b) Un modèle économique mis à mal
Selon un enchaînement analogue à celui de la crise financière en 2007-2008, et qui comporte une dimension auto-réalisatrice, les craintes sur les expositions et le profil de risque de certaines banques ont conduit, à partir de juillet 2011, à une forte augmentation de l'aversion au risque et à une contraction du financement interbancaire sur des échéances moyennes et longues, faisant ressurgir l'hypothèse d'une crise de liquidité, susceptible de provoquer une crise de solvabilité .
Ce mouvement, entretenu par des rumeurs, simulations et déclarations alarmistes sur les besoins en recapitalisation, fut aussi lié à trois types d'interrogations :
- des doutes sur le réalisme du niveau de provisionnement des créances sur l'Etat grec . Si les banques françaises ont appliqué une décote de 21 % 10 ( * ) , conformément aux modalités proposées en juillet par l' International Institute of Finance et en l'absence de marché actif de référence, d'autres banques européennes, indirectement encouragées par l'IASB (Conseil des normes comptables internationales), ont retenu une décote beaucoup plus élevée, de l'ordre de 50 %, plus proche d'une estimation de la valeur de marché. Certains investisseurs, de surcroît enclins à appliquer des décotes intégrales sur la dette souveraine grecque, ont donc jugé que les provisions pour dépréciation passées par les banques françaises étaient sous-évaluées et que la capacité d'absorption des pertes de leurs fonds propres était surestimée ;
- une certaine incompréhension sur le modèle de « banque universelle » , jugé trop dépendant des revenus de la banque d'investissement et mal adapté au nouveau régime prudentiel de Bâle III, qui implique un relèvement progressif du ratio Core Tier One à 7 % d'ici 2019 et le respect de deux nouveaux ratios de liquidité à court et moyen terme. Ces derniers tendent d'ailleurs à pénaliser plus particulièrement les banques françaises, qui ont fortement contesté le principe d'un ratio de liquidité à un an ;
- le constat d'une forte dépendance à l'égard des financements de marché , en particulier à très court terme 11 ( * ) (moins de trois mois), compte tenu d'une épargne bilantielle encore insuffisante. Le sentiment dominant, notamment chez les investisseurs américains, était que les banques françaises avaient poursuivi la croissance de leur bilan sans se préoccuper suffisamment de leur niveau de liquidité.
La défiance s'est dès lors essentiellement manifestée de deux manières :
- un important flux de ventes de la part des investisseurs institutionnels 12 ( * ) sur les actions des banques françaises cotées, amplifié par le court-termisme et l'opacité du trading à haute fréquence. Malgré l'interdiction des ventes à découvert sur les valeurs financières, décidée par le président de l'Autorité des marchés financiers le 11 août 13 ( * ) , la capitalisation boursière a ainsi fortement chuté entre le 1 er juillet et le 12 septembre 2011 : - 63 % pour la Société générale, - 53,9 % pour le Crédit agricole, - 51,3 % pour BNP Paribas et - 39,9 % pour Dexia ;
- une forte contraction du financement interbancaire et une réduction brutale de l'accès aux financements en dollars courant août, en particulier de la part des fonds monétaires américains. Si le « gel » du marché interbancaire n'a pas atteint les proportions constatées lors du dernier trimestre de 2007, les banques françaises ont été contraintes de se refinancer sur des échéances plus courtes et à des taux plus élevés.
* 10 Sur les obligations venant à échéance entre mi-2011 et fin 2020.
* 11 Selon une étude de Barclays, citée par Les Echos du 14 septembre 2011, la part des financements à moins d'un an représentait 60 % du total du besoin de financement pour la Société générale et BNP Paribas, et 50 % pour le Crédit agricole.
* 12 Fonds de placement, assurances, caisses de retraite, hedge funds ...
* 13 Et prolongée par une décision du collège du 25 août.