II. DES PROGRÈS TRÈS SIGNIFICATIFS ACQUIS AU COURS DES NÉGOCIATIONS
La question de la base juridique
Plusieurs des Etats membres contestent encore l'existence même d'une base juridique à l'intervention de l'Union européenne dans le domaine de la procédure pénale. Il existe aussi, cependant, en droit, des arguments en faveur d'une harmonisation dans ce domaine. Ainsi, le service juridique du Conseil, dans un avis du 30 septembre 2004, avait estimé que le Conseil pouvait adopter les mesures proposées si, dans le respect du principe de subsidiarité, celles-ci ne dépassaient pas ce qui était nécessaire pour l'amélioration de la coopération judiciaire pénale. Le Gouvernement français s'est d'ailleurs rangé à ces arguments.
A ces éléments de droit s'ajoutent des considérations plus pragmatiques : l'adoption de la Constitution européenne est, pour le moins, différée. Il n'apparaît donc plus possible de s'en remettre à la reconnaissance expresse d'une base juridique, comme l'aurait permis la Constitution, pour avancer dans l'harmonisation des procédures pénales. Au reste, l'adoption, le 15 mars 2001, par le Conseil d'une décision-cadre sur le statut des victimes dans le cadre des procédures pénales sans que la question de la base juridique ait constitué un obstacle, semble ouvrir la voie à d'autres initiatives en matière de procédure pénale.
Des droits désormais resserrés autour des principes essentiels
Le projet, largement inspiré d'une proposition française, reconnaît quatre droits principaux :
- droit à un avocat ;
- droit à l'information du suspect sur les droits dont il dispose ;
- droit à l'interprétation et à la traduction ;
- droit à l'aide juridictionnelle.
Il appartiendrait cependant aux Etats membres de décliner chacun de ces principes dans leur droit national en particulier s'agissant de l'intervention de l'avocat en garde à vue.
Les discussions se poursuivent sur la teneur de ces droits. Pour votre rapporteur, il est essentiel que le projet de décision-cadre se borne à l'énoncé de principes généraux et préserve les régimes procéduraux particuliers tels que ceux prévus par notre pays en matière de terrorisme ou de grande criminalité.
Par ailleurs, le projet de décision-cadre ne fait plus mention d'un dispositif particulier de suivi de l'harmonisation des droits procéduraux. Si le choix de confier la responsabilité d'un tel mécanisme à la Commission européenne apparaissait très critiquable, le principe même d'une évaluation objective et impartiale serait cependant utile.
L'articulation avec les droits reconnus par la Convention européenne des droits de l'homme
Le projet de décision-cadre comporte des principes d'ores et déjà reconnus par la Convention européenne des droits de l'homme ou par la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. L'articulation entre ces instruments juridiques soulève des interrogations régulièrement posées notamment par le Royaume-Uni dans le cadre des négociations :
- quel est le champ d'application respectif de chacun de ces textes ?
- quel est le moyen de garantir un niveau de protection au moins identique à celui assuré par la Convention interprétée par la Cour européenne des droits de l'homme ?
- comment régler les éventuelles contradictions entre les interprétations de la Cour de justice des Communautés européennes et celles de la Cour européenne des droits de l'homme ?
Cependant, l'audition, en octobre 2006, des représentants du Conseil de l'Europe par le groupe de travail communautaire a contribué à lever les deux premières de ces difficultés et permis l'élaboration d'un nouvel article premier pour le projet de décision-cadre.
En premier lieu, le champ d'application de l'instrument a été précisé. Actuellement, la Cour européenne des droits de l'homme donne une interprétation extensive de la procédure pénale puisqu'elle étend le bénéfice du droit à un procès équitable prévu à l'article 6 de la Convention à des procédures disciplinaires ou menées par des autorités autres que pénales. Les Etats membres n'ont pas souhaité donner une portée aussi large au projet de décision-cadre : ils l'ont limité aux « procédures pénales pouvant donner lieu à une sanction pénale prononcée par un tribunal pénal ». En outre, les procédures militaires et disciplinaires ont été expressément exclues.
Si le champ d'application du projet a ainsi été précisé, en revanche, la teneur des droits mentionnés devrait être entendue de manière identique entre l'instrument de l'Union européenne et la Convention européenne des droits de l'homme. En effet, aux termes de la rédaction issue du groupe de travail ad hoc « sauf si la présente décision-cadre en dispose autrement, le sens des dispositions de ses articles 2 à 5 qui correspondent à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, est le même que celui que leur confère ladite convention, à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme » 4 ( * ) . Ainsi, la décision-cadre ne déterminera pas un niveau de garantie inférieur à celui actuellement assuré par la Convention européenne des droits de l'homme.
L'alignement des droits ainsi reconnus devrait par ailleurs limiter les risques de divergence entre les cours de Strasbourg et de Luxembourg.
Lors de leur audition, les représentants du Conseil de l'Europe ont souligné l'intérêt d'un texte communautaire à deux titres.
D'abord, il rendrait plus efficace le respect des principes posés par la Convention européenne des droits de l'homme ; en effet, les particuliers pourront invoquer la décision-cadre pour obtenir une interprétation conforme du droit national devant les juridictions des Etats membres en cours de procédure 5 ( * ) alors qu'ils ne peuvent saisir la Cour de Strasbourg sur le fondement d'une violation de la Convention européenne des droits de l'homme qu'une fois les voies de recours nationales épuisées. La protection donnée aux droits des suspects revêtirait ainsi une toute autre portée.
Ensuite, le projet de décision-cadre s'appliquerait aux procédures de remise entre Etats membres -au titre du mandat d'arrêt européen ou de l'extradition- ce qui n'est pas le cas de la Convention. Selon le rapport de la Commission européenne sur la transposition de la décision-cadre relative au mandat d'arrêt européen, onze Etats membres ont fait de l'absence de respect des droits fondamentaux du mis en cause un motif de refus obligatoire de remise de l'intéressé. Faute d'instrument contraignant de l'Union sur les garanties procédurales, chaque Etat dispose aujourd'hui de la liberté d'apprécier la portée qu'il entend donner au motif de refus. La décision-cadre permettrait incontestablement de renforcer la confiance mutuelle et de favoriser la coopération pénale entre Etats membres.
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Compte tenu des acquis récents de la négociation, votre commission vous propose de modifier la proposition de résolution de la délégation pour l'Union européenne et d'approuver le principe d'une harmonisation des droits procéduraux - qui lui apparaît un moyen de faire progresser la coopération judiciaire, indispensable, entre les Etats membres.
Elle prend la mesure des nombreuses résistances qui s'expriment encore parmi certains Etats membres, certes minoritaires, mais qui risquent de nouveau de paralyser les discussions. Si ces blocages devaient persister, il serait pertinent soit d'avancer par le biais d'une coopération renforcée 6 ( * ) , soit comme tel a été le cas pour l'échange d'informations entre casiers judiciaires de plusieurs Etats membres par la voie d'accords interétatiques. L'instrument juridique doit porter sur des principes généraux, présenter un caractère contraignant et tenir compte des régimes procéduraux particuliers retenus pour certaines catégories d'infractions. Enfin, il semble utile de prévoir une évaluation qui pourrait être confiée à un organisme indépendant tel qu'Eurojust.
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Votre commission a adopté une proposition de résolution dont le texte est reproduit ci-après.
* 4 Ces termes sont inspirés de ceux de l'article 52 paragraphe 3 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
* 5 En vertu de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, depuis l'arrêt Pupino du 16 juin 2005, le juge national est tenu d'interpréter les dispositions de son droit national conformément à une décision-cadre malgré l'absence d'effet direct de celle-ci.
* 6 Le traité de Nice a prévu qu'une coopération renforcée pouvait être décidée à l'initiative de huit Etats membres. Elle ne peut être mise en oeuvre qu'en dernier ressort et ne doit pas porter atteinte aux principes de fonctionnement de l'Union ni aux droits des non participants. Enfin elle est autorisée par une décision du Conseil à la majorité qualifiée.