II. LA RECHERCHE DE NOUVELLES RÉPONSES

Il n'existe, à l'évidence, aucun déterminisme simple au phénomène de la récidive. Aussi, comme l'a souligné M. Jean-Louis Nadal, procureur général près la cour de cassation, lors de son audition par votre rapporteur, le traitement de la récidive suppose-t-il en premier lieu pour le juge la possibilité de prononcer « la peine la mieux adaptée à la situation du condamné et à la gravité des faits ». Il importe, selon lui, d'abord d'orienter de manière adaptée chaque procédure -de ne pas opter, par exemple, pour un simple rappel à la loi pour une personne dont le comportement justifierait une poursuite devant le tribunal- et de privilégier la progressivité dans le prononcé des sanctions. Le principe d'individualisation de la peine apparaît évidemment contradictoire avec la formule de « peines plancher » parfois évoquée pour lutter contre la récidive.

La création de la mission d'information de l'Assemblée nationale relative au traitement de la récidive des infractions pénales avait été précisément suscitée par le dépôt en février 2004, à l'initiative de M. Christian Estrosi, d'une proposition de loi cosignée par 185 députés membres de la majorité 17 ( * ) tendant à instaurer des peines minimales en matière de récidive. Néanmoins, la proposition de loi issue des travaux de la mission d'information n'a pas repris une telle formule. Au terme d'un long débat, la commission des Lois de l'Assemblée nationale a par ailleurs rejeté un amendement de M. Christian Estrosi, prévoyant l'instauration de peines minimales dès la deuxième récidive, sauf décision motivée de la juridiction ainsi qu'un sous-amendement du rapporteur limitant ce régime à la récidive des délits commis avec violence 18 ( * ) .

Si la proposition de loi de l'Assemblée nationale n'a pas retenu le principe de peines plancher, elle suggère en revanche la mise en place d'un dispositif destiné à prévenir la récidive du délinquant à l'issue de son incarcération. La personne serait ainsi placée sous surveillance électronique mobile. Ce dispositif emprunte, d'une part, sur le plan technique au « bracelet électronique » dont l'usage est néanmoins réservé actuellement aux mesures d'aménagement de peine et, d'autre part, d'un point de vue juridique, au suivi socio-judiciaire qui a vocation à s'appliquer après la libération du condamné.

Ainsi, pour mesurer l'originalité et la portée des mesures proposées par les députés, il importe de rappeler le régime juridique et la mise en oeuvre de ces deux dispositifs.

A. LE PLACEMENT SOUS SURVEILLANCE ÉLECTRONIQUE AUJOURD'HUI : UNE MODALITÉ D'EXÉCUTION DES PEINES PRIVATIVES DE LIBERTÉ

Le placement sous surveillance électronique trouve son origine dans une initiative sénatoriale. En effet, notre ancien collègue, M. Guy Cabanel avait, dans le prolongement de son rapport sur la prévention de la récidive remis au Gouvernement en août 1995, présenté une proposition de loi tendant à permettre le placement sous surveillance électronique pour l'exécution de certaines peines. Il constitue une alternative à l'incarcération, une « prison à domicile » en quelque sorte.

Notre commission des Lois avait alors pleinement soutenu ce dispositif en en soulignant le triple intérêt au regard de la réinsertion des condamnés (puisqu'il permettait d'éviter la rupture des liens familiaux et la perte de l'emploi), de la lutte contre la surpopulation carcérale et enfin de l'économie réalisée -le coût d'un bracelet électronique étant inférieur à une journée de détention.

Cependant cette initiative parlementaire s'est longtemps heurtée à l'inertie du Gouvernement. Il a fallu attendre plus de quatre ans après la loi du 19 décembre 1997 les premières mesures d'application avec le décret n° 2002-479 du 3 avril 2002 portant modification du code de procédure pénale et relatif au placement sous surveillance électronique.

Depuis lors le dispositif conçu par le Sénat a été complété et étendu tandis que l'application du dispositif concerne un nombre croissant de condamnés.

1. Un cadre législatif progressivement élargi

- Les aspects techniques

La personne tenue de porter un bracelet comportant un émetteur. Doté d'une batterie électrique, celui-ci émet automatiquement des signaux radio, très fréquents, d'une portée de 50 mètres.

Le récepteur est placé au lieu d'assignation. Il s'agit d'un boitier relié au secteur électrique et à une ligne téléphonique- comportant une mémoire informatique dans laquelle sont enregistrées les plages horaires d'assignation. Il capte et décode les signaux émis par l'émetteur. Le niveau de réception devient trop faible voire inexistant lorsque la personne s'absente de son lieu d'assignation. Le récepteur envoie alors automatiquement, via la ligne téléphonique, un message d'alarme au centre de surveillance.

Le système permet de contrôler à distance la présence d'une personne en un lieu donné. Mais les évolutions de la technologie ouvrent la voie à d'autres utilisations dans un cadre législatif qu'il faudrait alors modifier 19 ( * ) .

Demain, les appareils dits de « deuxième génération » permettraient en effet d'assurer le suivi en temps réel des déplacements des personnes concernées et d'identifier les lieux où elles se trouvent. Le système GPS utilisé dans ce cadre présente cependant des difficultés de transmission des signaux liés au relief. Ces difficultés pourraient être levées par la combinaison du GPS et de la téléphonie GSM dotée, quant à elle, d'un maillage quasi complet du territoire par des relais 20 ( * ) .

La surveillance électronique mobile repose sur cette technique de « deuxième génération ».

- Le cadre législatif

La loi n° 97-1159 du 19 décembre 1997 avait consacré le placement sous surveillance électronique comme modalité d'exécution des peines privatives de liberté dont la durée totale ou la durée restant à subir n'excède pas un an .

La loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice a étendu la possibilité d'utilisation du placement sous surveillance électronique à la mise sous contrôle judiciaire 21 ( * ) . Enfin, la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité est venue compléter ce dispositif en permettant le prononcé de cette mesure ab initio par la juridiction de jugement ou dans le cadre de la proposition d'aménagement des fins de peine par le directeur du service d'insertion et de probation.

Ces dernières dispositions ont pris effet à compter du 1 er janvier 2005.

Tel qu'il résulte de ces différentes dispositions, le placement sous surveillance électronique mobile emporte pour le condamné l'interdiction de quitter son domicile en dehors de périodes préalablement définies (par exemple pour l'exercice d'une activité professionnelle).

En outre, cette interdiction peut être complétée par tout ou partie des obligations prévues pour le sursis avec mise à l'épreuve (art. 132-43 à 132-46 du code pénal).

Le condamné doit justifier soit de l'exercice d'une activité professionnelle, soit de son assiduité à un enseignement ou une formation professionnelle, soit de sa participation éventuelle à la vie de la famille, soit de la nécessité de subir un traitement médical.

Par ailleurs la décision ne peut être prise qu'avec l'accord du prévenu qui doit être informé au préalable qu'il peut demander à être assisté par son avocat. Le placement peut être aussi ordonné à l'égard d'un mineur. Dans ce cas l'accord des représentants légaux est requis (art. 132-1 du code pénal).

Le juge de l'application des peines peut retirer la décision de placement sous surveillance électronique en cas d'inobservation des interdictions ou obligations fixées au condamné.

- Les modalités du contrôle

Le contrôle du dispositif est en principe assuré par les services de l'administration pénitentiaire .

La loi du 9 septembre 2002 a prévu la possibilité de recourir à des personnes de droit privé pour la mise en oeuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance dans des conditions fixées par le décret du 17 mars 2004. De nouveaux marchés ont été passés au cours de cette année, en vue d'externaliser la gestion technique du placement sous surveillance électronique.

Dans ce cadre, le prestataire loue le matériel de surveillance à l'administration pénitentiaire. Si, jusqu'à présent, chaque direction régionale de l'administration pénitentiaire assume les responsabilités du marché conclu selon les instructions de l'administration centrale, un marché de généralisation -actuellement au stade de l'analyse des offres- devrait progressivement reprendre ces marchés régionaux pour couvrir l'intégralité du territoire.

Dans ce marché, le prestataire aura pour mission de fournir et d'entretenir le matériel de surveillance mais aussi d'effectuer la télé-opération (qualification des alarmes reçues en alarmes techniques ou en alarmes de violation des obligations -ces dernières devant être transmises à l'administration pénitentiaire, responsable de leur traitement).

2. Une utilisation croissante

Le nombre de placements sous surveillance électronique a connu un développement significatif en particulier depuis 2003 et les juridictions sont de plus en plus nombreuses à y recourir.

Ainsi, le nombre de placements en simultané est passé de 90 au 1 er janvier 2003 à 714 au 1 er janvier de cette année 22 ( * ) .

L'objectif serait d'atteindre 3.000 personnes placées sous surveillance électronique en 2007.

L'élargissement du cadre législatif d'emploi du placement sous surveillance électronique ainsi que la progression effective des décisions de placement montrent que les avantages escomptés par le Sénat dans le dispositif se sont confirmés.

Il convient de souligner ainsi que le coût d'un bracelet électronique s'élève à 22 euros par jour contre 63 euros pour une journée de détention.

Selon M. Patrice Molle, directeur de l'administration pénitentiaire, le port du bracelet électronique est généralement bien accepté par le condamné, à condition toutefois qu'il ne dépasse pas une période relativement brève (cette durée s'établit en moyenne actuellement à deux mois et demi : au-delà, les probabilités de manquement aux obligations s'élèvent). En outre, le condamné doit intérioriser plusieurs contraintes, en particulier, le respect des horaires d'assignation à domicile -ce qui implique une certaine « structuration » intellectuelle.

Par ailleurs, comme l'avait d'ailleurs souligné notre collègue député M. Jean-Luc Warsmann dans son rapport au Gouvernement relatif aux peines alternatives à la détention, « le développement des placements sous surveillance électronique n'est possible qu'à la condition d'une forte montée en puissance des services d'insertion et de probation, à la fois pour réaliser les enquêtes de faisabilité dans un délai acceptable (la norme pourrait être de sept jours maximum) et pour suivre le condamné dans le cadre de l'exécution de la peine .

* 17 Proposition de loi n° 1399 du 4 février 2004.

* 18 Voir annexe 2 : Les «  peines plancher » et leurs limites.

* 19 Anne Pitoun, Placement sous surveillance électronique, Recueil Dalloz, février 2003.

* 20 Des appareils de « troisième génération », à l'étude, très miniaturisés et susceptibles d'être implantés sous la peau, seraient à même de signaler la présence d'une personne en un lieu déterminé, de transmettre diverses mesures biométriques (accélération du rythme cardiaque, présence d'alcool dans le sang) voire de déclencher à distance des chocs électriques afin, par exemple, de rappeler à l'ordre des sujets s'approchant de trop près d'un lieu prohibé.

* 21 Les modalités d'application de cette disposition ont fait l'objet du décret n° 2002-243 du 17 mars 2004.

* 22 Voir tableau « Placement sous surveillance électronique » en annexe 1.

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