2. La révision opérée par la loi constitutionnelle du 1er mars 2005 est inopérante malgré la quasi-identité des motifs de contrariété à la constitution
Dans sa décision du 20 décembre 2007, le Conseil constitutionnel n'a reconnu aucune portée utile à la loi constitutionnelle du 1 er mars 2005, y compris au second alinéa de l'article 88-1, en dépit de la grande proximité sur le fond entre le traité établissant une Constitution pour l'Europe et le traité de Lisbonne.
Comme le souligne M. Bertrand Mathieu, professeur de droit à l'université de Paris 1 (Panthéon-Sorbonne), bien que le Conseil utilise la motivation par référence à la décision du 19 décembre 2004 chaque fois que les dispositions du traité examiné sont identiques à celles du traité établissant une Constitution pour l'Europe ou chaque fois qu'une différence de rédaction est dépourvue d'incidence sur l'appréciation de la conformité à la Constitution, le Conseil considère que le nouveau traité et l'ancien sont de nature différente et formellement distincts. Lors de son audition le 17 janvier 2008 par la commission, M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, a confirmé que cette approche était partagée par l'ensemble des Etats membres.
En conséquence, il était nécessaire de procéder à une nouvelle révision constitutionnelle faisant table rase des dispositions de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005 relatives à la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe.
Cette nouvelle révision très similaire à la précédente sur le fond et survenant moins de trois années après ravive nécessairement le débat sur l'opportunité d'insérer dans la Constitution une clause générale autorisant par avance tous les transferts de souveraineté requis par la construction européenne.
En effet, depuis 1992 et la ratification du traité de Maastricht, la technique juridique consistant à n'autoriser que les seuls transferts de compétences induits par la ratification desdits traités est restée inchangée.
L'adoption d'une clause générale aurait pour avantage d'éviter la multiplication des révisions constitutionnelles ponctuelles.
C'est notamment le cas en Allemagne où depuis sa modification du 21 décembre 1992, la Loi fondamentale comporte un article 23 alinéa premier au terme duquel : « Pour l'édification d'une Europe unie, la République fédérale d'Allemagne concourt au développement de l'Union européenne (...). A cet effet, la Fédération peut transférer des droits de souveraineté par une loi approuvée par le Bundesrat... ». La Constitution portugaise prévoit une clause similaire.
Votre rapporteur souhaite à cet égard livrer à la réflexion et aux débats les propositions de M. Joël Rideau, professeur de droit à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis. Elles s'inspirent de la loi fondamentale allemande. Outre une clause générale autorisant les développements futurs de l'Union, la loi fondamentale allemande précise les principes sur lesquels est fondée l'Union et que celle-ci doit respecter et elle constitutionnalise la réserve de constitutionnalité, c'est-à-dire quelques grands principes constitutionnels essentiels qui s'imposent irréductiblement aux développements de l'Union (respect du fédéralisme, protection des droits de l'homme).
S'inspirant de ce modèle, M. Joël Rideau propose l'insertion d'une réserve de constitutionnalité qui ferait référence à l'identité constitutionnelle de la France 19 ( * ) . Seule la ratification des engagements européens contraires à cette identité constitutionnelle ne pourraient intervenir qu'après une révision constitutionnelle 20 ( * ) .
Sans trancher ce débat, votre rapporteur étant conscient que la solution d'une clause générale autorisant par avance des transferts de compétences ne fait pas consensus, il faut également noter qu'en l'espèce une telle clause n'aurait pas suffi à éviter une révision de la Constitution. Une nouvelle révision eût en effet été nécessaire pour permettre à l'Assemblée nationale et au Sénat d'exercer leurs nouvelles prérogatives en matière de subsidiarité et de « clauses passerelles ».
* 19 Rédaction proposée pour les articles 88-1 et 88-2 de la Constitution :
« Art. 88-1.- La République participe à l'Union européenne constituée d'Etats qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences dans le cadre des traités sur lesquels repose l'Union européenne et de leurs modifications. »
« Art. 88-2.- Si le Conseil Constitutionnel, saisi par le Président de la République, par le Premier Ministre, par le Président de l'une ou l'autre assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a déclaré qu'un nouvel engagement pris dans le cadre de l'Union européenne comporte une clause contraire à l'identité constitutionnelle, la ratification ou l'approbation de l'engagement en cause ne peut intervenir qu'en vertu d'une loi constitutionnelle autorisant la ratification et procédant en cas de besoin à la révision de la Constitution. »
* 20 La notion d'identité constitutionnelle reste floue. Toutefois, le Conseil constitutionnel a consacré cette notion, sans la définir, dans sa décision n° 2006-540 du 27 juillet 2006. Il y affirme qu'il censurerait une loi de transposition d'une directive si elle allait à l'encontre d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France. Cette notion fait également écho aux formules mêmes employées par le droit de l'Union européenne, l'article 6, paragraphe 3, du traité sur l'Union européenne dans sa rédaction issue du traité d'Amsterdam stipulant, par exemple, que « l'Union respecte l'identité nationale de ses États membres ». En outre, le paragraphe 2 de l'article 4 du traité sur l'Union européenne dans sa rédaction issue du traité de Lisbonne stipulera que « l'Union respecte l'égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles ».