Section 2 - Renforcement des pouvoirs de sanction de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité
Article 19 (articles 11-1
à 11-3 de la loi n° 2004-1486 du 30 décembre
2004)
Sanctions pécuniaires prononcées par la Haute
Autorité de lutte contre les discriminations et pour
l'égalité
Objet : Cet article a pour objet de renforcer les pouvoirs de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations (Halde) en lui conférant un pouvoir de sanction.
I - Le dispositif proposé
Créée par la loi du 30 décembre 2004, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations est une autorité administrative indépendante qui, aux termes de l'article premier de la loi « est compétente pour connaître de toutes les discriminations, directes ou indirectes, prohibées par la loi ou par un engagement international auquel la France est partie ».
Composée d'un collège de onze membres, elle assure :
- le traitement des réclamations dont elle a été saisie par toute personne s'estimant victime de discrimination ;
- la promotion de l'égalité à travers des actions de communication et d'information ;
- une mission de recherche en matière de discrimination ;
- elle adresse un rapport annuel et formule des avis et recommandations aux autorités de l'Etat.
Afin de renforcer sa capacité d'action, le présent article donne à la Halde un pouvoir de sanction.
Il introduit trois nouveaux articles dans la loi du 30 décembre 2004, entre les dispositions de l'article 11 relatives aux recommandations que peut formuler la Halde et celles de l'article 12 concernant son pouvoir de transmission au procureur de faits qui, portés à sa connaissance, sont constitutifs de crimes ou délits.
L'article 11-1 instaure la possibilité pour la Haute Autorité de prendre des sanctions pécuniaires .
Ce pouvoir s'exerce lorsque la Halde constate des faits constitutifs d'une discrimination directe au sens de l'article premier de la loi, c'est-à-dire lorsqu'il y a discrimination prohibée par la loi ou par un engagement international auquel la France est partie.
Ces discriminations sont celles fondées sur l'origine, le sexe, le handicap, l'orientation sexuelle ou l'appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion.
La procédure de mise en oeuvre des sanctions est encadrée : la sanction intervient à l'issue d'une procédure contradictoire dont les modalités sont précisées par décret en Conseil d'Etat et aux termes d'une décision motivée.
Le montant de la sanction pécuniaire ne peut dépasser 5.000 euros s'il s'agit d'une personne physique et 25.000 euros s'il s'agit d'une personne morale.
Le second alinéa de l'article précise que ces sanctions sont prononcées sans préjudice des poursuites pénales susceptibles d'être engagées par le procureur ou la victime.
L'article 11-2 permet à la Haute Autorité d'accompagner ces sanctions d'une obligation d'affichage ou de diffusion .
Ainsi, lorsqu'elle a prononcé une sanction, la Halde peut également ordonner soit l'affichage de la décision ou d'un communiqué dans des lieux qu'elle précise et pour une durée qui ne peut excéder deux mois, soit la diffusion de la décision ou d'un communiqué par insertion au Journal officiel, dans d'autres organes de presse ou par voie électronique. Les frais d'affichage ou de diffusion sont alors à la charge de la personne sanctionnée.
L'article 11-3 prévoit un recours devant le Conseil d'Etat et l'indépendance de cette procédure des éventuelles poursuites pénales .
Dans son premier alinéa, cet article dispose que les décisions de la Halde prononçant une sanction peuvent faire l'objet d'un recours en pleine juridiction devant le Conseil d'Etat.
Au deuxième alinéa, il est spécifié que lorsque la Halde a prononcé une sanction pécuniaire avant que le juge pénal n'ait statué définitivement sur les mêmes faits, celui-ci peut ordonner que la sanction pécuniaire s'impute sur l'amende qu'il prononce.
Il est enfin énoncé, dans un dernier alinéa, que les sanctions pécuniaires sont recouvrées comme les créances de l'Etat, étrangères à l'impôt et au domaine.
II - Les modifications considérées comme adoptées par l'Assemblée nationale
Le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale comporte plusieurs modifications substantielles du dispositif.
A l'article 11-1 , cinq changements ont été apportés :
- l'énumération des dispositions législatives susceptibles de donner lieu à l'exercice par la Halde de son pouvoir de sanction, à savoir les articles 225-2 et 423-7 du code pénal et L. 122-45 et L. 123-1 du code du travail ;
- l'abaissement du montant maximum de la sanction pécuniaire à 1.500 euros pour une personne physique et 15.000 euros pour une personne morale ;
- l'explicitation des droits de la défense : le décret en Conseil d'Etat prévu devra définir les conditions dans lesquelles les personnes mises en cause sont informées des faits qui leur sont reprochés et le délai minimal dont elles disposent pour préparer leur défense, leur droit d'être entendues, représentées et assistées étant garanti ;
- la distinction au sein de la Halde entre les personnes chargées de poursuivre les faits et celles délibérant sur leur sanction ;
- la fixation d'un délai de prescription de trois ans.
A l'article 11-2 , le texte de l'Assemblée nationale rend possible l'utilisation de l'affichage et de la diffusion comme alternatives à la sanction pécuniaire et non seulement comme une mesure de complément à cette sanction.
A l'article 11-3 , afin de mieux articuler la procédure administrative de la Halde avec une procédure pénale et pour respecter la règle posée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 23 juillet 1996 selon laquelle « une sanction administrative de nature pécuniaire ne peut se cumuler avec une sanction pénale » sur les mêmes faits, le texte de l'Assemblée nationale prévoit :
- l'impossibilité pour la Halde de prononcer une sanction pécuniaire après une décision judiciaire définitive sur les mêmes faits, sauf si les faits discriminatoires sont susceptibles d'être sanctionnés par la Halde mais pas par le juge pénal ou si la procédure pénale a échoué pour des raisons étrangères au fond du dossier ;
- la révision de droit de la sanction de la Halde en cas de relaxe ou de non-lieu postérieurs ;
- l'imputation automatique de la sanction pécuniaire de la Halde sur l'amende pénale prononcée postérieurement.
Par ailleurs, il est ajouté à ce même article que les décisions prises par la Halde en vertu de son pouvoir de sanction interrompent la prescription de l'action publique. Enfin, il est donné une base légale à la communication éventuelle de pièces de la Halde au ministère public quand celui-ci est saisi postérieurement des mêmes faits, à condition d'en informer les personnes concernées.
III - La position de votre commission
Votre commission approuve la volonté de renforcer les pouvoirs de la Halde. La lutte contre les discriminations est en effet une priorité, elle suscite de très fortes attentes et il paraît judicieux de favoriser la montée en puissance de l'autorité créée pour y veiller.
De fait, depuis sa mise en place il y a un peu moins d'un an, la Halde a déjà reçu 1.377 dossiers, dont l'essentiel témoigne de discriminations avérées, notamment du fait de l'origine nationale, raciale ou ethnique (38 % des réclamations) et de discriminations intervenant dans le domaine de l'emploi (45 % des dossiers).
Ces chiffres sont à mettre en regard de celui, relativement faible, des condamnations pénales prononcées chaque année pour des comportements discriminatoires ou des appels à discrimination : une quarantaine par an.
Néanmoins le dispositif prévu dans cet article soulève plusieurs difficultés. Les amendements de l'Assemblée nationale, retenus par le Gouvernement dans le texte transmis au Sénat, ont profondément remanié et grandement amélioré le texte.
Il n'en demeure pas moins que subsiste la question d'un pouvoir de sanction autonome d'une autorité administrative indépendante dans une matière à caractère essentiellement pénal.
Sur cet aspect, votre commission s'en remettra aux préconisations de la commission des Lois. Il lui paraît en effet essentiel que le pouvoir de sanction qui sera donné à la Halde soit à la fois d'une parfaite constitutionnalité et compatible avec la Convention européenne des droits de l'homme.
Sous cette réserve, elle vous demande d'adopter cet article sans modification.