2. La position de votre commission : préserver la qualité du travail parlementaire
• Les conséquences du monopole sur la procédure parlementaire
Votre commission maintient l'analyse des conséquences du monopole des lois financières qu'elle avait développée en première lecture.
En effet, le monopole des lois financières en matière de prélèvements obligatoires présente des inconvénients majeurs pour le droit d'initiative parlementaire et pour la cohérence du travail législatif.
Est-il souhaitable et pertinent, trois ans après la révision du 23 juillet 2008 dont l'un des objectifs était de renforcer le rôle du Parlement pour rééquilibrer nos institutions, d'adopter un dispositif qui réduit fortement le droit d'initiative des parlementaires ?
Est-il cohérent d'appliquer aux parlementaires de nouvelles irrecevabilités, alors qu'ils sont déjà soumis à l'irrecevabilité financière définie par l'article 40 de la Constitution et que les mesures de dépenses fiscales les plus importantes ont en général été adoptées à l'initiative du Gouvernement ?
Comme votre rapporteur l'avait relevé en première lecture, la part de responsabilité du Gouvernement dans les écarts constatés par rapport aux trajectoires prévues est à la mesure des pouvoirs qui sont les siens en matière budgétaire.
M. François Baroin, alors ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, a d'ailleurs déclaré lors de l'examen du projet de révision en première lecture au Sénat que « cette mesure vise d'abord à contraindre le Gouvernement lui-même à éviter d'additionner les textes, proposant ici des mesures dérogatoires sur le plan fiscal, là de nouvelles niches sociales. D'ailleurs, l'histoire des quinze ou vingt dernières années montre que les fameux 75 milliards d'euros de niches fiscales et les non moins fameux 45 milliards d'euros de niches sociales résultent pour la plus grande part, 80 %, d'initiatives de l'exécutif, le reste étant imputable au Parlement, à travers telle ou telle proposition de loi. » 3 ( * ) .
Or, le dispositif rétabli par les députés donnerait en fait au Gouvernement le monopole de l'initiative des réformes relatives aux impôts, taxes et cotisations sociales. En effet, seul le Gouvernement peut déposer des projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Les parlementaires se verraient opposer l'irrecevabilité ou, à défaut, un contrôle de constitutionnalité obligatoire, pour tout amendement ou proposition de loi qui comporterait des dispositions relatives aux recettes.
Lors des débats en première lecture au Sénat, nos collègues Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales, Jean-Paul-Emorine, président de la commission de l'économie et Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales, ont également souligné que le monopole réduirait fortement les prérogatives des commissions qui n'ont pas vocation à examiner au fond les projets de lois de finances.
Le Parlement devrait examiner toute réforme relative aux grandes politiques publiques, par exemple en matière de retraites, d'environnement, ou de recherche, séparément des moyens nécessaires à sa mise en oeuvre.
Les dispositions d'ordre fiscal seraient concentrées au sein de projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale hypertrophiés, alors que l'examen de ces textes obéit à des règles strictes (procédure accélérée et délais contraints).
Les conséquences du monopole sur le travail législatif et les droits du Parlement paraissent donc disproportionnées par rapport à l'objectif recherché.
• Le rétablissement du texte adopté par le Sénat en première lecture
Aussi votre commission vous soumet-elle quatre amendements visant à rétablir, pour ce qui concerne le monopole des lois de finances et de financement de la sécurité sociale, le texte adopté par le Sénat en première lecture.
Elle vous propose par conséquent un amendement définissant une procédure d'approbation des mesures relatives aux prélèvements obligatoires par une loi de finances ou par une loi de financement de la sécurité sociale.
Ce dispositif respecte la logique de la réforme souhaitée par le Gouvernement , en assurant un examen annuel d'ensemble des dispositions relatives aux prélèvements obligatoires, afin de garantir le respect des articles d'équilibre votés en loi de finances.
Les dispositions fiscales ou relatives aux recettes de la sécurité sociale qui seraient adoptées au cours de l'année, par exemple lors de l'examen d'une grande réforme, seraient soumises à un passage obligé par un texte financier. Elles ne pourraient donc entrer en vigueur que si elles ont été approuvées, au plus tard, par le premier projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale déposé après leur promulgation. L'approbation pourrait ainsi procéder :
- de l'adoption d'un amendement gouvernemental ou parlementaire lors de l'examen d'un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale déposé avant la promulgation des mesures de recettes ;
- du premier projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale déposé après la promulgation des mesures de recettes. L'approbation pourrait alors être prévue par le texte déposé par le Gouvernement ou résulter d'un amendement.
Ce dispositif revient donc à attribuer aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale le monopole de l'entrée en vigueur de ces dispositions.
A défaut d'approbation dans ces conditions, les dispositions relatives aux prélèvements obligatoires adoptées en dehors des textes financiers deviendraient caduques. Le Gouvernement et le Parlement n'auraient donc à entreprendre aucune démarche pour éviter l'entrée en vigueur d'une mesure de recettes qui se révèlerait inutile ou néfaste . Le silence des textes financiers examinés après la promulgation de telles dispositions suffirait à les faire disparaître de notre droit positif.
Comme l'a pressenti le président et rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale dans son rapport de deuxième lecture, votre commission conçoit le mécanisme d'approbation a posteriori comme une réelle contrainte, garantissant son efficacité .
Il en résulterait effectivement une revalorisation des lois de finances et de financement de la sécurité sociale par rapport aux lois ordinaires, puisque les premières auraient la capacité de déterminer l'entrée en vigueur ou la disparition de certaines dispositions des secondes.
Mais cette hiérarchie paraît inévitable si l'on veut assurer le respect des normes d'évolution que fixeront les lois-cadres d'équilibre des finances publiques et des articles d'équilibre votés dans les lois de finances. En outre, le dispositif proposé par votre commission préserve le droit d'initiative des parlementaires et une possibilité d'examen cohérent des réformes, alors que le monopole défini par le Gouvernement et validé par l'Assemblée nationale ajoute à la hiérarchie des textes une dégradation des droits et des conditions de travail du Parlement.
Par ailleurs, le dispositif proposé par votre commission aurait des effets « strictement identiques » au monopole, comme le constate le président et rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale, dans la mesure où il garantirait un examen d'ensemble des dispositions relatives aux prélèvements obligatoires, dans le cadre des textes financiers.
Tel est bien l'objet de l'alternative retenue par le Sénat en première lecture : conserver à la réforme envisagée son efficacité, mais en corriger les inconvénients .
Ce dispositif ne saurait susciter une insécurité juridique, puisque l'approbation de toute mesure relative aux recettes adoptée en dehors d'une loi de finances ou de financement de la sécurité sociale devrait intervenir dans un délai de quelques mois. A cet égard, il semble plutôt que le principe de sécurité juridique doit être davantage pris en compte et respecté par le Parlement lorsqu'il examine les lois de finances ou de financement de la sécurité sociale.
Notre collègue Philippe Marini relève d'ailleurs, dans l'exposé des motifs d'une proposition de loi organique dont il est l'auteur, que « la multiplication, au cours de ces dernières années, de dispositions fiscales soit rétroactives, soit rétrospectives, a contribué à développer un sentiment d'insécurité juridique fort parmi les contribuables. » 4 ( * ) .
Le rapport de 2008 sur la sécurité juridique des relations entre l'administration fiscale et les contribuables souligne que « l'instabilité et la complexité de la norme fiscale sont les premières causes d'insécurité juridique : les changements fréquents de la loi et les difficultés qui apparaissent lorsqu'il s'agit de l'interpréter constituent une source de risque pour l'ensemble des contribuables dans leur relation avec l'administration fiscale comme dans l'appréhension de la dimension fiscale d'un projet économique » 5 ( * ) .
Aussi peut-on considérer qu'un dispositif garantissant l'examen d'ensemble des dispositions relatives aux prélèvements obligatoires lors des textes financiers apportera davantage de cohérence et de sécurité .
Enfin, le dispositif retenu par le Sénat en première lecture et repris par votre commission assure une articulation cohérente entre les règles de priorité définies à l'article 39 de la Constitution . En effet, le deuxième alinéa de cet article dispose que les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale sont soumis en premier lieu à l'Assemblée nationale, tandis que les projets de loi ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat 6 ( * ) .
Or, l'avant-dernier alinéa de l'article 72-2 de la Constitution prévoit que « Tout transfert de compétences entre l'État et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi . ».
En application du monopole des lois de finances et de financements de la sécurité sociale, les dispositions relatives aux ressources des collectivités territoriales devraient obligatoirement figurer dans des lois de finances (articles premier et 11 du projet de loi constitutionnelle). Dès lors, les règles de priorité fixées par l'article 39 de la Constitution entreraient en contradiction et le Conseil constitutionnel, saisi d'une loi transférant des compétences, ne pourrait pas vérifier que l'exigence de compensation définie à l'article 72-2 de la Constitution a été respectée.
Par coordination avec la suppression du monopole des lois financières, et comme en première lecture, votre commission vous soumet en outre :
- un amendement de suppression de la procédure d'irrecevabilité définie à l'article 2 bis ;
- un amendement de suppression de la disposition obligeant le Conseil constitutionnel à vérifier que les lois non financières ne comportent pas de dispositions contraires au monopole des lois de finances et de financement de la sécurité sociale en matière de prélèvements obligatoires (article 9 bis ) ;
- un amendement de suppression du monopole des lois de
finances en matière de fiscalité locale (article 11).
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* *
Sous réserve de l'adoption de ses amendements, votre commission vous propose d'adopter le projet de loi constitutionnelle.
* 3 Journal officiel, Débats, Sénat, séance du 14 juin 2011, p. 4824.
* 4 Proposition de loi organique limitant le recours aux dispositions fiscales rétroactives, présentée Par M. Philippe Marini, n° 54 (1999-2000).
* 5 Améliorer la sécurité juridique des relations entre l'administration fiscale et les contribuables : une nouvelle approche, rapport au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, présenté par M. Olivier Fouquet, président de section au Conseil d'État, juin 2008, p. 7. Ce rapport relève qu'« en moyenne, environ 20 % des articles du CGI sont modifiés chaque année (source : DLF). Cet indicateur inclut des modifications de seuil (liées notamment aux mécanismes d'indexations). Un autre indicateur concerne les dépenses fiscales : entre 2000 et 2008, 32 dispositifs ont été créés en moyenne chaque année et 20 supprimés, ce qui représente 52 modifications moyennes par an (12 % du stock de dépenses fiscales) ».
* 6 Le Conseil constitutionnel a récemment rappelé cette règle de priorité dans sa décision n° 2011-632 DC du 23 juin 2011.