B. LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DU DÉLIT : DES CONTOURS FLOUS
Le délit n'est constitué qu'autant que la personne soumise à cette responsabilité spéciale en raison de ses fonctions a pris, reçu ou conservé, « directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement » ( cf . article 432-12 du code pénal).
1. La tutelle exercée par le justiciable
Si l'administration, la liquidation et le paiement visent des situations facilement identifiables, la notion de surveillance est plus incertaine. Elle peut être retenue à l'égard d'une personne non investie d'un pouvoir de décision autonome et personnel, ou partageant avec d'autres ses prérogatives. Comme le relève M. Marcel Pochard, conseiller d'Etat, entendu par votre rapporteur, l'élément constitutif peut se limiter à « une simple association au processus de décision ».
La surveillance peut ainsi se réduire à de simples pouvoirs de préparation ou de proposition de décisions prises par d'autres ( cf . Cass. Crim., 14 juin 2000).
En tout état de cause, ces fonctions sont, au regard de la jurisprudence, largement entendues.
2. L'intérêt répréhensible
La jurisprudence donne aujourd'hui des indications sur ce qu'elle entend prendre en compte pour caractériser le délit, l' « intérêt quelconque », qu'elle a été amenée à interpréter.
Si les termes de la loi ont été modifiés par le nouveau code pénal, l'intérêt répréhensible demeure le même qu'antérieurement.
L'intérêt :
- peut être matériel ou moral, direct ou indirect :
« le délit (...) est constitué notamment par le fait, pour une personne investie d'un mandat électif public, de prendre un intérêt quelconque (...) ; que cet intérêt peut être de nature matérielle ou morale, direct ou indirect » (cf Cass crim. 29 septembre 1999) ;
- est pris en compte indépendamment de la recherche d'un gain ou de tout autre avantage personnel :
« le délit (...), est caractérisé par la prise d'un intérêt matériel ou moral, direct ou indirect et se consomme par le seul abus de la fonction indépendamment de la recherche d'un gain ou de tout autre avantage personnel » (cf Cass crim. 21 juin 2000) ;
- n'est pas nécessairement en contradiction avec l'intérêt communal :
« l'article 432-12 du code pénal n'exige pas que l'intérêt pris par le prévenu soit en contradiction avec l'intérêt communal » (cf. Cass crim. 19 mars 2008).
L'arrêt rendu le 22 octobre 2008 par la chambre criminelle confirme les décisions antérieures en élargissant encore la notion d'intérêt quelconque, s'agissant de la présidence, par les élus concernés, d'associations municipales , puisqu'il considère que « l'intérêt, matériel ou moral, direct ou indirect, pris par des élus municipaux en participant au vote des subventions bénéficiant aux associations qu'ils président entre dans les prévisions de l'article 432-12 du code pénal ; qu'il n'importe que ces élus n'en aient retiré un quelconque profit et que l'intérêt pris ou conservé ne soit pas en contradiction avec l'intérêt communal ».
Pour le juge, les élus « sont soumis à l'obligation de veiller à la parfaite neutralité des décisions d'attribution des subventions à ces associations ». En conséquence, « l'infraction est constituée même s'il n'en résulte ni profit pour les auteurs ni préjudice pour la collectivité », l'élément moral du délit résultant de ce que l'acte a été accompli sciemment.
La prise illégale d'intérêt n'exige pas, en effet, pour sa constitution, une intention frauduleuse : l'intention coupable est caractérisée, dès lors que l'auteur de l'infraction a accompli sciemment l'acte constituant l'élément matériel du délit ( cf . Cass crim, 27 novembre 2002).
3. La prescription de l'action publique
Le délai de prescription dépend de la tutelle exercée. En effet, selon son élément constitutif, le délit sera instantané ou continu :
- il est naturellement instantané par la prise ou le bénéfice de l'intérêt même si les avantages retirés de l'opération s'échelonnent dans le temps ( cf . Cass. crim., 7 octobre 1976) ; il se prescrit alors dès sa consommation comme la participation d'un conseiller municipal au vote concernant l'allocation par la commune d'une subvention à une association municipale qu'il préside ;
- en revanche, si la situation répréhensible est permanente par la « conservation » de l'intérêt, la prescription -3 ans en matière de délit- court à partir du jour où cesse la situation délictueuse : tel est le cas du directeur d'un service départemental, bénéficiaire d'une indemnité de logement qui, ayant reçu délégation de signature, a signé des états et mandats relatifs au paiement des loyers versés à la société civile immobilière qui était propriétaire du logement qu'il occupait et dont son épouse et sa famille détenaient 98 % des parts ( cf. Cass. crim., 27 novembre 2002).