B. UNE PROTECTION À LA MESURE DE LA PLACE DU CHEF DE L'ÉTAT SOUS LA VÈME RÉPUBLIQUE (ARTICLE 67)
Dans la rédaction retenue par le projet de loi constitutionnelle, l'article 67 définit la protection dont bénéficie le chef de l'Etat. Cette protection repose sur l'irresponsabilité et l'inviolabilité. Aux termes du dispositif proposé :
- s'agissant des actes accomplis en qualité de Président de la République , le chef de l'Etat bénéficie de l' irresponsabilité : il n'a à en répondre ni pendant, ni après son mandat sous deux réserves (premier alinéa) ;
- s'agissant des actes détachables du mandat -commis avant le mandat ou ne présentant pas de lien direct avec celui-ci- le Président bénéficie de l' inviolabilité : il ne peut être l'objet d'aucune action devant quelque juridiction ou administration que ce soit pendant la durée du mandat . En revanche, cette immunité cesse avec ses fonctions et le chef de l'Etat relève alors du droit commun (deuxième et troisième alinéas).
Le tableau présenté ci-dessous permet de mettre en évidence les spécificités du régime des immunités présidentielles proposé par le projet de loi constitutionnelle au regard du droit en vigueur mais aussi des immunités dont bénéficient les parlementaires et les membres du Gouvernement.
Le régime des immunités sous la Vème République
Type d'immunités |
Parlementaires (art. 26) |
Membres du Gouvernement (art. 68-1et 68-2) |
Président
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Président
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Irresponsabilité |
Irresponsabilité pénale pour les opinions ou votes émis dans l'exercice des fonctions |
Pas d'irresponsabilité |
Irresponsabilité
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Irresponsabilité
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Inviolabilité (immunité de procédure : protection contre les actions en justice concernant des actes pour lesquels la personne est reconnue responsable) |
Impossibilité d'arrêter, de placer en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire sauf autorisation du bureau de l'assemblée concernée. Cette immunité ne vaut pas en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive |
Pas d'inviolabilité |
Inviolabilité : - pour le Conseil constitutionnel : pas d'inviolabilité mais un privilège de juridiction ; - pour la Cour de cassation : pas de privilège de juridiction mais impossibilité de mettre en mouvement l'action publique pendant la durée du mandat. |
Inviolabilité
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Privilège de juridiction |
Pas de privilège
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Compétence de la Cour de justice de la République pour les crimes ou délits commis dans l'exercice de leur fonction |
Pour le Conseil constitutionnel : compétence de la Haute cour de justice pour tous les actes pour lesquels le chef de l'Etat peut être reconnu responsable |
Haute Cour
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Le régime des immunités proposé par la révision constitutionnelle est proportionné aux exigences du mandat. Il est donc logique que le Président de la République bénéficie d'une protection très complète, à la mesure de la place éminente qu'il occupe dans nos institutions.
1. L'irresponsabilité pour les actes accomplis en qualité de chef de l'Etat
Le premier alinéa du texte proposé pour l'article 67 définit un principe d'irresponsabilité pour les actes commis en qualité de Président de la République assorti d'une double exception visant, d'une part, la mise en cause du chef de l'Etat devant la Cour pénale internationale (art. 53-2 de la Constitution) et, d'autre part, la procédure de destitution en cas de manquement du chef de l'Etat à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat telle qu'elle est prévue par l'article 67.
L'irresponsabilité pour les actes accomplis par le Président de la République en cette qualité
L'irresponsabilité du chef de l'Etat pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions est un principe constamment réaffirmé par nos constitutions républicaines. Le texte proposé pour le premier alinéa de l'article 67 lève l'ambiguïté de la rédaction actuelle, qui prévoit l'irresponsabilité pour les actes accomplis « dans » l'exercice des fonctions. Le choix de cette formulation a pu laisser entendre que l'irresponsabilité couvrait tous les actes commis pendant l'exercice du mandat. Le projet de loi constitutionnelle précise que le principe d'irresponsabilité vaut pour les seuls actes commis en qualité de chef de l'Etat. Lorsqu'il agit en tant que personne privée, celui-ci n'est donc pas couvert par l'irresponsabilité.
Il n'existe pas, pour le Président de la République, de jurisprudence particulière permettant de faire le partage entre les actes du chef de l'Etat agissant au titre de ses fonctions ou comme personne privée. Cependant, la Cour de cassation 45 ( * ) , appelée à se prononcer sur la responsabilité des membres du Gouvernement -qui relèvent de la Cour de justice de la République pour les « actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions »- a défini ces actes comme « ceux qui ont un rapport direct avec la conduite des affaires de l'Etat (à l'exclusion des comportements concernant la vie privée ou les mandats électifs locaux) ».
Selon le projet de loi constitutionnelle, pour les actes ainsi entendus et sous réserve des deux exceptions examinées plus loin, l'irresponsabilité présente un caractère absolu et permanent. Absolu car cette irresponsabilité vaut, comme l'a rappelé la Cour de cassation pour tous les contentieux civil, pénal et administratif ainsi que sur le plan politique. Permanent dans la mesure où aucune action ne peut être engagée au titre des actes accomplis par le chef de l'Etat en cette qualité, non seulement, cela va de soi, au cours du mandat mais aussi à l'expiration de celui-ci. En d'autres termes, l'autorité judiciaire devrait se déclarer incompétente pour connaître de faits non détachables de la fonction présidentielle et cette décision devrait interdire toute nouvelle saisine.
Le principe de l'irresponsabilité pour les actes accomplis au titre du mandat présidentiel connaîtrait néanmoins deux exceptions.
La responsabilité du Président de la République en cas de génocide ou de crime contre l'humanité (article 53-2)
La compétence de la Cour pénale internationale instituée par la convention de Rome du 18 juillet 1998 pour juger les « crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale » s'applique à tous de manière égale « sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle ». L'article 27 précise ainsi que la « qualité officielle de chef de l'Etat ou de Gouvernement, de membre d'un Gouvernement ou d'un Parlement (...) n'exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent statut ». Cette disposition, jugée incompatible par le Conseil constitutionnel, par la décision du 22 janvier 1999, avec le régime des immunités, a conduit à réviser la Constitution afin de reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale (art. 53-2 de la Constitution inséré par la loi constitutionnelle n° 99-568 du 8 juillet 1999).
Celle-ci serait donc compétente si le Président de la République se rendait coupable de génocide ou de crime contre l'humanité ainsi que, si la France lève sa réserve 46 ( * ) , de crimes de guerre et, enfin, lorsqu'il sera défini, de crime d'agression.
Cependant, aux termes de son statut, la Cour pénale internationale exerce une compétence complémentaire des juridictions nationales : elle prévaut lorsqu'il apparaît que l'Etat en cause n'a pas la volonté ou est dans l'incapacité de mener à bien l'enquête ou les poursuites 47 ( * ) . La compétence de la Cour pénale internationale s'appliquerait selon toute vraisemblance si le Président de la République accusé, dans l'exercice de ses fonctions, de crimes de génocide ou de crimes contre l'humanité, n'était pas destitué par la Haute Cour selon la procédure prévue par le projet de loi constitutionnelle à l'article 68.
La responsabilité du Président de la République pour un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat » (article 68)
Telle est la seconde exception à l'irresponsabilité dont le chef de l'Etat bénéficie pour les actes accomplis au titre de son mandat. Ce manquement serait apprécié par le Parlement qui pourrait, constitué en Haute Cour, décider la destitution du chef de l'Etat dans certaines conditions (voir commentaire de l'article 68).
* 45 Arrêt Alain Carignon, chambre criminelle de la Cour de cassation, 26 juin 1995.
* 46 L'article 124 du statut de la Cour pénale internationale permet en effet aux Etats parties de déclarer que, pour une période de sept ans à partir de l'entrée en vigueur du statut, ils n'acceptent pas la compétence de la Cour à l'égard des crimes de guerre, lorsqu'il est allégué qu'un tel crime a été commis sur leur territoire ou par leurs ressortissants. La France a déclaré, lors de son instrument de ratification, qu'elle entendait se prévaloir des dispositions de l'article 124 afin de vérifier les garanties introduites dans le statut pour éviter des plaintes abusives ou fondées sur des motifs politiques. Un projet de loi présenté en Conseil des ministres le 26 juillet 2006 tend à modifier certaines dispositions du code pénal afin de permettre la poursuite de tous les crimes de guerre par les juridictions nationales. Le principe de complémentarité posé par la Convention de Rome au bénéfice des juridictions nationales pourrait ainsi jouer pour ces infractions.
* 47 Contrairement aux tribunaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, régis par le principe de primauté sur les juridictions nationales, qui peuvent demander le dessaisissement de ces juridictions à tout stade de la procédure.