II. LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE : UN ÉQUILIBRE ENTRE PROTECTION DE LA FONCTION PRÉSIDENTIELLE ET RESPONSABILITÉ POLITIQUE

A. LA NÉCESSAIRE PROTECTION DE LA FONCTION PRÉSIDENTIELLE ET LE RESPECT DES EXIGENCES DÉMOCRATIQUES

1. Une protection établie dans l'ensemble des pays démocratiques

Le rapport Avril relève « qu'aucun État ne fait exception à un principe de protection fonctionnelle du chef de l'État à l'égard de la plupart sinon de toutes les procédures juridictionnelles pendant son mandat ».

A l'exception des monarchies où, conformément au principe selon lequel « le roi ne peut mal faire » (« The king can do no wrong »), le chef de l'État bénéficie d'une immunité absolue, la protection est généralement définie en fonction d'un lien matériel ou chronologique avec l'exercice du mandat.

Les actes liés à l'exercice des fonctions

Aussi le chef de l'État n'est-il responsable, dans les démocraties européennes, que de certains actes commis dans l'exercice de ses fonctions. Il est d'ailleurs rare que les textes constitutionnels définissent précisément les actes dont celui-ci pourrait avoir à répondre. Comme le montre le tableau ci-après, le lien avec les fonctions entraîne le plus souvent une mise en jeu de la responsabilité politique, se traduisant par la destitution du chef de l'État.

Il revient à un organe dont la composition ou le mode de saisine a un caractère politique de statuer sur la responsabilité du chef de l'État. Par ailleurs, selon le rapport Avril, dans tous les Etats, l'initiative appartient aux représentants de la nation dans leur ensemble ou à l'une des chambres et elle est encadrée de façon à éviter que la procédure ne soit enclenchée à des fins partisanes.

Dans la plupart des pays démocratiques, la sanction politique peut s'accompagner de sanctions pénales ou civiles, prononcées soit par l'organe d'exception, soit par le juge de droit commun après la destitution, comme aux Etats-Unis.

L'irresponsabilité du chef de l'État s'étend généralement à la matière civile, dans le silence des textes constitutionnels. La Cour suprême des Etats-Unis a confirmé cette immunité à plusieurs reprises 39 ( * ) .

Immunités constitutionnelles et privilèges de juridiction
dans sept républiques de l'Union européenne

Immunités
de fond

Immunités
de procédure

Privilège de juridiction

Actes

Organe

Procédure

Sanctions

Allemagne

fautes non intentionnelles

vote parlementaire pour autoriser les poursuites

violations délibérées de
la Constitution
ou de la loi

Cour
constitutionnelle fédérale

initiative
et saisine parlementaires

destitution

Autriche

actes accomplis dans l'exercice des fonctions (1)

vote parlementaire pour autoriser les poursuites

violation de la Constitution ou de la loi pénale

Haute Cour constitutionnelle

initiative
et saisine parlementaires

destitution
et sanctions de droit commun

Finlande

actes accomplis dans l'exercice des fonctions (1)

non traité par la Constitution

Haute trahison
ou crime contre l'humanité

Haute Cour de Justice

initiative
et saisine parlementaires

destitution
et sanctions de droit commun

Grèce

actes accomplis dans l'exercice des fonctions (1)

suspension automatique
des poursuites jusqu'à la fin
du mandat

Haute trahison ou violation de la Constitution

Organe ad hoc

initiative
et saisine parlementaires

destitution
et sanctions de droit commun

Irlande

actes accomplis dans l'exercice des fonctions (1)

non traité par la Constitution

«mauvaise conduite spécifiée»

Organe ad hoc

initiative
et saisine parlementaires

destitution
et sanctions de droit commun

Italie

actes accomplis dans l'exercice des fonctions (1)

non traité par la Constitution

Haute trahison ou attentat contre la Constitution

Organe ad hoc

initiative et saisine parlementaires

destitution et sanctions de droit commun

Portugal

actes accomplis dans l'exercice des fonctions (1)

Suspension automatique des poursuites jusqu'à la fin
du mandat

« Crimes » définis par une loi spéciale

Tribunal suprême de justice

Initiative
et saisine parlementaires

destitution
et sanctions de droit commun

(1) Autres que les actes donnant lieu à mise en cause de la responsabilité dans le cadre du privilège de juridiction

Source : rapport de la commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République.

Les actes détachables de l'exercice du mandat

Pour les actes non liés à l'exercice de ses fonctions, le chef de l'État est partout soumis à un régime dérogatoire. Dans certains pays, aucune procédure ne peut commencer en cours de mandat sans l'accord du législateur et, dans les autres, les infractions commises hors de l'exercice des fonctions présidentielles ne peuvent être jugées qu'après la fin du mandat 40 ( * ) .

Les Constitutions ne traitent pas de la responsabilité civile du chef de l'État pour des faits privés. Cependant, le rapport Avril souligne que lorsque la question est apparue aux Etats-Unis, l'affaire Paula Jones a « marqué la fragilité de la distinction entre le civil et le pénal lorsqu'est en cause le chef de l'État : il n'a pas été très difficile au procureur Starr, averti des démêlés du président Clinton avec Mlle Jones, et qui enquêtait sur l'affaire «Whitewater», d'obtenir une extension de son champ d'investigations et ainsi de transformer un litige civil en affaire politique nationale ».

En définitive, les immunités accordées aux chefs d'État sont conçues comme des garanties visant à assurer l'exercice de leurs compétences. Cette protection n'est pas personnelle, mais fonctionnelle, et sa portée dépend du rôle constitutionnel du chef de l'État.

La procédure de destitution aux Etats-Unis : l'impeachment

La section 4 de l'article II de la Constitution des Etats-Unis d'Amérique dispose que « le président, le vice-président et tous les fonctionnaires civils des Etats-Unis seront destitués de leurs charges sur mise en accusation et condamnation pour trahison, corruption et autres crimes et délits majeurs ». Pour la doctrine, la procédure d' impeachment met en cause la responsabilité « politico-judiciaire » 41 ( * ) du président.

Il appartient à la Chambre des représentants, sur la recommandation de sa commission judiciaire, de mettre en accusation le chef de l'exécutif, à la majorité simple. Le pouvoir de juger le président revient ensuite au Sénat, qui ne peut déclarer l'accusé coupable qu' aux deux tiers des membres présents (art. 1 er , section 3). Le Sénat est alors présidé par le Chief Justice de la Cour suprême, qui remplace le vice-président, afin d'éviter toute mise en cause de l'impartialité du jugement.

Deux présidents ont fait l'objet d'une procédure d'impeachment, Richard Nixon ayant démissionné avant sa mise en oeuvre.

Andrew Johnson, vice-président d'Abraham Lincoln, auquel il succéda en 1865, suscita l'ire du Congrès en révoquant son secrétaire à la défense sans avoir recueilli le consentement du Sénat comme il y était tenu. En février 1868, la Chambre des représentants retint onze chefs d'accusation, à son encontre, lui reprochant notamment d'avoir diffamé le Congrès. Le président fut cependant acquitté, à une voix près, par le Sénat.

Quant à Richard Nixon, il fit l'objet d'une instruction judiciaire et d'une enquête sénatoriale après la découverte de l'installation, par effraction, d'un matériel d'écoute au siège du comité du parti démocrate (le Watergate), pendant la campagne présidentielle de 1972. Face au refus du président de communiquer les documents qui lui étaient demandés, la Chambre des représentants, de majorité démocrate, engagea une procédure d'impeachment, en adoptant trois chefs d'accusation. Le président Nixon présenta cependant sa démission en 1974, avant d'être jugé par le Sénat.

En outre, Richard Nixon ayant tenté d'obtenir le remplacement d'un procureur qu'il considérait hostile à son égard, le Congrès adopta en 1978 une loi prévoyant la nomination d'un procureur indépendant par trois juges fédéraux. Ce procureur ne peut être révoqué qu'en cas de faute grave.

S'agissant de Bill Clinton, le procureur Starr a remis au Congrès en septembre 1998 un rapport concluant à plusieurs chefs d'accusation possibles, « liés à des développements judiciaires prenant leur source indirecte dans le comportement privé du président » 42 ( * ) . Après avoir décidé l'ouverture d'une enquête, la Chambre des représentants vota la mise en accusation du président en décembre 1998, pour parjure et entrave à la justice. Cette accusation était portée par des membres républicains de la commission judiciaire de la Chambre. Ouvert le 7 janvier 1999, le procès s'est achevé le 12 février, le Sénat abandonnant l'accusation devant l'impossibilité de réunir la majorité des deux tiers.

Le « Monicagate », illustrant une mise en cause disproportionnée du chef de l'exécutif fondée sur des aventures extra-conjugales, a conduit certains observateurs à redouter une banalisation de l' impeachment , qui aboutirait à une responsabilité politique du président devant le Congrès et pourrait déstabiliser le régime.

* 39 Rapport de la commission de réflexion sur le statut pénal du chef de l'État, p. 16.

* 40 Cf. l'étude de législation comparée sur la responsabilité pénale des chefs d'Etat et de Gouvernement établie par le service des affaires européenne du sénat en septembre 2001 ( http://www.senat.fr/lc/lc92/lc92.html ).

* 41 Jean Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, Monchrestien, 16 ème édition, p. 275.

* 42 Pierre Pactet, Ferdinand Melin-Soucramanien, Droit constitutionnel, PUF, 25 ème édition, p. 220. Il convient de préciser que le président Clinton a par ailleurs été condamné le 29 juillet 1999 par un juge fédéral à une amende pour outrage à la justice dans l'affaire d'harcèlement sexuel qui l'opposait à Paula Jones, à l'époque où il était gouverneur de l'Arkansas, et qui avait fait l'objet d'un arrangement financier.

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