2. Le faible taux d'emploi des seniors
Parmi les pays d'Europe occidentale, la France est, avec la Belgique, celui dans lequel l'âge moyen de retrait du marché du travail est le plus précoce : cinquante-huit ans, c'est-à-dire presque deux ans de moins que la moyenne de l'Union européenne (59 ans et 11 mois), plus de deux ans et demi avant l'Allemagne (60 ans et 11 mois) et presque quatre ans de moins qu'en Suède (soixante-deux ans).
En 2004, le taux d'emploi des Français entre cinquante-cinq et soixante-quatre ans se situe à 37,3 % 5 ( * ) , c'est-à-dire en dessous de la moyenne des pays de l'Union européenne (41,0 %), mais aussi d'un grand nombre de pays voisins : Allemagne (41,8 %), Pays-Bas (45,2 %), Finlande (50,9 %), Royaume-Uni (56,2 %), Danemark (60,3 %) et Suède notamment (69,1 %).
La loi du 21 août 2003 a marqué une inflexion sensible de la politique publique en matière de cessation précoce d'activité. Mais les possibilités de contourner l'objectif visant à repousser l'âge de départ en retraite des assurés sont très nombreuses par le biais notamment :
- des préretraites publiques : allocations spéciales du fonds national de l'emploi (ASFNE), préretraites progressives, cessation anticipée d'activité de certains travailleurs salariés, cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ;
- des préretraites d'entreprise ;
- de la dispense de recherche d'activité des chômeurs âgés qui concerne aujourd'hui plus de 400.000 personnes, soit environ 6 % des personnes âgées de cinquante-cinq à soixante-quatre ans ;
- des départs précoces dans la fonction publique.
Le consensus national implicite en faveur des cessations anticipées d'activité perdure largement dans le monde du travail, où l'on ne perçoit guère d'inflexion des comportements individuels et collectifs. Les résistances opposées à la décision des pouvoirs publics de mettre fin d'ici 2010 aux possibilités de mises à la retraite d'office des salariés avant soixante-cinq ans témoignent de la puissance de ce phénomène. L'exemple le plus flagrant peut en être trouvé lors des débats parlementaires de la réforme des retraites. Un amendement avait été alors adopté, en dépit des réserves exprimées par le Gouvernement, pour créer une dérogation et permettre que cette mise à la retraite d'office ait lieu dès l'âge de soixante ans, dès lors qu'une convention ou un accord collectif étendu fixait des « contreparties en termes d'emploi ou de formation professionnelle », sans autre précision.
Trois ans après la promulgation de la loi, pas moins de cent vingt-deux branches professionnelles , dont les plus importantes, ont conclu des accords sur cette base. Par ses proportions, la dérogation a vidé de sa substance les dispositions générales et l'exception est devenue la règle. Huit branches professionnelles au minimum ont même signé des accords dérogatoires en dessous de l'âge de soixante ans , d'une légalité très contestable, voire douteuse.
Afin de sortir de cette impasse, les partenaires sociaux ont signé, le 13 octobre 2005, un accord national interprofessionnel (ANI) relatif à l'emploi des seniors, visant à promouvoir le maintien et le retour à l'emploi des personnes de plus de cinquante ans. Le Gouvernement a ensuite constitué un groupe de travail ad hoc , présidé par Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, pour trouver des réponses à ces questions. Au terme de plusieurs réunions, cette concertation a débouché sur l'élaboration, par les pouvoirs publics, d'un plan national se fixant pour ambition prioritaire de concourir à une augmentation du taux d'emploi des personnes âgées de cinquante-cinq à soixante-quatre ans, de l'ordre de deux points par an sur la période 2006-2010, pour atteindre un taux de 50 % à horizon 2010. Ce plan est fondé sur cinq objectifs rassemblant trente et une actions concrètes.
Objectif 1 : Faire évoluer les représentations socioculturelles - action n° 1 : informer un large public sur les atouts de l'expérience des seniors ; - action n° 2 : sensibiliser les entreprises à la gestion des âges, à l'accès ou au maintien dans l'emploi des seniors ; - action n° 3 : renforcer et mieux coordonner l'observation, notamment des bonnes pratiques, en matière d'emploi des seniors ; - action n° 4 : mobiliser l'ensemble des acteurs de la recherche sur l'enjeu de l'âge au travail. Objectif 2 : Favoriser le maintien dans l'emploi des seniors - action n° 5 : généraliser la pratique des entretiens de deuxième partie de carrière et des bilans de compétences ; - action n° 6 : développer les nouveaux outils de la formation professionnelle à destination des seniors ; - action n° 7 : déployer une politique contractuelle favorable aux seniors ; - action n° 8 : accompagner et amplifier le développement des accords de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, en particulier dans les petites et moyennes entreprises (PME) ; - action n° 9 : améliorer les outils de pilotage de la politique de formation professionnelle ; - action n° 10 : limiter le recours aux cessations totales anticipées d'activité ; - action n° 11 : mettre un terme aux accords abaissant l'âge de mise à la retraite d'office ; - action n° 12 : développer les actions de prévention pour faciliter le maintien en activité des seniors ; - action n° 13 : réorienter le fonds pour l'amélioration des conditions de travail (FACT) vers les actions traitant de la gestion des âges ; - action n° 14 : mobiliser le réseau de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact). Objectif 3 : Favoriser le retour à l'emploi des seniors - action n° 15 : accroître l'offre de service de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) en direction des seniors ; - action n° 16 : développer l'offre de service du service public de l'emploi en matière de qualification professionnelle ; - action n° 17 : mobiliser les contrats aidés, en particulier le contrat initiative emploi, en faveur de l'emploi des seniors ; - action n° 18 : refuser la discrimination par l'âge lors du recrutement ; - action n° 19 : supprimer les freins à l'emploi liés à la contribution Delalande ; - action n° 20 : adapter le recours aux contrats à durée déterminée à partir de cinquante-sept ans ; - action n° 21 : encourager la création et la reprise d'entreprise ; - action n° 22 : développer les nouvelles formes d'emploi ; - action n° 23 : renforcer l'aide dégressive à l'employeur pour l'embauche de demandeurs d'emploi de plus de cinquante ans ; - action n° 24 : mettre en place des mécanismes d'intéressement à la reprise d'activité favorables pour les demandeurs d'emploi de plus de cinquante ans. Objectif 4 : Aménager les fins de carrière - action n° 25 : développer la pratique du tutorat dans l'entreprise ; - action n° 26 : anticiper le déroulement de la fin de carrière ; - action n° 27 : passer à temps partiel tout en continuant à cotiser pleinement pour la retraite ; - action n° 28 : utiliser le compte épargne-temps pour aménager la fin de carrière ; - action n° 29 : promouvoir la retraite progressive ; - action n° 30 : renforcer le caractère incitatif de la surcote ; - action n° 31 : élargir les possibilités de cumul emploi-retraite pour les bas salaires.
Objectif 5
: Assurer un suivi
tripartite dans la durée par l'Etat et les partenaires sociaux
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L'enjeu est de première importance. Faute d'une amélioration rapide de la situation, il sera impossible en 2008, si les salariés continuent à cesser dans les faits leur activité professionnelle dès cinquante-sept ou cinquante-huit ans, de convaincre l'opinion publique de la nécessité de continuer à relever l'âge de la retraite.
* 5 Cf. l'enquête sur les forces de travail publiée le 8 septembre 2005 par Eurostat.