TRAVAUX DE LA COMMISSION
Audition de Mme Danièle KARNIEWICZ, présidente du conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (Cnav)
Réunie le mercredi 25 octobre 2006 , sous la présidence de M. Nicolas About, président , la commission a procédé à l' audition de Mme Danièle Karniewicz, présidente du conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (Cnav).
Après avoir excusé l'absence de M. Dominique Leclerc, rapporteur pour la branche vieillesse, M. Nicolas About, président , a invité Mme Danièle Karniewicz, présidente de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (Cnav), à présenter ses observations sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007. Il a notamment souhaité savoir si cette caisse connaît déjà une situation de déficit structurel et si le coût, beaucoup plus important que celui prévu initialement, des départs en retraite pour longue carrière permet encore d'envisager l'ajout d'un dispositif de compensation de la pénibilité au travail. Les négociations engagées à ce sujet entre les partenaires sociaux semblent en effet dans l'impasse depuis de nombreux mois.
Mme Danièle Karniewicz, présidente du conseil d'administration de la Cnav, a considéré qu'il est exact de dire que le déséquilibre des comptes de la Cnav présente un caractère structurel. Les personnes appartenant aux premières classes d'âge du baby-boom d'après-guerre sont désormais très nombreuses à pouvoir demander la liquidation de leur pension. Le nombre des départs en retraite s'est ainsi accru de 8 % en 2006 par rapport à 2005.
Les projections tablent pour les prochaines années sur le maintien d'un fort déficit, qui serait compris, en 2010, entre 3,3 milliards d'euros et 5,1 milliards d'euros. Ces estimations ont pourtant été élaborées sur la base d'hypothèses que certains observateurs considèrent comme « optimistes », aussi bien en ce qui concerne la progression de la masse salariale que celle des prestations versées. Ainsi, les prévisions de déficit du régime général pour 2007 reposent sur l'idée d'une modification substantielle des comportements des assurés sociaux, en réponse à la mise en oeuvre du plan national d'action en faveur des seniors : on suppose que 40.000 personnes choisiraient, dès l'année prochaine, de repousser la date de leur départ à la retraite, ce qui n'est pas avéré.
Le creusement récent du déficit du régime général s'explique aussi en grande partie par l'ampleur des départs anticipés des assurés sociaux qui ont commencé précocement leur carrière professionnelle et qui liquident leur pension avant soixante ans. Le déséquilibre des finances de la Cnav est ainsi passé de 1,9 milliard d'euros en 2005, à 2,4 milliards d'euros en 2006 et devrait atteindre 3,5 milliards d'euros en 2007. L'augmentation du coût de la mesure des carrières longues a pesé très fortement sur cette tendance : les dépenses correspondantes se sont élevées à 600 millions d'euros en 2004, à 1,4 milliard d'euros en 2005, à 1,8 milliard d'euros en 2006 et seraient, en 2007, de 2 milliards d'euros.
Les comptes de la Cnav sont affectés par un effet de ciseau entre le rythme de croissance des recettes (+ 4,3 % en 2006 et + 4,6 % estimés en 2007) et celui, sensiblement supérieur, des prestations versées (+ 5,6 % en 2006 et + 5,2 % estimés en 2007). A cela s'ajoute la mise à contribution du régime général au titre de la compensation démographique dont le montant, qui atteint 2,8 milliards d'euros par an, s'est d'ailleurs accru de 800 millions d'euros depuis la réforme des critères intervenue à l'automne 2002. Au total, la croissance des dépenses de la Cnav atteindrait 24 % sur la période 2005/2010, tandis que la progression des recettes serait comprise, selon les hypothèses envisagées, entre 21,2 % et 23,6 %.
Après avoir constaté l'absence de changement des comportements individuels et collectifs dans les entreprises et déploré que les employeurs continuent à utiliser massivement les différents mécanismes de cessation précoce d'activité des salariés, Mme Danièle Karniewicz a indiqué que le nombre des nouveaux bénéficiaires de la mesure des carrières longues tend tout juste à se stabiliser, mais à un niveau très élevé : 102.000 en 2005, 105.000 en 2006 et probablement 95.000 en 2007. Dès l'âge de quarante-cinq ans, beaucoup de salariés ont le sentiment de représenter un fardeau pour les entreprises qui les emploient. Or, voici quelques années encore, ce couperet psychologique ne semblait apparaître qu'à cinquante, voire cinquante-cinq ans. Ce phénomène très sensible explique une tendance générale à l'oeuvre parmi les « seniors » qui consiste à vouloir partir en retraite dès que possible, afin de se prémunir contre les possibles effets de la prochaine réforme des retraites. Ce mouvement d'inquiétude semble gagner le corps social à l'approche de la « clause de rendez-vous » de 2008.
En ce qui concerne le dossier de la pénibilité, les partenaires sociaux ont engagé des négociations nationales en février 2005, conformément à l'article 12 de la réforme des retraites de 2003, mais les discussions ne semblent pas devoir aboutir rapidement à un accord. Il apparaît donc prématuré d'évoquer un futur dispositif destiné à compenser la pénibilité au cours de la carrière professionnelle, d'autant plus que la définition des contours de cette notion pose de redoutables difficultés pratiques et conceptuelles. Pour autant, Mme Danièle Karniewicz a estimé que, compte tenu de l'impact financier déjà élevé de la mesure des carrières longues et du caractère structurel du déficit du régime général, il ne sera sans doute pas possible d'indemniser la pénibilité dans des conditions généreuses. La diminution progressive, à partir du début des années 2010, des effectifs éligibles au dispositif des carrières longues pourrait toutefois donner lieu à des effets de substitution en faveur d'un nouveau dispositif de cessation d'activité, fondé cette fois sur la pénibilité.
Après avoir rappelé l'intérêt constant manifesté par la commission des affaires sociales du Sénat à la question des adossements de régimes spéciaux, M. Alain Vasselle, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie , a demandé pourquoi le dossier de la Régie autonome des transports parisiens (RATP) n'a toujours pas abouti. Il a également souhaité savoir si la Cnav a reçu des assurances du Gouvernement sur l'abandon du projet consistant à amorcer, dès cette année, l'adossement des retraites de La Poste. Puis il a interrogé la caisse sur la présentation de l'adossement des industries électriques et gazières (IEG) dans son rapport annuel.
Après avoir rappelé que les négociations engagées entre la Cnav, l'Etat et la RATP se sont ouvertes au premier semestre 2005 et que, dès juin 2005, les échanges ont porté sur le montant de la soulte et sur son mode de calcul, Mme Danièle Karniewicz a indiqué que les discussions avec les pouvoirs publics semblent au point mort depuis le mois de juillet dernier. Compte tenu de ce retard qui ne lui est en rien imputable, il est désormais indispensable, pour espérer parvenir à un accord, de remettre à plat l'ensemble des éléments financiers du projet d'adossement.
Les négociations engagées avec les pouvoirs publics achoppent sur trois points de blocage principaux : la question de la prise en charge des avantages familiaux par le fonds de solidarité vieillesse (FSV), le niveau de la rente garantie des retraités et le taux d'actualisation sur la base duquel la soulte sera calculée.
S'agissant des avantages familiaux, elle a estimé que la situation actuelle de sous-financement chronique du FSV, lequel doit au demeurant 5,6 milliards d'euros à la Cnav, interdit désormais de reproduire le schéma de compromis qui avait prévalu in fine pour les IEG. Même si les sommes en jeu apparaissent nettement inférieures dans le cas de la RATP à ce qu'elles étaient pour les IEG, il s'agit d'une question de principe pour le régime général, notamment dans la perspective des opérations ultérieures d'adossement.
Il en va de même pour le niveau de la rente garantie, qui devrait être plus faible pour la RATP que dans le cas des IEG. Cette opération consiste, dans un souci de simplification, à reprendre globalement les droits des retraités du régime adossé, pour éviter d'avoir à reconstituer individuellement leurs carrières professionnelles.
Reconnaissant que cette demande pose très certainement des difficultés à l'Etat, dans la mesure où la nouvelle caisse de retraite du personnel de la RATP serait alors amenée à verser la différence, elle a toutefois estimé que ce problème n'est pas celui des assurés sociaux du régime général.
En ce qui concerne le taux d'actualisation, qui joue un rôle déterminant dans le montant de la soulte, Mme Danièle Karniewicz a indiqué que le niveau retenu il y a deux ans pour les IEG (2,5 %) n'a pas aujourd'hui vocation à être automatiquement reconduit pour la RATP. Des experts financiers et des actuaires préconisent en effet d'utiliser des taux inférieurs, ce qui aboutirait à augmenter sensiblement le montant des droits d'entrée à acquitter par le régime adossé : un écart de quelques dizaines de points de pourcentage se traduit par une différence actuarielle de plusieurs centaines de millions d'euros sur une durée de vingt-cinq ans. Après avoir réaffirmé, comme elle l'avait fait lors de son audition du 21 juin 2006 par la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) du Sénat, le besoin pour la Cnav de disposer d'une contre-expertise des banques de la place pour être en mesure d'apprécier le taux d'actualisation proposé par le ministère des finances, elle a observé que les calculs de la soulte reposent également sur des hypothèses d'évolution des effectifs du personnel fournies par la RATP que la Cnav se trouve contrainte d'accepter.
Aussi bien pour le dossier de la RATP que pour celui de La Poste, Mme Danièle Karniewicz , a estimé que dès lors que la solution d'un adossement sur le régime général semble le seul schéma envisagé par le ministère des finances, il apparaît indispensable de consacrer les prochains mois à des travaux très approfondis sur ces opérations. Compte tenu de la difficulté avérée de l'exercice et de la nécessité absolue de trouver une solution en 2007, il serait impensable que l'Etat attende, pour ouvrir des négociations, que les échéances électorales de l'année prochaine soient passées.
Après avoir indiqué que la Cnav n'a reçu à ce jour aucun élément chiffré de la part de La Poste, Mme Danièle Karniewicz a rappelé, d'une part, que ce dossier porte sur un montant d'engagements de retraite de 70 milliards d'euros, d'autre part, qu'il ne s'agit pas, en l'espèce, de l'adossement d'un régime de retraite spécial. Cette entreprise publique, dont l'effectif total s'élève à 300.000 personnes, est en effet composée, pour un tiers, de salariés de droit privé et, pour le reste, de fonctionnaires de l'Etat, dont la situation au regard de la retraite est déterminée par le code des pensions civiles et militaires de retraite. Il s'agit donc d'un cas de figure entièrement nouveau par rapport aux précédents des IEG ou de la RATP, nécessitant probablement quatre ou cinq mois de travaux techniques préalables, avant d'être en mesure d'engager des négociations qui seront de toute évidence ardues.
Observant que la puissance publique joue en quelque sorte le rôle de réassureur de La Poste pour les retraites des agents publics, elle a constaté que les relations entre l'Etat et l'entreprise publique évoluent progressivement : La Poste a ainsi déjà été conduite à verser 2 milliards d'euros dans le cadre de la loi de finances pour 2006. Cette opération pourrait être renouvelée à l'occasion de l'examen de la loi de finances rectificative pour 2006.
Après s'être félicitée que le Gouvernement ait finalement abandonné le projet consistant, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, à amorcer dès cette année l'adossement des retraites de La Poste sur le régime général, par le biais d'une avance d'environ un milliard d'euros, elle a indiqué qu'une telle opération aurait pu coûter un montant équivalent à la Cnav en 2007.
M. Nicolas About, président , a fait valoir sur ce point que M. Alain Vasselle, rapporteur pour les équilibres financiers et l'assurance maladie, et M. Dominique Leclerc, rapporteur pour la branche vieillesse, se sont prononcés contre une telle perspective, le 28 septembre 2006, dans un communiqué de presse conjoint.
Mme Danièle Karniewicz s'est réjouie de l'implication des sénateurs dans ces dossiers ainsi que de leur très bonne compréhension de la situation du régime général. Elle s'est par ailleurs interrogée sur la nécessité pour la Cnav, à l'instar des régimes complémentaires qui en bénéficient déjà, d'intégrer une clause de rendez-vous dans les conventions d'adossements qui seront signées à l'avenir. Il n'est pas raisonnable d'imaginer que le régime général s'engage, à coup sûr et une fois pour toutes, sur le calcul des droits d'entrée, dans le cadre d'opérations fort complexes avec des durées de projection de vingt-cinq ou trente ans. La possibilité de dresser un premier bilan après quelques années est donc indispensable. Enfin, la Cnav ne saurait admettre que l'Etat veuille lui appliquer un taux d'actualisation différent de celui qui sera utilisé pour les régimes complémentaires Agirc et Arrco.
En réponse à M. Alain Vasselle, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie , qui s'interrogeait sur la présentation de l'adossement des IEG dans le rapport annuel de la Cnav, elle a indiqué que l'opération apparaît jusqu'ici globalement équilibrée. Toutefois, les données disponibles ne concernent que la seule année 2005, pour laquelle la Cnav a versé à la Caisse nationale des industries électriques et gazières (CNIEG) un montant de 1.380 millions d'euros de prestations de retraite. En contrepartie, la Cnav a reçu de la CNIEG 816 millions d'euros de cotisations, auxquels s'ajoutent 48 millions d'euros de la part du FSV et 287 millions d'euros au titre de la première partie de la soulte. A première vue, le solde de trésorerie semblerait donc être négatif de 225 millions d'euros pour le régime général. Mais le résultat économique global doit également prendre en compte les intérêts (62 millions d'euros) et les plus-values latentes (178 millions d'euros) au titre de la seconde partie de la soulte, dont la gestion sera assurée par le fonds de réserve des retraites jusqu'en 2020. Au total, le bilan pour 2005 de l'adossement des IEG serait donc globalement positif (+ 37 millions d'euros) pour la Cnav.
Après avoir observé qu'il convient néanmoins d'appréhender sur une longue durée le respect du principe de stricte neutralité financière introduit par le législateur, Mme Danièle Karniewicz a estimé que ces calculs de rentabilité économique sont difficiles à réaliser et présentent un caractère relatif : il est inévitable que des écarts se produisent certaines années.
Constatant au passage que ces estimations ne prennent pas en compte le coût d'opportunité pour le régime général de cet écart de 225 millions d'euros, M. Alain Vasselle, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie , a estimé à son tour que le bilan d'ensemble de l'opération semble équilibré. Puis il s'est demandé comment, et suivant quel calendrier, la Cnav entend préparer la prochaine réforme des retraites, et quels thèmes de réflexion retiennent plus particulièrement son attention.
Mme Danièle Karniewicz a estimé qu'il est encore un peu trop tôt pour ouvrir ce débat sur la base d'éléments chiffrés. Pour autant, et en s'exprimant à titre personnel, elle a jugé que les assurés sociaux du secteur privé, qui ont déjà réalisé d'importants efforts dans un passé récent, ne pourront consentir à une nouvelle diminution du niveau de leurs retraites. Cette problématique est d'ailleurs encore plus sensible pour les régimes complémentaires que pour les régimes de base. Il conviendra sans doute de réfléchir à une augmentation des ressources de l'assurance vieillesse, par le biais d'une hausse des cotisations, d'une part, et de la recherche de ressources nouvelles, d'autre part. A ce titre, elle s'est prononcée en faveur d'une remise à plat des politiques d'exonération de charges des entreprises, ainsi que de l'élargissement de l'assiette des cotisations à l'intéressement, à la participation et à d'autres formes de rémunération.
Elle s'est inquiétée de voir les assurés sociaux du secteur privé en quelque sorte livrés à eux-mêmes, face à la perspective d'une diminution inexorable du taux de remplacement des régimes de retraite de base et des organismes de retraite complémentaire. La puissance publique donne d'ailleurs l'impression de vouloir repousser, sinon même éluder, les choix douloureux qui s'imposent pour sécuriser le financement des retraites. Le contraste avec les ressortissants d'autres régimes qui, eux, ont la chance de bénéficier de la sollicitude de l'Etat n'en est que plus visible.
Elle a ensuite estimé qu'il n'est plus possible de considérer isolément chaque branche de la sécurité sociale, mais qu'il convient de raisonner globalement sur les conséquences du vieillissement de la population pour l'effort social de la nation dans son ensemble. Il faut dégager des priorités, faire des choix et affecter les ressources disponibles en conséquence.
A la lumière des observations formulées par la Cour des comptes sur la situation actuelle du FSV, M. Alain Vasselle, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie , s'est interrogé sur le crédit que l'on peut accorder aux garanties apportées par l'Etat. Il en va de même pour les éventuelles clauses de rendez-vous dont la puissance publique pourrait chercher à s'affranchir. En conséquence, il s'est demandé s'il ne conviendrait pas même d'élever au niveau organique, voire constitutionnel, le respect de ces principes.
Après avoir remercié le Sénat pour son soutien, Mme Danièle Karniewicz a rappelé qu'elle entend obtenir de l'Etat le paiement des sommes importantes que le FSV doit au régime général, non seulement en intérêts mais aussi en capital.