III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

A. APPROUVER LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS À RAISON DE L'ORIENTATION SEXUELLE ET DE L'IDENTITÉ DE GENRE

Votre commission est consciente que les personnes homosexuelles, bisexuelles et transgenres de même que les associations oeuvrant pour la défense des droits de ces personnes se heurtent parfois à des attitudes hostiles ainsi qu'à des préjugés tenaces : cette situation est susceptible d'entraîner certaines violations des droits de l'homme : violences physiques et verbales, restrictions de la liberté d'expression, de réunion et d'association, atteintes aux droits à la vie privée et familiale, à l'éducation, au travail, à la santé... Par conséquent, de nombreuses personnes homosexuelles, bisexuelles et transgenres vivent dans la crainte et cachent leur orientation sexuelle ou leur identité de genre, et ce même dans les démocraties occidentales qui répriment pourtant sans ambiguïté ces atteintes.

C'est pourquoi votre commission ne peut que se réjouir que plusieurs initiatives aient été prises récemment pour lutter contre les discriminations à raison de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre.

Ainsi, à l'initiative de la France et de l'Argentine, 66 États ont signé une déclaration commune le 18 décembre 2008, à l'Assemblée générale des Nations Unies , qui réaffirme le « principe de non-discrimination qui exige que les Droits de l'Homme s'appliquent de la même manière à chaque être humain, indépendamment de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre ».

De la même façon, le Conseil de l'Europe s'est saisi de cette question. Le comité des ministres a ainsi adopté, le 31 mars 2010, lors de la 1081 ème réunion des Délégués des Ministres, une recommandation aux Etats membres sur des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle ou l'identité de genre. Cette recommandation a été suivie, le 29 avril 2010, par une résolution de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe sur ce même thème 7 ( * ) . Cette résolution a été votée par l'ensemble de la délégation française.

En conséquence, votre commission regrette que l'accord de Cotonou révisé ne s'inscrive pas pleinement dans cette dynamique , en ne mentionnant pas explicitement le principe de non-discrimination à raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre.

En effet, les pays de l'ACP se sont résolument opposés à toute référence à ces notions, en dépit de la demande renouvelée de la Commission européenne. A la suite de longues négociations, un compromis a été trouvé qui consistait à viser explicitement, à l'article 8-4 précité de l'accord de Cotonou, « la discrimination à raison du sexe » et à introduire le concept très général de « discrimination pour quelque raison que ce soit », sur le modèle de l'article 2 de la Déclaration universelle des droits de l'homme.

La Commission européenne a alors envisagé que l'Union européenne, à défaut d'avoir obtenu une référence explicite à l'orientation sexuelle et à l'identité de genre, fasse une déclaration unilatérale pour viser expressément ces notions. Tous les États membres de l'Union ont d'ailleurs appuyé cette proposition de la Commission. Toutefois, il est rapidement apparu que si l'Union européenne faisait cette déclaration, la partie ACP ferait une contre-déclaration, ce qui aurait eu pour effet de neutraliser celle de l'Union européenne. Cette solution a donc été abandonnée.

En conséquence, ni l'orientation sexuelle ni l'identité de genre ne sont expressément visées dans l'accord de Cotonou révisé, ce qui est regrettable. Les discriminations à raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre méritent en effet d'être mentionnées en tant que telles.

1. La discrimination à raison de l'orientation sexuelle

En premier lieu, comme le souligne la proposition de résolution européenne dans son exposé des motifs, l'homosexualité est mal acceptée dans certains pays de l'ACP, comme l'atteste le fait que sur le continent africain, l'homosexualité n'est légale que dans 13 pays. Dans 38 pays africains, elle est considérée comme un délit. En Mauritanie, au Nigéria, en Somalie et au Soudan, elle est passible de la peine capitale 8 ( * ) .

C'est pourquoi la proposition de résolution européenne met opportunément en avant la nécessité de dépénaliser l'homosexualité dans les pays de l'ACP.

Rappelons que la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne prohibe, en son article 21, toute discrimination fondée sur l'orientation sexuelle.

2. La discrimination à raison de l'identité de genre

En second lieu, la proposition de résolution appelle les pays de l'ACP à combattre la « transphobie », c'est-à-dire les violences faites aux personnes transgenres et en particulier les discriminations qu'elles subissent. Ce faisant, la proposition reprend la notion de « discriminations à raison de l'identité de genre » qui figure dans les différentes recommandations ou déclarations mentionnées précédemment.

Force est toutefois de constater qu'aucun de ces documents ne précise ce que recouvre exactement cette forme de discrimination. Tout au plus peut-on noter que le point 4 de la résolution précitée de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe fait référence « aux obstacles que les personnes transgenres rencontrent pour obtenir un traitement de conversion sexuelle et une reconnaissance juridique de leur nouveau sexe » .

En conséquence, une personne ne peut être qualifiée de transgenre que parce qu'elle a engagé un processus définitif et irréversible tendant à changer de sexe, processus qui, comme indiqué précédemment, peut, ou non, passer par une ablation des organes génitaux 9 ( * ) . Par « discriminations à raison de l'identité de genre » , il faut donc entendre les discriminations fondées sur ce processus de transition sexuelle . Autrement dit, une personne ne doit pas subir de discriminations dans l'accès au logement, à l'emploi, aux services publics... du seul fait qu'elle a engagé ou achevé une démarche de conversion d'identité sexuelle. Cette interprétation a été confirmée par Mme Alima Boumedine-Thiery, auteur de la présente proposition de résolution, lors de son audition par votre rapporteur.

Notons que notre pays semble connaître depuis peu des cas de discrimination à l'égard des personnes transgenres . Comme le souligne une récente délibération de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour la promotion de l'égalité (HALDE), ces personnes « sont souvent victimes de discrimination durant la période d'adaptation et de conversion sexuelle » (délibération n° 2010-59 du 1 er mars 2010). Notons que cette période peut durer plusieurs années.

Une autre délibération, un peu plus ancienne, de cette même autorité a recommandé à la Caisse nationale d'assurance maladie de prévoir une circulaire à destination de ses services afin qu'ils soient vigilants sur l'immatriculation sociale du patient en tenant compte du changement d'état civil des personnes transgenres (délibération n° 2008-190 du 15 septembre 2008). Dans cette affaire, l'apparence physique de la réclamante et son immatriculation à la sécurité sociale ne coïncidant plus, elle avait été contrainte de révéler son changement de sexe à son employeur. A la suite de cette révélation, elle a été victime de moqueries et de pressions qui l'ont contrainte à démissionner.

Les juridictions nationales et communautaires considèrent que dès lors qu'un processus définitif et irréversible a été engagé, toute discrimination à l'égard de la personne concernée revient à une discrimination à raison du sexe . A titre d'exemple, la Cour de justice des communautés européennes a considéré, dans son arrêt P. c/ S et Cornwall County Council du 30 avril 1996, qu' « eu égard à son objet et à la nature des droits qu'il tend à sauvegarder, le principe d'égalité de traitement entre les hommes et les femmes s'applique également aux discriminations qui trouvent leur origine dans le changement de sexe d'une personne ».

Certes, l'accord de Cotonou révisé vise bien, comme indiqué plus haut, « la discrimination à raison du sexe » mais il n'est pas sûr que les juridictions des pays de l'ACP incluent ou incluront la période de la conversion sexuelle dans le champ de la protection, comme l'ont fait les juridictions françaises et communautaires.

* 7 Résolution précitée 1728 (2010).

* 8 A l'inverse l'homosexualité est désormais dépénalisée dans l'ensemble des Etats membres du Conseil de l'Europe .

* 9 Voir la circulaire précitée du ministère de la justice

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page