Article 34
(art. L. 622-15 nouveau
du code de commerce)
Ordre de paiement des créances
Cet article tend à modifier les dispositions figurant actuellement à l'article L. 621-32 du code de commerce relatives à l'ordre de paiement des créanciers dans le cadre de la procédure de sauvegarde . Ces nouvelles dispositions figureraient désormais à l'article L. 622-15 du code de commerce.
1. Le droit en vigueur
Afin de faciliter le redressement de l'entreprise en difficulté, l'article L. 621-32 du code de commerce 120 ( * ) favorise les créanciers qui, après l'ouverture d'une procédure collective à la suite de la cessation des paiements du débiteur, consentent à ce dernier un crédit destiné à la poursuite de son activité. Si, dans le texte initial de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, les règles de paiement des créances étaient fixées de manière similaire dans le cadre du redressement et de la liquidation judiciaire, la loi n° 94-475 du 14 juin 1994 a modifié cet ordre en ce qui concerne la procédure de liquidation judiciaire.
Dans le cadre d'une procédure de redressement judiciaire , cette disposition pose le principe, lorsque l'activité de l'entreprise est poursuivie, du paiement, à leur échéance, des créances nées après le jugement d'ouverture, à condition :
- que ces créances soient nées « régulièrement » , ce qui implique notamment qu'elles ne doivent pas résulter d'un acte interdit ou d'un acte fait par le débiteur au lieu et place de l'administrateur ;
- que ces créances résultent de la continuation de l'activité , car rien ne justifie qu'une préférence soit donnée aux créances qui seraient nées dans un autre but, comme par exemple l'intérêt personnel du débiteur.
Toutefois, lorsque l'activité n'est pas poursuivie en raison de l'arrêt d'un plan de cession de l'entreprise par le tribunal ou si, dans le cadre d'un plan de continuation, l'actif de l'entreprise en redressement ne permet pas -ce qui est souvent le cas- de payer ces créances, ou tout du moins leur intégralité, l'article L. 621-32 impose, à défaut, le règlement de ces créances par priorité par rapport aux autres créances, qu'elles soient ou non assorties de sûreté ou de privilège.
L'efficacité de cette priorité de paiement n'est cependant pas absolue.
D'une part, elle n'a pas d'incidence sur les droits des créanciers rétenteurs ou bénéficiant d'une clause de réserve de propriété sur certains meubles du débiteur.
La jurisprudence ayant jugé que la prérogative du rétenteur n'était pas remise en cause par le classement établi par l'article L. 621-32, le créancier bénéficiaire d'un droit de rétention peut, à tout moment, faire jouer son droit pour obtenir le paiement de sa créance. 121 ( * ) De même, le créancier ayant inclus dans un contrat de vente avec le débiteur une clause de réserve de propriété jusqu'à complet paiement du prix, peut à tout moment revendiquer la propriété de son bien. Le débiteur ne pourra alors conserver ce dernier qu'en assurant le paiement complet du prix.
D'autre part, le règlement des créances postérieures au jugement d'ouverture ne peut intervenir qu'après paiement des créances couvertes par le « super-privilège » des salaires, défini par les articles L. 143-10, L. 143-11, L. 742-6 et L. 751-15 du code du travail, qui assure le paiement prioritaire des sommes représentant, selon le cas, les 60 ou 90 derniers jours de salaires ainsi que les indemnités de congés payés dues aux salariés de l'entreprise en redressement judiciaire ;
En dernier lieu, plusieurs créances nées postérieurement au jugement d'ouverture pouvant entrer en concurrence les unes avec les autres, l'article L. 621-32 détermine l'ordre de paiement au sein de cette catégorie. Les créances ne peuvent ainsi être payées valablement que dans l'ordre suivant :
- les créances salariales non avancées par l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS). En vertu de l'article L. 143-11-1 du code du travail, l'AGS avance en effet le paiement d'une partie des créances salariales, puis dispose ensuite d'une action subrogatoire à l'encontre du débiteur ;
- puis, les créances de frais de justice. Ces frais couvrent notamment les frais de greffe, les frais et honoraires des mandataires de justice ainsi que, le cas échéant, les honoraires des avocats engagés après le jugement d'ouverture ;
- puis, les créances résultant de prêts conclus après le jugement d'ouverture avec l'autorisation du juge-commissaire, ainsi que les créances résultant de la continuation des contrats en cours pour lesquels le cocontractant accepte de recevoir un paiement différé ;
- puis, les créances salariales avancées par l'AGS postérieurement à l'ouverture de la procédure ;
- enfin, les autres créances postérieures selon leur rang. En application des règles générales du droit des sûretés, les créances assorties de privilèges généraux sont d'abord payées, puis viennent celles assorties de privilèges spéciaux. Les créances non privilégiées sont réglées en dernier lieu.
2. Les modifications apportées par le projet de loi
A la différence de l'article L. 621-32 du code de commerce dans sa rédaction actuelle, l'article L. 622-15 nouveau ne définirait que le régime du paiement des créances dans le cadre de la procédure de sauvegarde et, par extension, dans le cadre de la procédure de redressement. Un article L. 641-12, issu de l'article 120 du présent projet de loi, définirait le régime applicable en cas de liquidation judiciaire du débiteur.
L'Assemblée nationale n'a apporté à cet article, à l'initiative de sa commission des lois, que des modifications mineures.
? Aux termes du texte proposé par le 1° de cet article pour rédiger le I de l'article L. 622-15 du code de commerce, le principe du paiement à l'échéance, jusqu'alors réservé aux créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture lorsque l'activité du débiteur est poursuivie, serait réduit à deux catégories de créances :
- celles nées régulièrement après le jugement d'ouverture « pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation ».
Cette restriction était suggérée par la Cour de cassation, cette dernière estimant que la priorité conférée actuellement à l'ensemble des créances postérieures au jugement d'ouverture était « de nature à rendre plus difficile le redressement de l'entreprise si trop de créanciers peuvent en profiter. Il paraît excessif que la créance fasse ainsi l'objet d'un paiement prioritaire du seul fait qu'elle est née après le jugement d'ouverture ; il serait plus favorable au redressement des entreprises que seules les créances nécessaires à la poursuite de l'activité après le jugement d'ouverture bénéficient d'un tel traitement de faveur. » 122 ( * ) ;
- celles nées régulièrement après le jugement d'ouverture « en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur, pour son activité, pendant cette période » Cette seconde catégorie tend à prendre en compte les cas dans lesquels, par exemple, une commande aurait été passée par le débiteur, donnant lieu à une prestation, mais que le mandataire judiciaire ou l'administrateur ne considérerait pas comme correspondant aux besoins de la procédure ou de la période d'observation. Il n'y aurait en effet aucune justification à priver de telles créances d'un paiement prioritaire.
Votre commission estime indispensable de préciser que cette seconde catégorie de créances ne doit concerner que celles se rapportant à l'activité professionnelle du débiteur. Elle vous soumet en conséquence un amendement en ce sens.
Le texte proposé pour rédiger le II de l'article L. 622-15 déterminerait la priorité de paiement applicable aux créances nées postérieurement au jugement d'ouverture pour les besoins de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pour son activité, au cours de cette période, lorsqu'elles n'ont pu être payées à l'échéance.
Cette priorité de paiement ne serait prévue , dans le cadre de cette disposition, que dans le cadre de la procédure de sauvegarde , la priorité applicable au cours de la procédure de liquidation étant désormais fixée par l'article L. 641-13 du code de commerce dans sa rédaction issue de l'article 120 du présent projet de loi 123 ( * ) . Toutefois, elle s'appliquerait également dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire , le nouvel article L. 631-14 du code de commerce, tel que rédigé par l'article 102 du présent projet de loi, prévoyant l'application des dispositions de l'article L. 622-15 dans le cadre de cette procédure 124 ( * ) .
Au demeurant, le texte proposé substituerait au terme de « priorité », le terme de « privilège ». Cette modification, qui n'est pas de pure forme, tend à tirer les conséquences de la jurisprudence de la Cour de cassation, cette dernière ayant jugé que, dans la mesure où le texte actuel définissait un ordre des priorités de paiement et non un ordre des privilèges, 125 ( * ) cet ordre ne pouvait être invoqué par les créanciers que dans le cadre de la procédure collective à laquelle il s'applique et ne pouvait être invoqué dans une procédure distincte, même subséquente 126 ( * ) . Dès lors, il serait désormais possible au créancier titulaire d'un privilège visé par la présente disposition de s'en prévaloir dans le cadre d'une autre procédure que celle au cours de laquelle il l'a acquis .
La modification principale apportée par le présent article consisterait l'introduction, dans la hiérarchie de paiement des créances, des créances bénéficiant du privilège de la « new money » (argent frais), établi par l'article L. 611-1 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'article 8 du présent projet de loi.
Rappelons qu'aux termes de cette disposition, les personnes ayant consenti un nouvel apport de trésorerie ou fourni un bien ou un service au débiteur au cours de la procédure de conciliation en vue d'assurer la poursuite d'activité de l'entreprise et sa pérennité bénéficieraient, pour les montants de ce crédit ou de cette avance, d'un paiement « par privilège à toutes créances nées avant l'ouverture de la conciliation, dans les conditions prévues aux articles L. 622-15 et L. 641-13 ».
L'ordre de paiement des créances serait ainsi modifié, puisque le règlement des créances couvertes par le privilège de l'article L. 611-11 nouveau s'effectuerait avant celui des créances postérieures . Toutefois, les créances couvertes par le super-privilège des salariés , établi par les articles L. 143-10, L. 143-11, L. 742-6 et L. 751-15 du code du travail, continueraient de primer l'ensemble des créances .
Ce nouveau classement resterait également inapplicable tant aux créanciers titulaires d'un droit de rétention qu'aux créanciers titulaires de clauses de réserve de propriété .
Ordre de paiement des créances dans le
cadre
Dans le cadre des procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire, les créances seraient payées dans l'ordre suivant : 1. les créances salariales bénéficiant du super-privilège institué par les articles L. 143-10, L. 143-11, L. 742-6 et L. 751-15 du code du travail ; 2. les créances garanties par le privilège établi par l'article L. 611-11 du code de commerce dans sa rédaction proposée par l'article 8 du présent projet de loi (« argent frais ») ; 3. si elles n'ont pas été payées à leur échéance, les créances nées régulièrement après le jugement pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation ou encore une partie d'une prestation fournie au débiteur pour son activité durant cette période, dans l'ordre suivant : - les créances salariales non avancées par l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS) ; - les créances de frais de justice ; - les créances résultant de prêts consentis par des établissements de crédits conclus après le jugement d'ouverture avec l'autorisation du juge-commissaire, ainsi que les créances résultant de la continuation des contrats en cours pour lesquels le cocontractant accepte de recevoir un paiement différé ; - les créances salariales avancées par l'AGS postérieurement à l'ouverture de la procédure ; - les autres créances postérieures selon leur rang ; 4. les créances de frais de justice antérieures au jugement d'ouverture ; 5. les créances antérieures au jugement d'ouverture assorties de sûretés générales ou spéciales selon leur rang ; 6. les créances antérieures au jugement d'ouverture non privilégiées. |
Votre commission relève cependant que la rédaction proposée par le présent article a pour effet de faire passer le paiement des créances garanties par le privilège des frais de justice, visé à l'article 2101 du code civil , après celui des créances couvertes par le privilège de la « new money » . Afin de conserver sur ce point l'état du droit en cette matière, elle vous propose de préciser, par amendement , que les frais de justice sont payés avant les créances bénéficiant du privilège établi par l'article L. 611-11 du code de commerce dans sa rédaction issue de l'article 8 du projet de loi, tout en corrigeant une erreur matérielle.
? Le 2° du présent article prévoirait d'apporter une correction d'ordre rédactionnel au 3° du III de l'article L. 622-15, l'Assemblée nationale ayant, à l'initiative de la commission des lois, supprimé la coordination opérée par cet alinéa, devenue inutile compte tenu du tableau I figurant en annexe au projet de loi.
La modification proposée ne remettrait pas en cause le fait que seuls les prêts consentis par les établissements de crédit bénéficieraient d'un classement avantageux lors d'un concours entre plusieurs créances bénéficiant de la règle du paiement à l'échéance. Or, une telle restriction n'apparaît pas avoir de justification réelle.
Votre commission estime qu'il n'y a pas lieu d'exclure les prêteurs qui ne seraient pas des établissements de crédit de l'avantage procuré par le présent article. Elle vous propose donc un amendement tendant à étendre à tout prêteur, quelle que soit sa qualité, le paiement prioritaire accordé aux créances résultant de prêts consentis au débiteur après le jugement d'ouverture de la procédure .
? Le 3° du présent article compléterait l'article L. 622-15 nouveau par un paragraphe IV instituant une péremption des privilèges prévus par cette disposition.
Les créances postérieures au jugement d'ouverture non payées à l'échéance par le débiteur perdraient ainsi le privilège résultant de l'application de l'article L. 622-15 si, dans un délai d'un an à compter de la fin de la période d'observation, elles n'ont pas été portées à la connaissance de certains organes de la procédure : le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l'administrateur judicaire s'il en a été désigné un, ou à défaut, le commissaire à l'exécution du plan ou le liquidateur.
Cette disposition aurait donc pour conséquence de soumettre les créanciers postérieurs à une obligation de déclaration des créances , à l'instar de ce qu'exige le droit positif à l'égard des créances antérieures au jugement, et qui serait maintenu par l'article L. 622-22 dans sa rédaction issue de l'article 39 du présent projet de loi.
L'absence de déclaration étant sanctionnée par la perte du privilège, les créances concernées seraient alors traitées comme des créances antérieures au jugement d'ouverture et seraient alors payées selon leur nature privilégiée ou chirographaire.
Votre commission vous propose d'adopter l'article 34 ainsi modifié .
* 120 Ancien article 40 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985.
* 121 Cour de cassation, ch. commerciale, 15 octobre 1991, Bull. civ. IV, n° 288.
* 122 Rapport annuel 2002.
* 123 Voir infra, le commentaire de l'article 120 du présent projet de loi.
* 124 Voir infra, le commentaire de l'article 102 du présent projet de loi.
* 125 Cour de cassation, ch. commerciale, 5 février 2002, Bull. civ. IV, n° 27.
* 126 Cour de cassation, ch. commerciale, 28 juin 1994, Bull. civ. IV, n° 244.