessaire en ce qu'elle permet aux patients de bénéficier de traitements médicaux les plus adaptés possible à leur situation en l'absence d'alternative disposant de l'AMM, notamment grâce à un accès précoce à l'innovation thérapeutique. En 2010, dix nouvelles demandes d'ATU de cohorte ont été présentées à l'Afssaps et six ont été octroyées. Neuf ATU de cohorte ont fait l'objet d'une modification ou d'un renouvellement. 22 858 ATU nominatives ont été accordées en 2010, couvrant 15 411 patients dont plus du tiers étaient des enfants 28 ( * ) .
Dans les faits, les ATU de cohorte sont généralement attribuées pour des durées courtes et débouchent le plus souvent sur une AMM. Tel n'est cependant pas le cas de certaines ATU nominatives qui tendent à se pérenniser. Or ces dernières font l'objet d'un suivi limité, comme cela a été souligné plus haut.
En outre, les rapports d'information de l'Assemblée nationale 29 ( * ) et du Sénat 30 ( * ) , tout comme le groupe du travail des Assises du médicament consacré à ces questions, ont insisté sur le fait que l'ATU ne doit pas constituer un moyen pour un laboratoire de contourner la procédure d'AMM.
De surcroît, le mode de fixation des prix des médicaments sous ATU étant libre et intégralement pris en charge par l'assurance maladie, il existe un risque que la procédure d'ATU soit utilisée dans le but de contourner la fixation des prix par le Ceps. Pour cette raison, la mission commune d'information du Sénat avait recommandé la suppression de la procédure actuelle de déclaration au Ceps par le laboratoire titulaire des droits d'exploitation du montant de l'indemnité demandée aux établissements de santé pour le médicament sous ATU 31 ( * ) afin de confier au Ceps la fixation du prix des médicaments sous ATU (proposition n° 21).
Le présent article tente de parvenir à un équilibre entre accès des patients à des soins adaptés et nécessité de mieux encadrer les procédures d'ATU , en particulier d'ATU nominative.
A l'alinéa premier de l'article L. 5121-12, la condition de l'absence de traitement approprié pour le dépôt d'une demande d'ATU est complétée par celle de l'impossibilité de différer la mise en oeuvre du traitement.
L'octroi d'une ATU nominative sera subordonné au dépôt d'une demande d'ATU de cohorte ou d'AMM dans l'indication thérapeutique sollicitée. A défaut, des essais cliniques devront être conduits en France sur le médicament pour l'indication thérapeutique sollicitée. En cas de rejet d'une de ces demandes, l'ATU nominative sera retirée pour les indications sollicitées dans la demande.
La conclusion d'un protocole d'utilisation thérapeutique et de recueil d'informations entre l'agence et le titulaire des droits d'exploitation du médicament devient désormais une condition nécessaire de l'octroi de l'autorisation. Jusqu'à présent, ce protocole était obligatoire pour l'ATU de cohorte mais facultatif pour l'ATU nominative.
L'ATU compassionnelle est cependant préservée au paragraphe IV de l'article L. 5121-12. Les règles prévues pour l'ATU nominative ne seront pas applicables « lorsqu'une issue fatale à court terme pour le patient est, en l'état des thérapeutiques disponibles, inéluctable » . La même dérogation s'appliquera lorsque la spécialité pharmaceutique aura fait l'objet d'un arrêt de commercialisation mais que la demande d'ATU porte sur une indication autre que celle à l'origine de l'arrêt et qu'il existe de fortes présomptions d'efficacité et de sécurité du médicament dans l'indication sollicitée.
Ces ATU ne seront pas soumises à la conclusion d'un protocole d'utilisation thérapeutique et de recueil d'informations. Cependant, à l'expiration de l'autorisation et, le cas échéant, à chaque renouvellement, des données de suivi des patients traités seront transmises par les médecins prescripteurs à l'agence. Cette dernière devra préciser la nature de ces données.
L'article 30 du présent projet de loi prévoit des dispositions transitoires. Les ATU accordées sur le fondement de la rédaction actuelle de l'article L. 5121-12 du code de la santé publique demeureront régies par ces dispositions, y compris pour leur renouvellement, pendant une période de trois ans à compter de la publication de la loi. Ce dispositif transitoire s'appliquera également pour les demandes d'ATU nominatives lorsque des autorisations auront déjà été accordées dans la même indication pour le médicament concerné.
II - Les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale
A l'initiative du Gouvernement, l'Assemblée nationale a apporté plusieurs modifications à cet article :
- elle a précisé, par un vote unanime, que les ATU peuvent être renouvelées par l'agence en charge de la sécurité du médicament. La députée socialiste Catherine Lemorton a souligné que cet amendement permettait de contrecarrer l'idée selon laquelle, du fait de l'encadrement accru des ATU, « les Français ne pourraient plus accéder à l'innovation, notamment dans des cas dramatiques ou des maladies très rares ou très douloureuses » ;
- elle a assoupli les contraintes pesant sur l'ATU nominative. Dans le texte initial, celle-ci ne pouvait être délivrée que si une demande d'ATU de cohorte ou une demande d'AMM avaient été déposées ou si des essais cliniques étaient conduits en France sur le médicament dans l'indication thérapeutique sollicitée. Désormais, l'ATU nominative pourra également être accordée lorsque le titulaire des droits d'exploitation s'engage à déposer dans un délai déterminé une demande d'AMM ou d'ATU de cohorte ou qu'une demande d'autorisation d'essai clinique a été déposée en France ;
- elle a autorisé l'octroi d'une ATU nominative de façon dérogatoire pour un médicament qui, dans l'indication thérapeutique sollicitée, se serait vu refuser une demande d'ATU de cohorte ou pour lequel une demande d'autorisation d'essai clinique aurait été refusée. L'ATU ne pourra être délivrée qu'après information du patient et du praticien sur les motifs du refus de la demande et sous réserve d'un bénéfice individuel pour le patient ;
- elle a précisé les conditions d'octroi de l'ATU compassionnelle, l'expression « lorsqu'une issue fatale à court terme pour le patient est, en l'état des thérapeutiques disponibles, inéluctable » ayant été remplacée par « lorsque le pronostic vital du patient est engagé, en l'état des thérapeutiques disponibles » .
III - Le texte adopté par la commission
Votre commission a estimé nécessaire, d'une part, d'affirmer le caractère temporaire des ATU, d'autre part de mieux encadrer les procédures d'ATU nominatives.
Elle a donc adopté un amendement, présenté par Isabelle Pasquet, Laurence Cohen, Annie David, Dominique Watrin et Guy Fischer, qui limite la durée des ATU à une année renouvelable deux fois.
A l'initiative de son rapporteur, elle a également adopté un amendement qui revient sur certains assouplissements de la procédure d'ATU nominative adoptés à l'Assemblée nationale. Une telle demande ne pourra désormais être acceptée que si une demande d'ATU de cohorte ou d'autorisation de mise sur le marché a été déposée par le titulaire des droits d'exploitation ou si celui-ci procède en France à des essais cliniques.
Enfin, elle a rétabli, sur amendement de son rapporteur, la possibilité pour l'agence de subordonner l'octroi d'une ATU nominative dérogatoire à la conclusion d'un protocole avec le titulaire des droits d'exploitation, ce qui permettra d'assurer un meilleur suivi des patients.
Votre commission a adopté cet article ainsi modifié.
* 28 Source : Afssaps, Indicateurs d'activité 2010.
* 29 Gérard Bapt, Jean-Pierre Door, Rapport d'information AN n° 3552, Mediator : comprendre pour réagir, juin 2011, p. 51-54.
* 30 François Autain, Marie-Thérèse Hermange, Rapport d'information Sénat n° 675, La réforme du système du médicament, enfin, juin 2011, p. 124-125.
* 31 L'article L. 162-16-5-1 du code de la sécurité sociale oblige le laboratoire titulaire des droits d'exploitation à déclarer au Ceps le montant de l'indemnité demandée auprès des établissements de santé pour le médicament sous ATU. Si, dans le cadre d'une AMM ultérieure, le Ceps fixe un prix ou un tarif de remboursement inférieur au prix déclaré, le laboratoire doit reverser tout ou partie de la différence aux organismes de recouvrement. L'indemnité est ensuite affectée aux régimes d'assurance maladie.