B. NE PLUS DIFFÉRER LA QUESTION DU FINANCEMENT
L'ampleur des déficits constitue une menace avérée pour la survie du système de retraite. En outre, les limites du report des difficultés actuelles sur les générations futures sont atteintes.
Dès lors, sauver les retraites nécessite une double action :
- modifier impérativement les paramètres du système actuel pour dégager de nouveaux financements ;
- préparer une réforme structurelle visant la mise en place progressive d'un nouveau système.
1. Modifier les paramètres du système actuel
a)Les différents leviers
Compte tenu de l'effet amplificateur de la crise sur la dégradation des comptes et de l'urgence à agir, la question n'est plus tant de savoir si le sauvetage des retraites passe par une nouvelle réforme paramétrique ou par une réforme globale mais de choisir quel(s) levier(s) traditionnel(s) activer à court terme pour réinjecter de l'argent dans le système.
Les instruments de pilotage du système par répartition sont connus.
Le premier consiste en une hausse des cotisations de retraite . A moins que cette augmentation soit compensée à due concurrence par une diminution d'autres cotisations (cotisations d'assurance chômage par exemple), cette solution présente deux inconvénients majeurs : elle pèserait sur la compétitivité des entreprises et l'emploi ; elle aboutirait aussi à taxer plus fortement les jeunes générations que les précédentes.
Le deuxième repose sur une baisse des pensions de retraite . Une telle mesure paraît inenvisageable car elle reviendrait à abaisser le niveau de vie des retraités. Il faut, au contraire, maintenir l'objectif d'un haut niveau de retraite pour les générations actuelles et futures.
Le troisième, privilégié jusqu'ici, est l'allongement de la durée de cotisation nécessaire pour bénéficier d'une retraite à taux plein. Par ce biais, l'on cherche à inciter les assurés à prolonger leur activité et à retarder leur âge de départ à la retraite. Actuellement, un salarié français peut choisir sa date de départ à la retraite entre soixante et soixante-dix ans, mais il lui faut quarante annuités (quarante et une en 2012) pour bénéficier d'une retraite complète, s'il n'a pas encore atteint l'âge de soixante-cinq ans. La question qui se pose aujourd'hui est donc de savoir si la durée de cotisation ne doit pas être portée à quarante-deux voire à quarante-trois annuités. Une telle réforme nécessite cependant de surmonter l'obstacle du dossier de la pénibilité. Les syndicats n'accepteront pas l'augmentation de la durée de cotisation si, parallèlement, la pénibilité au travail n'est pas prise en compte.
Enfin, le quatrième, sans doute le plus controversé, est le report de l'âge légal de départ en retraite qui, en France, a été abaissé à soixante ans en 1983. Ce qui, à l'époque, a été vécu comme un progrès social entre aujourd'hui en contradiction avec les évolutions démographiques en cours. Alors que l'espérance de vie ne cesse d'augmenter, la période consacrée au travail au cours d'une vie est de moins en moins longue. Selon l'OCDE, en 1960, un homme passait près de trois quarts de sa vie au travail (cinquante ans sur ses soixante-huit ans d'existence). Trente-cinq ans plus tard, en 1995, il n'y consacrait plus que la moitié (trente-huit ans sur soixante-seize ans d'existence). La logique voudrait donc que l'âge légal de départ en retraite soit repoussé, comme l'ont fait plusieurs pays européens (Italie, Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas).
Cependant, l'utilisation de ce levier se heurte, en France, à un obstacle de taille : le taux d'emploi des seniors , qui est l'un des plus bas des pays développés (38 %). La question du report de l'âge de départ en retraite doit en effet s'apprécier en liaison avec la situation de l'emploi des seniors car un recul de l'âge de la retraite ne conduit pas mécaniquement à un recul équivalent de l'âge de cessation d'activité. Une étude récente de la Drees 14 ( * ) confirme que l'âge auquel les personnes cessent définitivement d'être en emploi et celui auquel elles liquident un premier droit à la retraite ne coïncident que rarement. Les Français arrêtent de travailler, en moyenne, un an et demi avant de prendre leur retraite (l'âge médian de sortie du marché du travail étant de cinquante-huit ans). Entre-temps, ils sont en invalidité, en préretraite ou au chômage.
Cette singularité française est liée aux politiques publiques menées depuis la fin des années soixante-dix : on l'a vu, au nom de la sauvegarde de l'emploi, la France a choisi la voie du partage du travail en incitant les salariés les plus âgés à partir en préretraite pour laisser la place aux plus jeunes. Avec la multiplication des mesures d'âge, le travailleur âgé a fini par être considéré comme inemployable. La politique de cessation anticipée d'activité des seniors est devenue une véritable « culture de la sortie précoce », partagée par tous les acteurs du marché du travail, entraînant une spirale d'effets pervers (dépréciation et inaction des seniors). Depuis, les pouvoirs publics ont tenté de revenir sur ces mesures mais, dès que la croissance est en berne, les gouvernements et les entreprises ont à nouveau tendance à recourir à ces dispositifs.
Dans ces conditions, retarder l'âge de la retraite, sans favoriser le maintien dans l'emploi des seniors, aboutirait à créer des demandeurs d'emplois supplémentaires.
b) Les limites d'une action paramétrique
Quel que soit le ou les leviers choisis, il faut avoir à l'esprit que le problème du financement des régimes de retraite ne sera pas résolu pour autant.
L'estimation des gains attendus de la modification des paramètres montre en effet qu' il ne peut s'agir que de mesures de court terme , compte tenu de l'ampleur des besoins de financement à satisfaire à l'horizon 2020-2050.
Selon les simulations de la Cnav :
- une hausse de 0,1 point du taux de cotisation vieillesse augmenterait la masse des cotisations de l'ordre de 390 millions d'euros dès 2010. En 2020, la masse de ressources supplémentaires atteindrait 530 millions d'euros ;
- une augmentation de 0,2 point du taux de cotisation vieillesse engendrerait des ressources supplémentaires de 800 millions d'euros en 2010 et d'un peu plus d'un milliard d'euros en 2020.
Or, les besoins du régime général ont été évalués, avant la crise, à 13 milliards d'euros en 2020...
Gain en termes de masse de cotisations lié
à l'augmentation
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En millions d'euros 2006 |
Hausse de 0,1 point en 2010 |
Hausse de 0,2 point en 2010 |
2010 |
390 |
800 |
2011 |
400 |
820 |
2012 |
430 |
840 |
2020 |
530 |
1 050 |
Source : Cnav |
La caisse a également simulé, pour le régime général, les effets d'un décalage de l'âge légal de départ en retraite de soixante à soixante-deux ans. Celui-ci apporterait 6,6 milliards d'euros en 2020, mais seulement 5,7 milliards sur un besoin total de 46 milliards en 2050 (estimations d'avant la crise).
Chiffrage d'un décalage de l'âge légal de 60 à 62 ans |
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(en milliards d'euros) |
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2006 |
2020 |
2030 |
2040 |
2050 |
Scénario avec recul de l'âge légal à 61 ans |
- 2,7 |
- 2,2 |
- 1,8 |
- 2,2 |
Scénario avec recul de l'âge légal à 61,5 ans |
- 4,4 |
- 4,0 |
- 3,1 |
- 3,9 |
Scénario avec recul de l'âge légal à 62 ans |
- 6,6 |
- 5,8 |
- 4,5 |
- 5,7 |
Souce : Cnav |
2. Poser les fondements d'une réforme structurelle
Au-delà de la nécessité d'une nouvelle réforme paramétrique à brève échéance, il est donc indispensable de réfléchir à d'autres modes de gestion de l'assurance vieillesse. Le pilotage actuel des régimes de retraite ne pourra en effet enrayer le mouvement de dégradation des comptes de la branche vieillesse ni proposer de solution solide face au vieillissement démographique .
C'est pourquoi, à l'initiative de la commission des affaires sociales du Sénat, le Parlement a demandé au Cor d'étudier les modalités de transformation des régimes obligatoires fonctionnant actuellement par annuités en régimes par points, voire en « comptes notionnels » sur le modèle suédois 15 ( * ) .
Il existe en effet trois modalités d'acquisition des droits à pension dans un système par répartition.
Dans un régime par annuités , la pension repose sur trois données : le taux d'annuité du régime (rapport entre un taux de liquidation et une durée d'assurance de référence), le salaire de référence de l'assuré et la durée d'assurance de celui-ci. La pension à la liquidation est le produit des trois facteurs. Celle-ci est revalorisée à un taux qui peut être fondé sur l'évolution des prix ou sur les salaires. Par ailleurs, le taux de liquidation peut incorporer une décote ou une surcote par rapport au taux plein. Il n'existe pas de lien automatique entre le taux de cotisations et le niveau des pensions , si ce n'est par le biais de la condition d'équilibre du régime par répartition, qui impose que les cotisations perçues sur une période donnée soient égales aux pensions versées la même période.
Dans un régime par points , la pension est égale au produit du nombre de points acquis par l'assuré et de la valeur de service du point à cette date. Les pensions évoluent donc comme la valeur du service du point. Il y a bien une relation directe entre le montant de la retraite et les cotisations versées .
Le régime des « comptes notionnels » repose sur le principe d'équilibre actuariel entre les cotisations versées et les pensions reçues par chaque génération. Chaque assuré accumule au cours de sa carrière un capital virtuel correspondant à la somme des cotisations versées, actualisées à un certain taux . La pension à la liquidation se calcule comme le produit du capital virtuel acquis par l'assuré et d'un coefficient de conversion applicable à sa génération et à son âge de départ . Le coefficient de conversion dépend plus précisément de l'espérance de vie moyenne de la génération de l'assuré à cet âge, c'est-à-dire du nombre moyen d'années restant à vivre au moment du départ en retraite et du taux de revalorisation des pensions, de façon à égaliser la somme actualisée des pensions et des cotisations.
Bien sûr, aucun de ces modes de calcul des pensions ne permet en lui-même d'assurer le retour à l'équilibre financier d'un régime de retraite structurellement déficitaire . Chacun d'entre eux présente à la fois des avantages et des inconvénients que le Cor est chargé d'examiner. La remise de son rapport en février prochain constituera donc une base de travail essentielle pour le rendez-vous de 2010.
* 14 Etudes et résultats n° 692.
* 15 Article 75 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009.