TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITION DE M. MARCEL JURIEN DE LA GRAVIÈRE, DÉLÉGUÉ À LA SÛRETÉ NUCLÉAIRE ET À LA RADIO-PROTECTION POUR LES ACTIVITÉS ET INSTALLATIONS INTÉRESSANT LA DÉFENSE

Réunie le 9 novembre 2006 sous la présidence de M. Robert Del Picchia, Vice-président , la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l' audition de M. Marcel Jurien de la Gravière, délégué à la sûreté nucléaire et à la radio-protection pour les activités et installations intéressant la défense.

M. Robert Del Picchia, vice-président, a rappelé que la commission avait désigné M. André Dulait comme rapporteur d'une proposition de loi relative au suivi sanitaire des essais nucléaires français présentée par Mme Hélène Luc et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une part, et d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conséquences sanitaires et environnementales des essais nucléaires, menés en Polynésie entre 1966 et 1996, sur la santé des populations exposées et sur l'environnement, présentée par Mme Dominique Voynet et les membres du groupe socialiste d'autre part. Il a remercié M. Marcel Jurien de la Gravière d'avoir bien voulu venir présenter devant la commission les premiers résultats de la mission que lui a confiée il y a un an la ministre de la défense en vue de présenter les faits liés aux essais nucléaires français en Polynésie et leur impact radiologique.

M. Marcel Jurien de la Gravière, délégué à la sûreté nucléaire et à la radio-protection pour les activités et installations intéressant la défense , a tout d'abord rappelé que toute la période des essais nucléaires, de 1960 à 1966 au Sahara puis de 1966 à 1996 en Polynésie française, n'avait donné lieu à aucune communication, la culture du silence étant alors la règle. Après l'arrêt des essais en 1996, le ministère de la défense a procédé au démantèlement des sites de Polynésie. Une évaluation de la situation radiologique effectuée par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et portant essentiellement sur Mururoa et Fangataufa a été publiée en 1998. Un rapport a été établi, en 2002, par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Ces deux documents n'ont pas ou très peu fait l'objet d'une communication en Polynésie.

Lors de sa visite à Papeete en 2003, le Président de la République a annoncé la création d'un comité de liaison pour la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires français (CSSEN) qui a été mis en place en janvier 2004 par une décision conjointe des ministres de la défense et de la santé. Le CSSEN a pour double mission de caractériser les pathologies susceptibles d'être radio-induites et les catégories de personnes concernées, et d'assurer l'échange d'information avec les associations et les personnes intéressées. Le CSSEN est co-piloté par les deux autorités, civile et de défense, en charge de la sûreté nucléaire et de la radio-protection : le directeur général de la sûreté nucléaire et à la radioprotection (DGSNR) et le délégué à la sûreté nucléaire et à la radio-protection pour les activités et installations intéressant la défense (DSND).

M. Marcel Jurien de la Gravière a indiqué qu'à l'occasion d'une session régionale pour le Pacifique sud de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), au mois d'octobre 2005, il avait été amené à évoquer devant les élus les conséquences des essais nucléaires. Les élus polynésiens avaient alors regretté l'absence d'information qui avait prévalu jusqu'à cette date et avaient demandé à ce que soit écrite cette page de l'histoire de la Polynésie française à travers une opération « grand pas » d'information des populations. A son retour, la ministre de la défense a pris la décision de le mandater pour présenter les faits liés aux essais nucléaires français en Polynésie et leur impact radiologique.

Dans le même temps, l'Assemblée de Polynésie française avait créé une commission d'enquête qui a mené ses travaux de juillet 2005 à janvier 2006. Il n'a toutefois pas été possible d'établir de contacts avec cette commission du fait des recours portant sur sa constitution déposés par le Haut commissaire de la République.

M. Marcel Jurien de la Gravière a indiqué qu'il s'était rendu une première fois en Polynésie française, dans le cadre de sa mission en février 2006, au moment où l'Assemblée de Polynésie adoptait le rapport de la commission d'enquête. Des entretiens bilatéraux ont alors pu s'établir, le plan d'action du gouvernement a été présenté et l'engagement a été pris de revenir communiquer les premiers éléments d'information pour le mois de mai, puis un dossier complet pour le mois d'octobre.

Un premier dossier sur les essais nucléaires a été présenté et remis au gouvernement polynésien au mois de mai 2006. Il présente les 41 essais atmosphériques effectués de 1966 à 1974 et fournit pour chacun d'entre eux les informations relatives à la météorologie, aux conditions de tir et à la localisation des retombées. L'évaluation des doses est fournie pour les 10 essais ayant donné lieu à des retombées significatives. Etant apparu que six de ces dix essais méritaient une relecture, un nouveau calcul des retombées est effectué, dans un premier temps, pour trois d'entre eux. A la différence de ceux effectués de 1966 à 1974, ces nouveaux calculs prennent également en compte les doses à la thyroïde, puisque le cancer de la thyroïde est considéré comme un marqueur d'une exposition aux radiations. Le dossier transmis au gouvernement polynésien expose les données prises en compte et la méthode de calcul qui intègre tous les paramètres nécessaires, comme la ration alimentaire. Ce premier dossier comporte également des indications sur l'immersion de déchets radioactifs en fosse profonde et des éléments sur les opérations de démantèlement et de contrôle radiologique menées sur l'atoll de Hao.

Conformément aux engagements pris, un second dossier, présenté et transmis au mois d'octobre dernier, retrace le bilan définitif et complet des doses établies et complète les données pour l'ensemble des six tirs considérés comme ayant donné lieu aux retombées les plus significatives. La conclusion tirée de ces travaux est que les retombées se situent dans la gamme des faibles et des très faibles doses. Si l'on prend en compte les doses « efficaces » adultes pour l'ensemble des tirs, elles se situent toutes en dessous de 10 millisieverts, alors qu'à titre d'illustration, la dose annuelle absorbée à Paris du fait de la radioactivité naturelle est de 2,4 millisieverts.

M. Marcel Jurien de la Gravière a constaté que l'ensemble très complet de données transmises au gouvernement polynésien n'avait pour l'heure donné lieu à aucune contestation, y compris pour les rectifications qu'il avait été amené à formuler sur le rapport de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD) qui faisait partie du rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée de la Polynésie française.

Il a précisé que si le travail d'information sur les retombées qui lui avait été demandé était désormais achevé, il avait néanmoins effectué deux séries de propositions.

Dans le domaine de la santé, il lui a paru nécessaire de mener dans les quatre atolls concernés - Mangareva, Tureia, Reao et Pukarua - une action en trois volets : un bilan de santé de la population, car certains atolls ne bénéficient d'aucune présence médicale ; un suivi médical annuel ou bisannuel mis en place avec le territoire et l'aide logistique des armées pour le transport aérien ; la réalisation d'une étude épidémiologique.

Dans le domaine des installations, il a indiqué que l'Etat avait respecté ses obligations lors de l'arrêt des essais, mais qu'il pourrait contribuer à des opérations supplémentaires de « déconstruction » d'abris ou blockhaus. Il a rappelé à ce sujet que le ministère de la défense avait laissé ses installations de l'atoll de Hao, à leur demande, à la commune ou à des particuliers, et qu'elles étaient alors en parfait état.

Il a souligné que tant en matière de santé que d'infrastructures, rien ne pourrait être effectué sans une coopération étroite entre la Polynésie française et l'Etat. Il a notamment mentionné, s'agissant de la santé, l'appui qu'était prêt à apporter l'Institut national de veille sanitaire (INVS) au ministère de la santé polynésien.

Il a évoqué les travaux dont a fait état M. Florent de Vathaire, directeur de l'unité d'épidémiologie des cancers à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), et qui établiraient un lien entre certains cancers et les retombées des essais en Polynésie. Il a rappelé que cette étude n'était toujours pas publiée et ne le serait peut-être pas avant plusieurs mois, et que la ministre de la défense avait saisi à ce sujet les académies des sciences et de médecine.

Il a estimé que si, au vu d'études épidémiologiques reconnues, une relation était établie entre certains cancers et l'exposition aux retombées des essais, il conviendrait d'en tirer toutes les conséquences. Si cette relation n'était pas établie, il serait néanmoins nécessaire de maintenir un suivi médical régulier des populations des quatre atolls concernés et de poursuivre des études visant à relier les excès de cancer constatés à d'autres paramètres.

M. André Dulait a souligné qu'il était extrêmement important pour la commission, saisie d'une demande de constitution de commission d'enquête et d'une proposition de loi, de pouvoir bien comprendre la nature des questions soulevées par les conséquences sanitaires des essais nucléaires et faire le point sur l'action menée depuis la création, début 2004, d'un Comité de liaison interministériel de suivi sanitaire des essais nucléaires français, dont les conclusions sont attendues d'ici à quelques semaines.

M. André Dulait a souhaité obtenir des précisions sur la différence de nature entre la question des travailleurs ou vétérans d'une part, et celle des populations locales d'autre part, tant en ce qui concerne les risques encourus que les types de mesures de prévention prises. Il a demandé quelles étaient les données couvertes par le secret défense auxquelles les associations voudraient avoir accès et les raisons qui s'opposaient à leur divulgation. Il a notamment souhaité savoir si les documents concernés contenaient des informations sur la méthode des essais et le fonctionnement des armes, et si leur divulgation se heurtait aux règles de non-prolifération nucléaire. Il a rappelé que la ministre de la défense avait déclaré devant le Sénat qu'elle n'excluait pas que des scientifiques dûment habilités et travaillant dans un cadre très précis puissent avoir accès à ces dossiers. Il a souhaité savoir ce qu'il serait possible d'envisager dans ce domaine.

M. André Dulait a également souligné l'intérêt d'établir un diagnostic médical des populations dans les îles les plus concernées et d'organiser des contrôles périodiques, ainsi que l'avait évoqué le délégué à la sûreté nucléaire de défense. Il s'est interrogé sur la situation de l'organisation sanitaire en Polynésie et sur sa capacité à faire face aux besoins en la matière.

Enfin , M. André Dulait s'est déclaré surpris par la tonalité d'un reportage récemment diffusé sur France 2 et relatif à l'atoll d'Hao, d'où il ressortait que des eaux contaminées auraient pu être rejetées sans contrôle lors des opérations de nettoyage de certains appareils utilisés pour les essais et que l'Etat avait laissé les installations à l'abandon après l'arrêt des essais. Il a jugé ce reportage d'autant plus étonnant que le dossier rendu public par le ministère de la défense au mois de mai dernier contenait des indications très détaillées sur les installations de Hao, sur les opérations de démantèlement effectuées à la suite des essais et sur les conditions dans lesquelles certaines emprises, notamment une centrale électrique, avait été transférée aux collectivités territoriales. Il a aussi rappelé que depuis l'arrêt des essais, l'Etat verse à la Polynésie française une compensation financière annuelle qui se monte actuellement à 150 millions d'euros.

En réponse à ces questions, M. Marcel Jurien de la Gravière a apporté les précisions suivantes :

- la situation des personnels civils et militaires ayant participé aux essais et celle des populations locales est totalement différente. Les personnels ayant participé aux essais relèvent soit du code des pensions civiles et militaires d'invalidité, soit du code de la sécurité sociale, soit de la caisse de prévoyance sociale de Polynésie pour les travailleurs locaux ; dans ce cadre, ils peuvent solliciter une reconnaissance du lien entre leur maladie et une éventuelle irradiation lors de leur travail, et obtenir les réparations correspondantes ; certes, il s'agit de procédures lourdes, mais l'imputation au service a été reconnue dans plusieurs cas ; en tout état de cause, les organismes qui détiennent les dossiers médicaux et radiologiques de ces anciens personnels répondent à toute demande émanant des personnes elles-mêmes, de leur médecin traitant ou des organismes de sécurité sociale ou de pensions ; 300 à 400 demandes de communication des données médicales et radiologiques sont ainsi traitées chaque année ; les échanges de courriers sont toutefois tributaires des difficultés d'acheminement dans certaines îles de Polynésie ;

- pour les populations locales, il y avait à l'époque des essais des postes de contrôle et de radioprotection ; toutefois, plus aucun suivi sanitaire n'a été effectué après l'arrêt des essais, ce qui rend nécessaire le rétablissement de visites médicales régulières, sous la responsabilité du ministère de la santé polynésien avec l'appui de l'InVS ;

- les documents établis à l'occasion de chaque tir ne contiennent pas que des données environnementales, mais comportent des données sur les tirs eux-mêmes ; la levée du secret défense sur ces documents eux-mêmes ne peut donc être envisagée, compte tenu des règles et exigences en matière de non-prolifération nucléaire ; en revanche, comme l'a clairement indiqué la ministre de la défense devant le Sénat, les experts scientifiques qui effectueront des études épidémiologiques dans ce domaine pourront avoir accès aux données environnementales nécessaires à ces études ;

- il est regrettable que le reportage sur l'atoll d'Hao n'ait pas diffusé les propos tenus par le maire de la commune sur la situation de l'ancienne zone d'activité et de l'ancienne zone vie ; par ailleurs, la centrale électrique a été laissée en parfait état de marche, mais l'entreprise contractante a préféré investir dans une nouvelle installation ; de manière générale, on peut relever que les quatre atolls les plus concernés par les retombées n'ont pas obtenu de concours financiers spécifiques issus de la dotation générale de développement économique versée au territoire depuis l'arrêt des essais ;

- les eaux usées provenant du nettoyage des avions qui effectuaient des prélèvements dans le nuage radioactif n'ont en aucun cas été rejetées dans le lagon ; un système de drainage permettait de les recueillir dans des cuves ; les résidus boueux étaient confinés et conditionnés dans des fûts, puis immergés dans des fosses profondes et les eaux restantes rejetées dans l'océan, comme cela peut se faire pour les eaux provenant des installations nucléaires industrielles ; tous les contrôles effectués à ce sujet ont confirmé que ces rejets n'entraînaient aucune radioactivité artificielle dans le milieu marin.

Mme Hélène Luc a tout d'abord adressé ses remerciements au président Serge Vinçon pour avoir permis l'audition devant la commission du délégué à la sûreté nucléaire de défense. Elle a également considéré que la réponse du ministre de la défense à sa question orale le 10 octobre dernier témoignait d'une avancée positive, dans la mesure où elle envisageait favorablement l'accès de scientifiques aux archives militaires. Indiquant qu'après avoir déposé une proposition de loi sur le suivi sanitaire des essais nucléaires français, son déplacement en Polynésie et sa rencontre avec des personnes souffrant de pathologies graves l'avaient renforcée dans sa volonté d'agir, elle a reconnu que la tâche était difficile, après quarante ans de silence total sur les conséquences des essais, mais elle a souhaité qu'un véritable dialogue s'établisse désormais avec les populations en vue d'une action constructive. Elle a vu un signe positif dans la réunion prévue le 16 novembre prochain entre le Haut commissaire et les autorités locales sur la réhabilitation de l'atoll de Hao.

Mme Hélène Luc a indiqué que sur 16 000 adhérents à l'association d'anciens travailleurs polynésiens Mururoa et Tatou et à l'Association des vétérans des essais nucléaires (AVEN), 35 % souffraient de cancers, principalement des poumons, de la peau et de la thyroïde. Elle a regretté qu'il ait fallu attendre 2004 pour que soit créé un comité de liaison sur les conséquences sanitaires des essais nucléaires, comité qui exclut cependant la participation des associations. Evoquant les conclusions de la commission d'enquête de l'Assemblée de Polynésie, elle a rappelé que le Haut commissaire avait introduit des recours contre sa constitution. Elle a également signalé que certains aspects des documents présentés par M. Marcel Jurien de la Gravière lors de ses trois séjours en Polynésie étaient contestés par le Comité de suivi des conséquences des essais nucléaires (COSCEN) mis en place par les autorités polynésiennes, comme par les associations. Plus généralement, elle a constaté un évident problème de confiance dans les relations entre le ministère de la défense, l'Etat et les populations polynésiennes. Elle a indiqué que Mme Béatrice Vernaudon, député de Polynésie française, a d'ailleurs soulevé cette question auprès de Mme Michèle Alliot-Marie, considérant que le délégué à la sûreté nucléaire de défense ne pouvait qu'apparaître, sur ce dossier, comme juge et partie. Elle a jugé indispensable de rétablir la confiance et de poursuivre sur la voie de la transparence dont s'est réclamée la ministre de la défense. Elle a enfin souligné que le Parlement avait le devoir de comprendre ce qui s'est produit pour en tirer si nécessaire les conséquences en matière de réparation vis-à-vis des victimes.

Mme Hélène Luc a ensuite demandé à M. Marcel Jurien de la Gravière s'il était envisagé de rendre publiques les doses relatives à l'ensemble des tirs, sans se limiter aux seuls 6 tirs évoqués à ce jour dans les rapports publiés. Elle a également souhaité l'accès aux archives médicales radiologiques détenues par le Service de protection radiologique des armées provenant notamment des contrôles réguliers de spectrogammamétrie auxquels étaient soumises les populations locales à bord de La Rance, navire du service mixte de sécurité radiologique des armées. Elle a demandé qu'après accord de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL), la liste de tous les personnels civils et militaires qui ont été présents sur les sites d'essais soit communiquée, cette liste étant de nature à permettre des études sanitaires et épidémiologiques fiables. Elle a souhaité savoir s'il était envisageable d'effectuer une étude de contrôle radiologique sur l'atoll de Hao, en particulier sur l'ancienne zone technique du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et du service mixte de sûreté radiologique, les mesures sommaires réalisées par hélicoptère en 1999 et les prélèvements au sol opérés méritant d'être complétés par des prélèvements plus précis. Elle a à ce propos convenu qu'il était regrettable que les propos du maire de Hao n'aient pas été retenus dans la diffusion du récent reportage de France 2. Elle a enfin demandé si le CCSEN serait en charge de la mise en oeuvre du suivi médical des populations, jugeant que cette responsabilité devrait plutôt être confiée à une commission nationale de suivi des essais nucléaires dont la composition serait plus large et tripartite, avec des représentants de l'Etat, du Parlement et des associations.

Mme Hélène Luc a remarqué que les réparations n'étaient actuellement accordées par les tribunaux qu'après un long « parcours du combattant » et elle a annoncé que pour remédier à cette situation, elle déposerait très prochainement avec son groupe une proposition de loi visant à établir une présomption de lien de causalité avec les essais nucléaires, sur le modèle de ce qui a été réalisé pour les victimes de l'amiante. Elle a considéré que l'on ne pouvait se limiter aux preuves scientifiques, qui sont nécessairement difficiles à établir compte tenu de l'absence de données médicales fiables, qui n'ont jamais été recueillies du temps des essais, notamment sur les personnels recrutés localement et les populations vivant à proximité des sites, et de la création récente, à la fin des années 1980 seulement, du registre des cancers de Polynésie. Elle a également indiqué qu'une grande partie des personnels militaires ou civils n'avaient pas de contrôle radiologique. Elle a cité l'évaluation réalisée par les associations, selon lesquelles 10 000 personnes subissent des conséquences sanitaires des essais nucléaires. Elle a estimé que les Etats-Unis et le Royaume-Uni avaient adopté des mesures législatives pour reconnaître automatiquement le lien entre certaines maladies définies et les essais.

En conclusion, elle a réitéré sa volonté de contribuer à faire établir la transparence sur ce dossier en vue de permettre la réparation des conséquences des essais. Elle a souligné qu'il en allait des relations futures entre la France et la Polynésie, en rappelant que les Polynésiens, dont elle avait pu constater l'attachement à la France, attendaient beaucoup du gouvernement dans ce domaine.

En réponse à cette intervention, M. Marcel Jurien de la Gravière a apporté les précisions suivantes :

- une extrême précaution s'impose vis-à-vis de certaines informations qui sont à la base des affirmations de ceux qui contestent les données fournies par l'Etat ; l'évocation des circonstances du premier tir effectué le 2 juillet 1966 en Polynésie dès les premières pages du rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée de Polynésie en est une illustration ; le rôle du Centre de recherche sur la paix et les conflits (CDRPC) est de ce point de vue contestable ;

- les 6 tirs sélectionnés pour procéder à de nouveaux calculs de doses l'ont été parce qu'ils ont donné lieu aux retombées les plus significatives ; aucune raison de principe ne s'oppose à refaire les calculs sur les 35 autres tirs, mais il est d'ores et déjà acquis qu'un travail aussi lourd n'apporterait aucun élément nouveau, car les doses ne peuvent qu'être extrêmement faibles ;

- l'ensemble des personnels ayant travaillé sur les sites d'essais ont accès à leur dossier médical et radiologique ; les dossiers sont conservés par le Service de protection radiologique des armées (SPRA), le Service de santé des armées et par le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) ;

- la liste des personnes ayant travaillé sur les sites d'essais est en cours de reconstitution ; sa communication est subordonnée à une autorisation de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) ; celle-ci statuera au vu d'une demande qui n'a pas encore été formulée et qui doit préciser le but dans lequel la transmission des informations est demandée ; certains anciens agents ont fait savoir qu'ils ne souhaitaient pas que leur nom soit communiqué ;

- l'atoll de Hao a fait l'objet d'un contrôle radiologique complet ; le ministère de la défense n'envisage pas de faire procéder à de nouvelles opérations de contrôle ; en revanche, il est prêt à apporter son concours aux collectivités territoriales pour le nettoyage de l'ancienne zone d'activité ;

- le CSSEN va remettre au mois de décembre ses recommandations au gouvernement, mais il ne lui appartiendra pas de les mettre en oeuvre ; celle-ci relève des ministères de la santé français et polynésien ;

- tous les personnels dont le poste de travail était exposé se sont vu appliquer les procédures de contrôle radiologique ;

- la législation américaine n'est pas transposable à la France, dans la mesure où les Etats-Unis ne disposent pas d'un système de sécurité sociale obligatoire et où l'accès aux assurances privées y est particulièrement coûteux ; les indemnités forfaitaires versées au titre de la présomption d'imputabilité pour certaines maladies, l'ont été pour solde de tout compte et s'élèvent en moyenne à 70 000 dollars ; ce mécanisme n'est pas comparable avec le système français qui assure la prise en charge des soins et l'indemnisation éventuelle.

Mme Hélène Luc a considéré que le silence observé jusqu'à une date récente par les autorités nationales sur les conséquences sanitaires des essais nucléaires avait nui à la qualité du dialogue avec les populations et qu'il importait de dissiper les malentendus.

M. André Dulait s'est félicité de voir ce dossier avancer notablement, grâce notamment à la diffusion d'informations qu'aucun autre gouvernement passé ni aucun autre gouvernement étranger n'avait jusqu'à présent pratiqué à ce niveau. Il a également estimé que les propositions formulées dans le domaine du contrôle et du suivi médical étaient de nature à répondre concrètement au problème posé.

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