3. Une arme de dissuasion à visée éducative
a) La nécessité de rétablir une sanction administrative qui a fait ses preuves par le passé
Aujourd'hui, les sanctions des manquements à l'obligation scolaire peuvent répondre à deux incriminations pénales comme contravention et comme délit. L'article R. 624-7 du code pénal punit le fait de ne pas imposer à un enfant l'obligation d'assiduité scolaire d'une amende pouvant aller jusqu'à 750 euros. L'article 227-17 du même code vise les atteintes à la santé, à la sécurité, à la moralité ou à l'éducation de leur enfant, dues à la négligence des parents. Peuvent être requis jusqu'à deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende. Les sanctions pénales des carences de l'autorité parentale sont lourdes à mettre en place et mal adaptées au seul suivi de l'assiduité scolaire. En outre, à aucun moment dans la sanction pénale, il n'est prévu d'aider et d'accompagner les parents.
C'est pourquoi existait jusqu'en 2004 une sanction administrative des manquements à l'assiduité scolaire. La Caisse nationale des allocations familiales a mené en 2002 une enquête sur les demandes de suspensions d'allocations familiales pour absentéisme. 65 % des élèves ont repris le chemin de l'école après l'avertissement de l'inspecteur d'académie. Le moment de l'avertissement constitue donc une étape essentielle permettant de nouer un dialogue fructueux avec les familles ou de les ramener tout simplement à leurs responsabilités . Ceci prouve que l'avertissement et le dialogue en face à face ont une efficacité certaine et doivent toujours être privilégiés en première approche.
En outre, les CAF ont enregistré pour une année, sur l'ensemble du territoire, 7 333 signalements pour 6 742 familles, ce qui veut dire qu'environ 6,5 % des familles avaient au moins deux enfants concernés par l'absentéisme. Après la suspension ou la suppression des allocations familiales, les caisses n'ont enregistré que 760 récidivistes. Ainsi, 10 % seulement des élèves ont été plusieurs fois de suite à l'origine, par leurs absences répétées, d'une procédure de suspension des prestations. C'est le signe indéniable de l'efficacité de la mesure dans certains cas. Il convenait donc de ne pas se priver de cet instrument parmi d'autres de lutte contre l'absentéisme.
À l'inverse, la procédure mise en place à partir de la loi du 31 mars 2006, n'a pas eu d'effet : d'après la CNAF, aucune suspension n'a été ordonnée depuis cette date, alors même que l'absentéisme a crû. Les raisons en sont, d'une part, que la demande de suspension des allocations familiales en cas d'absentéisme est subordonnée à la conclusion d'un contrat de responsabilité parentale (CRP) entre les parents et le conseil général, d'autre part, que l'inspecteur d'académie a perdu au profit du président du conseil général son pouvoir de saisine des CAF. Force est de constater que les conseils généraux, à l'exception de celui des Alpes-Maritimes, ne se sont pas encore emparés de l'instrument d'accompagnement des parents que constitue le CRP.
Il convient donc de rétablir un échelon de sanction administrative, fondé sur la menace de la suspension des allocations familiales qui a montré son efficacité . Cette sanction doit être articulée avec une éducation à la parentalité et un renforcement du dialogue entre l'école et les familles. C'est précisément l'objet de la présente proposition de loi, qui comble donc un manque dans l'arsenal de la lutte contre l'absentéisme.
b) Le développement de l'aide à la parentalité
Ce sont les vertus pédagogiques de la proposition de loi qui doivent être mises en avant plutôt que son volet punitif . La suspension des allocations familiales constitue un moyen de pousser les parents à suivre avec plus d'attention et d'implication les comportements de leurs enfants. Plus que la sanction, c'est la menace de la sanction qui doit prévaloir pour amener des publics en difficulté à accepter d'être accompagnés . L'objectif est bien de faire prendre conscience aux parents de la gravité de la situation dans laquelle se trouve leur enfant et de les contraindre, si nécessaire, à recevoir une aide adéquate. En un mot, la suspension des prestations présente une double face : d'un côté, c'est un carton jaune, de l'autre, une main tendue .
Il pourrait être tiré bénéfice de l'expérience des instruments de responsabilisation des parents développés dans de nombreux États, de la Californie à l'Angleterre en passant par le Québec et la Belgique dans le contexte spécifique du traitement de la délinquance des mineurs. Dans notre pays, dont le système pénal et la politique familiale sont différents, ces instruments d'aide sous contrainte seraient recentrés sur la lutte contre l'absentéisme.
DEUX EXEMPLES ÉTRANGERS DE RESPONSABILISATION DES PARENTS 1) Le Royaume-Uni La loi de responsabilisation des parents a été promulguée en 1998 avec l'arrivée au pouvoir du New Labour . Donnant lieu à un jugement civil initial, le jugement devient pénal dès lors que les parents ne se plient pas aux décisions de justice. Ont été mis en place, en Angleterre et au Pays de Galles, des parenting orders (ordonnances parentales) qui peuvent être appliquées à des enfants entre 10 et 17 ans condamnés pour des délits mais également en cas d'absentéisme scolaire. Elles consistent en un suivi hebdomadaire ou un soutien sur une période de trois mois afin d'accompagner les parents dans le contrôle de leurs enfants et les aider à mieux les éduquer. Le refus d'exécution des décisions de justice est susceptible d'entraîner une amende allant jusqu'à 1 000 livres. Les parenting programs reposent, quant à eux, sur une base volontaire, des injonctions à comparaître pouvant néanmoins être adressées aux parents. D'après une étude menée par le Youth Justice Board , organe public chargé des réformes relatives à la justice des mineurs, et le Policy Research Bureau entre juin 1999 et décembre 2001, une grande majorité des parents participant à ces programmes de leur propre chef ou sur injonction judiciaire s'en déclarent satisfaits et constatent de nettes améliorations dans leurs capacités à communiquer avec leurs enfants et à influer sur leur comportement. Ils affirment mieux assumer leur rôle de parent en général. 90 % d'entre eux les recommanderaient à d'autres parents confrontés aux mêmes difficultés. 2) La Belgique L'instauration d'un système de responsabilisation des parents mettant en place un dispositif de stage parental est récente en Belgique. Elle résulte de la nouvelle loi de protection de la jeunesse de 2006. En principe, un stage parental est proposé aux parents du jeune présumé auteur d'un acte de délinquance. Néanmoins, si les parents manifestent un « désintérêt caractérisé » à l'égard des comportements de l'enfant, ce stage peut être rendu obligatoire par le juge des mineurs et être accompagné d'une amende et d'un emprisonnement de 1 à 7 jours. Le stage, qui peut ou doit être suivi par les parents, comptabilise 30 heures de prise en charge des parents, dont une première phase qui consiste en une rencontre individuelle des parents avec les travailleurs sociaux et une deuxième phase collective, de type groupe de parole. Cette mesure n'a pas encore fait l'objet d'un bilan. Source : M. Boisson & L. Delannoy, Conseil d'analyse stratégique, La responsabilisation des parents, une réponse à la délinquance des mineurs ?, note de cadrage et actes du colloque, janvier 2008. |
La restauration de l'autorité parentale au sein de la famille afin d'améliorer l'assiduité des enfants est un processus ardu , alors que la parole de l'adulte est souvent invalidée et que les modes traditionnels d'exercice de l'autorité sont disqualifiés. Les tentatives de « reprise en main » directe sont souvent des échecs. C'est d'autant plus vrai lorsque le parent connaît lui-même une situation difficile, par exemple le chômage. Il faut donc réapprendre aux parents à trouver les moyens de parler à leurs enfants, de s'impliquer dans le suivi de leur scolarité et de réinvestir la fonction parentale dans sa plénitude.
Si la possibilité d'ordonner la suspension des allocations familiales aux parents des élèves absentéistes est rétablie, il faudra veiller à développer des modules d'aide à la parentalité sous la forme de groupes de parole. Les conférences magistrales devront être évitées puisqu'elles brusqueront les parents dont le parcours scolaire a été chaotique et qu'ils se croiront revenus à l'école. Il s'agira plutôt de travailler avec eux sur les moyens de développer concrètement et au quotidien leurs compétences parentales, c'est-à-dire leur capacité à remplir le rôle de parents, qui n'est pas innée et peut être apprise. Votre commission estime nécessaire le développement de l'éducation à la parentalité, comme complément nécessaire de la sanction des carences de l'autorité parentale .