2. L'exigence d'équilibre, fondement de la loi Debré
L'adoption de la loi du 30 décembre 1959 marque un tournant dans l'histoire de la « question scolaire ». En effet, les tensions qui ont marqué cette dernière trouvaient leur origine dans la distinction de deux ordres d'enseignement, l'un public, l'autre privé, que tout semblait devoir séparer et opposer dans un contexte de définition progressive du principe de laïcité.
C'est à cette opposition, qui semblait jusqu'ici insurmontable, que met fin la loi Debré en substituant à l'opposition sommaire du « public » et du « privé » une nouvelle distinction structurée autour de trois branches :
- les établissements publics, fondés, entretenus et intégralement financés par les pouvoirs publics ;
- les établissements privés liés par contrat à l'État, qui reçoivent, pour l'exercice des missions d'enseignement visées par ce contrat et sous réserve de respecter les obligations que ce dernier prévoit, des financements des pouvoirs publics ;
- les établissements privés hors contrat, fondés, entretenus et financés par des personnes privées.
En introduisant la possibilité d'une contractualisation, la loi Debré permet de résoudre l'essentiel de la « question scolaire ». L'existence d'un tel contrat démontre en effet que les établissements privés peuvent, sous certaines conditions, participer à l'oeuvre publique d'enseignement tout en conservant leur singularité et doivent, à ce titre, bénéficier de financements publics .
L'antinomie apparemment insurmontable entre public et privé est ainsi dépassée, ouvrant la voie à une réorganisation du système de financement, proportionnée aux obligations auxquels souscrivent les établissements privés liés par contrat à l'État :
- aux termes de l'alinéa 4 de l'article 1 er de la loi Debré, codifié à l'article L. 442-1 du code de l'éducation, tout établissement ayant passé contrat avec l'État doit « tout en conservant son caractère propre... donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience. Tous les enfants sans distinction d'origine, d'opinion ou de croyances, y ont accès ».
- les établissements ayant passé un contrat d'association à l'enseignement public doivent respecter les règles et les programmes en vigueur dans ce dernier. Les professeurs qui y enseignent sont ou bien des maîtres de l'enseignement public, ou bien des maîtres liés à l'État par contrat.
En retour, la rémunération de leurs enseignants est assurée par l'État et leurs dépenses de fonctionnement sont prises en charge par les collectivités locales dans les mêmes conditions que pour l'enseignement public.
- les établissements ayant passé un contrat simple, qui sont, pour l'essentiel, des établissements primaires, sont soumis à un contrôle pédagogique et financier de l'État, sans que ce dernier n'emporte l'identité des programmes et des règles appliquées. Les professeurs qui y enseignent sont liés à l'établissement par un contrat de droit privé.
En retour, la rémunération de leurs enseignants est assurée par l'État. Lorsqu'elles le souhaitent, les collectivités peuvent contribuer aux dépenses de l'établissement, dans les conditions prévues par le décret n° 60-390 du 22 avril 1960. 3 ( * )
L'esprit de la loi Debré est donc empreint d'équilibre : les établissements privés sous contrat sont soumis à des obligations qui garantissent qu'ils concourent aux politiques publiques d'éducation dans des conditions proches, voire comparables, aux établissements publics ; ils reçoivent en retour des financements modulés selon le niveau d'obligation auxquelles ils se soumettent et qui peuvent, dans le cas du contrat d'association, équivaloir à ceux que reçoivent les établissements publics. Ce souci d'équilibre atteint en effet son point d'aboutissement avec le contrat d'association, qui allie des obligations pédagogiques semblables à celle du public et des financements largement similaires.
En créant la possibilité pour les établissements privés de passer un contrat avec l'État, la loi Debré a permis d'apaiser les tensions scolaires qui traversaient la société française : école publique et école privée sous contrat ne sont plus radicalement différentes, mais concourent ensemble, chacune à leur manière, à la mise en oeuvre des politiques publiques d'éducation. La coexistence harmonieuse des « deux écoles » est donc désormais possible, autour d'un équilibre défini par le contrat.
* 3 L'article 7 de ce dernier limite notamment le montant de ces contributions en prévoyant que les avantages consentis par les collectivités locales aux établissements liés par contrat simple à l'État ne peuvent être supérieurs à ceux que consentent ces mêmes collectivités dans le même domaine aux classes correspondantes des établissements publics du même ressort territorial.