N° 44
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012
Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 octobre 2011 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE, relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé ,
Par M. Bernard CAZEAU,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , présidente ; M. Jacky Le Menn, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Alain Milon, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Louis Lorrain, Jean-Marie Vanlerenberghe, Gilbert Barbier , vice-présidents ; Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, M. Alain Gournac, Mme Catherine Deroche, M. Marc Laménie , secrétaires ; Mmes Jacqueline Alquier, Natacha Bouchart, Marie-Thérèse Bruguière, MM. Jean-Noël Cardoux, Luc Carvounas, Mme Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, M. Yves Daudigny, Mme Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mme Muguette Dini, M. Jean-Léonce Dupont, Mmes Odette Duriez, Anne-Marie Escoffier, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Mme Samia Ghali, M. Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mmes Chantal Jouanno, Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Jean-Claude Leroy, Hervé Marseille, Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet, M. Louis Pinton, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. René Teulade, Michel Vergoz, André Villiers, Dominique Watrin. |
Voir le(s) numéro(s) :
Assemblée nationale ( 13 ème législ.) : |
3714 , 3725 et T.A. 741 |
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Sénat : |
5 et 45 (2011-2012) |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
L'affaire du Mediator marque la dernière étape en date dans la remise en cause de notre système de police sanitaire des produits de santé. L'insouciance liée à cinquante ans de progrès scientifiques passés en relative sécurité a été perdue à partir des années quatre-vingt-dix. Elle a progressivement laissé la place à des interrogations croissantes sur les conséquences des produits sanitaires destinés à l'homme. Les malades ont désormais pris conscience du dilemme devant lequel ils sont placés : accéder facilement à tous les médicaments produits et prendre le risque d'effets indésirables parfois graves, ou accepter de limiter les options thérapeutiques pour garantir leur sécurité.
Les doutes des patients ne peuvent qu'être accentués par l'affaiblissement du lien qui les unit à leur médecin. La multiplication des alternatives prétendument thérapeutiques à la médecine et la plus grande difficulté d'accès aux soins sur certaines parties du territoire ont distendu la confiance qui constitue pourtant la base de la relation médecin-patient.
Dès 2006, le Sénat avait appelé à restaurer la confiance dans le médicament. En 2011, à la suite de l'affaire du Mediator, un nouveau rapport d'information sénatorial 1 ( * ) a dressé un bilan complet des problèmes de notre système de sécurité sanitaire et fait de nombreuses propositions. Votre rapporteur, qui était vice-président de la mission d'information, ne peut que regretter que, de même qu'en 2006, les propositions sénatoriales aient été peu reprises par le Gouvernement.
Après avoir présenté, à l'instar de la mission d'information sénatoriale sur le Mediator, un bref panorama du cadre actuel dans lequel s'exerce la police sanitaire, il demeure nécessaire de faire valoir à nouveau ce que les Français sont en droit d'attendre de la réforme de la sécurité sanitaire et de mesurer à cette aune les propositions du Gouvernement, complétées par l'Assemblée nationale.
I. PRÉSERVER LES ACQUIS DU SYSTÈME ACTUEL DES AGENCES SANITAIRES
Les critiques adressées à l'actuel système de sécurité sanitaire sont déjà anciennes. Elles ont été formulées notamment par le rapport sénatorial d'information de 2006 intitulé, déjà, Médicament, restaurer la confiance 2 ( * ) . Il convient cependant de garder à l'esprit que le pouvoir des autorités sanitaires est loin d'être discrétionnaire et que plusieurs acquis importants en matière de sécurité des produits de santé doivent être préservés.
A. DES DÉCISIONS SANITAIRES NATIONALES SOUS CONTRAINTE
Les autorités de police sanitaire doivent, dans leur action de protection de la santé publique, respecter deux niveaux de contrainte sous peine de voir leurs décisions annulées par le juge et de faire condamner l'Etat à verser de lourdes indemnités aux laboratoires.
Ces contraintes sont issues du droit communautaire pour ce qui concerne l'autorisation de mise sur le marché (AMM) et du respect dû au droit de propriété ainsi qu'aux prérogatives des médecins pour ce qui concerne le retrait ou la suspension de l'AMM.
1. L'encadrement européen de la mise sur le marché
a) Une compétence communautaire en développement
Bien qu'elle relève à l'origine, comme l'ensemble de la santé publique, de la compétence souveraine des Etats membres, la police sanitaire a progressivement été encadrée par le droit européen, au travers de l'édiction de normes communes de plus en plus contraignantes sur les conditions de mise sur le marché des médicaments. C'est en s'appuyant sur la double nature du médicament, bien de santé publique mais aussi bien commercial, que la Commission européenne a justifié sa première intervention en la matière - la directive du Conseil du 26 janvier 1965 3 ( * ) - concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques. Celle-ci dispose que l'objectif de santé publique, relevant des Etats membres, « doit être atteint par des moyens qui ne puissent pas freiner le développement de l'industrie pharmaceutique et les échanges de produits pharmaceutiques au sein de la Communauté » ; de plus, les disparités des dispositions nationales « ont pour effet d'entraver les échanges des spécialités pharmaceutiques au sein de la Communauté et [...] ont de ce fait une incidence directe sur l'établissement et le fonctionnement du marché commun » .
Il serait inexact de voir dans le développement des normes communautaires depuis cette date une simple volonté d'accroissement des compétences communautaires. C'est d'abord la volonté des Etats, confrontés aux premiers scandales sanitaires mondiaux, dont celui du thalidomide, de trouver ensemble un équilibre entre sécurité du médicament et accès des patients aux traitements, qui a été le moteur d'une harmonisation puis d'une intégration des conditions d'autorisation de mise sur le marché (AMM) au niveau communautaire.
Malgré la création, dès 1975 4 ( * ) , d'une procédure européenne d'AMM et d'un Comité des spécialités pharmaceutiques (CSP) composé de représentants des Etats membres, à la fois structure d'arbitrage et lieu d'échanges, la part de l'Europe dans la mise sur le marché des médicaments est restée faible jusqu'à la relance du marché intérieur dans les années 1980.
C'est il y a vingt ans seulement, en 1993 5 ( * ) , qu'une Agence européenne d'évaluation des médicaments a été mise en place afin de gérer les deux nouvelles procédures d'AMM communautaires : la procédure centralisée, qui permet à un laboratoire d'obtenir pour l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne une AMM en déposant une demande unique auprès de l'agence, et la procédure de reconnaissance mutuelle, obligatoire pour toute demande d'AMM dans plus d'un Etat membre pour une entreprise qui ne veut ou ne peut utiliser la procédure centralisée.
Une nouvelle étape a été franchie en 2001 par la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, puis en 2004, par le règlement (CE) n° 726/2004 établissant des procédures communautaires de mise sur le marché et de surveillance des médicaments et relatif à l'Agence européenne des médicaments (EMA). Ces textes ont en effet organisé un système européen de pharmacovigilance, fondé sur la nécessité d'une appréciation commune des bénéfices et des risques pour éviter toute entrave aux échanges. La pharmacovigilance constitue aujourd'hui l'axe privilégié de développement de la politique européenne du médicament, consacré par l'adoption, le 15 décembre 2010, d'une nouvelle directive (2010/84/UE), dont le projet de loi soumis à l'examen du Sénat prévoit la transposition, et d'un nouveau règlement (n° 1235/2010).
* 1 La réforme du système du médicament, enfin : rapport d'information de Marie-Thérèse Hermange, fait au nom de la mission commune d'information sur le Mediator n° 675 (2010-2011).
* 2 Rapport d'information d'Anne-Marie Payet et Marie-Thérèse Hermange n° 382 (2005-2006), fait au nom de la commission des affaires sociales.
* 3 Directive 65/65/CEE.
* 4 Directive 75/319/CEE.
* 5 Règlement (CEE) n° 2309/93 du Conseil du 22 juillet 1993 établissant des procédures communautaires pour l'autorisation et la surveillance des médicaments à usage humain et à usage vétérinaire et instituant une Agence européenne pour l'évaluation des médicaments.