2. Des prérogatives nouvelles accordées aux parlements nationaux dans le cadre du processus de décision de l'Union européenne
Le traité de Lisbonne, soit par la voie de modifications apportées tant au traité sur l'Union européenne qu'au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, soit dans le cadre de protocoles annexes, renforce la participation des parlements des Etats membres à la procédure décisionnelle au sein de l'Union européenne.
Le Conseil constitutionnel a jugé que cette participation ne pouvait être mise en oeuvre dans le cadre des dispositions actuelles de la Constitution.
a) Le contrôle du respect du principe de subsidiarité
L'article 12 du traité sur l'Union européenne ainsi que le protocole sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, annexé au traité de Lisbonne, consacrent désormais un rôle de premier rang aux parlements des Etats membres pour assurer le respect, par les institutions de l'Union européenne, du principe de subsidiarité.
L'intervention des parlements nationaux dans le cadre de ce contrôle peut désormais s'exercer à trois niveaux , selon des procédures quasi-identiques à celles prévues par le traité établissant une Constitution pour l'Europe :
- en premier lieu, par le droit d'obtenir communication de l'ensemble des « projets d'actes législatifs » émanant de la Commission européenne, d'un groupe d'États membres, du Parlement européen, de la Cour de justice, de la Banque centrale européenne ou de la Banque européenne d'investissement ;
- en second lieu, par le droit d'adresser un avis motivé aux institutions de l'Union européenne lorsqu'un projet d'acte législatif européen méconnaît le principe de subsidiarité .
Dans les parlements bicaméraux, cette prérogative appartient à chacune des chambres qui le composent. Elle entraîne les effets suivants, à condition d'être exercée dans un délai de huit semaines à compter de la transmission du projet d'acte concerné :
- de première part, l'obligation pour les institutions de l'Union européenne de « tenir compte » de ces avis afin d'apporter, le cas échéant, les modifications nécessaires pour rendre le projet d'acte législatif conforme au principe de subsidiarité ;
- de seconde part, lorsque les avis motivés représentent au moins un tiers de l'ensemble des voix attribuées aux parlements nationaux 8 ( * ) , le projet doit être réexaminé par l'institution dont il émane. Ce seuil est abaissé à un quart des voix si le projet d'acte législatif relève du domaine de la coopération judiciaire en matière pénale ou de la coopération policière.
A l'issue de ce réexamen, il appartient à l'institution dont émane le projet de décider, par une décision motivée, soit de le maintenir, soit de le modifier, soit de le retirer ;
- de troisième part, lorsque le projet d'acte intervient dans le cadre de la procédure législative ordinaire et que les avis motivés représentent au moins une majorité simple des voix attribuées aux parlements nationaux, la proposition doit être réexaminée par la Commission européenne.
Si, à l'issue de ce réexamen, la Commission décide de maintenir son projet, elle doit, dans un avis motivé, justifier la raison pour laquelle elle estime que la proposition est conforme au principe de subsidiarité. Cet avis motivé ainsi que les avis motivés des parlements nationaux sont alors soumis au Conseil et au Parlement.
Avant d'achever la première lecture, le Conseil et le Parlement européen doivent examiner si la proposition législative est compatible avec le principe de subsidiarité, en tenant compte en particulier des motifs invoqués et partagés par la majorité des parlements nationaux ainsi que de l'avis motivé de la Commission. Si le Conseil, par une majorité de 55 % de ses membres, ou le Parlement, à la majorité des suffrages exprimés, estime que la proposition n'est pas compatible avec le principe de subsidiarité, son examen ne peut être poursuivi ;
- en dernier lieu, par le droit de saisine de la Cour de justice de l'Union européenne aux fins de faire constater la violation par un acte législatif européen du principe de subsidiarité.
Procédure de contrôle
a priori
du
respect du principe de subsidiarité
(article 7 du protocole sur
l'application des principes de subsidiarité et de
proportionnalité)
b) Le droit d'opposition à la modification des règles d'adoption des actes de l'Union européenne
La révision du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne obéit en principe à une procédure dite « ordinaire » prévoyant la convocation, par le Conseil européen, d'une conférence intergouvernementale puis la ratification par les Etats membres, selon leurs procédures constitutionnelles respectives, des modifications proposées d'un commun accord par les représentants des Etats membres réunis au sein de cette conférence.
C'est sur la base d'une disposition proche du traité sur l'Union européenne, dans sa version antérieure au traité de Lisbonne, que ce dernier a pu modifier les traités existants. Mais la lourdeur et le formalisme de cette procédure nécessitaient, de l'avis de la majorité des Etats membres, des possibilités d'adaptation mineures des traités européens, selon des modalités plus souples et, en particulier, sans la réunion d'une conférence intergouvernementale et l'approbation de ces modifications par les Etats membres selon leurs règles constitutionnelles.
Concrétisant cette idée, le traité de Lisbonne consacre, aux articles 48 du traité sur l'Union européenne et 81 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, des procédures permettant la modification ponctuelle des modalités d'adoption des actes de l'Union européenne dans lesquelles chacun des parlements nationaux dispose d'un droit d'opposition.
(1) L'opposition à la modification, à l'initiative du Conseil européen, des modalités d'adoption d'un projet d'acte européen
Reprenant sans modification de fond les stipulations qui figuraient à l'article IV-444 du traité établissant une Constitution pour l'Europe, le 7 de l'article 48 du traité sur l'Union européenne confère à tout parlement national un droit d' opposition aux décisions du Conseil européen , statuant à l'unanimité après approbation du Parlement européen à la majorité de ses membres, tendant :
- lorsque le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ou le titre V du traité sur l'Union européenne 9 ( * ) prévoit que le Conseil statue à l'unanimité dans un domaine ou dans un cas déterminé, à autoriser le Conseil à statuer à la majorité qualifiée . Cette possibilité reste cependant exclue pour l'adoption des décisions ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense ;
- lorsque le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne prévoit que des actes législatifs sont adoptés par le Conseil conformément à une procédure législative spéciale, à autoriser le recours à la procédure législative ordinaire .
Celle-ci implique l'adoption d'un règlement, d'une directive ou d'une décision conjointement par le Parlement européen et le Conseil, sur proposition de la Commission, selon des modalités complexes définies à l'article 294 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Toutefois, dans des cas précis, le pouvoir de proposition d'un acte législatif européen est conféré par le traité à un groupe d'États membres ou au Parlement européen, sur la recommandation de la Banque centrale européenne ou sur la demande de la Cour de justice ou de la Banque européenne d'investissement.
Si, dans un délai de six mois à compter de la transmission du projet de décision du Conseil européen, un parlement national a notifié son opposition à l'usage de la clause passerelle, celle-ci ne peut être mise en oeuvre.
(2) L'opposition à la mise en oeuvre, par le Conseil, de la clause passerelle prévue pour l'adoption de mesures en matière de droit de la famille
L'une des innovations du traité de Lisbonne par rapport au traité établissant une Constitution pour l'Europe est d'avoir mis en place une clause passerelle spécifique dans le domaine de la coopération judiciaire en matière civile.
Aux termes de l'article 81 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en cette matière s'applique en principe la procédure législative ordinaire prévue à l'article 294 du même traité.
Toutefois, à titre dérogatoire, les mesures relatives au droit de la famille ayant une incidence transfrontière sont établies par le Conseil, statuant à l'unanimité, après consultation du Parlement européen.
Or, une clause permet au Conseil , sur proposition de la Commission, d'adopter une décision déterminant les aspects du droit de la famille ayant une incidence transfrontière susceptibles de faire l'objet d'actes adoptés selon la procédure législative ordinaire . Pour ce faire, le Conseil doit statuer à l'unanimité, après consultation du Parlement européen.
Chaque parlement national dispose, dans ce cadre, d'un droit d'opposition à l'adoption d'une telle décision , qui doit être notifié dans un délai de six mois aux institutions de l'Union européenne.
* 8 Chaque parlement national dispose de deux voix. Lorsqu'il s'agit d'un parlement bicaméral, comme en France, chaque chambre dispose d'une voix.
* 9 C'est-à-dire les dispositions relatives à l'action extérieure de l'Union européenne et à la politique étrangère et de sécurité commune.