b) Des éléments de fragilité
Les acteurs judiciaires de la lutte contre le terrorisme ont cependant attiré l'attention de votre rapporteur sur certains points de fragilité du dispositif actuel de lutte contre le terrorisme.
En amont de la procédure, les juges d'instruction de la section antiterroriste ont relevé que la garde à vue de quatre jours s'était révélée, dans certains cas, insuffisante. Les informations données par la personne gardée à vue peuvent, en effet, révéler un risque imminent d'attentat et il peut alors être très précieux de disposer d'un délai supplémentaire pour neutraliser les responsables de l'opération tout en s'assurant du contrôle de la personne placée en garde à vue. De même, les nécessités de la coopération internationale peuvent justifier une prolongation de la durée de la garde à vue, le temps de mettre en lumière d'éventuelles ramifications internationales et d'échanger ensuite avec les services étrangers compétents.
Par ailleurs, si l'ensemble des magistrats rencontrés par votre rapporteur ont souligné l'intérêt de l'incrimination de délit d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste considérée, selon l'expression de M. Jean-Claude Marin, comme le « fer de lance » de la lutte contre le terrorisme, ils ont aussi, dans leur ensemble, regretté l' insuffisance du quantum de peine (dix ans maximum) eu égard à la gravité des faits et aussi, il faut s'en inquiéter, au risque de récidive. Ainsi, plusieurs cas ont été cités à votre rapporteur de personnes condamnées pour ce délit qui, dès leur libération, avaient cherché à reconstituer des réseaux.
Par ailleurs, si les poursuites, l'instruction et le jugement sont, depuis la loi du 9 septembre 1986, centralisés à Paris, tel n'est pas le cas de l'application des peines. Or, au 30 novembre 2005, les établissements pénitentiaires comptaient 115 détenus condamnés pour des affaires de terrorisme 16 ( * ) . Les personnes condamnées pour terrorisme sont réparties entre 31 prisons et relèvent donc d'un grand nombre de juges de l'application des peines . Plusieurs juges se prononcent ainsi sur la situation d'individus appartenant à un même groupe. Or, les décisions prises -en particulier, la libération conditionnelle- peuvent être lourdes de conséquences et impliquent une excellente connaissance des dossiers terroristes et une vue d'ensemble cohérente de leur traitement.
Ces trois points font l'objet des adaptations nécessaires dans le présent projet de loi.
En outre, plusieurs magistrats se sont fait l'écho de la difficulté de poursuivre des personnes dont le train de vie ne correspond manifestement pas aux ressources licites dont ils disposent. Ces situations peuvent déceler l'existence de circuits souterrains de financement d'actes terroristes. Les incriminations de non justification de ressources prévues par notre droit ne paraissent pas, en l'état, totalement adaptées pour couvrir notamment une délinquance de trafics très variés et particulièrement profitables.
Par ailleurs, au stade du jugement, les magistrats du parquet ont attiré l'attention de votre rapporteur sur une difficulté mise en lumière par une affaire récente, liée à la mise en cause dans un même dossier de majeurs et de mineurs. Ces derniers, actuellement, ne peuvent être jugés que par la cour d'assises des mineurs , composée de jurés populaires. La juridiction d'instruction n'a donc le choix qu'entre disjoindre la procédure (les mineurs étant jugés par la cour d'assises des mineurs, les majeurs par la cour d'assises dans sa formation spéciale), ou renvoyer mineurs et majeurs devant la cour d'assises de droit commun des mineurs. Cet état de fait contredit la logique, qui avait conduit le législateur à opter pour une formation spéciale, afin de prémunir les décisions des cours d'assises des effets des pressions dont les jurés pourraient faire l'objet.
Votre commission vous proposera de répondre à ces deux sujets de préoccupation.
Une nouvelle inquiétude signalée par tous les acteurs policiers et judiciaires rencontrés par votre rapporteur concerne le comportement des terroristes dans le milieu pénitentiaire. En effet, si certaines formes de terrorisme (corse et basque principalement) s'abstiennent de tout prosélytisme, tel n'est pas le cas de l'islamisme radical.
Plusieurs cas de « conversion » de délinquants de droit commun ont ainsi été rapportés, favorisant la pérennité, voire l'essaimage de réseaux terroristes pendant le temps même de l'incarcération.
Il apparaît essentiel de porter une attention très vigilante à ce phénomène et d'engager une réflexion sur les moyens de le conjurer 17 ( * ) . Ce sujet pourrait être abordé dans le cadre du livre blanc sur la sécurité intérieure face au terrorisme destiné à approfondir les moyens de mieux répondre à la menace terroriste.
* 16 19 impliqués dans des réseaux terroristes corses, 40 dans des groupes terroristes ETA, 31 dans des réseaux terroristes islamiques, 8 dans des réseaux internationaux, 6 dans le GRAPO (groupe de résistance antifasciste du premier octobre), 7 dans le réseau Action directe, 1 dans les réseaux terroristes bretons.
* 17 L'administration pénitentiaire a mis en place un bureau spécialisé « Renseignement » afin d'assurer un suivi plus particulier du détenu condamné pour affaire de terrorisme.