III. LA TRANSPOSITION DE LA DIRECTIVE DU 27 SEPTEMBRE 2001 RELATIVE AU DROIT DE SUITE77 ( * )
Sur proposition du Gouvernement, l'Assemblée nationale a adopté un amendement tendant à transposer, dans la partie législative du code de la propriété intellectuelle, certaines dispositions de la directive du 27 septembre 2001 relative au droit de suite.
Ce nouvel article propose certes une transposition à minima de la directive, la plupart des détails relatifs aux seuils, aux taux et aux délais devant être fixés par un décret en Conseil d'État. Il permet toutefois d'acter vis-à-vis des instances communautaires la transposition formelle d'un texte applicable depuis le 1 er janvier 2006.
A. UN DROIT ÉTENDU, DANS SON PRINCIPE, À L'ENSEMBLE DES ÉTATS MEMBRES DEPUIS LE 1ER JANVIER 2006
Institué en France dans les années 20, le droit de suite a rencontré des fortunes diverses en Europe et dans le monde.
1. Le droit de suite : une invention française
Institué par la loi du 20 mai 1920, le droit de suite est un pourcentage versé aux artistes plasticiens et à leurs ayants droit lors de chacune des reventes successives de leurs oeuvres originales sur le marché. Comme le rappelle le professeur Sirinelli 78 ( * ) , « le droit de suite est fondé sur des considérations d'équité » : il vise à associer les auteurs d'oeuvres plastiques et graphiques au produit des reventes successives de ces dernières afin de compenser la faiblesse ou l'absence de revenus liés à l'exercice de leurs droits de reproduction et de représentation .
Les artistes ou leurs ayants droit sont responsables de la perception de leur propre droit de suite. Une société de gestion collective, l'ADAGP, a toutefois mandat de percevoir ce droit pour la quasi-totalité des plasticiens et de leurs héritiers. Seuls deux bénéficiaires du droit de suite, à savoir les héritiers Matisse et Picasso, en gèrent eux-mêmes la perception auprès des sociétés de ventes volontaires depuis 1996.
Applicable initialement aux seules ventes aux enchères publiques, le droit de suite fut étendu aux marchands, notamment aux galeries, par la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique. Cette extension allait toutefois rester lettre morte : inquiets de cette nouvelle charge susceptible de peser sur leurs marges, les marchands d'art ont accepté de financer une « caisse mutuelle des arts » moyennant la non application de la nouvelle disposition législative. A cet égard, le rapport Raymond-Kancel 79 ( * ) constate que « sur la base de cet équilibre, les galeries ont pu constater depuis cette date qu'aucun décret d'application n'a été pris concernant le droit de suite sur les transactions des galeries. La SPADEM, société de perception aujourd'hui défunte, attaquera bien devant le juge administratif l'absence de décret, qui la privait d'une source essentielle d'alimentation. Mais le Conseil d'État (9 avril 1993), tout en blâmant le Gouvernement pour son inertie, n'a pas fait droit à la demande d'indemnisation, qu'il a jugée impossible à évaluer. »
2. Le droit de suite en Europe et dans le monde
Invention française, le droit de suite a rencontré un certain succès à l'échelle européenne. A l'image de la Belgique depuis 1921 et de l'Allemagne depuis 1965, onze pays de l'Union européenne ont reconnu ce droit.
Sur ces onze pays, neuf d'entre eux (Danemark, Finlande, Suède, Espagne, Allemagne, Grèce, Belgique, Portugal et France) l'appliquent réellement. En Italie et au Luxembourg, le droit de suite reste en effet théorique faute de textes suffisamment précis permettant son application.
Avant le dernier élargissement, seuls quatre pays ne disposaient par conséquent d'aucune législation prévoyant la perception d'un droit de suite : le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l'Irlande et l'Autriche.
DES MODALITES D'EXERCICE DIFFÉRENTES AU SEIN DE L'UNION « La disparité la plus spectaculaire tient dans le seuil d'application. La France et la Finlande appliquent le seuil de loin le plus bas (15 euros), alors qu'il peut aller jusqu'à 1 000 ou 2 000 euros en Belgique ou en Espagne. La France applique également le taux le plus bas, avec l'Espagne, soit 3 %. Les autres États appliquent entre 4 et 6 %, le taux le plus répandu (5 États sur 9) étant 5 %. Seuls deux pays limitent l'application aux ventes publiques : la Belgique par la loi, et la France par l'absence de décret d'application de la loi. S'agissant enfin de la gestion collective, le partage est à peu près égal entre les États où elle est obligatoire et ceux où elle ne l'est pas. On peut donc constater, sans autre commentaire à ce stade, que la France, pays inventeur du droit de suite, est celui qui l'applique de la façon la plus originale, par le choix à la fois d'un seuil bas et d'un taux faible et par la limitation aux seules ventes publiques. » Source : « rapport Kancel » |
Le succès rencontré par le droit de suite en Europe ne s'est pas confirmé à l'échelle mondiale. Certes, plusieurs pays l'ont introduit dans leur législation mais sans que son application soit effective : il en va ainsi pour de nombreux pays d'Amérique Latine comme le Brésil, le Paraguay ou l'Uruguay et quelques pays d'Asie comme la Mongolie ou les Philippines.
Les places importantes du marché de l'art en dehors de l'Union Européenne en sont exemptées, notamment le Japon et, surtout, les États-unis, où seul l'État de Californie l'a effectivement introduit pour les ventes effectuées sur son territoire.
* 77 Directive 2001/84/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 septembre 2001 relative au droit de suite au profit de l'auteur d'une oeuvre d'art originale.
* 78 Traité de la propriété littéraire et artistique, 2001, Litec, n° 351.
* 79 Le droit de suite et la protection sociale des artistes plasticiens, rapport présenté par Michel Raymond et Serge Kancel, avril 2004.