EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est saisi de la proposition de loi n° 41 (2004-2005) relative aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance déposée par nos collègues Jean-Jacques Hyest, Christian Cointat et François Zocchetto et inscrite à l'ordre du jour réservé en application du troisième alinéa de l'article 48 de la Constitution.
La loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice a institué un nouvel ordre de juridiction, dénommé juridiction de proximité et composé de magistrats non professionnels appelés à traiter les contentieux qui touchent les citoyens au plus près, à savoir les litiges civils d'un enjeu financier modeste et les petites infractions. L'objectif mis en avant dans l'exposé des motifs de cette loi était d'offrir une réponse judicaire à de nombreuses affaires échappant à l'institution judiciaire en raison du coût occasionné par le procès, des démarches trop complexes à engager ou des délais de jugement trop importants.
Cette réforme a permis de répondre au souci ancien, constamment réaffirmé depuis la disparition des juges de paix, de rapprocher la justice des citoyens. Ni les tribunaux d'instance, accessibles aux justiciables mais confrontés à un encombrement croissant, ni les nouveaux acteurs dédiés à la proximité, tels les conciliateurs de justice, n'ont, en dépit de leur dévouement, réussi à combler ce vide laissé dans le paysage judiciaire.
L'approche retenue en 2002 diffère du schéma plus radical suggéré par votre commission dans le cadre de deux missions d'information constituées en son sein en 1996 et en 2002, tendant à une profonde rénovation de la justice d'instance pour lui permettre de traiter dans de bonnes conditions tous les contentieux de masse. Le Sénat a néanmoins approuvé l'avancée proposée par le Gouvernement, l'interprétant comme un premier pas en direction d'une plus grande proximité de la justice.
Dès la mise en place des premières juridictions de proximité en octobre 2003, les compétences qui leur ont été dévolues se sont révélées trop limitées.
Afin de remédier aux difficultés constatées sur le terrain, la présente proposition de loi tend à compléter le dispositif voté en 2002 en prévoyant un élargissement des attributions des juges de proximité en matière civile comme en matière pénale. En outre, elle vise à simplifier la répartition des compétences des juridictions de première instance.
La philosophie de la réforme initiale est conservée, les modifications envisagées consistant uniquement à permettre aux juridictions de proximité de fonctionner dans de bonnes conditions et de s'intégrer plus harmonieusement dans le paysage judiciaire.
Après avoir rappelé le cadre de la réforme de la justice de proximité adoptée en 2002 et le contexte dans lequel elle s'inscrivait, votre rapporteur vous présentera les compléments qui y sont apportés par la proposition de loi, puis vous exposera la position de la commission.
I. L'INSTITUTION DES JURIDICTIONS DE PROXIMITÉ : UNE RÉPONSE PRAGMATIQUE À UN PROBLÈME ANCIEN QUI APPELLE QUELQUES COMPLÉMENTS
Depuis le début de la douzième législature, la justice constitue l'un des chantiers prioritaires du Gouvernement. La loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice a ainsi ouvert la voie à de nombreuses réformes au premier rang desquelles figurait l'instauration d'une justice de proximité.
A. UNE RÉPONSE À UN BESOIN RÉEL DE PROXIMITÉ
1. La proximité, une exigence maintes fois soulignée
L'initiative du Gouvernement répondait à une préoccupation ancienne liée à l'éloignement excessif entre les citoyens et la justice.
De nombreux travaux parlementaires et ministériels avaient en effet dressé le constat d'une crise avérée de l'institution judiciaire .
M. Jean-Marie Coulon, alors président du tribunal de grande instance de Paris, auteur d'un rapport sur la procédure civile publié en 1997, analysait la situation en ces termes : « le justiciable n'a plus le sentiment d'être écouté. Il finit par s'interroger sur la capacité de l'Etat à rendre la justice, ce qui est socialement dangereux. Ses attentes peuvent être appréhendées sans difficulté : lutte contre la lenteur des instances judiciaires, désir d'une plus grande lisibilité et effectivité des décisions de justice, diminution du coût du procès, proximité du juge. L'homme croit en la justice si elle respecte le principe d'égalité et l'esprit d'humanité ».
De nombreuses propositions ont été formulées en vue de réconcilier les Français avec leur justice.
Ainsi, en février 1994, la commission sur la justice de proximité et les missions des juges 1 ( * ) dont le président et le rapporteur étaient respectivement nos collègues MM. Jean Arthuis et Hubert Haenel avait préconisé le retour à une certaine forme de justice de paix impliquant une profonde réorganisation de l'architecture judiciaire.
En 1996, la mission d'information chargée d'évaluer les moyens de la justice, constituée au sein de votre commission 2 ( * ) , dont le président et le rapporteur étaient respectivement notre ancien collègue M. Charles Jolibois et votre rapporteur, avait défendu dans une logique analogue une solution simple et originale en faveur d'un renforcement des tribunaux d'instance et d'une remise à plat de l'organisation judiciaire . Elle avait souligné la nécessité de donner un rôle pivot au juge d'instance chargé de répartir les affaires entre des juges non professionnels issus de la société civile selon leur profil. Ce système s'inspirait du modèle britannique des « magistrates'court ».
LES MAGISTRATES'COURT
L'activité des quelque 30.000 « magistrates » britanniques est principalement pénale puisqu'ils traitent 96 % des dossiers en cette matière . Ils peuvent décider de renvoyer le reste des affaires devant une juridiction de niveau supérieur en vue d'un procès avec un jury lorsqu'il existe des motifs suffisants. Deux raisons peuvent justifier ce renvoi : lorsque la peine maximale encourue excède six mois d'emprisonnement ou lorsque l'accusé exerce son droit fondamental à comparaître devant un jury. Seulement 4 % des affaires jugées font l'objet d'un appel, dont la moitié confirme la décision initiale.
Ces tribunaux sont implantés dans les agglomérations les plus importantes. La « magistrates'court » siège aussi longtemps que nécessaire. Un dossier est soumis à trois juges non professionnels choisis sur une liste de personnalités locales.
Recrutés dans tous les secteurs d'activité, les « magistrates » doivent consacrer au moins vingt-six jours par an à leur tribunal. Ils sont soumis à une obligation de formation permanente sur l'évolution du droit et de perfectionnement de leur connaissance du système judiciaire. Ils bénéficient des conseils du greffier du tribunal, juriste de métier.
Source : « Grande-Bretagne, primauté
à la justice de proximité » -
Article
de M. Hugh Dent publié dans la lettre d'Illissos
n° 22 - septembre 2004.
Plaidant pour le recrutement de juges de paix délégués non professionnels appelés à rendre la justice « sous le regard du juge d'instance », la mission d'information sur l'évolution des métiers de la justice constituée au sein de votre commission, en 2002, a recommandé la mise en place d'un système analogue 3 ( * ) .
Le Gouvernement a fait le choix d'une réforme de moindre ampleur en créant un nouvel ordre de juridiction autonome composé de juges de proximité.
* 1 Cette commission avait été mise en place par M. Pierre Méhaignerie, à l'époque garde des Sceaux.
* 2 « Quels moyens pour quelle justice ? » - Rapport n° 49 de M. Pierre Fauchon (Sénat, 1996-1997) au nom de la mission chargée d'évaluer les moyens de la justice.
* 3 « Quels métiers pour quelle justice ? » - rapport n° 345 (Sénat, 2001-2002) de M. Christian Cointat au nom de la mission d'information sur l'évolution des métiers de la justice présidée par M. Jean-Jacques Hyest.