Article 3 quinquies (art. L. 141-18 nouveau du code du
travail)
Fixation du salaire à l'issue d'enchères
inversées
Objet : Cet article, inséré à l'Assemblée nationale avec l'accord du Gouvernement, tend à dissuader les employeurs de recourir à la pratique des enchères inversées lors du recrutement de salariés.
I - Le dispositif considéré comme adopté par l'Assemblée nationale
Cet article prévoit qu'un employeur ne pourra se prévaloir des stipulations d'un contrat de travail conclu à l'issue d'enchères inversées portant sur le montant du salaire. L'exposé des motifs précise que les clauses visées ne seront opposables ni au salarié, ni aux organismes sociaux, ni aux services fiscaux.
II - La position de votre commission
Les enchères inversées constituent un mode de mise en concurrence sous la forme d'appel d'offres au moins disant : au cours d'une procédure d'enchères, les candidats proposent leur offre de prix et sont tenus informés du prix proposé par les autres candidats, ce qui leur permet de proposer une offre inférieure, dans le délai imparti.
En matière de marchés publics, les enchères électroniques inversées relèvent actuellement du décret n° 2001-846 du 18 septembre 2001, pris en application du 3° de l'article 56 du code des marchés publics : « Un décret précise les conditions dans lesquelles des enchères électroniques peuvent être organisées pour l'achat de fournitures courantes » .
Dans le secteur commercial, les enchères électroniques inversées sont actuellement régies par l'article 51 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises. Cet article a inséré dans le code de commerce un article L. 442-10 qui fixe les conditions de régularité d'un « contrat par lequel un fournisseur s'engage envers tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers sur une offre de prix à l'issue d'enchères inversées à distance, organisées notamment par voie électronique » .
En revanche, aucun cadre législatif n'est encore disponible en droit du travail, ce qui rend légal le recrutement d'un salarié avec fixation du salaire à l'issue d'un processus d'enchères inversées, pour peu que soient respectées les dispositions d'ordre public du code du travail en matière de salaire, en particulier celles relatives au Smic, ou les dispositions relatives aux salaires minimums insérées dans des conventions et accords collectifs.
Or la pratique des enchères inversées existe en France, depuis le lancement à la fin de 2005 d'un site spécialisé, inspiré semble-t-il d'un site équivalent ouvert en Allemagne à l'automne 2004.
Cette forme du dumping social touchant essentiellement des emplois non qualifiés ou faiblement qualifiés apparaît incompatible avec les principes du droit social.
Des initiatives ont d'ores et déjà été prises pour la faire disparaître. L'amendement à l'origine de l'article 3 quinquies du projet de loi est issu d'une proposition de loi déposée récemment à l'Assemblée nationale. Par ailleurs, la question avait été évoquée à l'occasion de la discussion de la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises. Un amendement proposant l'interdiction des enchères électroniques inversées avait été repoussé en raison de son insertion dans le code de commerce et non dans celui du travail. Le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et des professions libérales avait indiqué à ce propos : « soumettre au code de commerce les relations salariales et la formation professionnelle ne me paraît pas conforme à la conception que nous avons du salariat en France. C'est la raison pour laquelle nous considérons que c'est le code du travail qui doit traiter des questions relevant des relations du travail régies par les contrats et de la formation professionnelle. Je pense que si les syndicats, qui représentent les salariés, étaient interrogés sur votre proposition, ils en comprendraient certainement la finalité - dont je salue la générosité - en revanche, ils en combattraient probablement le formalisme, compte tenu de la présentation de votre amendement. Si la question mérite d'être posée, la solution n'a pas à être apportée dans le code de commerce, dans un texte de loi qui régit les relations entre des fournisseurs et des distributeurs ».
Le projet de loi sur l'égalité des chances, en ses dispositions du titre premier consacrées au recul de la précarité, offre manifestement un cadre plus approprié pour reprendre cette question.
Votre commission approuve donc l'insertion dans le texte d'une disposition interdisant la fixation de salaires par enchères électroniques inversées. Elle considère toutefois qu'il convient d'en améliorer la rédaction pour désigner expressément le phénomène des enchères électroniques inversées, afin de prévenir les contentieux susceptibles de surgir d'une application du texte, en dehors de la sphère des communications électroniques, à des négociations classiques entre un employeur et des candidats à un emploi, pour lesquelles le niveau de salaire serait un élément d'appréciation normal ;
- prévoir expressément que les offres d'emploi publiées par voie électronique ne peuvent comporter une procédure d'enchères électroniques ;
- supprimer la mention explicite du placement et du travail temporaire dans le champ d'application de la disposition, l'interdiction édictée s'appliquant à l'ensemble des employeurs ;
- prévoir la nullité de plein droit des contrats comportant une clause salariale fixée à l'issue d'enchères électroniques inversées plutôt qu'une impossibilité pour l'employeur de se prévaloir des stipulations du contrat de travail. L'expression « ne peut se prévaloir » figure seulement à l'article L. 342-4 du code du travail, disposant : « un employeur ne peut se prévaloir des dispositions applicables au détachement [il s'agit du détachement transnational de travailleurs] de salariés lorsque son activité est entièrement orientée vers le territoire français [...] ». S'il est possible, dans ce cas de figure, d'isoler la disposition inapplicable parmi les autres clauses du contrat, cela apparaît beaucoup plus difficile quand il s'agit du salaire, dont la fixation irrégulière entache manifestement la validité du contrat quand elle a été un élément substantiel de la conclusion de ce dernier ;
- insérer cet article dans le code du travail, non pas dans le chapitre relatif au Smic mais dans le chapitre premier (dispositions générales) du titre II (contrat de travail) du livre premier qui semble plus approprié pour accueillir une interdiction des contrats comportant une clause salariale fixée par enchères électroniques inversées. L'article 3 quinquies du projet de loi créerait alors un article L. 121-10 nouveau du code du travail.
Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.