4. Offrir à France Télévisions les moyens de relever le défi du média global
Comme l'a souligné la Commission pour la nouvelle télévision publique, l'avènement de l'entreprise unique offrira à France Télévisions la possibilité de recentrer son organisation sur les contenus et de relever ainsi le défi du média global.
Car il est devenu nécessaire de prendre acte des évolutions qui bouleversent notre paysage audiovisuel :
- l'essor de la TNT a mis fin au quasi-monopole des chaînes hertziennes en élargissant le périmètre de l'offre gratuite . Les habitudes des téléspectateurs s'en trouvent changées : l'audience des chaînes hertziennes s'érode progressivement mais ne se reconcentre pas sur quelques-unes seulement des nouvelles chaînes de la TNT. La dispersion de l'audience est donc une réalité et elle suppose de faire prévaloir la logique de bouquet sur la logique de chaîne ;
- la convergence numérique est en marche et elle se traduit par une consommation grandissante de programmes via internet et bientôt via la télévision mobile personnelle (TMP). L'écran de télévision devient progressivement l'un des modes de diffusion de programmes parmi bien d'autres.
Cette évolution conduit à une délinéarisation de l'offre de programmes : sur internet ou sur la TMP, les émissions sont en effet consommées « à la demande », ce qui conduit à devoir inventer un autre type de programmation, qui n'impose plus le visionnage d'une émission à une heure donnée sur un canal donné, mais qui suscite l'intérêt ou l'envie chez le téléspectateur ou l'internaute de regarder un programme quand bon lui semblera.
Aux côtés des « grilles » traditionnelles, propres aux chaînes linéaires, il va donc falloir inventer une autre forme de programmation, capable d'attirer à elle des téléspectateurs qui bénéficieront d'une liberté et d'un choix grandissants.
La « stratégie de bouquet numérique » de France Télévisions devra donc pleinement prendre en compte ces évolutions pour devenir une « stratégie de média global » .
Cela suppose, en premier lieu, de reconnaître l'originalité des nouveaux modes de diffusion. Ces derniers ne se limitent pas à offrir la possibilité aux téléspectateurs de regarder sur internet ou sur leur téléphone mobile les émissions télévisées, sur le mode de la télévision de rattrapage, dite catch-up TV, ou de la télévision à la demande.
La délinéarisation, outre le fait d'offrir le choix du moment et du mode de diffusion du programme, va également susciter l'apparition de nouveaux types d'émissions ou de programmes.
Un nouveau style d'écriture et de production de programmes est en effet en train de s'inventer grâce aux nouveaux médias. Ils répondent aux évolutions d'une consommation de programmes qui est en train de s'infléchir, notamment chez les jeunes téléspectateurs. Ces derniers sont désormais habitués à des formats courts , qui représentent l'immense majorité des vidéos mises en ligne par les principaux hébergeurs.
La stratégie de média global ne pourra donc se limiter à un effort de reprise sur internet des contenus diffusés sur les différentes chaînes. Elle devra plutôt conduire à la production de programmes spéciaux, qui pourront décliner, le cas échéant, des programmes télévisuels dans des formats adaptés.
A cet égard, la constitution de l'entreprise unique est une nécessité, afin de constituer un pôle « nouveaux médias » capable de peser dans des arbitrages internes qui privilégient naturellement les chaînes.
L'enjeu pour la télévision publique est en effet de taille : conquérir et fidéliser un public jeune qui se détourne de la télévision. La réorientation de France 4 a été une première étape. Il convient d'aller plus loin en faisant des services sur internet non une offre de diversification, mais le moyen de rapprocher le service public audiovisuel des jeunes générations.
La réorganisation du groupe France Télévisions est donc une priorité : en plaçant les contenus au coeur des préoccupations, elle permettra de ne plus raisonner en termes de chaînes mais de style de diffusion.
Vos rapporteurs souhaitent insister sur ce point ; cela ne signifie pas que la diffusion linéaire de programmes ou que l'identité de chaque chaîne soient mises en péril par le média global mais que France Télévisions doit concevoir et construire ses programmes en fonction de ses différents styles de diffusion, parmi lesquels figurent ses différentes chaînes et ses services en ligne, et préparer leur circulation et leur déclinaison d'un mode de diffusion à un autre.
C'est pourquoi la Commission pour la nouvelle télévision publique a proposé d'ordonner la structure future de France Télévisions autour d'une unité matricielle, l'unité de programmes : « Les unités de programme permettront de rationaliser les commandes par genre, d'harmoniser la programmation des chaînes premiums et des chaînes de complément ainsi que de faire émerger des univers autour des programmes sur l'ensemble des supports existants ou à venir. Il ne s'agit naturellement pas d'aboutir à des guichets uniques, mais de professionnaliser les équipes en leur donnant une masse critique pour construire des processus clairs, robustes et transparents. » 23 ( * )
Ainsi pourra émerger une véritable « vision à 360° » prenant en compte, dès le stade de la conception et de l'écriture des programmes, les singularités des différents supports de diffusion.
Source : Commission pour la nouvelle télévision publique
Selon ledit rapport : « Être compétitif sur l'ensemble des supports de diffusion (télévision, Internet, ADSL, TMP...) constitue une condition essentielle du développement de France Télévisions. Cette ambition est rendue possible par la prise en compte, dès la conception d'un programme, de l'ensemble des vecteurs de diffusion possibles ainsi que de leurs spécificités. C'est pourquoi chaque unité de programme de média global est composée d'équipes éditoriales, de spécialistes des nouveaux médias et des produits dérivés et d'une cellule de recherche-développement et innovation. » 24 ( * )
Vos rapporteurs estiment indispensable de dissiper un malentendu : le choix du média global ne va pas à l'encontre de l'identité de chaque chaîne. Bien au contraire, elle permettra de les renforcer.
En effet, l'existence d'unités de programme communes à l'ensemble des chaînes permettra à celles-ci d'accentuer leur différenciation : pour l'heure, malgré la coordination opérée au niveau du groupe, des doublons sont encore possibles.
En 2006, deux téléfilms sur Sartre avaient ainsi été commandés par le groupe France Télévisions, l'un sur France 2, l'autre sur France 3. Même si chacun d'eux témoignait d'un regard différent, l'on peut s'interroger sur l'opportunité de recourir ainsi à deux créations originales, alors qu'il aurait été possible de proposer des programmes de genre différent.
La confrontation quotidienne des regards des programmateurs des différentes chaînes ne peut que les conduire à affirmer l'identité propre à chacune d'elle. Il en ira de même pour les services proposés sur internet.
C'est pourquoi la Commission pour la nouvelle télévision publique s'est attachée à définir avec finesse et précision l'identité de chaque chaîne . La création des unités de programme constitue en effet pour elles l'occasion de renforcer leur singularité .
Le présent projet de loi manifeste le même souci , puisque son exposé des motifs dispose : « France 2 restera une chaîne pleinement généraliste, consacrée aux grands enjeux politiques, économiques, sociaux et culturels, dédiée au décryptage des questions européennes et internationales, et assurant un rôle fédérateur par ses programmes d'information mais aussi de création (fictions, documentaires, animation...) et de divertissement (jeux, sport...). France 3 sera la chaîne des régions, du patrimoine et de l'environnement, et la chaîne des programmes de proximité. Réseau France Outre-mer (RFO) demeure le réseau des télévisions et radios d'outre-mer, France Ô est la chaîne de l'outre-mer et de la diversité en métropole. France 4 sera la chaîne de la reconquête de la jeunesse et des nouvelles générations par son offre de culture et de divertissements de qualité. France 5 restera la chaîne des savoirs et de la connaissance »
L'unité de programme ne conduira donc pas à l'indifférenciation mais permettra plutôt de mieux différencier les chaines publiques.
A cet égard, la disparition de la publicité sur les écrans publics est une opportunité exceptionnelle.
Par nature, le service public se doit d'aller à la rencontre de tous les publics , en proposant à chacun des programmes qui répondent à ses goûts et à ses aspirations.
La logique commerciale induite par la publicité suppose au contraire de rechercher le public le plus large possible , en laissant ainsi de côté nombre d'intérêts des téléspectateurs.
La disparition de la contrainte d'audience permettra donc d'élargir le public de l'ensemble des chaînes publiques et de donner tout son sens à la stratégie de bouquet de France Télévisions.
Pour autant, la différenciation ne doit pas conduire à l'enfermement des téléspectateurs dans une offre donnée : le premier défi de l'audiovisuel public pour les années à venir est donc de réussir à répondre à tous les goûts sans cesser d'attirer vers ses différents programmes des téléspectateurs qui, au premier abord, ne les auraient pas regardés.
La télévision publique doit en effet non seulement porter la démocratisation de la culture mais aussi conforter le lien social :
- en proposant des contenus culturels exigeants proposés sous une forme attractive, l'audiovisuel public doit permettre l'accès à la culture du plus grand nombre et adopter une stratégie d'éditorialisation qui l'autorisera à affirmer sa différence ;
- en créant des liens et des passerelles entre ses différents programmes, France Télévisions pourra lutter contre le morcellement des audiences et des publics induit par l'élargissement de l'offre de télévision gratuite et par le développement des formes de consommation à la demande.
L'entreprise unique devra donc trouver un point d'équilibre entre l'affirmation de l'identité des chaînes et la définition d'une stratégie d'ensemble de la télévision publique.
* 23 Rapport de la Commission pour la nouvelle télévision publique, juin 2008, p. 16.
* 24 Ibid., p. 18.