EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

La volonté de mettre les dirigeants politiques et les responsables publics au-dessus de tout soupçon et de garantir aux citoyens que l'exercice de mandats électoraux ou de fonctions électives ne soit pas, pour ceux qui les détiennent, l'occasion d'un enrichissement personnel, a été une préoccupation constante tout au long de l'histoire de notre pays : dès 1795 1 ( * ) , des obligations de déclaration de patrimoine sont imposées aux élus par la Convention, qui entendait ainsi assurer la confiance des mandés en leurs mandants 2 ( * ) .

Dans le droit fil de cette tradition républicaine, le législateur a institué, avec la loi du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, des mécanismes visant à isoler le monde politique du monde des affaires : ainsi, les dons de personnes morales pendant les campagnes électorales et aux partis politiques ont été prohibés, tandis que les élus étaient soumis à l'obligation d'établir, au début et à la fin de leur mandat, des déclarations de situation patrimoniale démontrant qu'ils n'avaient pas utilisé leurs fonctions à des fins personnelles.

En vue de compléter ce dispositif, le Sénat est saisi de la proposition de loi n° 603 (2009-2010) visant à garantir l'indépendance du Président de la République et des membres du Gouvernement vis-à-vis du pouvoir économique , présentée par notre collègue Nicole Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe communiste, république et citoyen et des sénateurs du Parti de gauche (CRC-SPG) inscrite en séance publique dans le cadre de l'ordre du jour réservé aux groupes d'opposition et minoritaires en application de l'article 29 bis de notre Règlement.

La législation en vigueur s'est en effet avérée insuffisante pour lutter contre certaines dérives et pour maintenir la pleine confiance des citoyens en l'impartialité de leurs représentants. Comme l'affirmait récemment M. Nicolas Sarkozy, président de la République, « il existe une attente de davantage de transparence à laquelle il convient de répondre [...]. Il ne suffit pas que la République soit irréprochable. Il faut encore qu'elle ne puisse même être suspectée de ne pas l'être » 3 ( * ) .

Reposant sur un constat similaire, le présent texte vise à renforcer la transparence des relations entre la sphère économique et les représentants du pouvoir exécutif, en :

- interdisant aux membres du Gouvernement et au Président de la République, pendant toute la durée de leurs fonctions, de recevoir des dons de la part de personnes morales ;

- les soumettant à un régime de déclaration obligatoire des dons de personnes physiques .

I. LES MEMBRES DU GOUVERNEMENT ET LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE SONT ACTUELLEMENT SOUMIS À DES OBLIGATIONS QUI GARANTISSENT LEUR IMPARTIALITÉ

L'obligation de déclaration de dons que la présente proposition de loi envisage d'instituer viendrait s'ajouter à un corpus juridique qui comprend déjà de nombreuses règles visant à permettre aux citoyens de s'assurer de la probité de ceux qu'ils ont élus -c'est-à-dire à garantir, selon l'expression consacrée, la transparence financière de la vie politique.

Ces règles découlent, pour la plupart d'entre elles, de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, qui a notamment mis en place des mécanismes de contrôle du patrimoine des élus et des titulaires de fonctions publiques électives et non-électives .

A. L'OBLIGATION DE FOURNIR UNE DÉCLARATION DE PATRIMOINE

1. Les membres du Gouvernement : un régime proche du droit commun en matière de déclarations de patrimoine

Issue des travaux du groupe de travail sur la clarification des rapports entre la politique et l'argent, créé à l'automne 1994 et placé sous la présidence de M. Philippe Séguin, alors président de l'Assemblée nationale, la loi n° 95-126 du 8 février 1995 relative à la déclaration de patrimoine des membres du Gouvernement et des titulaires de certaines fonctions a étendu aux membres du Gouvernement le régime institué en 1988 en matière de déclarations de patrimoine.

L'article 1 er de la loi du 11 mars 1988 oblige ainsi les membres du Gouvernement à établir une déclaration de patrimoine dans un délai de deux mois après leur nomination et dans les deux mois qui suivent la cessation de leurs fonctions 4 ( * ) ; ils doivent, en outre, faire état de « toutes les modifications substantielles de leur patrimoine » au cours de cette période.

Le contrôle des évolutions de la situation patrimoniale est assuré par la Commission pour la transparence financière de la vie politique, instance ad hoc chargée d'apprécier, au vu des déclarations fournies par les ministres, les secrétaires d'État et les autres titulaires de fonctions publiques visés par la loi de 1988 5 ( * ) , le caractère normal ou anormal des variations de patrimoine .

Bien que la Commission ne dispose d' aucun pouvoir de sanction , elle dispose d'outils qui garantissent le bon respect de leurs obligations par les membres du Gouvernement. Tout d'abord, en cas de carence (c'est-à-dire lorsqu'un membre du Gouvernement néglige de lui transmettre une déclaration de patrimoine), il lui incombe de saisir le Premier ministre, qui pourra alors sanctionner l'intéressé. Ensuite, si elle constate une variation anormale de patrimoine entre la prise et la cessation de fonctions 6 ( * ) , ou si elle a des doutes sur la sincérité ou sur l'exhaustivité des déclarations qui lui sont transmises, la Commission est habilitée à transmettre les dossiers au parquet ; cette hypothèse n'a d'ailleurs rien de théorique, puisque la CTFVP a alerté le parquet sur treize cas depuis sa création.

Les informations recueillies par la Commission sont, enfin, soumises à des règles de confidentialité strictes : l'article 4 de la loi du 11 mars 1988 prévoit en effet des sanctions pénales à l'encontre de ceux qui publieraient ou divulgueraient les déclarations des assujettis ou les observations de la CTFVP. Le législateur a donc entendu garantir le respect de la vie privée des membres du Gouvernement et mettre en place une relation partenariale, plutôt que punitive, entre la Commission et les assujettis.


* 1 Décret du 4 vendémiaire an IV.

* 2 Cette préoccupation est également présente dans la plupart des démocraties occidentales : les déclarations patrimoniales se sont largement développées au cours des années 1970 et 1980, par exemple aux États-Unis (une loi fédérale est prise en ce sens en 1978) et en Italie (1982).

* 3 Lettre de mission adressée à M. Jean-Marc Sauvé, président de la Commission de réflexion sur la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique, septembre 2010.

* 4 Une dispense est toutefois prévue lorsqu'une déclaration a été déjà été déposée et examinée par la Commission dans un délai inférieur à six mois (article 1 er de la loi de 1988, dernier alinéa).

* 5 Sont notamment soumis à des obligations de déclaration patrimoniale : les députés et les sénateurs (article L.O. 135-1 du code électoral) ; les députés européens ; les présidents de conseil régional, de l'assemblée de Corse, de conseil général, d'une assemblée territoriale d'outre-mer, les présidents d'un groupement de communes dont la population est supérieure à 30 000 habitants et les maires des communes de plus de 30 000 habitants ; les dirigeants des établissements publics industriels et commerciaux, des OPAC, des OPHLM...

* 6 Le caractère « anormal » de la variation est apprécié souverainement par la Commission, qui qualifie comme telles toutes les évolutions inexpliquées de patrimoine.

Page mise à jour le

Partager cette page