Article 10
Habilitation du Gouvernement à adapter, par ordonnances
le droit applicable outre-mer

L'article 10 du projet de loi tend à habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnances des mesures relatives à l'actualisation du droit de l'outre-mer, à l'adaptation de la législation applicable à Mayotte, à Saint-Pierre-et-Miquelon et dans les TAAF, à l'actualisation du droit du travail et de la protection sociale outre-mer, au droit de l'entrée et du séjour des étrangers et au droit d'asile à Saint-Barthélemy et Saint-Martin, à l'actualisation du droit pour tenir compte de la création des collectivités de Saint-Barthélemy et Saint-Martin, et à la mise en application des alinéas 2 et 3 de l'article 73 de la Constitution.

1. Le recours aux ordonnances : une pratique courante pour actualiser le droit applicable outre-mer

A la différence de la Constitution de 1848, des lois constitutionnelles de 1875 et de la Constitution de 1946, la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit explicitement, en son article 38, que « le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ». Elle consacre ainsi une pratique acceptée par le Parlement sous les Républiques antérieures, en dehors de tout cadre constitutionnel, notamment avec les décret-lois de la III e République, la loi Marie du 17 août 1948 et la loi sur les pouvoirs spéciaux sous la IV e République.

Les ordonnances de l'article 38 procèdent d'une dissociation entre l'organe d'édiction et le domaine dans lequel il intervient : elles sont prises par le Gouvernement mais leur contenu est législatif.

La loi d'habilitation doit fixer deux délais : celui pendant lequel le Gouvernement peut prendre des ordonnances , et celui avant l'expiration duquel doit être déposé un projet de loi de ratification de ces ordonnances .

Les ordonnances entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d'habilitation.

Elles sont prises en Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat. Elles n'ont, après leur publication et jusqu'à leur ratification, qu'une valeur réglementaire et restent susceptibles de recours devant le juge administratif.

Après l'expiration du délai pendant lequel le Gouvernement est habilité à prendre des ordonnances, le Parlement peut amender le contenu des ordonnances, soit au moment de l'examen du projet de loi de ratification, soit de sa propre initiative.

Dans le cas d'une ratification implicite, à l'occasion d'une loi dont ce n'est pas l'objet, le Conseil constitutionnel vérifie « si la loi comporte effectivement ratification de tout ou partie des dispositions de l'ordonnance en cause et, dans l'affirmative, si les dispositions auxquelles la ratification confère valeur législative sont conformes à la Constitution » 299 ( * ) .

Il ressort de la jurisprudence constitutionnelle que l'article 38 de la Constitution n'exclut de la délégation que les domaines réservés par la Constitution aux lois organiques, aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale 300 ( * ) .

Le Gouvernement doit indiquer avec précision au Parlement la finalité des mesures qu'il souhaite prendre par ordonnances et leur domaine d'intervention, comme l'a estimé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 76-72 DC du 12 janvier 1977. Il n'est cependant pas tenu de faire connaître au Parlement la teneur des ordonnances qu'il prendra 301 ( * ) .

Le juge constitutionnel contrôle par conséquent avec souplesse les lois d'habilitation. Il vérifie en particulier qu'elles ne comportent aucune disposition pouvant autoriser le Gouvernement à s'écarter des règles et principes de valeur constitutionnelle (Décision Privatisations , 26 juin 1986).

Sous la V e République, l'actualisation du droit applicable outre-mer est un des motifs les plus fréquents du recours aux ordonnances . Ainsi, entre 1990 et 2002, sur 118 ordonnances publiées, 83, soit 70 %, concernaient l'outre-mer.

En outre, les délais d'habilitation accordés par le Parlement sont souvent plus étendus, s'agissant de l'outre-mer, que pour les autres matières, en raison de la nécessité de prévoir des adaptations tenant compte des caractéristiques et contraintes locales et de consulter les assemblées délibérantes des collectivités concernées.

La loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer avait ainsi défini, selon les domaines d'habilitation, des délais de dix-huit, vingt-quatre ou trente mois.

2. Les habilitations prévues par le projet de loi

L'article 10 du projet de loi comporte trois paragraphes tendant à demander six habilitations (I), à prévoir la consultation des collectivités intéressées par les projets d'ordonnance (II) et à définir les délais d'habilitation et de ratification (III).

Actualisation du droit de l'outre-mer

Le 1° du paragraphe I de l'article 10 vise à habiliter le Gouvernement à actualiser le droit applicable outre-mer afin d'harmoniser l'état du droit et d'assurer le respect de la hiérarchie des normes.

Dans cet objectif, le Gouvernement pourrait procéder à l'abrogation de dispositions obsolètes ou inappliquées . Ce serait en particulier le cas de textes antérieurs à la Constitution du 4 octobre 1958 et ne respectant pas la définition des domaines législatif et réglementaire.

Cette habilitation permettrait en outre au Gouvernement de rassembler ou codifier des dispositions figurant aujourd'hui dans des textes épars.

L'oeuvre d'harmonisation porterait également sur la suppression de certaines références, au sein de textes législatifs, à des institutions ou à des statuts ayant disparu , ou à des territoires n'appartenant plus à la République. Tel serait le cas des mentions relatives, par exemple, aux groupes de colonies, aux gouverneurs généraux, ou au ministre des colonies.

Votre commission juge cette harmonisation indispensable, la persistance de nombreux textes obsolètes contribuant à entretenir une complexité spécifique du droit de l'outre-mer.

Elle considère par ailleurs qu'un travail d'harmonisation particulier pourrait être conduit afin d'assurer l'application, dans les départements, régions et collectivités d'outre-mer, de la loi du 1 er juillet 1901 relative au contrat d'association.

En effet, cette loi, qui définit pourtant l'exercice d'une liberté fondamentale, connaît aujourd'hui encore de nombreux régimes dérogatoires qui ne paraissent plus justifiés. On relève ainsi qu'une loi du 19 décembre 1908 organise l'application du contrat d'association dans les colonies de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Réunion. De même, à Saint-Pierre-et-Miquelon, le décret du 30 novembre 1913 relatif aux associations et congrégations dans la colonie de Saint-Pierre-et-Miquelon demeure applicable, alors qu'une ordonnance du 26 septembre 1977 a étendu à la collectivité -à l'époque un département- la loi du 1 er juillet 1901.

On trouve également un décret du 13 mars 1946 rendant applicables à la Guyane, à l'Afrique équatoriale française, à l'Afrique occidentale française, à Madagascar, à la Côte française des Somalis et aux établissements français de l'Inde et de l'Océanie, les titres premier et II de la loi de 1901.

Il paraît aujourd'hui nécessaire d'harmoniser les conditions d'application de ce texte dans les départements et collectivités d'outre-mer.

C'est pourquoi votre commission vous soumet un amendement visant à étendre l'habilitation prévue au 1° du I de l'article 10 à l'harmonisation des conditions d'application de la loi du 1 er juillet 1901 relative au contrat d'association.

Prise en compte des conséquences de la modification des règles relatives au régime d'applicabilité de plein droit des lois et règlements

Le 2° du paragraphe I de l'article 10 du projet de loi tend à habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance, des mesures d'adaptation de la législation applicable à Mayotte, à Saint-Pierre-et-Miquelon et dans les TAAF, afin de tirer les conséquences, le cas échéant, de la modification des règles relatives au régime d'applicabilité de plein droit des lois et règlements dans ces collectivités, et des autres dispositions de la loi organique.

Le projet de loi organique tend en effet à augmenter le nombre de domaines dans lesquels les lois et règlements seront applicables de plein droit à Mayotte, à Saint-Pierre-et-Miquelon et dans les TAAF.

L'habilitation permettrait ainsi au Gouvernement de procéder à l'adaptation des lois qui sont déjà applicables en métropole ou dans d'autres collectivités mais qui n'entreront en vigueur dans ces deux collectivités et ce territoire qu'à la date définie par la loi organique 302 ( * ) ou par la loi ordinaire.

En effet, il pourrait être nécessaire, dans certains cas, d'écarter expressément l'application de certaines dispositions législatives ou d'aménager leurs conditions d'application.

Le Gouvernement pourrait également tirer les conséquences des autres dispositions de la loi organique, à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon. Votre commission vous soumet un amendement tendant à supprimer ce point de l'habilitation, en raison de son imprécision.

Actualisation du droit du travail et de la protection sociale outre-mer

Le 3° du paragraphe I de l'article 10 du projet de loi tend à habiliter le Gouvernement à procéder par ordonnance à l'actualisation du droit du travail et de la protection sociale outre-mer afin :

- d'améliorer le régime de protection sociale applicable à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon ;

- de moderniser le droit du travail applicable à Mayotte, à Wallis-et-Futuna et dans les TAAF ;

- de tirer les conséquences, en matière de droit du travail et de la protection sociale, de l'institution des collectivités d'outre-mer de Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

Cette habilitation permettrait ainsi la poursuite de l'oeuvre de modernisation du droit du travail dans les collectivités visées. Il s'agirait en particulier d'actualiser les dispositions applicables à Mayotte en matière de droit syndical et d'abroger, au sein du code du travail des TAAF, des dispositions obsolètes, contraires à la Constitution ou aux engagements internationaux de la France.

En matière de protection sociale, l'habilitation permettrait au Gouvernement d'améliorer le régime de sécurité sociale de Mayotte et de moderniser le droit de la mutualité applicable dans cette collectivité.

Par ailleurs, dans les domaines du droit du travail et de la protection sociale, des adaptations pourraient apparaître nécessaires, dans un objectif de modernisation, à l'égard des îles Wallis et Futuna.

Droit de l'entrée et du séjour des étrangers et droit d'asile applicables à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin

Le 4° du paragraphe I de l'article 10 vise à habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures relatives au droit de l'entrée et du séjour des étrangers et au droit d'asile applicables à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin.

Le Parlement a déjà accordé à de nombreuses reprises une habilitation au Gouvernement dans ces domaines. Tel fut le cas notamment de la loi n° 99-899 du 25 octobre 1999 sur le fondement de laquelle ont été publiées cinq ordonnances relatives à l'entrée et au séjour des étrangers dans les collectivités d'outre-mer, de la loi n° 2001-503 du 12 juin 2001 (une ordonnance) et de la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration (deux ordonnances).

Dans les deux nouvelles collectivités, le régime de l'entrée et du séjour des étrangers et le droit d'asile relèveraient du principe de spécialité législative.

Les deux îles connaissent en effet une situation particulière en ces matières. Saint-Barthelemy, en raison de sa superficie exiguë, doit être en mesure de contrôler efficacement l'entrée et le séjour des étrangers sur son territoire. Saint-Martin est quant à elle confrontée à une très forte immigration favorisée par le libre franchissement de sa frontière avec la partie néerlandaise de l'île.

L'habilitation permettra par conséquent l'édiction d'un régime spécifique aux deux îles dans ces domaines et de procéder aux adaptations requises par leur organisation particulière. Cette habilitation s'étend en outre aux modifications que pourrait nécessiter la prise en compte du régime propre aux deux îles sur l'ensemble du territoire de la République, par exemple en matière d'expulsion ou de reconduite à la frontière. Il importe en effet d'assurer que les mesures d'éloignement et de délivrance des titres de séjour décidées en application du droit local puissent être applicables sur l'ensemble du territoire de la République.

Dispositions consécutives à la création des deux collectivités d'outre mer de Saint-Barthelemy et de Saint-Martin et aux nouvelles dispositions statutaires applicables à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon

Le 5° du paragraphe I a pour objet d'habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnances des mesures d'adaptation de la législation afin de tirer les conséquences, d'une part, de la création des collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, et d'autre part des nouveaux statuts de Mayotte et de Saint-Pierre et Miquelon, actualisés par deux projets de lois.

Cette habilitation vise notamment la modification du code de justice administrative, afin d'organiser le fonctionnement des tribunaux administratifs compétents pour Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Votre commission vous proposant un amendement tendant à intégrer la création de ces juridictions au projet de loi ordinaire, cet aspect de l'habilitation ne devrait, a priori, plus avoir d'objet.

Cependant, une habilitation générale doit être maintenue afin de permettre au Gouvernement de prendre les mesures d'actualisation et de coordination du droit dont la nécessité apparaîtrait lors de la création des deux collectivités.

S'agissant de Mayotte, l'abrogation et la modification de nombreuses dispositions du code général des collectivités territoriales relatives à la collectivité par le projet de loi appellera sans doute des mesures visant à assurer la cohérence du code modifié.

Habilitations liées à la mise en oeuvre des pouvoirs normatifs des départements et régions d'outre-mer

Le 6° du paragraphe I tend à habiliter le Gouvernement à donner par ordonnance aux conseils généraux des départements d'outre-mer et aux conseils régionaux des régions d'outre-mer des habilitations à adapter les lois ou à fixer les règles applicables dans certaines matières pouvant relever du domaine de la loi, en application des alinéas 2 et 3 de l'article 73 de la Constitution.

Le Gouvernement pourrait donc habiliter les départements et régions d'outre-mer à intervenir dans le domaine législatif au moyen d'ordonnances, limitant ainsi fortement les prérogatives du Parlement dans la mise en oeuvre de ces nouveaux pouvoirs normatifs.

Un département ou une région d'outre-mer serait ainsi autorisé à fixer les règles relevant du domaine de la loi sans que le législateur n'ait eu à se prononcer sur la durée, le champ et la finalité des dispositions envisagées.

En outre, cette habilitation à habiliter paraît présenter un double risque. D'une part, il s'agirait en fait d'une extension du champ des habilitations prévues par l'article 38 de la Constitution puisque le Parlement autoriserait le Gouvernement à déléguer l'exercice du pouvoir législatif. D'autre part, cette procédure présenterait un risque d'insécurité juridique, dans l'hypothèse ou le Parlement ne ratifierait pas l'ordonnance délivrant l'habilitation ou s'il modifiait le champ et l'objet de celle-ci.

Les normes adoptées, le cas échéant, par le département d'outre-mer ou la région d'outre-mer seraient alors frappées de caducité. Elles devraient être considérées comme n'ayant jamais existé.

Enfin, si l'article 38 de la Constitution permet au législateur d'autoriser le Gouvernement à intervenir dans le domaine de la loi, les ordonnances prises en application d'une habilitation n'en demeurent pas moins, jusqu'à leur ratification, des actes réglementaires sur le fondement desquels il semblerait étrange que puisse être délivrée une habilitation à adapter la loi ou à légiférer.

Pour toutes ces raisons, et afin d'éviter le dessaisissement excessif du Parlement qu'entraînerait la procédure d'habilitation à habiliter ou d'« habilitation en cascade », votre commission vous soumet un amendement tendant à supprimer l'habilitation prévue au 6° du paragraphe I de l'article 10.

3. Les conditions de consultation des assemblées délibérantes des collectivités intéressées sur les projets d'ordonnance

Le paragraphe II de l'article 10 vise à énoncer les conditions dans lesquelles les assemblées délibérantes des collectivités susceptibles d'être intéressées par les projets d'ordonnance devraient être consultées pour avis. Il renvoie par conséquent, pour chaque collectivité, aux règles de consultations définies par son statut.

S'agissant de Mayotte, de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon, le 3° du paragraphe II tend ainsi à prévoir que les projets d'ordonnance sont soumis pour avis aux assemblées délibérantes de ces collectivités dans les conditions définies par la sixième partie du code général des collectivités d'outre-mer où sont regroupés leurs statuts.

4. Les délais d'habilitation et ratification

Le paragraphe III de l'article 10 a pour objet de déterminer, conformément à l'article 38 de la Constitution, le délai dont disposera le Gouvernement pour publier les ordonnances prises sur le fondement des habilitations définies au I, et le délai qui lui sera imparti pour déposer ensuite devant le Parlement les projets de loi de ratification de ces ordonnances.

Ainsi, le Gouvernement disposerait d'un délai de dix-huit mois, à compter de la promulgation de la loi, pour prendre les ordonnances, à l'exception de celles prises sur le fondement du 3° du I, aux fins d'actualisation du droit du travail et de la protection sociale outre-mer, pour lesquelles ce délai serait de douze mois.

Les projets de loi de ratification des ordonnances devraient être déposés devant le Parlement au plus tard six mois après leur publication.

Votre commission vous propose d'adopter l'article 10 ainsi modifié.

* 299 Décision n° 86-524-DC du 23 janvier 1987.

* 300 Décisions n° 81-134 DC du 5 janvier 1982 et 99-421 DC du 16 décembre 1999.

* 301 Décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999.

* 302 Soit le 1 er janvier 2008 pour Mayotte (art. L.O. 6113-1), pour Saint-Pierre-et-Miquelon (art. L.O. 6413-1) et pour les TAAF (art. 1 er - 1 nouveau de la loi du 6 août 1955).

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