Article 6

Création d'une nouvelle section
au sein du code de la propriété intellectuelle
relative aux mesures techniques de protection et d'information

I. Analyse du projet de loi

Le présent article a pour objet de distinguer deux sections au sein du chapitre Ier ( Dispositions générales ) du titre III ( Procédure et sanctions ) du livre III ( Dispositions générales relatives au droit d'auteur, aux droits voisins et droits du producteur de données ) du code de la propriété intellectuelle.

Il regroupe, dans une nouvelle section 1 , intitulée « Règles générales de procédure » les actuels articles L. 331-1 à L. 331-4 , qui reconnaissent la compétence de principe des juridictions de l'ordre judiciaire, attribuent des pouvoirs de constat aux agents assermentés du Centre national de la cinématographie (CNC), ou des sociétés de gestion collective des droits, autorisent le CNC à se constituer partie civile dans les actions en contrefaçon et confère une prééminence aux actes de procédure juridictionnelle ou administrative.

Il crée une nouvelle section 2 , intitulée « Mesures techniques de protection et d'information » et destinée à accueillir les nouveaux articles L. 331-5 à L. 331-10 créés par les articles 7 à 10 de la présente loi.

II. Position de l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a adopté cet article sans modification.

III. Position de votre commission

Votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.

Article 7
(article L. 331-5 [nouveau] du code de la propriété intellectuelle)

Consécration juridique des mesures de protection
et du principe d'interopérabilité

Cet article a pour objet d'insérer dans le code de la propriété intellectuelle un nouvel article L. 331-5 qui tente de combiner deux objectifs :

- conférer un statut protecteur aux mesures techniques de protection , telles que les définit la directive ;

- veiller à ce que ces mesures techniques n'entravent pas l'interopérabilité .

I. Analyse de la directive transposée

L'article 6 de la directive du 22 mai 2001 invite les Etats, dans son paragraphe 1 , à « prévoir une protection juridique appropriée contre le contournement de toute mesure technique efficace », effectué de façon délibérée.

Cette disposition, dont la transposition en droit français donne actuellement lieu à controverse, n'est-elle même que la reprise de dispositions figurant dans les deux traités de l'OMPI du 20 décembre 1996 qui portent respectivement « sur le droit d'auteur » et « sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes ».

L'article 11 du premier traité et l'article 18 du second font obligation aux Etats, en des termes très voisins, de « prévoir une protection juridique appropriée et des sanctions juridiques efficaces contre la neutralisation des mesures techniques efficaces qui sont mises en oeuvre par les auteurs [ou par les titulaires de droits voisins] dans le cadre de l'exercice de leurs droits... et qui restreignent l'accomplissement à l'égard de leurs oeuvres » [ou objets protégés] d'actes qu'ils n'auraient pas autorisés.

La directive énumère ensuite, dans un paragraphe 2 , les actes susceptibles de contribuer au contournement des mesures techniques, et invite les Etats à prévoir des sanctions que le projet de loi précise aux articles 11, 12, 13, 14 et 15.

Dans son paragraphe 3 , elle définit les mesures techniques comme « toute technologie, dispositif ou composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, est destiné à empêcher ou à limiter, en ce qui concerne les oeuvres ou autres objets protégés, les actes non autorisés par le titulaire d'un droit d'auteur ou d'un droit voisin du droit d'auteur prévu par la loi, ou du droit sui generis prévu au chapitre III de la directive 96/9/CE » [droit des fabricants de bases de données].

Elle précise que ces mesures techniques sont réputées efficaces « lorsque l'utilisation d'une oeuvre protégée, ou celle d'un autre objet protégé, est contrôlée par les titulaires de droit grâce à l'application d'un code d'accès ou d'un procédé de protection, tel que le cryptage, le brouillage ou toute autre transformation de l'oeuvre ou de l'objet protégé ou d'un mécanisme de contrôle de copie qui atteint cet objectif de protection ».

Cette analyse appelle un certain nombre de remarques :


• tout d'abord, le principe de la protection juridique des mesures techniques est clairement posé dans la directive , comme dans les traités de l'OMPI, et le législateur est tenu de le transposer en droit français ; la seule latitude dont il dispose réside dans la nature et la sévérité des sanctions destinées à garantir le caractère effectif de cette protection, ainsi que dans les dispositifs complémentaires dont il peut les assortir, pour garantir l'interopérabilité et le bénéfice de certaines exceptions ;


• les textes internationaux et européens qui ont fait le choix de consacrer juridiquement les mesures techniques de protection sont déjà anciens : les traités de l'OMPI ont dix ans et la directive de 2001 qui assure le relais de ces obligations pour l'Union européenne a cinq ans ; la réflexion juridique dont ces textes constituent l'aboutissement reflète un état des techniques qui a depuis lors beaucoup évolué, notamment avec le développement de l'Internet ;


• la directive s'est montrée plus attentive à la consécration juridique de mesures techniques qu'aux risques de segmentation du marché qu'elles pouvaient entraîner et qui ne se sont concrétisées qu'au cours des deux ou trois dernières années ; elle n'a de ce fait pas consacré sur le même plan l'exigence d'interopérabilité suivant laquelle le choix d'une mesure technique par les producteurs ou les diffuseurs doit être sans conséquence sur les choix que font les consommateurs de leurs appareils de lecture ; elle ne s'est cependant pas montrée indifférente à ces considérations qui, quoique absentes du dispositif juridique proprement dit, sont évoquées dans le considérant 48 .

Celui-ci assigne un certain nombre de limites à la consécration juridique des mesures techniques : elle ne doit pas empêcher le fonctionnement normal des équipements électroniques et leur développement technique ; elle n'implique aucune obligation de mise en conformité des dispositifs, produits et composants ou services avec ces mesures ; enfin, elle doit respecter le principe de proportionnalité, et ne pas interdire les dispositifs ou activités qui ont, sur le plan commercial, un objet ou une utilisation autre que le contournement de la protection technique. Cette protection ne doit notamment pas faire obstacle à la recherche sur la cryptographie.

Un peu plus loin, le considérant 54 reconnaît que les différences existant entre les mesures techniques pourraient aboutir, au sein de la communauté, à une incompatibilité des systèmes, et souhaite que soient encouragées la compatibilité et l'interopérabilité des différentes systèmes, voire la mise au point de systèmes universels .

Votre commission considère dans ces conditions que les dispositions garantissant l'interopérabilité dont elle souhaite assortir la consécration des mesures techniques de protection ne sont pas étrangères aux orientations de la directive , même si elles ne relèvent pas d'une obligation de transposition impérative.

II. Analyse du projet de loi

Le projet de loi crée dans le code de la propriété intellectuelle un nouvel article L. 331-5 qui comporte trois alinéas.

Le premier alinéa pose le principe de la protection juridique des mesures techniques destinées à empêcher ou limiter les utilisations non autorisées par le titulaire d'un droit d'auteur ou d'un droit voisin. Reprise fidèle du paragraphe 3 de l'article 6 de la directive, il se borne à ajouter que ces dispositions ne sont pas applicables aux logiciels, cette précision résultant du champ d'application de la directive 2001/29 telle que celle-ci le définit dans son article premier, paragraphe 2.

Le contenu de ce régime protecteur résulte des sanctions et procédures dont il est assorti, et qui sont précisées par les articles 10 à 15 du projet de loi.

Le deuxième alinéa constitue une transposition quasiment littérale de la définition des mesures techniques de protection donnée dans la directive par la dernière phrase de l'article 6, paragraphe 3.

Le caractère « efficace » de la mesure technique est préservé dès lors que l'un des nombreux moyens énumérés permet aux ayants droit de contrôler l'utilisation d'une oeuvre ou d'un objet protégé, cette notion d'utilisation renvoyant à la fois aux possibilités d'accès et de copie. Autrement dit, l'efficacité d'une mesure est fonction de son objectif et des moyens qu'elle met en oeuvre pour les remplir, elle ne suppose pas une résistance absolue à toute possibilité de contournement, résistance qui, outre qu'elle paraît impossible à garantir, rendrait d'ailleurs superfétatoire toute protection juridique.

Le troisième alinéa propose un dispositif destiné à concilier le nouveau statut juridique des mesures techniques de protection avec l'exigence d'interopérabilité . Il ne découle pas directement du texte de la directive qui se contente dans les considérants 48 et 54 précités d'encourager l'interopérabilité sans lui consacrer de disposition explicite dans son dispositif juridique.

Son objectif est d'éviter que la mise en oeuvre de mesures techniques n'aboutisse à une segmentation de l'offre musicale ou audiovisuelle, comme c'est le cas aujourd'hui, où certains lecteurs ne peuvent télécharger des oeuvres qu'à partir de la plate-forme détenue par la même société, ou, à défaut, sur les seuls réseaux de « peer to peer » où les oeuvres sont dépourvues de toute protection.

Le dispositif retenu par le projet de loi repose sur le droit, reconnu aux fabricants de systèmes techniques (les appareils de réception et de lecture) et aux exploitants de service (les plateformes de téléchargement légales) d'obtenir des licences de développement des mesures techniques de protection dans des conditions équitables et non discriminatoires, de façon à mettre en oeuvre l'interopérabilité.

En contrepartie, ceux-ci doivent s'engager à respecter, dans leur domaine d'activité, les conditions garantissant la sécurité de fonctionnement des mesures techniques de protection qu'ils utilisent.

L'exposé des motifs rapproche ce dispositif de celui de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Dans son article 95, celle-ci prévoit également l'octroi, au profit des éditeurs ou distributeurs de services de radio ou de télévision, de licences de développement des systèmes techniques utilisés avec les systèmes d'accès sans conditions qui permettent de restreindre leur accès au seul public autorisé.

Sans se prononcer sur la pertinence de ce rapprochement, votre rapporteur relève qu'au cours de leur audition, plusieurs industriels ont émis de discrètes, mais sérieuses réserves à l'égard du dispositif envisagé par le projet de loi, estimant que l'obligation de délivrer une licence, qui doit rester exceptionnelle, était en outre peu indiquée dans un marché à la fois internationalement très ouvert, et dans lequel le marché et les acteurs français ne représentent qu'un poids relatif.

Peut-être ces considérations ont-elles conduit l'Assemblée nationale à lui préférer un autre dispositif.

III. Le dispositif adopté par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a débuté la discussion de cet article lors de la 3 e séance du 22 décembre 2005 et l'a poursuivie pendant les 2 e et 3 e séances du 14 mars 2006 à l'issue desquelles elle a adopté une première rédaction .

Cet article a ensuite fait l'objet d'une deuxième délibération dans la nuit du jeudi 16 au vendredi 17 mars, au cours de laquelle l'Assemblée a profondément remanié le dispositif adopté le 14 mars.

Cet article a donc fait l'objet de deux rédactions successives , adoptées respectivement les 14 et 16-17 mars 2006.

Ces deux versions successives ne divergent qu'à la marge pour les dispositions relatives au statut des mesures techniques de protection. Elles comportent en revanche des divergences très significatives dans la conciliation des mesures techniques avec l'exigence d'interopérabilité.

A- DÉFINITION ET CONSÉCRATION JURIDIQUES DES MESURES TECHNIQUES DE PROTECTION (ALINÉAS 1 À 3)

L'Assemblée nationale n'a apporté qu'une précision rédactionnelle ponctuelle aux deux premiers alinéas qui ont respectivement pour objet de poser le principe de la protection juridique des mesures techniques et d'en donner la définition.

Dans le projet de loi initial, la dernière phrase du premier alinéa « ces dispositions ne sont pas applicables aux logiciels » aurait pu être interprétée comme excluant toute protection des mesures de protection des logiciels.

La précision rédactionnelle apportée par l'Assemblée nationale lève cette ambiguïté, pour préciser, conformément au second paragraphe de l'article 1 er et au considérant 35 de la directive que les dispositions en question ne portent que sur les oeuvres autres que les logiciels, ces derniers continuant de relever de dispositions qui leur sont propres.

L'Assemblée nationale a, en revanche, complété le dispositif relatif à la consécration juridique des mesures techniques par un alinéa additionnel pour préciser qu' « un protocole, un format, une méthode de cryptage, de brouillage ou de transformation ne constitue pas en tant que tel une mesure technique au sens du présent article » .

Cette disposition qui résulte de deux amendements parlementaires identiques n° 136 et 144 présentés respectivement par MM. Dionis du Séjour (UDF) et Carayon (UMP) a pour objet de préciser, selon les termes de ses défenseurs, que seuls doivent être protégés en qualité de mesure technique, les éléments dynamiques permettant d'accomplir plusieurs fonctions, et non les éléments passifs dont elle est constituée : formats, protocoles, ou méthode de cryptage. Elle tend à apporter une réponse aux inquiétudes exprimées par certains défenseurs du logiciel libre qui craignaient que, faute de cette précision, la protection des mesures techniques ne fournisse un levier pour remettre en cause la non brevetabilité des logiciels qu'a récemment repoussée le Parlement européen.

Pour répondre à l'inquiétude exprimée par des chaînes de télévision cryptées qui craignaient que ce nouvel alinéa ne remette à son tour en question les dispositifs de protection de leurs programmes, l'Assemblée nationale a complété ce nouveau dispositif par une phrase précisant que cette disposition ne concernait pas les chaînes de télévision. Elle a remplacé cette mention, dans le dispositif adopté en deuxième délibération, par un avant-dernier alinéa précisant que ces dispositions ne remettaient pas en cause celles prévues aux articles 79-1 à 79-6 de la loi n° 86-1067 relative à la liberté de communication qui répriment le contournement des dispositifs de contournement de télévisions payantes.

B- CONCILIATION DES MESURES TECHNIQUES DE PROTECTION ET DE L'INTEROPÉRABILITÉ (ALINÉAS 4 ET SUIVANTS)

L'Assemblée nationale a substitué au dispositif du projet de loi initial un dispositif entièrement nouveau, dont la trame provient d'un amendement n° 253, présenté notamment par MM. Carayon et Vanneste (UMP), qu'elle a substantiellement étoffé et modifié au cours d'une deuxième délibération.

1. Les dispositions communes aux deux rédactions


L'exigence d'une mise en oeuvre effective de l'interopérabilité

Les deux dispositifs successivement adoptés par l'Assemblée nationale commencent par poser le principe que « les mesures techniques ne doivent pas avoir pour effet d'empêcher la mise en oeuvre effective de l'interopérabilité » tout en imposant à cette exigence de ne pas remettre en cause ce qui constitue la vocation première des mesures techniques, et que les deux rédactions successives évoquent en termes différents.

Dans la rédaction adoptée en première délibération, la mise en oeuvre de l'interopérabilité ne devait pas « porter atteinte aux conditions d'utilisation d'une oeuvre, d'une interprétation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme ou d'un programme » .

Cette formulation un peu lourde avait toutefois le mérite de couvrir, à travers le terme d'utilisation, à la fois les modalités d'accès (acquisition, location...) et de copie des oeuvres et des objets protégés au titre des différents droits voisins scrupuleusement énumérés.

La seconde rédaction indique de façon à la fois plus concise et moins précise que la mise en oeuvre de l'interopérabilité doit se faire « dans le respect du droit d'auteur ». Outre qu'elle ne mentionne pas les droits voisins, ce qui constitue sans doute un oubli, cette formulation paraît en outre, un peu vague, le droit d'auteur recouvrant à la fois les droits exclusifs et leurs exceptions.


La fourniture des informations essentielles à l'interopérabilité

Les deux dispositifs reposent sur la fourniture des informations essentielles à l'interopérabilité définies comme « la documentation technique et les interfaces de programmation nécessaires pour obtenir dans un standard ouvert , une copie d'une reproduction protégée par une mesure technique, et une copie des informations sous forme électronique jointes à cette reproduction » . La notion de standard ouvert renvoie à la définition donnée par l'article 4 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, qui englobe dans cette notion « tout protocole de communication, d'interconnexion ou d'échange et tout format de données interopérable et dont les spécifications techniques sont publiques et sans restriction d'accès ni de mise en oeuvre ».

Les deux dispositifs successifs divergent en revanche sur les conditions dans lesquelles l'accès à ces informations essentielles doit garantir la mise en oeuvre de l'interopérabilité.

2. Le dispositif adopté en première délibération

Le dispositif adopté en première délibération confiait au Conseil de la concurrence la responsabilité, s'il constatait des pratiques anticoncurrentielles de la part d'un fournisseur de mesures techniques, d'ordonner à ce dernier de donner l'accès à ces informations essentielles, « dans des conditions, y compris de prix, équitables et non discriminatoires ».

En contrepartie, le bénéficiaire de l'accès à ces informations devait s'engager à respecter dans son domaine d'activité les conditions garantissant la sécurité des mesures techniques.

Précaution supplémentaire, la première rédaction rappelait que les mesures ici prévues étaient sans préjudice des dispositions de l'article L. 122-6-1 qui ne soustrait au droit exclusif de l'auteur d'un logiciel que la réalisation d'une copie de sauvegarde et les opérations de décompilation nécessaires pour permettre audit logiciel de fonctionner avec d'autres logiciels indépendants.

Le dispositif adopté en première lecture ne donnant aucune précision sur les modalités de la saisine et le champ d'intervention du Conseil de la concurrence, on pouvait légitimement en déduire que celle-ci se serait effectuée dans le cadre des dispositions actuelles du code de commerce.

Confier au Conseil de la concurrence le rôle de gardien de l'interopérabilité revenait en conséquence à envisager celle-ci sous l'angle exclusif des pratiques contraires à la concurrence et non sous celui de l'atteinte aux intérêts des consommateurs.

Le Conseil de la concurrence est en effet principalement le « juge » des entreprises , et ses interventions sont essentiellement guidées par le souci de prohiber les pratiques anticoncurrentielles et les abus de position dominante.

Aux termes de l'article L. 462-5 du code de commerce, le Conseil de la concurrence qui peut se saisir lui-même d'office, peut être saisi par le ministre de l'économie et par les entreprises. Il peut l'être aussi, dans une certaine mesure par toute une série d'organismes énumérés à l'article L. 462-1 parmi lesquels figurent les associations agréées de consommateurs, aux côtés des collectivités territoriales, des organisations professionnelles et syndicales, des chambres de métiers, ...

Le champ d'intervention du conseil est en outre strictement délimité : les décisions qu'il rend, et les sanctions dont elles sont assorties, tendent exclusivement à assurer la prohibition des pratiques anticoncurrentielles de l'article L. 420-1, des abus de position dominante de l'article L. 420-2 et des ventes à pertes de l'article L. 420-5 du code de commerce.

C'est bien dans ce cadre que paraissait s'inscrire le premier dispositif adopté par l'Assemblée nationale, puisqu'il subordonnait l'intervention du Conseil de la concurrence à la constatation de pratiques interconcurrentielles.

On peut s'interroger dans ces conditions sur la portée pratique de ce dispositif, le Conseil de la concurrence ayant déjà eu l'occasion , en l'état actuel des textes, de se prononcer sur un défaut d'interopérabilité susceptible de constituer une entrave à la concurrence ou un abus de position dominante, comme l'illustre la décision qu'il a rendue le 9 novembre 2004 106 ( * ) .

Dans cette affaire, les pratiques dénoncées tenaient au fait que les consommateurs qui téléchargeaient des titres musicaux sur la plateforme d'une société ne pouvaient les transférer directement sur les baladeurs numériques, fabriqués et commercialisés par une autre société. Cette impossibilité de transfert direct provenait de l'incompatibilité des mesures DRM utilisées respectivement par la plateforme et par les baladeurs.

La première société, qui dès le lancement de sa plateforme, au printemps 2004, avait demandé à la seconde une licence contre le paiement d'une redevance, s'était vu opposer un refus, et avait demandé au Conseil de la concurrence de sanctionner ce refus comme abus de position dominante et de lui accorder, comme « à toute entreprise qui en ferait la demande, dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir, et dans des conditions économiques équitables et non discriminatoires, un accès direct à tous les éléments permettant le téléchargement et le transfert de fichiers musicaux notamment sur lecteur iPod, tels que le format et son logiciel DRM de gestion des droits numériques Fair Play, avec la documentation technique associée permettant à l'homme de l'art d'exploiter les systèmes et de gérer les droits pour ledit téléchargement. »

Se fondant sur la jurisprudence nationale et communautaire, le Conseil de la concurrence a cependant considéré que l'abus de position dominante n'était pas établi et a rejeté la demande.

Il a considéré que le risque d'élimination de la concurrence n'était pas suffisamment établi, compte tenu du caractère encore minoritaire du transfert sur baladeur parmi les différents usages de la musique téléchargée, de l'existence de possibilités légales de contourner la difficulté par l'intermédiaire d'une gravure, et de l'apparition de nombreux autres baladeurs compatibles.

Se prononçant plus particulièrement sur les conséquences préjudiciables pour le consommateur de l'absence d'interopérabilité, le Conseil de la concurrence a rappelé, dans le paragraphe 66 de sa décision, que « des situations de ce type sont récurrentes dans les secteurs liés aux technologies de l'information, où les innovations se succèdent à un rythme élevé. Or, si le code de commerce, notamment ses articles L. 420-4 et L. 464-1, prévoit que le Conseil prend en compte, dans une certaine mesure, l'intérêt des usagers ou des consommateurs, il ne peut le faire que si l'atteinte constatée résulte d'une pratique prohibée par le droit de la concurrence. »

Il n'est pas sûr que les dispositions envisagées par la première rédaction adoptée par l'Assemblée nationale aient conduit le Conseil de la concurrence à infléchir significativement une jurisprudence dont la cohérence juridique n'est, au demeurant, pas contestable.

3. Le dispositif adopté en seconde délibération

Le dispositif adopté par l'Assemblée nationale en deuxième délibération, et sur lequel le Sénat est invité à se prononcer comporte, par rapport à la rédaction précédente, plusieurs aménagements significatifs.

Tout d'abord, ce n'est pas au Conseil de la concurrence, mais au président du tribunal de grande instance , statuant en référé, qu'il confie le pouvoir d'enjoindre, sous astreinte, à un fournisseur de mesures techniques, de fournir les informations essentielles à l'interopérabilité.

Contrairement au Conseil de la concurrence, le juge civil dont il faut rappeler qu'il est le juge de droit commun en matière de propriété intellectuelle, pourra être saisi par tout intéressé, et ne sera pas tenu, dans sa décision, de se cantonner aux seules considérations portant sur les pratiques prohibées par le droit de la concurrence.

Le dispositif précise en outre que le fournisseur de logiciel ne peut exiger, en contrepartie de cet accès aux informations essentielles, que les frais de logistique.

Il comporte également une disposition adoptée, contre l'avis du Gouvernement et de la commission , garantissant aux fournisseurs de logiciels indépendants interopérant pour des usages licites avec une mesure technique de protection, la possibilité de continuer à publier leur code source et leur documentation technique.

Enfin, une dernière disposition, adoptée, avec un avis favorable de la commission, et un avis de sagesse du Gouvernement autorise « toute personne désireuse de mettre en oeuvre l'interopérabilité » , à procéder par elle-même aux travaux de décompilation qui lui seraient nécessaires pour disposer des informations essentielles sans préjudice des dispositions de l'article L. 122-6-1 qui autorisent l'utilisateur légitime d'un logiciel à rechercher par lui-même les informations nécessaires à l'interopérabilité de ce logiciel avec d'autres logiciels créés de façon indépendante.

En corrélation avec cette dernière mesure, plusieurs dispositions des articles 13 et 14 relatifs aux sanctions punissant le contournement des mesures techniques précisent que celles-ci ne s'appliquent pas aux actes réalisés à des fins d'interopérabilité.

IV. Position de votre commission

Votre commission vous propose de procéder à une refonte du dispositif de cet article, et pour plus de clarté, de le répartir en deux articles distincts.

Elle vous proposera de regrouper, dans un article additionnel avant l'article 7 bis, le nouveau dispositif destiné à garantir l'interopérabilité, qui a vocation à se substituer aux alinéas 4, 5, 6, 7, 8 et 10 de l'article 7 adopté par l'Assemblée nationale.

L' amendement qu'elle vous propose au présent article a pour objet de n'y maintenir que les quatre alinéas qui traitent exclusivement de la définition et de la consécration juridique des mesures techniques de protection , ainsi que des précautions dont l'Assemblée nationale a jugé bon de les assortir.

La rédaction que vous propose votre commission ne modifie pas la rédaction des deux premiers alinéas qui constituent une reprise quasi littérale de la directive.

La rédaction des troisième et quatrième alinéas n'apporte au dispositif correspondant adopté par l'Assemblée nationale que des précisions rédactionnelles.

Le troisième alinéa a pour objet de préciser que les méthodes de cryptage, de brouillage, ou de transformation, qui rendent la mesure technique efficace, ne constituent pas en tant que telles des mesures techniques de protection.

Votre commission vous propose une rédaction plus claire de cette distinction en précisant que la consécration juridique des mesures techniques de protection ne remet pas en cause le régime juridique de ses éléments constitutifs, tel qu'il résulte de l'article L. 611-10 du code de la propriété intellectuelle, qui précise ce qui est brevetable et ce qui ne l'est pas.

Le quatrième alinéa a pour objet d'éviter que la distinction opérée par l'alinéa précédent ne puisse être interprétée comme remettant en cause, par contrecoup, la protection des chaînes cryptées de télévision. Il les garantit par référence aux dispositions pertinentes de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communications.

Votre commission vous propose d' adopter cet article ainsi modifié .

* 106 Décision n° 04-D-54 du 9 novembre 2004 relative à des pratiques mises en oeuvre par la société Apple computer, Inc. dans les secteurs du téléchargement de musique sur Internet et des baladeurs numériques.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page