ANNEXE III - LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES DANS LE CADRE DE L'EXAMEN DU PROJET DE LOI
Par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées :
- M. Alain JUPPE, Ministre d'État, de la Défense et des Anciens combattants
- M. Laurent COLLET-BILLON, Délégué général à l'Armement
- M. Gilles BRIATTA, Secrétaire général aux affaires européennes
- MM. Eric TRAPPIER, Gilbert FONT et Didier BRUGERE, CIDEF
A huis-clos :
Ministère de la défense :
- M. Jean-Paul BODIN, directeur adjoint du cabinet du Ministre, et Mme Monique LIEBERT-CHAMPAGNE, directrice des affaires juridiques
- M. Nicolas RIGAUD, adjoint au directeur de la Délégation aux affaires stratégiques
Ministère de l'économie :
- Mme Catherine BERGEAL, directrice des affaires juridiques
Premier Ministre :
- Mme Marion PARADAS, directrice des affaires internationales, stratégiques et technologiques du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, et Mme Catherine MUNSCH, adjointe au sous-directeur d'exportation de matériels de guerre
Industriels :
- M. Patrick BOISSIER, président de la DCNS
- M. Philippe BURTIN, président directeur général de Nexter
- M. Charles EDELSTENNE, président de Dassault
- M. Louis GALLOIS, président exécutif de EADS
- M. Serge PEREZ, vice-président de Renault Truck Défense
- M. Luc VIGNERON, président de THALES
Associations :
- M. Nicolas VERCKEN, responsable de plaidoyer Conflits, et Mme Julie LADOUSSE, OXFAM
Contribution écrite reçue :
- CCFD (Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement)
ANNEXE IV - AUDITIONS PUBLIQUES
Audition de M. Alain Juppé, ministre d'État, ministre de la défense et des anciens combattants
M. Josselin de Rohan, président. - La deuxième partie de votre audition sera consacrée aux enjeux de la transposition des deux directives européennes dites du « paquet défense » par un projet de loi que le Gouvernement a déposé en première lecture sur le bureau du Sénat, et que nous devrions être en mesure de rapporter devant la commission le 15 février prochain pour un examen en Séance publique le 10 mars. Je ne reviens pas sur la présentation de ces deux directives avec lesquelles, mes chers collègues, vous êtes désormais familiers.
Le texte qui nous est soumis doit trouver un équilibre entre, d'une part, la nécessaire mise en concurrence des industriels de défense - au sein de l'espace européen - afin de réduire le coût d'achat de nos armements et d'accroître la compétitivité de notre base industrielle et, d'autre part, éviter d'ouvrir cette concurrence à tous les vents, en particulier aux opérateurs économiques des Etats non membres de l'espace européen, qui continuent à cadenasser leur propre marché. La concurrence oui. La naïveté non. De ce point de vue l'équilibre proposé par le texte du Gouvernement est sans doute perfectible et je pense qu'il est nécessaire que nous oeuvrions tous dans le sens d'une meilleure rédaction.
M. Alain Juppé, ministre de la défense. - Le marché européen des produits liés à la défense est aujourd'hui fragmenté en vingt sept régimes nationaux, dont les procédures, les champs d'application et les délais d'obtention des licences d'exportation sont très hétérogènes. Pour les entreprises comme pour les administrations, cette mosaïque de régimes occasionne des délais et des coûts. C'est un obstacle à la construction d'un marché européen pour les équipements de défense, à l'heure où l'Europe doit plus que jamais être en mesure de développer ses capacités militaires.
Ce projet de loi a pour premier objectif de transposer la directive sur les transferts intracommunautaires de produits liés à la défense pour simplifier les procédures et fluidifier les échanges, au profit des forces armées et des entreprises de ce secteur. Aujourd'hui, les importations comme les exportations des matériels de guerre et matériels assimilés sont soumises à un principe général de prohibition : quiconque souhaite vendre ou acheter des armes à l'étranger doit disposer d'autorisations d'importation des matériels de guerre (AIMG), d'agréments préalables et d'autorisations d'exportation de matériels de guerre (AEMG). La relation entre les entreprises et les autorités de contrôle est trop souvent marquée par la suspicion.
Nous proposons donc de simplifier considérablement les procédures de contrôle a priori grâce à trois types de licence - générale, globale, individuelle - correspondant au degré de sensibilité des opérations. La licence générale permettra de transférer librement à l'ensemble de nos partenaires européens, sous certaines conditions, les matériels figurant sur une liste fixée par un arrêté du Premier ministre. Elle devrait conduire à une réduction de moitié des autorisations individuelles.
Afin que l'ensemble de nos exportations bénéficie de cette dynamique, nous avons profité de la transposition de la directive pour moderniser notre système de contrôle des exportations - dont les principes remontent à 1939 - et le rapprocher de ceux de la plupart de nos partenaires. Nous proposons donc la création d'une licence dite unique : il s'agit de remplacer par une seule autorisation les deux étapes de l'agrément préalable, pour la négociation et la signature du contrat, puis de l'autorisation d'exportation, pour le passage de frontière des matériels. Des licences générales d'exportation seraient délivrées au profit de pays alliés ou assimilés non membres de l'Union européenne.
Toutes les parties prenantes devront s'adapter à ce nouveau mode de contrôle : aux entreprises de s'organiser différemment pour bénéficier des transferts effectués dans le cadre des licences générales de nos partenaires ; à l'Etat de créer un mécanisme de certification des entreprises rigoureux et d'organiser un contrôle a posteriori solide, sur pièces et sur place. Des sanctions pénales ont été prévues, ainsi que la possibilité de suspendre, d'abroger ou de retirer les licences, mais aussi la certification.
Le deuxième objectif de ce texte est de transposer la directive relative à la coordination des procédures de passation de marchés des travaux, de fournitures et de services par les pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices dans les domaines de la défense et de la sécurité, pour contribuer à la construction d'un marché européen de l'armement. Jusqu'à présent, certains marchés de défense ou de sécurité étaient passés en application du code des marchés publics et de l'ordonnance du 6 juin 2005. D'autres - marchés secrets ou portant sur des armes, munitions et matériels de guerre - échappaient à cette réglementation générale et obéissaient à une réglementation « défense » particulière ; l'article 346 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) permet d'écarter toutes les règles de mise en concurrence pour la protection du secret et des intérêts essentiels de sécurité nationale. La directive du 13 juillet 2009 relative aux marchés de défense et de sécurité a pour objet d'empêcher tout recours abusif à cet article. Une fois transposée et appliquée de manière harmonieuse sur le territoire de l'Union, elle ouvrira les marchés européens de défense à la concurrence communautaire, dans le but de développer une base industrielle et technologique de défense européenne. Naturellement, chaque État conserve la faculté de recourir à l'article 346.
L'essentiel de la transposition de cette directive se fera par décret. Le projet de loi, qui soumet l'ensemble des marchés passés dans les domaines de la défense ou de la sécurité aux règles issues du marché intérieur, rassemble quelques dispositions législatives très techniques. Il modifie d'abord l'ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés non soumis au code des marchés publics afin de la mettre en cohérence avec le code des marchés publics, de prendre en compte la définition communautaire de la sous-traitance et d'instituer un dispositif permettant de fermer certains marchés aux opérateurs économiques non ressortissants de l'Union Européenne. Il modifie également le code de justice administrative pour y insérer les dispositions particulières relatives aux recours prévues par la directive.
Ce texte peut sans aucun doute être amélioré. Comme vous, je souhaite trouver le juste équilibre entre les nécessités de la concurrence et la protection de notre industrie, en particulier vis-à-vis d'entreprises implantées dans des États non membres de l'espace européen. Je vous ferai même quelques suggestions. La préférence communautaire pour les marchés de défense et de sécurité pourrait être clairement affirmée, comme y autorise la directive. Dès lors, au moment de la rédaction des appels d'offres pour chaque marché, l'autorité adjudicatrice pourrait définir si ce marché est restreint à la concurrence communautaire ou ouvert à une concurrence internationale. La directive fournit certains critères : les impératifs de sécurité, d'information et d'approvisionnement, la préservation des intérêts de la défense et de la sécurité de l'État, le développement de la base industrielle et technologique de défense européenne, le développement durable et la réciprocité.
A la réception des candidatures, peut-être faut-il autoriser l'autorité adjudicatrice d'écarter un candidat implanté hors du territoire de l'Union européenne, dont les capacités techniques ne seraient pas suffisantes pour exécuter le marché et assurer la maintenance, la modernisation ou l'adaptation des fournitures. Ces capacités techniques peuvent être appréciées au regard de l'implantation géographique de l'outillage, du matériel, de l'équipement technique, du personnel, du savoir-faire et des sources d'approvisionnement dont dispose le candidat.
Enfin, à la réception des offres, l'autorité adjudicatrice pourrait avoir intérêt à écarter une offre au motif que les moyens utilisés pour exécuter tout ou partie du marché, maintenir ou moderniser les produits acquis ne seraient pas localisés sur le territoire des États membres de l'Union européenne.
M. Robert del Picchia. - Risquons-nous de nous trouver en infraction vis-à-vis des règles de l'OMC ?
M. Alain Juppé, ministre de la défense. - Non.
M. Josselin de Rohan, président. - La directive prévoit explicitement que les règles de l'OMC ne s'appliquent pas dans ce domaine.
Ce projet de loi vise à encourager le développement d'une industrie européenne de défense. Mais tous les États membres jouent-ils le jeu ? La Suède appelle de ses voeux une coopération renforcée, mais vient d'acheter quinze hélicoptères américains, écartant l'offre d'Eurocopter ; la Pologne, aussitôt entrée dans l'Union, a acheté des F16 ! Les directives du paquet défense suffiront-elles à renforcer la base industrielle et technologique commune ?
Je m'inquiète des compensations industrielles, appelées offsets. La directive limite fortement les compensations entre pays européens, sans aller jusqu'à les prohiber complètement. Or les pays européens n'ayant pas d'industrie de défense ont intérêt à commercer avec les États-Unis, qui leur promettent d'implanter la totalité de la production sur leur territoire. Je pense en particulier à l'affaire du Joint Strike Fighter. Avez-vous pris en compte ce risque ?
L'harmonisation du régime de contrôle des exportations d'armement en Europe et sa simplification pour le « grand export » sont très attendues de nos industriels. En diminuant par deux le nombre d'autorisations et en réduisant leurs délais de traitement, cette réforme devrait améliorer la compétitivité d'un secteur qui comprend près de 350 entreprises et dont 50 000 emplois sont directement liés à l'export. Mais les simplifications risquent de rester virtuelles si l'administration n'est pas prête à les appliquer. Or le nouveau système informatique ne sera prêt qu'en 2014. Quelles solutions sont envisagées dans l'intervalle ?
Pourquoi ne pas avoir délégué à une structure administrative la délivrance des autorisations non sensibles - plus de la moitié - et en ne faisant remonter aux services du Premier ministre que les dossiers délicats ? C'est le modèle allemand, que préconisait le rapport de notre collègue Yves Fromion.
M. Alain Juppé, ministre de la défense. - Sans volonté politique, l'ouverture des marchés ne suffira pas à renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne. Il faut relancer l'Europe de la défense, en prenant appui sur des coopérations bilatérales, par exemple franco-britannique. Ce texte introduit d'ailleurs dans notre droit les notions de réciprocité des échanges et de préférence communautaire.
S'agissant des offsets, je suis perplexe : la directive ne les mentionne pas explicitement, mais mes services juridiques m'assurent qu'elle les exclut en fait en interdisant à l'autorité adjudicatrice d'imposer une sous-traitance de la production sur son territoire ; en outre, la jurisprudence de la Cour de justice les proscrirait. Il faut reconnaître que ces compensations existent dans la pratique. Mais pour les empêcher, ce texte n'est pas le véhicule idoine.
S'agissant du contrôle, l'ancien mode de traitement administratif des demandes d'autorisation d'exportation a montré ses limites. La licence unique et le nouveau système d'information, qui devrait être opérationnel dès 2013, allègeront la procédure. En outre, nous étendons le champ de la procédure « en continu », qui permet de traiter des dossiers peu sensibles en une vingtaine de jours, par voie dématérialisée : cette procédure, employée pour 13 % des demandes au premier semestre 2010, l'a été pour 30 % d'entre elles au dernier trimestre, et notre objectif est d'atteindre une proportion de 40 ou 50 % en 2011.
M. Daniel Reiner. - Une fois n'est pas coutume, la France fait preuve de plus célérité qu'aucun autre pays dans la transposition de directives européennes. Puisse-t-elle ne pas être naïve ! L'application de ce texte, qui sera suivi de quatorze décrets et six arrêtés, devra faire l'objet d'un examen attentif. On voit à peu près ce que l'article 346 recouvre dans le cas français : il s'agit du nucléaire ou d'autres éléments de souveraineté. Mais que recouvrira-t-il ailleurs ? Ne soyons pas plus restrictifs que d'autres.
Nous passons d'un contrôle a priori à un contrôle a posteriori, mais le projet de loi ne dit rien des nouvelles procédures, qui devront être définies par décret. Aujourd'hui, le contrôle est assuré par la Direction générale de l'armement (DGA) et le Contrôle général des armées. Qu'en sera-t-il demain ? Les entreprises déplorent les délais de traitement des dossiers, mais souvenons-nous que le principe général de prohibition demeure, et qu'un contrôle strict reste indispensable. Aucun retour en arrière n'est tolérable.
M. Alain Juppé, ministre de la défense. - Nous ne faisons que respecter le délai de transposition des directives, dont une grande partie s'effectuera par décret. Le diable est dans les décrets, me direz-vous... Nous tirerons tout le parti possible de la directive pour que nos entreprises soient convenablement protégées. La France est souvent bien vertueuse, plus que d'autres, dans la transposition des textes européens...
Je partage votre souci de maintenir un contrôle rigoureux. Un comité ministériel de contrôle placé auprès du ministre de la Défense et présidé par un membre du Contrôle général des armées sera chargé d'approuver les procédures de contrôle sur pièces, d'établir le programme des contrôles sur place, de proposer les évolutions réglementaires nécessaires, de veiller à la coopération des services concernés, etc. Le Contrôle général jouera un rôle d'animateur. Cette réforme fera l'objet d'un texte que je tiendrai à votre disposition dès qu'il sera au point.
M. Jacques Berthou. - Comment empêcher qu'un pays membre de l'Union européenne ne sous-traite sa production à un pays non membre, dont le marché nous resterait fermé ?
M. Alain Juppé, ministre de la défense. - L'amendement que je vous ai suggéré autoriserait dans ce cas l'autorité adjudicatrice à rejeter l'offre.
M. Jacques Gautier. - La jurisprudence de la Cour de Luxembourg ne suffit pas à empêcher les offsets, car aucune entreprise désireuse de s'implanter sur un marché ne peut se risquer à attaquer une autorité adjudicatrice, même si elle s'estime lésée.
M. Alain Juppé, ministre de la défense. - Il faut un cadre réglementaire renforcé. La Commission européenne y travaille.
M. Josselin de Rohan, président. - Notre collègue a raison : une entreprise française qui porterait plainte contre une autorité adjudicatrice auprès de la Cour serait comme un producteur de porc attaquant en justice un supermarché : elle serait « déréférencée » et exclue de fait du marché ! C'est donc le syndicat professionnel qui doit porter plainte.
M. Alain Juppé, ministre de la défense. - Sans doute est-ce la bonne méthode. Un mot enfin : le Gouvernement déposera un amendement précisant les modalités de visite et de constatation des infractions par la DGA.
M. Josselin de Rohan, président. - Monsieur le Ministre d'Etat, nous vous remercions.
Audition de M. Laurent Collet-Billon, délégué général à l'armement
M. Josselin de Rohan, président - Nous accueillons le délégué général pour l'armement, M. Laurent Collet-Billon afin de nous éclairer sur les enjeux de la transposition des deux directives européennes dites du « paquet défense » par un projet de loi que le Gouvernement a déposé en première lecture sur le bureau du Sénat, et que nous devrions être en mesure de rapporter devant la commission le 15 février prochain pour un examen en Séance publique à une date qui n'a pas encore été fixée mais qui aura lieu très vraisemblablement début mars.
Je ne reviens pas sur la présentation de ces deux directives puisque notre commission a été éclairée le 6 octobre dernier par une communication de notre collègue Daniel Reiner sur cette question, puis par l'audition le 13 octobre de notre collègue député, Yves Fromion, auteur d'un rapport sur la question.
Le « paquet défense » repose sur l'équation suivante :
- afin de renforcer la politique européenne de défense et de sécurité, il est nécessaire de développer une base industrielle et de technologie de défense européenne, j'ajouterai autonome ;
- afin de renforcer cette « BITDE », il est nécessaire de réaliser un authentique «marché européen des équipements de défense» ;
- pour réaliser ce marché unique de l'armement il est nécessaire, d'une part, de faciliter les échanges intracommunautaires d'équipements de défense, c'est l'objet de la directive dite « transfert intracommunautaire » (TIC) et, d'autre part, d'harmoniser les procédures d'appel d'offres sur des équipements de défense, chaque fois que les Etats européens renonceront à se prévaloir de l'article 346 du Traité de Lisbonne dont l'application permettra toujours de passer commande de gré à gré à leurs fournisseurs nationaux dans l'objectif de sauvegarder les intérêts supérieurs de leur sécurité. C'est l'objet de la seconde directive dite « marchés publics de défense et de sécurité » (MPDS).
A ce stade de notre compréhension du sujet, la transposition par le projet de loi de la directive TIC, bien qu'étant d'une grande technicité, ne soulève pas de difficultés majeures. Elle substitue au principe général de la prohibition de l'exportation et de l'importation des équipements de défense, le principe de la liberté du commerce et de l'industrie encadré par un mécanisme complexe de certifications pour l'importation et de licences pour le transfert au sein du marché et de licences d'exportation, au-delà du marché européen.
En revanche, la transposition de la directive « marchés publics de défense » inquiète nos industriels.
Et c'est précisément sur cette question que je voudrais que vous nous fassiez part, M. le délégué général, de vos analyses et de votre connaissance approfondie du sujet.
Tout d'abord sur le champ d'application de cette directive : est-ce qu'elle vise bien les armes, les munitions et les services et travaux qui les accompagnent ou bien se cantonne-t-elle aux « équipements de défense » notion plus vague et dont nous avons du mal à vrai dire à cerner les contours ?
Ensuite, est-ce que la DGA est susceptible d'entrer dans le champ d'application de cette transposition ou bien fait-elle l'objet d'une transposition spécifique, par voie réglementaire, dans le code des marchés publics.
Enfin, que craignent vraiment les industriels français ?
Je comprends qu'il nous faut trouver un point d'équilibre entre les intérêts de l'Etat français, ce qui suppose de mettre en concurrence ces industriels afin de faire baisser les prix des équipements. Mais en même temps, il ne faut pas ouvrir la concurrence au point d'ouvrir le marché européen à tous les vents de la concurrence internationale, ce qui aurait des effets dévastateurs sur notre base industrielle. On ne peut pas à la fois vouloir l'Europe et la démanteler.
Bref, il appartient au législateur de ne pas succomber aux sirènes de nos industriels qui n'ont pas nécessairement tous une vision enthousiaste de la concurrence lorsqu'elle s'applique à eux, mais en même temps éviter, comme le rappelait le Président de la République dans ses voeux aux français, que l'Europe en général et la France en particulier soit le seul lieu où la naïveté industrielle ait cours. Protéger notre industrie, demander la réciprocité dans les négociations commerciales, militer pour une préférence communautaire, n'a rien d'anormal.
Le point d'équilibre proposé par le texte du Gouvernement est peut être, à cet égard, perfectible ? Je vous cède la parole.
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - Permettez-moi de vous remercier Monsieur le Président, pour l'opportunité qui m'est donnée de m'exprimer sur ce sujet majeur de la transposition des directives du paquet défense. Ce sujet est fondamental car il fondera durablement les conditions d'acquisition des équipements de défense pour nos forces, donc notre capacité à maîtriser notre sécurité d'approvisionnement, mais aussi l'environnement dans lequel notre BITD, française ou européenne, pourra développer des activités compétitives sur les marchés européens comme sur le marché mondial.
Vous le savez, les textes issues de ce processus de transposition fixeront le cadre de notre action auquel nous devrons nous conformer strictement pour de nombreuses années.
En conséquence, des questions telles que la maîtrise de l'ouverture des marchés de défense européens et mondiaux, ou même plus prosaïquement l'homogénéité des interprétations des directives parmi les Etats membres doivent être considérées avec la plus grande attention.
A la lumière de ces enjeux, j'insisterai avant tout sur la transposition de la directive européenne relative aux marchés de défense et de sécurité, « MPDS ».
La transposition de la directive relative aux transferts intracommunautaires de produits de défense (TIC) ne pose pas en soi de problèmes philosophiques, même si des questions pratiques restent à résoudre.
Je ne reviendrai pas sur l'historique de la directive MPDS et notre action pour son adoption dans le paquet défense lors de la Présidence française de l'Union européenne.
Je rappellerai simplement que le ministère de la défense, et en particulier la DGA, a soutenu ce projet comme une opportunité de construction de l'Europe de la défense à un moment clé : le consensus des Etats membres était accessible, la dynamique créée par la présidence française du conseil de l'UE était forte. Le ministère de la Défense et la DGA en particulier ont ainsi participé très activement à l'élaboration de la directive. Nous nous étions fixés des objectifs précis sur le contenu souhaité pour cette directive. La grande compétence de l'équipe de négociation interministérielle a conduit à ce que l'essentiel des objectifs fixés ait été atteint.
Je citerai quelques points essentiels de cette directive qui satisfont nos objectifs.
En premier lieu, le champ de la directive a été rédigé de façon la plus large possible. Il comprend les armes, munitions et matériels de guerre et les prestations de sécurité, mais il comprend aussi, à notre demande, tout ce qui est maintenance, soutien, moyens d'essais, démantèlement des armements. Ainsi la directive pourra être utilisée pour des prestations aujourd'hui non considérées comme des armements comme, par exemple, la maintenance des moyens d'essais et moyens de soutien.
En second lieu, les exceptions au champ de cette directive ont été reprises de celles de la directive générale sur les marchés publics tout en les élargissant ; les principales exceptions retenues sont, d'une part, les marchés de recherche dont le champ s'étendra jusqu'aux démonstrateurs, ce qui couvre le périmètre actuel des études amonts gérées par la DGA dont je vous rappelle qu'elles constituent le seul véritable outil de mise en oeuvre d'une politique industrielle de défense effective (de l'ordre de 700 millions d'euros par an). Autres exceptions, les projets en coopération, sous réserve qu'ils soient fondés sur une part de recherche, pourront bénéficier d'une exception sur la totalité du cycle de vie, dès lors qu'il y aura un simple engagement international. Ce point est essentiel pour la mise en oeuvre des projets que nous envisageons avec les britanniques.
Sur un plan plus technique de la passation des marchés, la directive intègre notre expérience des marchés publics de défense, comme par exemple la procédure négociée, mieux adaptée à l'acquisition de systèmes complexes, qui devient la procédure de droit commun. Les marchés pourront être négociés sans mise en concurrence sur la base de raisons techniques, comme pour notre décret défense. Enfin, la directive consacre la liberté des maîtres d'oeuvres dans le choix de leurs sous-traitants et fournisseurs. Néanmoins le pouvoir adjudicateur pourra refuser un sous-traitant ou un fournisseur sur la base de critères de sélection qualitatifs.
En synthèse, cette directive est satisfaisante, et elle a également satisfait l'ensemble de nos partenaires européens. Elle porte les principes essentiels qui doivent nous permettre d'homogénéiser les cadres juridiques pour les marchés de défense entre pays membres, ce qui est impératif pour le développement de la BITD européenne. Nous devons maintenant nous soucier que la transposition de cette directive n'introduise pas de régression sur ces principes. Nos textes ne doivent pas présenter de failles.
Avant d'aller plus loin, je voudrais revenir sur l'exception de l'article 346 du TFUE et surtout sur son utilisation, présente et future. La plupart des Etats membres utilisent très largement cette exception afin d'acheter les matériels de défense comme bon leur semble. Cette exception au droit européen vaut aussi pour les recours, pour les délais de paiement, pour toutes les directives européennes. La France est le seul Etat membre de l'Europe qui a règlementé la passation des marchés de défense avec le décret 2004-16 du 7 janvier 2004. Ce décret met en place un régime de concurrence modérée avec comme procédure principale la procédure négociée avec une publicité au seul BOAMP. Ainsi la concurrence est la base, mais peut être réduite au périmètre national en cas de secret de défense ou de nécessité spécifique de sécurité d'approvisionnement.
De plus, nous nous sommes imposé le même régime de délais de paiement et le même régime de recours que pour les marchés civils relevant du champ de la directive générale.
Chez nos partenaires, l'absence de texte européen adapté aux achats d'armement a fait que l'usage de l'article 346 du traité TFUE s'est considérablement développé en Europe.
Cette situation devrait disparaître avec la directive et de facto, l'usage de l'exception devrait se restreindre puisqu'il sera difficile de justifier de l'impossibilité d'utiliser la nouvelle directive dans de nombreux marchés d'armement.
C'est sur cette approche que repose la nouvelle directive : sans changer le texte de l'article 346 du traité, elle en limite l'usage en offrant une alternative à utiliser préférentiellement. Néanmoins, en pratique, c'est bien la jurisprudence de la CJUE qui déterminera à l'avenir le champ de cette exception. La mise en place de cette jurisprudence prendra sans doute un certain temps.
Pour ce qui concerne la France, j'estime que resteront notamment dans l'exception tous les marchés relevant des réels domaines de souveraineté nationale que sont les domaines nucléaire, la cryptographie mais aussi probablement la guerre électronique et la réduction de signatures. Dans ces domaines, nous n'hésiterons pas à recourir à l'article 346.
En synthèse, la directive assainit la situation au niveau européen en limitant et encadrant le recours à l'article 346, donc au bénéfice de la compétition intra-européenne.
Quelques mots sur les offsets ou compensations économiques.
Nous ne pratiquons pas les offsets et nous sommes l'un des rares pays à ne pas les pratiquer. La directive, sans jamais les citer, les proscrit en interdisant la sous-traitance nationale imposée par le pouvoir adjudicateur.
De plus les offsets n'étant jamais nécessaires du point de vue des intérêts essentiels de sécurité, ils devraient être proscrits aussi dans le champ des exceptions de la directive.
Les offsets sont une entrave à la capacité d'exportation de nos PME qui, contrairement aux grands groupes, ne disposent pas des moyens permettant de prendre en compte cette pratique. La lutte contre les offsets, qui d'une manière générale perturbent le marché européen des armements constitue dorénavant l'un des objectifs essentiels que la Commission s'est fixé, et qu'il faut soutenir.
Nos entreprises, pénalisées par les offsets pratiqués par les autres Etats membres ont tout à gagner à la disparition de ces pratiques. La directive devrait contribuer à fortement réduire les offsets en Europe.
Ma principale préoccupation sur le projet de loi est le dispositif législatif permettant de contrôler l'ouverture de nos marchés aux industriels des pays tiers à l'Union européenne.
L'article 37.2 de l'ordonnance 2005-649 pose le principe de la fermeture de nos marchés de défense et de sécurité aux opérateurs tiers à l'Union européenne, sauf si le pouvoir adjudicateur en décide autrement.
Cet article est nécessaire, toutefois il n'est pas suffisant.
En effet, une entreprise qui a son seul siège social en Europe est considérée comme européenne et donc l'article 37.2 est insuffisant pour empêcher qu'un marché attribué à une entreprise européenne ne soit en grande partie, comme cela se voit quelques fois, sous-traité dans un pays tiers.
Il faudra donc être en mesure d'éliminer, si nécessaire, pas seulement des candidatures mais aussi des offres : celles qui seraient réalisées, voire conçues, dans des pays tiers, éventuellement par l'intermédiaire de sous-traitants.
Nous aurons besoin d'un dispositif législatif pour éviter cela. Faute de quoi, un candidat respectant les critères de candidature pourrait contourner ces derniers en proposant dans un deuxième temps une offre fondée sur des prestations, dont nous n'aurons absolument aucune maîtrise.
Sans ce type de précaution législative, nos entreprises seront soumises à une concurrence déloyale extra-européenne. Cette concurrence déloyale évincerait notre industrie de ses principaux marchés actuels, ce qui lui interdirait toute compétitivité et crédibilité sur le marché mondial. Elle serait probablement accompagnée d'importants contentieux. Nos principaux partenaires européens s'en sortiront mieux en disposant d'ores et déjà d'un code leur permettant de défendre leurs intérêts essentiels, tout en bénéficiant à la marge de notre manque de protection. Cela m'amène donc à attirer votre attention sur l'importance de la formulation des textes qui vous seront présentés.
Nous regardons de très près les conséquences des textes qui pourraient être adoptés. Un gros travail d'analyse est ainsi mené en ce moment pour calibrer des textes qui seraient à la fois inattaquables par la Commission, car respectueux de la ligne de la directive, et juridiquement solide pour constituer une base efficace pour garantir la préservation de nos intérêts.
Au final, la marge de manoeuvre est étroite et l'équilibre fragile.
Que font nos partenaires ?
Comme nous l'avions fait pendant la négociation de la directive, nous avons évidemment noué des contacts avec nos principaux partenaires européens sur la transposition.
Pour ce qui concerne l'ouverture aux opérateurs tiers, il faut souligner que les codes britannique, italien et espagnol prévoient déjà pour les achats hors armement, des dispositions restrictives vis-à-vis des opérateurs tiers ou de pays non parties à l'Accord sur les Marchés Publics, accord établi dans le cadre de l'OMC. Ces pays prévoient de poursuivre dans la même voie. Le Royaume-Uni est particulièrement bien outillé avec une part de droit coutumier non écrit.
Concernant les véhicules législatifs et réglementaires, les bases de la transposition de la directive sur les marchés publics de défense et de sécurité sont d'ordre législatif. Toutefois, de nombreux points sont de nature règlementaire et feront l'objet d'une troisième partie du code des marchés publics. Mes services travaillent avec les ministères de l'Économie et de l'Intérieur sur le projet de décret. Nous avons l'espoir et la volonté d'aboutir d'ici l'échéance du 21 août 2011.
En conclusion, je soulignerai que la directive est une excellente chose pour développer la BITD européenne.
Notre transposition ne doit pas être en retrait et ne doit pas modifier l'équilibre entre ouverture des marchés et protection des intérêts de sécurité au risque d'être lourdement dommageable. Nos partenaires se dotent de l'arsenal pour préserver leurs intérêts essentiels dans le respect de la directive. L'équilibre des textes est très fragile et exige les plus grandes précautions.
Enfin, avant de répondre à vos questions, je soulignerai deux points qu'il convient de garder à l'esprit.
Le premier est que la défense ne sera jamais un marché libre, du simple fait du contrôle des exportations et des aides diverses pratiquées par certains pays.
Le second est que croire à l'ouverture réciproque et sincère des marchés au niveau mondial est une vision naïve - collectivement en France nous sommes d'ailleurs les derniers à la croire - que nous ne pouvons plus nous permettre dans le contexte de guerre économique actuel, pour reprendre les propos récents d'un ministre.
M. Josselin de Rohan, président - Pouvez-vous nous en dire plus sur les compensations industrielles qui sont parfois demandées et consenties pour l'obtention d'un marché, ce que l'on appelle les « offsets ». Nos industriels nous disent que le fait d'interdire les compensations au sein de l'espace européen favorisera paradoxalement les industriels américains. Est-ce vrai ? Par ailleurs, l'établissement d'une jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne prendra du temps et son résultat est aléatoire.
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - La directive les proscrit très clairement. Ceci étant, c'est aux industriels que reviendra le soin de faire valoir leur bon droit auprès de la CJUE. Les organisations interprofessionnelles, et en particulier le CIDEF, devraient se doter d'un service juridique musclé, dont ils ne disposent pas aujourd'hui, pour être en mesure d'initier des actions en justice devant la CJUE chaque fois qu'ils estimeront que les intérêts collectifs de leurs mandants, et pas seulement les plus gros, ne sont pas respectés. Il est évident que tous les industriels n'auront pas les moyens d'attaquer en justice, tout comme un industriel particulier hésitera à prendre le risque d'attaquer de peur de se faire mal voir. L'action collective par des organisations professionnelles mandatées est donc indispensable.
Si vous me permettez l'expression, l'esprit « Rugby » est à développer parmi les industriels français. Ils sont de ce point de vue très en retard sur les Britanniques.
M. Daniel Reiner - pourquoi la directive n'a-t-elle pas mis en place une préférence communautaire ? Est-ce que ça s'oppose à des règles non écrites. Le marché de l'armement est pourtant hors organisation mondiale du commerce.
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - Nous avons poussé à l'instauration d'une telle clause tout au long de l'année 2008. Les négociations extrêmement complexes entre les vingt-six Etats membres - sans le Danemark - et la Commission ont conduit à ce que cette préférence n'apparaisse pas aussi clairement que nous l'aurions souhaité. Cependant, le considérant 18 de l'exposé des motifs de la directive laisse penser que c'est quasi-acquis. On voulait donc profiter de la transposition de la directive pour l'inscrire dans notre corpus juridique et réglementaire. C'est donc pour cela que le projet de loi qui vous est présenté va plus loin que le texte stricto sensu de la directive.
M. Daniel Reiner - Pourquoi aller au-delà de ce qu'exigeait la transposition en ajoutant un article 37-2 dans l'ordonnance de 2005 qui paraît poser un problème à peu près à tout le monde ? Je voudrais savoir pourquoi on a permis aux pouvoirs adjudicateurs précisément de sortir de l'Union européenne pour y trouver des fournisseurs ? Que font les autres pays européens ?
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - Il faudra poser la question à ceux qui ont écrit cette partie-là du projet de loi. Le fameux considérant 18 dit précisément qu'il appartient aux pays tiers de laisser leurs pouvoirs adjudicateurs libres ou non d'aller chercher des fournisseurs en dehors de l'Union européenne.
M. Daniel Reiner - Je peux le comprendre pour les Anglais. Mais pourquoi nous Français le faisons ?
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - La situation nous a déjà conduits à acheter des matériels sur étagère aux Etats-Unis. Il faut qu'on puisse continuer à le faire. Jusqu'à présent nous achetions 80 % de notre matériel dans le cadre du décret défense. Dès qu'il y avait un secret de défense, je dis bien un secret de défense et je ne parle pas du secret-défense, il était possible de limiter l'acquisition aux compétiteurs nationaux. Demain, avec la transposition de la directive, le décret défense tombe. Il n'y en aura plus. A partir de là, si je n'ai pas quelque chose dans la loi qui me permet de limiter la compétition au moins aux pays européens, je serais obligé d'ouvrir la compétition à l'ensemble des pays du monde en application de l'article premier du code des marchés publics qui dit qu'il y a ouverture totale des marchés à la concurrence mondiale. Le code des marchés publics ne prend absolument pas en compte les particularités des marchés de défense.
M. Jean-Louis Carrère - Nous n'avions pas compris que c'était protecteur pour vous. On avait même plutôt compris l'inverse.
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - Cela vient du fait que l'article 37-2 est rédigé d'une façon négative. C'est un problème que vous pourrez poser aux services juridiques concernés. Mais le but est celui-là : la règle de base est que je consulte au niveau européen et que je peux ouvrir aux pays tiers si je veux.
M. Jean-Louis Carrère - Je comprends de ce que vous dites qu'on peut améliorer l'article 37-2.
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - Effectivement on peut sans doute l'améliorer. Plus les textes seront clairs, plus efficace sera notre action pour les mettre en oeuvre. Au fond, nous sommes victimes du fait qu'il n'y a pas de code spécifique des marchés publics de la défense et que nous sommes dans un code qui a été élaboré pour le commerce d'objets qui n'ont rien à voir avec le commerce des armes.
M. Josselin de Rohan, président - Le problème vient aussi du fait que l'essentiel de la transposition se fait par décret et que nous n'avons pas le projet de décret de transposition. Il serait utile que la commission puisse disposer du projet de décret.
M. Daniel Reiner - La France semble en pointe dans une transposition fidèle de la directive. C'est bien. On sera bien vu et nos armées pourront avoir des armements à des prix intéressants. Mais dans le même temps on sait bien que d'autres pays ne sont pas prêts à ça. Dans la pratique, la grande majorité des pays fait utilisation de l'article 346 du traité de Rome, n'ouvre pas ses marchés et les garde au profit des opérateurs nationaux. Je ne sais pas quelle est la proportion, mais c'est colossal. La question qui se pose maintenant, c'est quelle attitude va avoir les différents pays vis-à-vis de l'article 346. Comment vont-ils l'appliquer et comment va-t-on s'adapter à ce que font les autres ? Il ne faut pas que nous soyons les dindons de la farce.
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - Je n'ai pas de réponse à cela. Il faudra être vigilant et contribuer à ce que la CJUE établisse la jurisprudence adéquate. Il y a un dispositif législatif et réglementaire. Il faut que tout le monde l'applique. Il ne faut pas hésiter à faire du droit et à attaquer en justice les contrevenants. Le fait est que le marché européen des armements est très émietté et que les principaux producteurs sont en fait les six pays de la LOI (Letter Of Intent). Là encore, il reviendra aux industriels nationaux qu'ils s'organisent à l'intérieur du CIDEF pour avoir une compétence juridique suffisante afin de développer et faire respecter la jurisprudence sur ce sujet.
M. Jean-Pierre Chevènement - Avant les choses étaient claires. Il y avait le marché commun, dans le cadre du traité de Rome, et les marchés de défense, qui étaient clairement exclus de ce marché commun, en application de l'article 296, qui est devenu maintenant l'article 346 du traité de Lisbonne. En 2007, il y a eu une communication de la commission qui a donné naissance aux directives de 2009 et à ce que l'on appelle le paquet défense. Tout cela va dans le sens d'une dérive que je n'ose qualifier de libérale qui est en fait une dérive démissionnaire qui va dans le sens d'une ouverture totale de nos marchés de défense, y compris pour les pays tiers. On dit que ça nous arrange et que cela correspond aux trois cercles concentriques de souveraineté définis par le Livre blanc. Mais qui fixe les limites de ces trois cercles de souveraineté ? Qui nous assure que ce ne sont pas les entreprises américaines et chinoises qui n'en bénéficieront pas ? Nous quittons donc le terrain stable de l'article 346 pour entrer dans les sables mouvants des procédures de la CJUE et des juridictions nationales, que nous ne pourrons pas maîtriser. Nous serons sous l'empire du droit européen, et c'est la Cour de Justice de l'Union européenne qui décidera en dernier ressort. Sans doute avez-vous autour de vous d'éminents juristes qui peuvent se flatter de pouvoir influencer la Cour de justice. Moi personnellement, j'émets un doute profond. Vous ne maîtrisez jamais une procédure judiciaire. Vous ne savez jamais comment cela va retomber et en définitive, je crains que nous nous laissions aller sur une pente extrêmement glissante, et qu'au final nous ne pourrons plus protéger notre base industrielle de défense, ce qui est une pente sur laquelle le Parlement français n'est pas prêt à se laisser aller. Malheureusement la voix du Parlement pèse beaucoup moins lourd que la pression des lobbies européens, de la Commission et de l'Otan.
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - Il est vrai que l'intervention de la Commission de Bruxelles sur la défense va s'accroissant. La France a voulu le paquet Défense lors de la présidence française du conseil de l'union européenne. Les directives ont été votées et approuvées par tous les Etats. Il nous appartient désormais de les transposer sans se fixer de nouvelles limites que les directives n'imposent pas.
D'une manière générale en matière de Défense en Europe, je pense que la coopération avec le Royaume-Uni est la voie primordiale qui nous permettra de progresser significativement. C'est le moyen le plus efficace de peser sur les marchés de la défense européenne. Je vous rappelle que France et Royaume-Uni pèsent à eux deux près de 50% des budgets et 70% de l'effort de recherche et technologie de défense. Idéalement, il faudrait que nous soyons capables de mettre en place un corpus juridique commun.
Quant au cadre juridique, la jurisprudence que développera la CJUE est effectivement déterminante.
M. Jean-Pierre Chevènement - Vous nous parlez de l'Etat des choses. Mais l'Etat des choses ne tombe pas du ciel. Il est ce qu'il est parce nous avons accepté que la Commission s'arroge des pouvoirs qui, aux termes du Traité de Rome, n'étaient pas les siens. Peu à peu, nous nous sommes laissés acculés à ce paquet défense sur la base d'une communication de la Commission qui, comme toutes les communications prises avant la crise financière va dans le sens d'une libéralisation excessive, comme pour les marchés financiers. Tout cela est de la même veine. Alors je ne sais pas ce que l'on doit penser de la présidence française de 2008, comme on en dit toujours beaucoup de bien, on finit par le croire, mais au vu du paquet défense le résultat est qu'on s'interroge, qu'on s'interroge fortement.
Audition des représentants du Conseil des industries de défense françaises (CIDEF) : M. Eric Trappier, président de la commission européenne, M. Gilbert Font, président de la commission des affaires administratives et M. Didier Brugère, vice-président de la commission de la défense
Lors d'une première séance tenue dans la matinée, la commission auditionne des représentants du Conseil des industries de défense françaises (CIDEF) : M. Eric Trappier, président de la commission européenne, M. Gilbert Font, président de la commission des affaires administratives, et M. Didier Brugère, vice-président de la commission de la défense, sur le projet de loi n° 70 (2010-2011) portant sur le contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre et de matériels assimilés, à la simplification des transferts des produits liés à la défense dans l'Union européenne et aux marchés de défense et de sécurité (paquet défense).
M. Josselin de Rohan - Nous accueillons aujourd'hui des représentants du Conseil des industries de défense française (CIDEF). Nous sommes heureux de pouvoir vous entendre sur la transposition des deux directives européennes dites du « paquet défense » par un projet de loi que le Gouvernement a déposé en première lecture sur le Bureau du Sénat, et que nous examinerons en commission le 15 février prochain pour un examen en séance publique le 10 mars. Le texte qui nous est soumis comprend deux chapitres correspondant aux deux directives.
Le premier concerne principalement les transferts intracommunautaires d'armements. Il ne semble pas soulever de problème particulier. L'harmonisation du régime de contrôle des exportations en Europe et sa simplification pour le « grand export » vont améliorer les procédures et réduire les délais de traitement, ce dont les industriels que vous représentez devraient être satisfaits. Mais ce serait bien que vous nous disiez vous-même ce qu'ils en pensent.
Pour le deuxième chapitre, qui correspond aux marchés publics de défense, nous avons quelques interrogations. Il nous faut trouver un équilibre entre, d'une part, la nécessaire mise en concurrence des industriels de défense - au sein de l'espace européen - afin de réduire le coût d'achat de nos armements et d'accroître la compétitivité de notre Base industrielle et, d'autre part, les risques d'une concurrence à tous les vents, en particulier aux opérateurs économiques des États non-membres de l'espace européen, qui continuent bien souvent, quant à eux, à cadenasser leur propre marché. La concurrence oui. La naïveté non. De ce point de vue, l'équilibre proposé par le texte du Gouvernement est sans doute perfectible et je pense qu'il est nécessaire que le Sénat oeuvre dans le sens d'une meilleure rédaction.
J'ajoute qu'au sein même de l'Union européenne, nous avons très peu de visibilité sur le champ d'application que les vingt-six autres États membres donneront au nouveau régime de la directive par rapport à celui, qui continuera d'exister, de l'article 346 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui permet de ne pas ouvrir à la concurrence. Il ne faudrait pas que certains de nos partenaires « protègent » leurs industries nationales derrière cette disposition tandis que la France, bonne élève de la classe européenne, limite à la portion congrue les achats sans mise en concurrence. Il nous appartient donc de veiller à l'application du principe de réciprocité et vous avez sans doute, en tant que porte-parole des différentes industries, un rôle particulier à jouer.
Nous sommes impatients d'avoir votre éclairage. Je vous cède donc la parole.
M. Eric Trappier, président de la commission européenne du CIDEF - Je voudrais tout d'abord rappeler brièvement la genèse de la directive et le contexte politique dans lequel elle s'inscrit.
A partir d'analyses menées entre 2001 et 2004, la Commission européenne a conclu que les directives applicables aux marchés publics ne proposaient pas de réponses adaptées aux spécificités des secteurs de la défense et de la sécurité. En effet, les procédures d'achat dans ces secteurs industriels complexes doivent être flexibles et prendre en compte les questions liées à la sécurité des approvisionnements et des informations.
Selon la Commission, cette inadéquation des procédures a abouti à une utilisation « extensive » de l'article 346 du traité de l'Union par certains États. C'est dans ce contexte que la Commission a publié, en septembre 2004, un Livre vert sur les marchés publics de défense dans lequel elle identifiait deux instruments possibles pour améliorer la transparence dans la problématique des passations de marchés dans les pays de l'Union européenne : une communication interprétative et une directive visant à coordonner les procédures de passation des marchés de défense. Le Livre vert définissait de façon sommaire ce que pourrait être le contenu d'une telle directive, notamment son champ d'application, les possibilités de recourir à l'article 346, le rôle de l'Agence européenne de défense, les exemptions, les procédures, les critères de sélection, la publicité, les compensations directes et indirectes, etc...
Un tel travail mérite d'être loué. Cependant les industriels ont souligné que le champ d'application de l'article 346 ne devait pas être par trop réduit, au point d'entamer la souveraineté des États et de réduire la capacité des sociétés de défense européennes à affronter la concurrence internationale dont, en particulier, celle des Etats-Unis. Une action de lobbying a donc été menée au niveau européen afin que le projet de directive prenne en compte d'autres considérants que ceux du seul marché. Les représentants de l'industrie de défense française ont exprimé leurs plus vives réserves sur le fait que la mise en oeuvre de la directive ne pourrait intervenir tant que la Politique européenne de sécurité commune (PESC) n'aurait pas fait de progrès plus sensibles. La Commission a rédigé un projet de directive à la fin 2007 qui a conduit l'industrie de défense européenne à proposer un certain nombre de modifications.
La rédaction finale de ce texte est donc le résultat de longs débats et de divers compromis qui se sont inscrits dans un contexte où existe une divergence d'intérêts entre, d'une part, les différentes catégories d'industriels selon leur taille ou leur position dans la chaîne d'acquisition -grands groupes , équipementiers, PME, maîtres d'oeuvre, fournisseurs- et, d'autre part, entre les États membres eux-mêmes dont les politiques d'acquisition différent sensiblement. A cela s'ajoutent les divergences d'intérêts entre les États possédant une industrie de défense et ceux qui n'en possèdent pas.
L'action des professionnels a été positive. Elle a permis notamment d'introduire le considérant 18 dans la directive afin de disposer d'une référence juridique rappelant que l'accès aux marchés de défense et de sécurité demeure dans le champ de la souveraineté des États membres, ce qui leur permet d'autoriser ou non des opérateurs économiques de pays tiers à participer à une procédure de passation de marché organisée par eux. L'ouverture est une possibilité, non une obligation.
L'action de la profession a également permis d'obtenir l'exclusion des marchés de recherche et technologie (R&T), dans son acception française, du champ d'application de la directive. Le fait de pouvoir lancer des études sans mise en compétition permet de préserver la possibilité de mener une politique industrielle visant à développer et maintenir des compétences jugées critiques ou sensibles par les Etats. De même ont été obtenues la conservation de l'exclusion des marchés en coopération du champ de la directive, l'institution de la procédure négociée comme procédure de droit commun et enfin l'incitation à plus de transparence dans l'attribution des sous-contrats, ce qui devrait réduire drastiquement les demandes de compensations ou offsets.
En revanche, d'autres demandes n'ont pas abouti, telles que la préférence communautaire, ni même sa version dégradée de la valeur ajoutée européenne. De même nous n'avons pas réussi à faire inscrire la notion de réciprocité dans le texte de la directive, l'action du CIDEF n'ayant pas été soutenue par ses partenaires européens à l'exception de l'Allemagne et de l'Espagne. Il en est allé de même de l'extension de la procédure négociée sans publicité préalable aux développements en spirale ou aux contrats de production à la suite des contrats de développement initiaux ; la non-communication par les États d'informations sur leur projets de contrats en coopération, en particulier concernant le coût global, la part de R&D, le partage de coûts entre États, les quantités commandées par État, puisque ces contrats en coopération n'entrent pas dans le champ de cette directive. Enfin, contrairement à ce que souhaitaient les industriels français, les contrats du type FMS (Foreign Military Sales -vente d'État à l'État) n'entrent pas dans le champ de la directive. Du reste, lorsque cette directive a été adoptée, les associations d'industriels américains se sont félicitées de cette directive dans la mesure où elle ne construisait pas la « forteresse Europe ». Cela ne manque pas de sel quand on sait qu'il existe aux Etats-Unis des textes fermant le marché des biens de défense aux industriels non américains.
En ce qui concerne la transposition, il est, selon nous, important de veiller à ce que la loi permette d'appliquer toutes les marges de manoeuvre offertes par la directive, et qu'elle ne soit donc pas plus rigoureuse que ce que l'Europe propose. C'est par exemple le cas de la possibilité, écrite dans la directive, de consulter ou non des pays tiers. Nous serions surpris que la France impose une compétition ouverte à des opérateurs de pays non européens, sauf si elle le souhaite expressément. Imposer une telle obligation reviendrait à ouvrir le marché européen à tous les vents de la concurrence mondiale et handicaperait la compétitivité de nos industriels.
Il serait du reste intéressant de regarder comment les autres pays européens transposent cette directive et de vérifier qu'on ne transpose pas en France de façon plus rigoureuse qu'ailleurs. Il faut veiller à la façon dont le Royaume-Uni va transposer la directive car il faut replacer l'ensemble de ces textes dans la volonté politique de la France et du Royaume-Uni de développer une stratégie commune en matière de défense à partir du traité de Londres signé en 2010. Il est donc particulièrement important d'harmoniser les circuits d'acquisition entre nos deux pays.
M. Josselin de Rohan, président - A ce sujet, avez-vous des informations sur la manière dont les Britanniques ont l'intention de transposer, sachant que certaines de leurs industries sont anglo-américaines ?
M. Eric Trappier, président de la commission européenne du CIDEF - Il y a là un paradoxe. Les Britanniques n'ont pas encore transposé mais le projet de transposition fait référence à la Defence Industrial Strategy (DIS) adoptée en 2005 dans laquelle se trouve une définition de la Base industrielle et de technologie (BITD) britannique. Deuxième point, leur projet ménage une grande flexibilité au profit des pouvoirs adjudicateurs puisque des éléments de cette directive peuvent faire l'objet d'une interprétation par le ministère de la défense britannique. Enfin, ce projet met en valeur le rôle et la capacité du ministère de la défense à faire des choix qui soient en cohérence avec les « best policy options » du Royaume-Uni. Les Britanniques reviennent sur la politique ultralibérale suivie jusqu'à présent et entendent maintenant développer le coeur industriel de la défense.
Il faut aussi regarder le cas des sanctions, et ne pas reproduire ce que nous avons fait avec l'intégration en droit français de la convention OCDE sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales. Cette intégration a été beaucoup plus rigoureuse que dans d'autre pays et se traduit par des sanctions pénales pour les industriels français pouvant aller jusqu'aux présidents des sociétés alors que dans d'autres pays européens la possibilité de considérer des circonstances atténuantes existe, si des procédures de prévention de la corruption ont été mises en place au sein des sociétés. Il ne faut pas oublier que des transpositions différentes induisent des pratiques différentes et donc une rupture de concurrence.
Enfin, mon dernier point concerne la volonté annoncée par la Commission européenne de continuer à s'intéresser au secteur de la défense dans le cadre de ce qui pourrait être un « Paquet défense II ». La Commission a en effet la capacité de le faire à travers les questions qu'elle aborde dans la Communication 764 de décembre 2007. Notre inquiétude concerne le champ d'application éventuel de cette nouvelle directive, qui pourrait recouvrir les actions en matière de recherche et développement (R&D) et/ou de recherche et technologies (R&T), le contrôle des investissements dans les industries stratégiques et le traitement des informations classifiées. A titre de comparaison, la Defence Advanced Research Projects Agency (DARPA) déverse des sommes énormes sur les industriels américains, à côté desquelles les 700 millions d'euros versé par l'Etat français au titre de la R&T font pâle figure. Si nous devions être en compétition avec eux, les industriels alimentés par la DARPA auraient toujours un temps d'avance sur les industriels européens, d'autant que les budgets de R&T sont ridiculement faibles comparés aux budgets US.
M. Josselin de Rohan, président - En matière de R&D, deux pays seulement en Europe font des efforts dans ce domaine : le Royaume-Uni et la France. Si on applique les règles libérales de la Commission, est-ce que ces deux pays seront tenus de mettre ces budgets et les résultats de leurs recherches à la disposition des vingt-sept en lançant des appels d'offre de façon systématique, chaque fois qu'ils feront réaliser des études ?
M. Eric Trappier, président de la commission européenne du CIDEF - Ce « paquet défense II » pourrait en effet aboutir à ce résultat. Il serait préférable de penser à la façon d'intéresser les autres Etats membres à participer aux programmes à venir en fonction de leurs compétences respectives. Mais cela implique en préalable que ces Etats participent financièrement à l'effort de défense européen.
Les discussions sur ce « paquet II » sont dans une phase préparatoire. Nous essayons d'alerter les pouvoirs publics très en amont et nous restons prêts à accompagner cette évolution.
Je passe maintenant la parole à M Gilbert Font qui va vous donner l'éclairage juridique de cette question.
M. Gilbert Font, président de la commission des affaires administratives du CIDEF - Je voudrais apporter quelques éléments juridiques sur ce texte. De façon générale, le projet de loi de transposition de la directive « Marchés publics de défense et de sécurité » ne suscite pas de remarques particulières de la part de la profession, à l'exception de l'article 37-2. En effet, les rédacteurs ont tenté de transcrire le principe édicté par la directive de laisser les États membres libres d'ouvrir ou non leur marché de défense et sécurité aux opérateurs économiques de pays tiers. Mais la rédaction actuelle nous paraît sévère et risque de mettre en difficulté les adjudicateurs publics.
Que permet la directive ? Trois points nous paraissent très importants.
Tout d'abord, les obligations d'ouverture des marchés de défense et sécurité imposées par la directive visent, comme le souligne le considérant 2, l'établissement progressif d'un marché européen des équipements de défense et de sécurité, indispensable à la consolidation de la Base industrielle et technologique de défense européenne. Cet objectif s'étend également à la sous-traitance au sein de l'Union européenne, comme le précise le considérant 40-4.
Le deuxième point est le considérant 18, qui rappelle que les marchés de défense sont hors de l'accord sur les marchés publics (AMP) et donc que les États membres conservent le pouvoir de décider si oui ou non leurs adjudicataires peuvent autoriser des agents économiques de pays tiers à participer aux procédures de passation des marchés. Ce considérant rappelle la liberté des États membres. Il est donc important qu'il puisse être d'une façon ou d'une autre retranscrit dans notre loi.
Le troisième point, souligné dans les articles 41 et 42, établit clairement qu'il est possible de ne pas retenir un industriel ne disposant pas, sur le territoire de l'Union, des capacités techniques et ou professionnelles pour exécuter le marché et assurer par la suite la maintenance, la modernisation ou les adaptations des fournitures, ou faire face aux situations de crise.
Malheureusement, le projet de transposition actuel ne permet pas à l'acheteur public qui ne souhaiterait pas ouvrir un marché donné aux opérateurs économiques de pays tiers d'éviter que ceux-ci y participent via la création de filiales en Europe ou d'accords industriels.
La rédaction actuelle de l'article 37-2 dans le projet de loi fait donc courir des risques à notre industrie.
Le premier de ces risques est que des groupes industriels dont la majeure partie des activités est située en dehors de l'Union créent des filiales immatriculées dans l'Union dans le seul but de bénéficier d'un accès facilité aux marchés de défense et de sécurité des États membres. Il s'agit de ce qu'on appelle les « faux-nez ». C'est par exemple ce que font les entreprises russes en Estonie.
Le deuxième risque est que des sociétés implantées de longue date sur le territoire européen cherchent à développer une activité de défense en « important » dans ce but les connaissances technologiques de groupes industriels étrangers à l'Union, alors que de telles connaissances sont déjà disponibles dans d'autres sociétés européennes. Ce cas peut être notamment rencontré avec des États récemment entrés dans l'Union et qui voudraient faire monter en gamme leur industrie. Cela reviendrait à permettre l'émergence de nouveaux compétiteurs en Europe, alors que, depuis plus de dix ans, des efforts ont été entrepris tant par les États que par les entreprises pour restructurer les industries de défense européennes. Cela serait fâcheux pour la Base industrielle et technologique de défense européenne que nous prônons.
L'article 37-2, tel que rédigé, transcrit la notion « d'opérateur économique d'un pays tiers », utilisée dans la directive, par « opérateur économique non-ressortissant de l'UE ». Cette apparente synonymie est en réalité malheureuse car la définition, politiquement claire, d'acteur tiers à l'Union, telle qu'elle apparaît dans l'exposé des motifs de la directive, devient source de contentieux possibles une fois traduite en droit français. Elle signifie bien que les sociétés installées hors de l'Union n'ont pas accès « de droit » aux marchés de défense et sécurité, mais toute société enregistrée dans un pays d'Europe (« ressortissant de l'UE »), fût-ce une simple boîte aux lettres, ne peut se voir opposer un refus de participer à une procédure de passation d'un marché public entrant dans le champ de la directive.
Cette analyse semble partagée par la plupart des acteurs qui se sont penchés sur la transcription de la directive, en particulier au niveau du ministère de la défense, qui considère que l'article 37-2 actuel va l'empêcher de mettre en oeuvre sa politique d'acquisition, notamment pour les acquisitions qu'il ne souhaite pas acquérir hors d'Europe. Au-delà, l'ensemble des ministères concernés reconnaît les risques inhérents à la rédaction de cet article.
La transcription de la directive pourrait s'appuyer sur deux principes simples. Le premier serait celui de la préférence communautaire. La directive ouvre la possibilité d'une préférence communautaire au nom du renforcement de la Base industrielle et technologique de défense européenne pour les marchés publics de défense et de sécurité (considérant 2) et prend acte de ce que l'Accord sur les Marchés Publics de l'OMC ne fait pas obstacle à une telle préférence (considérant 18).
Le second serait celui de la prise en compte des exigences de réciprocité. A l'OMC, l'Union européenne doit défendre ses intérêts en exigeant la réciprocité de ses partenaires. La directive souligne d'ailleurs l'importance de négociations internationales débouchant sur des marchés ouverts et équitables et l'obtention d'avantages mutuels, ainsi que la nécessité d'une concurrence ouverte et loyale assise sur des règles internationalement reconnues (considérant 18).
Afin de ne pas exagérément contraindre le pouvoir d'appréciation de l'État, puisque la réciprocité n'est qu'un des éléments de la décision, il paraît raisonnable de faire figurer dans la loi une obligation de prise en compte du principe de la préférence communautaire et des exigences de la réciprocité, qui constitue une obligation de moyen et non de résultat.
Il est intéressant de regarder comment les États de nos principaux compétiteurs répondent à ces préoccupations.
Les États-Unis n'autorisent des sociétés à candidater que si elles prouvent qu'elles apportent une véritable valeur ajoutée technologique sur leur territoire dans le domaine considéré. Ils exigent, en outre, que le lien des sociétés candidates avec leur société mère soit uniquement capitalistique et qu'il n'y ait aucune subordination vis-à-vis de leur société-mère dans leurs actes de gestion. C'est la règle dite des « proxy boards », que l'on pourrait traduire par « conseils d'administration proches de l'Etat client ».
Les Britanniques, quant à eux, ont défini la notion de BITD britannique dans leur Defence Industrial Strategy, sur des bases de création de valeur ajoutée, d'emploi, de génération de propriété intellectuelle et de technologie sur le territoire britannique, avec comme objectif général de garantir la sécurité nationale et la possibilité souveraine de projeter leurs forces armées dans le monde entier.
M. Josselin de Rohan, président - Je reviens sur les proxy boards. Un exemple m'avait été donné ainsi qu'à notre collègue Daniel Reiner à propos d'une filiale américaine installée en Espagne dont le conseil d'administration est intégralement américain, seul le manager est espagnol. Cela signifie que ces entreprises refusent de jouer le jeu à l'intérieur de l'Union européenne que leurs autorités imposent aux entreprises européennes de jouer à l'intérieur des Etats-Unis.
M. Gilbert Font, président de la commission des affaires administratives du CIDEF - Ce sujet des proxy boards est loin d'être anecdotique, il est suivi, observé et surveillé de près par l'administration américaine.
A la lumière de ces deux exemples, il nous paraît nécessaire de revenir à la formulation d'origine utilisée dans la directive, celle d'« opérateur économique d'un pays tiers », d'acception très large, et de le définir comme étant soit un opérateur économique immatriculé, soit un opérateur économique lié à une société immatriculée, dans un pays non européen. Il est également impératif que le pouvoir adjudicateur puisse exiger qu'une société candidate soit capable de traiter sur le territoire de l'Union, l'ensemble du cycle de vie d'un produit, qu'elle ait des capacités techniques installées, prouvées, qu'elle puisse réagir à toute situation de crise. Il nous paraît important que les termes qui figurent dans la directive à l'article 42-1 h soient au moins rappelés.
Pour conclure, compte tenu des contraintes qui découlent du traité sur l'Organisation mondiale du commerce, il faut veiller à un alignement rigoureux de la loi sur la directive afin de limiter les risques de contentieux susceptibles de naître du rejet d'une candidature ou d'une offre par le client public. Il faut, en résumé, « toute la directive mais seulement la directive ».
M. Josselin de Rohan, président - Mon point de vue sur cette transposition est qu'il n'est pas nécessaire de faire du zèle. En face de nous, nous avons le « Buy American Act ». Nous sommes fondés moralement à demander la réciprocité à ceux qui ne pratiquent pas les mêmes règles que nous.
M. Eric Trappier, président de la commission européenne du CIDEF - Il est nécessaire de garder à l'esprit que notre but n'est pas de remettre en cause la directive. Au contraire, nous souhaiterions qu'elle soit un peu plus contraignante, afin d'obtenir une Europe puissante et non soumise à d'autres.
Aujourd'hui, nous nous situons dans le champ français, et nous souhaiterions que le législateur reste le plus proche possible de la directive, tout en sachant qu'une partie de l'administration pourrait craindre des recours contentieux. Pour notre part, nous avons fait une étude juridique afin de bien vérifier que nous n'allions pas contre le texte de la directive européenne.
M. Daniel Reiner - Nous partageons l'essentiel de ce que vous avez exprimé, et je me réjouis que nous ayons pu le faire partager à l'ensemble de ceux qui sont partie prenante à ce texte. Ce n'était pas évident au début, il y avait des interprétations juridiques qui amenaient à penser que nous n'allions pas changer les choses. Quand on reprend le texte, on est surpris de voir que, dans l'exposé des motifs, on précise qu'on peut fermer les marchés à quelqu'un qui n'est pas ressortissant de l'Union européenne, tandis que, dans l'article 37-2, on peut l'autoriser. On a tenté de nous expliquer que cela avait la même signification, mais nous n'en sommes pas persuadés.
Sur ce qui fâche, l'article 37-2, nous allons nous efforcer de trouver une rédaction satisfaisante pour tous.
Je voudrais saluer le fait que c'est la première fois que nous disposons d'un texte de transposition avec une étude d'impact aussi fouillée, et les parlementaires s'en réjouissent. On ne l'a pas assez dit, donc je voudrais le souligner ici. Je voudrais avoir votre opinion à ce sujet car, au fond, ce texte est fait pour améliorer et ouvrir le marché des produits de défense en Europe, la France a une industrie de défense forte, donc a plus à gagner que des pays qui n'en ont pas. Est-ce que vous, industriels, en prolongeant cette étude d'impact, avez tenté d'imaginer l'avenir ? D'une manière générale, le marché d'exportation à l'intérieur de l'Union en matière d'armement est assez limité. Quelle dynamique cette transposition pourrait-elle créé pour l'industrie française ?
Par ailleurs, avez-vous des besoins à exprimer sur le périmètre de l'article 346 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ? On sait que cet article n'a pas la même signification en France et dans d'autres pays européens, qui l'utilisent largement. Il semblerait qu'actuellement 80 % du marché des équipements de défense relève de l'article 346. En ce qui nous concerne, quels sont les messages qu'il faudrait faire passer à ceux qui décideront de recourir ou non à l'article 346 ?
Enfin, selon l'étude d'impact, en matière de transfert intra-communautaire, les choses vont être simplifiées et les procédures améliorées. Avez-vous des demandes particulières à faire valoir pour que cette simplification soit effective ?
M. Didier Brugère, vice-président de la commission de la défense du CIDEF - Sur votre première question relative à la vision prospective de l'industrie sur ces marchés européens de défense, il est incontestable que nos industriels ont intérêt à un élargissement du marché au niveau européen. Nous ne pouvons que nous émouvoir de voir un certain nombre de pays européens acheter prioritairement aux États-Unis. C'est pourquoi nous avons suivi avec grand intérêt cette directive. Je voudrais rappeler qu'avant elle, un code de bonne conduite avait été mis en place par l'Agence européenne de défense. Ce code préfigurait certains éléments que nous retrouvons dans la directive, notamment en matière de transparence et de publicité des opérations. Si elle est transposée de façon homogène dans tous les pays, la directive va introduire plus de transparence, des pratiques communes et, dans ces conditions, sera un outil fédérateur. Même si elle n'empêche pas les achats chez ses principaux concurrents, elle va dans le sens de la construction européenne.
Concernant le périmètre de l'article 346 TFUE, cet article reste, de notre point de vue, le gardien de la souveraineté des États. Cette souveraineté reste essentielle tant qu'il n'existe pas de véritable politique européenne en ce domaine. Il ne nous semble pas souhaitable qu'une liste trop précise soit établie afin de délimiter le champ d'application de cet article. Des menaces nouvelles émergent, qui n'étaient pas connues il y a vingt ans, telles que les cybermenaces. Il faut pouvoir les prendre en compte et donc ne pas s'enfermer dans une liste exhaustive. D'ailleurs, il ne faut pas non plus que les domaines évoqués pour le « premier cercle » dans le Livre blanc soient considérés comme constituant le périmètre de l'article 346 TFUE.
Enfin, concernant les transferts intra-communautaires (TIC), beaucoup de nos sociétés ont une dimension européenne et appellent de leurs voeux une simplification des TIC, ne serait-ce que pour leur permettre d'optimiser leur propre outil industriel. Là encore, cette directive est un progrès si elle est appliquée de manière homogène par les différents pays, et si elle est l'occasion de poursuivre la simplification des procédures. Le système des licences générales est en train de se mettre en place et devrait être adapté à un grand nombre de cas.
Nous pensons qu'en complément de ces licences générales, il pourrait être intéressant de retenir la proposition numéro trois du rapport du député Yves Fromion, concernant la gestion déléguée, car il y a un certain nombre d'affaires d'importance secondaire qui, si elles n'étaient pas traitées à un niveau interministériel, pourraient permettre d'obtenir l'autorisation beaucoup plus rapidement.
Sur le plan pratique, il s'agit de processus complexes d'autorisations, cela nécessite des systèmes d'information performants permettant de faire le lien entre la gestion de ces procédures par les industriels et la gestion par les différents services concernés de l'État. Aujourd'hui le système qui existe ne remplit pas complètement nos souhaits dans ce domaine. Il serait souhaitable qu'il soit amélioré.
M. Josselin de Rohan, président - Est-ce que vous pensez que l'Agence européenne de la défense a encore un sens ?
M. Eric Trappier, président de la commission européenne du CIDEF - Nous avions fondé beaucoup d'espoir dans l'Agence européenne de la défense (AED). Nous sommes déçus du résultat. En tant qu'industriels, nous attendions des programmes, des démonstrateurs, des études. Dans tous ces domaines, le volume a été très limité. Mais il ne faut pas en vouloir à l'AED, car elle n'est que l'émanation des vingt-six pays qui la composent, et il est bien difficile d'aboutir à une harmonisation de la définition des besoins à vingt-six dans le domaine de la défense. Certes, sur les principes, tout le monde se rejoint. Mais les déclinaisons pratiques aboutissent à de réelles divergences et sont difficiles à trancher.
On a beaucoup critiqué la Letter of Intent (LoI), car elle ne concernait que six pays. Or ce n'était déjà pas facile à six. A vingt-six c'est impossible. Faudrait-il revenir à six pays pour essayer de faire un noyau dur des pays producteurs dans le domaine de la défense ? Ce n'est pas à moi de le dire.
Par ailleurs, depuis la création de l'AED, des éléments nouveaux sont apparus qui ont passablement modifié le contexte de l'Europe de la défense. Je pense en particulier à la réintégration de la France dans le commandement intégré de l'OTAN et au traité franco-britannique. La donne a changé. Dans ces conditions, il serait bon que l'AED soit un facilitateur des programmes communs, identifiant la cartographie des compétences et des besoins pour faciliter l'émergence des programmes communs possibles. Or, outre certaines études, son budget ne lui permet pratiquement pas de lancer des programmes. Cela correspond aux souhaits de certains pays qui ne sont guère favorables à un lancement de programmes par l'agence.
M. Josselin de Rohan, président - Je vous remercie pour votre contribution dont nous tiendrons le plus grand compte.
M. Daniel Reiner - Monsieur le Président, j'ai reçu à propos de ce texte une lettre du Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement (CCFD). Lors de nos auditions, nous avons rencontré les industriels, les ministères, les juristes, ... ne serait-il pas bienvenu de recevoir aussi des associations de ce type, qui mesurent la transparence en matière de commerce d'armes dans le monde, afin d'équilibrer les contributions ?
M. Josselin de Rohan, président - Plusieurs ONG nous ont en effet saisi à ce propos. Certaines ONG voudraient qu'on introduise dans le projet de loi des dispositions qui condamnent la vente d'armes, ce qui n'est évidemment pas son objet.
J'ai écrit au délégué général du CCFD pour lui dire que la simplification proposée par ce texte pour les exportations ne devait pas affaiblir les légitimes exigences de contrôle et de maîtrise d'un matériel particulièrement sensible, et que plusieurs dispositions tendaient notamment à assurer un contrôle effectif de la non-réexportation des armements vers des zones de conflit. Des sanctions pénales lourdes sont prévues en cas de manquement à ces obligations. Au-delà de ces assurances, je ne vois pas d'inconvénient à ce qu'elles expriment leur position comme elles l'ont fait au travers de ces différents courriers.
Mme Michelle Demessine - Même si on ne partage pas leur point de vue, il me semble important de les écouter, afin d'entrer dans un dialogue avec cette partie de l'opinion publique. A titre personnel, je trouve dommage qu'on ne puisse pas entendre davantage les ONG qui sont sur le terrain. Je vous avais sollicité sur cette question à propos des ONG qui se trouvent en Afghanistan, mais je n'ai pas eu de réponse positive. Peut-être est-ce une tradition dans cette commission de ne pas entendre les ONG ? C'est d'autant plus dommage que nos collègues de l'Assemblée nationale les entendent.
M. Josselin de Rohan, président - Je ne peux pas vous laisser dire qu'il y a une tradition ici de ne pas entendre les ONG ! D'ailleurs, OXFAM va être reçu, mais nous ne pouvons pas ouvrir un forum sur le désarmement à partir de ce projet de loi.
M. André Vantomme - Cela n'aurait en effet pas de sens de faire un forum. Néanmoins, les ONG sont souvent des interlocuteurs compétents. Avec notre collègue Christian Cambon, nous les recevons régulièrement à propos de l'aide publique au développement, ce sont des interlocuteurs informés et pertinents.
M. Josselin de Rohan, président - Sur les questions d'aide publique au développement, c'est dans la lignée de leur vocation et des actions qu'elles exercent sur le terrain. Sur les questions soulevées par le projet de loi de transposition du paquet défense, la problématique est différente. Cependant nous ne leur fermons pas la porte, et OXFAM sera reçu. La réponse que j'ai faite au CCFD l'a été naturellement faite au nom de la commission.
Audition de M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes
Lors d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission auditionne M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes, sur le paquet défense.
M. Josselin de Rohan, président - Nous sommes heureux de pouvoir vous entendre aujourd'hui sur la transposition des deux directives européennes dites du « paquet défense » par un projet de loi que le Gouvernement a déposé en première lecture sur le bureau du Sénat, et que nous devrions examiner en commission le 15 février prochain pour un examen en Séance publique le 10 mars.
Vous avez été aux premières loges de la négociation de ces directives, sous présidence française de l'Union européenne, et nous sommes naturellement très intéressés d'avoir aujourd'hui votre éclairage sur les enjeux de leur transposition, non seulement en France, mais également peut être dans les autres États membres.
Le texte qui nous est soumis comprend deux volets. Le premier, qui concerne principalement les transferts intracommunautaires d'armements, ne nous semble pas poser de problème de principes. L'harmonisation du régime de contrôle des exportations en Europe et sa simplification pour le "grand export", sont attendues de nos industriels. En diminuant potentiellement par deux le nombre d'autorisations et en réduisant leurs délais de traitement, cette réforme devrait améliorer la compétitivité d'un secteur qui comprend près de 350 entreprises et dont environ 50.000 emplois sont directement liés à l'export.
Sur tous ces sujets, la France me semble continuer à être très active pour faire converger les interprétations entre les Etats membres, sur des sujets tels que la certification par exemple, ou encore le contenu des licences générales.
Pour le deuxième volet, qui correspond aux marchés publics de défense, nous avons quelques interrogations. Il nous faut trouver un équilibre entre la nécessaire mise en concurrence des industriels de défense - la concurrence est stimulante - et les risques d'une concurrence trop élargie, en particulier si elle est ouverte aux opérateurs économiques des Etats non membres de l'espace européen, qui continuent bien souvent quant à eux à ne pas ouvrir leurs marchés.
De ce point de vue l'équilibre proposé par le texte du Gouvernement est sans doute perfectible et je pense qu'il est nécessaire que le Sénat oeuvre dans le sens d'une meilleure rédaction.
J'ajoute qu'au sein même de l'Union européenne, nous avons très peu de visibilité sur le champ d'application que les 26 autres Etats membres donneront au nouveau régime de la directive par rapport à celui, qui continuera d'exister, de l'article 346 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui permet de ne pas ouvrir à la concurrence.
Il ne faudrait pas que certains de nos partenaires « protègent » leurs industries nationales derrière cette disposition tandis que la France, bonne élève de la classe européenne, aurait une interprétation trop restrictive de l'article 346.
Sur tous ces sujets nous sommes impatients d'avoir votre éclairage, aussi, je vous cède la parole.
M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes - Je voudrais tout d'abord rappeler les origines du « Paquet défense », que j'ai vu se préparer lorsque j'étais à la tête de la direction de la coopération européenne au Quai d'Orsay. C'est une initiative à l'origine largement française, la France estimant nécessaire de disposer d'une législation communautaire pour favoriser le développement d'une concurrence plus loyale au sein de l'Union européenne.
Il s'agissait tout d'abord de simplifier le régime des autorisations d'exportations, morcelé entre 27 systèmes distincts, alors même que de plus en plus d'entreprises atteignaient une dimension transnationale. Le système antique des licences finissait par constituer un désavantage comparatif. Il s'agissait également de limiter l'utilisation massive par certains États membres de l'article 346 permettant de soustraire des achats d'armement à la concurrence. C'est ensuite en tant que secrétaire général des affaires européennes que j'ai eu à connaître de la négociation de ces deux directives. Sur la première, relative à la circulation des biens de défense, l'inquiétude était de ne pas transférer au niveau européen une compétence juridique sur le système de contrôle des exportations, qui devait rester de la compétence des États membres. Cette crainte, partagée tant par le ministère de la défense que par les industriels, a été écartée. Le système de licences proposé par la directive reste en effet sous contrôle des États membres. Aucune compétence n'a été transférée par ce texte au niveau communautaire. A tout instant, les Etats ont juridiquement le contrôle sur ce qui se fait dans le domaine de l'import et de l'export d'armements sur leur territoire. Les services juridiques du Conseil comme de la Commission, ont, du reste, affirmé que le texte ne donnait à l'Europe aucune compétence en matière de contrôle des exportations.
Pour la directive sur les marchées publics de défense, l'objectif -consensuel- était d'introduire plus de transparence dans les marchés passés par les autres États membres, tout en gardant naturellement la possibilité d'exclusion des marchés sensibles et tout en continuant à exclure tout programme de recherche cofinancé avec d'autres Etats européens, ainsi que ses phases ultérieures. Enfin, il s'agissait de prévoir de larges possibilités de sélection des soumissionnaires, sur le fondement d'exigences relatives à la sécurité d'approvisionnement, en particulier sur la base de la localisation des activités hors de l'Union européenne. Cette feuille de route a été intégralement respectée lors des négociations sous présidence française de l'Union européenne. A la fin des négociations toutefois, une partie des intervenants français a demandé d'inscrire plus clairement dans la directive une clause de préférence communautaire. Cette demande, formulée en fin de négociation, et soutenue par plusieurs parlementaires européens, n'a pas pu rencontrer l'assentiment de nos partenaires européens, dans la mesure où la grande majorité d'entre eux ne sont pas producteurs d'armement et n'ont pas de réflexe immédiat d'achat européen -certains d'entre eux ayant au contraire pour habitude d'acheter américain-. Il faut noter à cet égard que, depuis 2008, la situation a évolué ; la Pologne est en particulier aujourd'hui plus réceptive au principe d'une défense européenne forte qu'elle ne l'était probablement à l'époque.
Sans aller jusqu'à la nette affirmation d'une préférence communautaire, la directive sur les marchés publics de défense contient toutefois, grâce à l'action déterminée et efficace des représentants français lors des négociations, de nombreux critères et conditions permettant d'écarter des soumissionnaires ne répondant pas aux exigences de sécurité et de fiabilité propres à ces marchés.
Tout d'abord, certains marchés peuvent être exclus de la mise en concurrence en vertu de l'article 13 de la directive : marchés sensibles, marchés entre gouvernements, marchés de recherche et de développement dès lors qu'ils concernent deux États membres, marchés de renseignements...
La directive permet également d'exclure de la participation à un marché des opérateurs économiques, sur des critères assez larges, comme par exemple celui défini dans son article 39.2.e), s'il est établi par quelque preuve que ce soit, y compris par des sources de données protégées, qu'un opérateur n'apporte pas de garantie suffisante de fiabilité pour la sécurité des États membres. Cette clause offre une large marge d'interprétation.
La directive contient également des conditions strictes d'exécution du marché (article 20) telles que la sécurité de l'information (article 22) ou la sécurité d'approvisionnement (article 23). Formulées en termes larges, ces conditions s'appliquent à tous y compris aux sous-traitants. La transposition par voie réglementaire de ces dispositions dans le corpus juridique français donnera une certaine latitude au pouvoir adjudicateur : en particulier, au titre de la sécurité d'approvisionnement, les articles 23 et l'article 42 h) de la directive prévoient que les critères de sélection peuvent inclure les sources d'approvisionnement, avec une indication de la localisation de la production, tant du soumissionnaire que de ses sous-traitants. Un doute sur ses capacités techniques à fournir, en cas d'accroissement des besoins ou en cas de crise, pourra ainsi conduire à écarter un soumissionnaire.
Les critères d'attribution des marchés (articles 47a et 47b), enfin, offrent là aussi une certaine liberté puisque, loin d'être le premier critère, le prix ne vient au contraire qu'en second, la définition de l'offre économiquement la plus avantageuse pouvant se fonder « par exemple » -terme qui ouvre encore le champ des possibles- sur la qualité, la valeur technique, le coût d'utilisation sur tout le cycle de vie, la sécurité d'approvisionnement, l'interopérabilité -tous critères favorisant, de fait, les soumissionnaires européens-.
Lors de son adoption, la directive fut d'ailleurs perçue comme pleinement satisfaisante par la majorité des intervenants français en raison notamment des nombreuses marges de manoeuvres qu'elle ouvrait au pouvoir adjudicateur.
S'agissant de la clause de préférence communautaire et de l'exigence de la réciprocité dans l'ouverture des marchés, c'est finalement grâce au Parlement européen, qu'a pu être renforcée, dans le considérant 18, une formulation permettant tout à la fois de rappeler l'exclusion des marchés de défense du champ de l'organisation mondiale du commerce (OMC) mais aussi, dans son deuxième alinéa, de rappeler la possibilité pour un État membre de conserver le pouvoir de décider l'ouverture ou non de leurs marchés de défense aux agents économiques des pays tiers. Cette formulation consacre en quelque sorte une certaine préférence communautaire même si, figurant dans un considérant à caractère non normatif, c'est une victoire politique. En quelque sorte, on a résolu le problème en affirmant qu'il est résolu, les États membres ayant déjà le droit d'exclure une entreprise non communautaire.
Dans ce contexte, nous avons jugé préférable de transposer aussi le considérant 18 dans le projet de loi soumis à l'examen du Sénat, dans son article 37-2.
Mais j'attire votre attention sur le risque juridique qui s'attacherait à introduire dans le droit français des critères d'exclusion ne figurant pas explicitement dans les articles de la directive. La jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne considère par exemple qu'une base légale écrite dans la directive est nécessaire pour pouvoir restreindre les marchés aux seules entreprises communautaires. Or, et on peut le regretter, la directive ne définit pas ce qu'est l'entreprise communautaire. Dès lors, la jurisprudence de la Cour retiendra la définition la plus large, c'est-à-dire toute entreprise établie dans l'U.E. Une telle clause ne figurant pas dans la directive, il ne serait pas judicieux de l'introduire dans le droit français. De la même façon, une transposition dans le droit français qui aurait pour effet de pouvoir interdire des sous-traitants non communautaires serait juridiquement fragile -ne serait-ce que parce qu'elle pourrait conduire à disqualifier certaines offres provenant d'autres Etats membres. Il est préférable de se fonder sur les nombreux critères énumérés dans les articles de la directive pour exclure certains soumissionnaires. Cette démarche est la seule à même d'assurer la sécurité juridique des marchés. Le gestionnaire d'un marché public doit être sûr de la conformité du droit national par rapport au droit communautaire et qu'il ne prend pas le risque d'une annulation par le juge -qui est en premier lieu un juge national.
L'article 37-2 du projet de loi tel qu'il est rédigé actuellement me semble remplir pleinement ce critère de sécurité juridique. Il laisse une grande marge d'appréciation au pouvoir adjudicateur, sans pour autant violer ni la directive, ni le traité. Je voudrais terminer en rendant hommage au ministère de la défense, qui a effectué tout au long des négociations des deux directives un remarquable travail de persuasion et de conviction, qui a porté tous ses fruits.
M. Josselin de Rohan, président - Merci pour votre exposé très clair qui nous offre de nouveaux repères. Nous craignons que la Commission européenne ne considère que c'est à elle qu'il revient d'autoriser ou non l'ouverture d'un marché à des tiers non européens : qu'en est-il à votre avis ? L'absence de caractère normatif d'un considérant conduira nécessairement la Cour de justice à en écarter l'application. Confirmez-vous cette analyse ?
M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes - En effet, les dispositions du considérant 18 ne sont pas normatives. Un justiciable ne pourra s'en prévaloir devant la Cour de justice. Ce considérant s'apparente donc plutôt à une victoire politique. Néanmoins, ce considérant affirme que la directive ne change rien au pouvoir préexistant des Etats d'interdire des opérateurs économiques de pays tiers à l'Union, et c'est un élément important. Si le projet de loi de transposition fonde les pouvoirs des entités adjudicatrices pour écarter de tels opérateurs sur les nombreuses possibilités contenues par la directive, la Commission ne pourra que souscrire au dispositif français de transposition. C'est ce que m'ont confirmé de nombreux contacts informels avec ses services.
M. André Dulait - Qu'est-ce qui interdirait de transposer en droit français le considérant 18 ?
M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes - Rien ne l'interdit, c'est même ce que le Gouvernement vous propose. Mais en cas de contradiction entre un considérant et les articles de la directive, la Cour de justice fera toujours prévaloir le texte même de la directive. Il ne faut jamais l'oublier.
L'article 37-2 du projet de loi propose bien une transcription de ce considérant 18. Du point de vue juridique, la formulation positive ou négative de la phrase (« peut autoriser » plutôt que « peut interdire ») n'a pas d'impact réel. Mais de mon point de vue, l'exclusion d'une entreprise d'un marché sera d'autant plus solide qu'elle se fondera sur les nombreux autres critères fixés par la directive. D'autant qu'il y a justement de nombreux cas d'exclusion possible dans la directive.
M. Josselin de Rohan, président - Comment se prémunir contre les « faux nez », c'est-à-dire les sociétés « boites aux lettres », domiciliées dans un Etat membre mais n'y ayant pas d'activité réelle et cachant en réalité des entreprises de pays tiers appartenant d'ailleurs la plupart du temps à des Etats qui n'ouvrent pas leurs marché de défense à la concurrence européenne ?
M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes - Si nous avions pu écrire dans cette directive que l'entreprise soumissionnaire devait être une authentique entreprise européenne, nous n'aurions pas eu de problèmes. On l'a du reste fait dans d'autres secteurs, par exemple celui des transports. Mais il n'y a pas eu, dans le cas des marchés de défense, de majorité qualifiée d'États membres pour le souhaiter. C'est pourquoi, à la place d'une définition précise de l'opérateur économique européen nous avons eu le considérant 18, sans autre précision. Permettez-moi néanmoins d'insister sur le fait que d'autres critères introduits dans la directive par les négociateurs français permettent, en fait, de produire le même effet. Lorsqu'un pouvoir adjudicateur dispose d'un critère de sécurité d'approvisionnement, qui inclut la localisation géographique des chaînes de montage, ou encore d'un critère de la « fiabilité » d'un soumissionnaire, il a la possibilité de choisir réellement l'entreprise contractante.
M. Jean Besson - La Pologne dispose de la quatrième armée en Europe et avait jusqu'à présent un tropisme américain pour ses achats d'armements. Vous parlez d'une évolution. Elle serait bienvenue. Pouvez-vous préciser ?
M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes - L'évolution politique de la Pologne ne fait aucun doute à cet égard. Le choc résultant du refus de déployer un radar d'alerte avancée dans le cadre de la défense anti-missile a certainement joué un rôle dans cette évolution. Il reste naturellement beaucoup de chemin à parcourir, mais la volonté politique de la Pologne de renforcer la politique européenne de défense et la base industrielle de défense européenne ne fait désormais plus aucun doute. C'est un grand changement.
M. Josselin de Rohan, président - Les compensations exigées dans le cadre de certains marchés de défense présentent un caractère anticoncurrentiel. Sont-elles réellement condamnées par la directive ?
M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes - Les compensations, ou « offsets », sont interdites, ce qui a d'ailleurs fait grand bruit lors de la négociation de la directive, le sujet divisant à vrai dire les industriels à l'époque. Il y a même eu, si je me souviens bien, un « lobbying » de certains industriels européens pour ajouter des dispositions à ce sujet en fin de négociation, mais sans succès. Les industriels français étaient eux-mêmes probablement divisés sur la question. Le fait est qu'effectivement on ne peut pas s'en servir, ce qui était, me semble-t-il, le souhait majoritaire de l'industrie française.
M. Josselin de Rohan, président - On peut craindre que nos concurrents américains utilisent les compensations qu'ils offrent aux acheteurs européens de leurs armements comme un argument de vente supplémentaire... Pour ce qui est de la transposition de la directive dans les autres Etats membres, pouvez-vous nous éclairer sur les orientations retenues ?
M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes - Nous avons peu de visibilité sur l'état de la transposition chez nos partenaires européens. La direction générale de l'armement a toutefois eu des contacts très utiles avec l'Allemagne et la Grande-Bretagne. Premier constat : le débat sur la préférence communautaire ne semble pas vraiment exister dans d'autres États que la France. Au Royaume-Uni, le droit de recours des entreprises de pays tiers hors UE écartées d'un marché semble moins large qu'en droit français, En Allemagne, la transposition se passe, d'après mes informations, sans polémique particulière. Ces deux pays semblent considérer que la directive présente un potentiel d'interprétation suffisant pour qu'il n'y ait pas de problème.
M. Josselin de Rohan, président - Avez-vous des éléments sur l'état de la transposition en Italie ?
M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes - Pas pour l'instant. Je voudrais un instant revenir sur l'une des motivations des rédacteurs de la directive. Le ministère de la défense avait de vraies raisons de pousser à l'élaboration de normes communautaires, dans la mesure où certains Etats membres abusaient manifestement de l'utilisation de l'article 346 du traité qui permet de soustraire un marché de la concurrence. Tôt ou tard, la Cour de justice aurait sanctionné ces violations manifestes et on pouvait craindre, à l'inverse, que le champ d'application de l'article 346 ne soit alors réduit à l'excès par la Cour. L'idée d'anticiper ce mouvement de réduction en établissant une directive sur les marchés publics de défense était une excellente idée.
M. Josselin de Rohan, président - Quelles sont les chances de voir un jour émerger réellement un marché européen de la défense ?
M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes - L'existence de la directive va forcément encourager les juristes de tous les ministères à s'y référer et à justifier de plus en plus précisément pourquoi ils n'ont pas recours à la transparence et à la procédure négociée qui deviennent en quelque sorte la norme. Le texte est là. Les pouvoirs adjudicateurs ne pourront plus dire : « c'est le 346 comme d'habitude ». En outre, le rapprochement historique franco-britannique en matière de défense va accélérer et accompagner le mouvement d'européanisation des industries de défense, dans un contexte économique et budgétaire qui rend cette dynamique indispensable. J'ajoute que la Commission veillera certainement mieux à ce qu'il n'y ait plus de recours abusif en Europe à l'article 346. La France y a tout intérêt puisqu'elle en fait quant à elle une application raisonnable. Tout cela devrait conduire à une ouverture raisonnable des marchés.
M. Josselin de Rohan, président - L'expérience de l'A400M a montré la voie en matière de coopération transnationale. Il faut espérer que cette dynamique se poursuive.
M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes - Le transnational avait des avantages stratégiques et politiques mais avait, à tort ou à raison, la réputation de coûter plus cher que de réaliser les programmes tout seul. La coopération franco-britannique nous fait entrer dans une ère nouvelle, celle d'une coopération se déroulant dans un contexte budgétaire très contraint, tout en faisant des avancées technologiques et sans perdre en compétence. On ne fera pas la coopération franco-britannique comme on a fait les autres coopérations.
M. Josselin de Rohan, président - Les industriels européens craignent la concurrence américaine, d'autant qu'il n'y a pas d'équivalent en Europe du « buy American Act ». La disproportion des moyens consacrés à la recherche et au développement de part et d'autre de l'Atlantique constitue un handicap majeur. Les règles américaines sont telles qu'il est même difficile de vendre un avion de transport aux américains, puisqu'il faut disposer sur le sol américain de filiales totalement contrôlées par des ressortissants américains, c'est la règle dite des « proxy boards », en plus de déployer sa production sur place... La situation est différente en Europe, je pense en particulier à une entreprise espagnole qui est un cheval de Troie américain...
M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes - Toutes ces craintes, pour légitimes qu'elles soient, n'ont rien à voir avec la directive, qui contient les bons outils pour exclure des ressortissants non communautaires si ceux-ci violent les dispositions de bon sens telles que la sécurité d'information, la sécurité d'approvisionnement ou si leur fiabilité est mise en défaut en ce qui concerne la sécurité nationale... Je rappelle que les petits Etats membres non producteurs d'armements n'ont pas souhaité inclure dans la directive de clause de réciprocité ; il n'était pas possible de les y contraindre.
M. Josselin de Rohan, président - Il me semble toutefois indispensable de lever les ambigüités actuelles sur la possibilité d'exclusion d'un marché public français d'entreprises « faux nez » de ressortissants non communautaires. Nos industriels ne sont pas convaincus que la directive leur offre assez de garanties à cet égard.
M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes - La transposition est un exercice forcément contraint puisqu'il faut rester dans le cadre de la directive, sauf à introduire un important facteur d'insécurité juridique. On ne peut exclure les faux-nez en introduisant dans le texte une définition de l'entreprise communautaire que la directive ne contient pas. Il est indispensable d'utiliser les critères de la directive, que tout juge, national ou européen, fera primer, en cas de discordance, sur les dispositions du projet de loi. La transposition nationale doit donner à notre ministère de la défense et à nos industriels la sécurité juridique dont ils besoin.