III. QUEL AVENIR POUR LE BUDGET EUROPÉEN ?
Le budget 2004 s'était révélé historique puisqu'il était le premier à tenir pleinement compte, tant sur le volet recettes (sur les deux tiers de l'exercice) que sur celui des dépenses, des conséquences de l'élargissement de l'Union à dix nouveaux membres, faisant ainsi franchir au budget européen un seuil important mais dont la traduction en termes de volume de crédits avait été modérée.
Les deux années à venir vont être décisives pour la conception du rôle et la définition des axes prioritaires du budget européen : outre la montée en puissance des crédits accordés aux nouveaux Etats membres, les négociations sur la future programmation 2007-2013 (l' « Agenda 2007 ») cristallisent également les divergences d'intérêts des Etats membres et des options différentes sur la nécessaire redéfinition de politiques communautaires ancrée dans les moeurs budgétaires, au premier rang desquelles la PAC et la politique régionale. Les avancées relativement limitées, du moins sur le plan financier, que représente la nouvelle Constitution européenne manifestent la permanence d'une tension entre les aspirations éparses à un véritable fédéralisme budgétaire et la volonté davantage partagée de modération par la maîtrise intergouvernementale.
A. QUELLES FONCTIONS POUR LE BUDGET EUROPÉEN ?
1. Le budget de l'Union n'assure pas les fonctions traditionnellement assignées à la dépense publique
Il n'existe aujourd'hui pas de réel consensus sur le niveau et la composition du futur budget de l'Union, et les clivages sur le mode de financement d'une Union élargie sont profonds, notamment selon la taille des pays. Les différences de conception qui président aux deux principales propositions sur l'Agenda 2007 - la proposition extensive de la Commission (qui prévoit que les crédits d'engagement et de paiement soient fixés jusqu'à respectivement 1,26 % et 1,14 % du revenu national brut de l'Union) et celle plus supplétive des six Etats contributeurs nets 11 ( * ) - conduisent à examiner le futur budget à l'aune des trois fonctions budgétaires , inspirées de la typologie de l'économiste Richard Musgrave, que l'on attribue traditionnellement à la puissance publique pour en légitimer l'action : l'affectation de ressources à la fourniture de biens publics, la répartition et la redistribution des richesses, et la stabilisation conjoncturelle.
Ainsi que le rappelle en outre Jacques Le Cacheux 12 ( * ) , dans une structure décentralisée comportant plusieurs niveaux institutionnels telle que se présente aujourd'hui l'Union européenne (collectivités territoriales, Etats et budget européen), l'application de la théorie du fédéralisme financier implique que soient minimisés les « effets de débordement » entre les différents niveaux et « une mise en commun des seuls biens publics pour lesquels les interdépendances sont significatives , c'est-à-dire ceux qui n'ont pas une dimension locale trop prononcée ».
Le rapport McDougall de 1977 avait constitué une première tentative d'application de cette conception des fonctions budgétaires dans une Europe pré-fédérale où l'unification monétaire serait réalisée : les deux scénarii avancés aboutissaient à un budget européen de respectivement 2 % (pour un budget auquel serait transféré l'essentiel de la fonction de défense) et 6 % du PIB communautaire (à l'instar d'autres fédérations existantes et en confiant au budget européen une fonction de stabilisation automatique), soit des niveaux largement supérieurs à ceux aujourd'hui constatés ou envisagés pour la prochaine programmation .
En l'absence de franchissement d'un seuil politique et conceptuel déterminant, celui de l'optique fédérale, et compte tenu de la souveraineté budgétaire nationale que la plupart des Etats membres entendent préserver, le budget européen ne peut donc intégralement exercer les trois leviers d'action évoqués précédemment . La fonction de stabilisation apparaît très réduite, celle d'affectation est tributaire d'avancées sur la Politique européenne de sécurité et de défense, et celle de redistribution est essentiellement tournée vers le secteur agricole.
2. La nécessité de mieux identifier des biens publics communautaires
Les mutations de l'économie mondiale et la prise de conscience, en particulier lors du Conseil de Lisbonne de mars 2000, du retard accumulé par l'Europe dans la défense de sa compétitivité face aux Etats-Unis et aux grandes puissances en devenir que sont la Chine et l'Inde, incitent néanmoins à concevoir une vision alternative du fédéralisme budgétaire, dans la continuité des préconisations de la commission Sapir de juin 2003. A côté de la conception reposant sur l'atteinte d'une masse critique suffisante et impliquant au moins un doublement du budget actuel, apparaît ainsi une conception plus fonctionnelle fondée sur le renforcement prioritaire de la compétitivité et de la recherche européennes , au détriment des politiques communautaires « historiques ». Ce choix n'a pas été fait et les options présentées par la Commission ne bouleversent pas radicalement l'approche du budget européen en ce qu'elles tendent, selon une logique d'accroissement des moyens, à préserver les acquis de la PAC et de la politique régionale tout en s'attachant au respect des objectifs de Lisbonne.
Votre rapporteur spécial rappelle que l'Europe a vocation, via la PESC, à devenir un instrument de maintien de la paix dans le monde, mais également à promouvoir un modèle économique très compétitif face aux grandes puissances économiques actuelles ou émergentes. Ces deux aspects connaissent aujourd'hui une traduction budgétaire insuffisante et il importe qu'ils soient pérennisés dans la prochaine programmation.
Faute de clarification de la nature politique de l'Union, l'Agenda 2007 - dont les négociations restent comme pour l'Agenda 2000 dominées par la problématique du « juste retour » - ne marquera donc probablement pas le tournant d'une nouvelle cohérence du budget européen , mais n'en rend pas moins nécessaire, dans une Europe qui a changé de dimensions, une réflexion approfondie sur les modalités de mise en oeuvre des politiques publiques européennes. Cette réflexion pourrait conduire à la remise en cause des conceptions (en premier lieu le soutien aux cours agricoles et la réduction des inégalités régionales) qui les ont jusqu'à présent régies. Le maintien de la logique comptable, qui tend à établir un équilibre non coopératif et sous-optimal, est inévitable tant que des biens publics communs, financés exclusivement par le budget européen, n'auront pas été mieux identifiés et promus par les Etats membres.
* 11 Dans une lettre adressée à la Commission européenne par leurs chefs d'Etat et de gouvernement en novembre 2003, ces six pays contributeurs (Allemagne, Autriche, France, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède) ont exprimé leur voeu que le futur cadre budgétaire soit stabilisé à son niveau actuel, soit environ 1 % du RNB de l'Union. L'ambiguïté - et les marges de négociation - demeurent toutefois sur la fixation de ce niveau pour les crédits d'engagement (ce qui constituerait une option restrictive) ou les crédits de paiement.
* 12 « Quel budget européen à l'horizon 2013 ? Moyens et politiques d'une Union élargie », op. cité, septembre 2004.