N° 147

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2003-2004

Annexe au procès-verbal de la séance du 14 janvier 2004

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) sur la proposition de loi, ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, portant création de l' Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs et diverses dispositions relatives aux mines,

Par M. Philippe LEROY,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Gérard Larcher, président ; MM. Jean-Paul Emorine, Marcel Deneux, Gérard César, Pierre Hérisson, Bernard Piras, Mme Odette Terrade, vice-présidents ; MM. Bernard Joly, Jean-Paul Émin, Gérard Cornu, Jean-Marc Pastor, secrétaires ; MM. Jean-Paul Alduy, Pierre André, Philippe Arnaud, Gérard Bailly, Bernard Barraux, Mme Marie-France Beaufils, MM. Michel Bécot, Jean-Pierre Bel, Jacques Bellanger, Jean Besson, Claude Biwer, Jean Bizet, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Dominique Braye, Marcel-Pierre Cléach, Yves Coquelle, Gérard Cornu, Roland Courtaud, Philippe Darniche, Gérard Delfau, Rodolphe Désiré, Yves Détraigne, Mme Evelyne Didier, MM. Michel Doublet, Bernard Dussaut, André Ferrand, Hilaire Flandre, François Fortassin, Alain Fouché, Christian Gaudin, Mme Gisèle Gautier, MM. Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Odette Herviaux, MM. Alain Journet, Joseph Kergueris, Gérard Le Cam, Jean-François Le Grand, André Lejeune, Philippe Leroy, Jean-Yves Mano, Max Marest, René Monory, Jacques Moulinier, Paul Natali, Jean Pépin, Daniel Percheron, Ladislas Poniatowski, Daniel Raoul, Paul Raoult, Daniel Reiner, Charles Revet, Henri Revol, Henri de Richemont, Roger Rinchet, Claude Saunier, Bruno Sido, Daniel Soulage, Michel Teston, Yannick Texier, Pierre-Yvon Trémel, André Trillard, Jean-Pierre Vial.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 12 ème législ.) : 418 , 489 , 904 et T.A. 149

Sénat : 356 (2002-2003)

Mines et carrières.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Activité bicentenaire, l'extraction charbonnière qui occupait directement, en 1946, 330.000 personnes, a longtemps tenu une place déterminante dans l'économie nationale et le développement de l'économie locale. A partir des années 1960, la concurrence des produits importés et celle résultant du très important développement des autres sources d'énergie ont toutefois conduit à engager, comme dans les autres pays européens, une politique de conversion, marquée par des plans successifs d'adaptation et de restructuration. Au terme de cette évolution, également marquée par la fermeture des mines de fer de Lorraine, le « Pacte charbonnier » signé le 20 octobre 1994 entre la direction du groupe Charbonnages de France et la plupart des organisations syndicales, a, d'une part, apporté aux mineurs la garantie de ne pas perdre leur emploi et de demeurer soumis au statut qui leur est applicable, et, d'autre part, consacré le principe de l'arrêt d'exploitation des houillères avant le 31 décembre 2005. Votre commission des Affaires économiques rend ici hommage à la volonté manifestée par le gouvernement de l'époque, en la personne de M. Gérard Longuet alors ministre de l'industrie, qui a permis de gérer cette question dans des conditions économiquement valides et socialement acceptables.

Après la fermeture des mines de Gardanne et de Merlebach en 2003, seule la mine de la Houve demeure aujourd'hui en activité, sa fermeture étant prévue en avril 2004. Ainsi se conclura l'exploitation de la houille en France, parallèlement à l'arrêt, effectif ou programmé, de l'exploitation des diverses substances de mines : fer, potasse et autres substances métalliques.

Les mineurs, qui ont, par un travail accompli dans des conditions particulièrement éprouvantes et dangereuses, contribué de façon décisive au développement industriel de la France, ont acquis auprès de leurs employeurs le droit à diverses prestations sociales spécifiques outre celles qu'ils perçoivent au titre de la sécurité sociale. La disparition progressive des entreprises minières de toutes natures (houille, fer, potasse, substances métalliques...) a donc posé la question de la pérennisation de ces droits, et rendu urgente l'élaboration d'un dispositif assurant aux quelque 170.000 anciens mineurs et à leurs ayants droit la garantie de ces prestations. C'est dans cette perspective que le Président de la République indiquait récemment, par une lettre adressée à M. Michel Sordi, député, que « la création d'un établissement public administratif pour gérer le volet social de la cessation de l'activité minière est nécessaire et fera l'objet d'une disposition législative » 1 ( * ) . C'est à cette fin que deux propositions de loi, n° 418 de M. Richard Mallié et n° 489 de M. Michel Sordi, ont été examinées par la commission des Affaires économiques de l'Assemblée Nationale le 11 juin 2003 et fondues à cette occasion en un seul texte. Les conclusions de cet examen, adoptées sur le rapport de M. Richard Mallié, ont été débattues et adoptées en séance publique le 17 juillet 2003 par nos collègues députés.

De l'avis unanime des personnalités entendues par votre rapporteur, l'Association nationale pour la gestion des retraites des mineurs (ANGR) a accompli sa mission à la satisfaction générale. Cependant, le statut juridique d'association relevant de la loi de 1901 qui lui est applicable ne correspond plus ni au montant des prestations dont elle permet le versement aux mineurs, ni à la situation nouvelle qui résulte de la disparition des houillères de bassin et de celle, programmée, de Charbonnages de France. Il est donc temps de moderniser son statut. Tel est précisément l'objet de la proposition de loi n° 356 (Titre I) visant à créer une Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs, qui vous est soumise aujourd'hui. Texte initialement conçu pour résoudre les questions d'actualité concernant les mines de charbon, il a désormais vocation à répondre aux attentes de l'ensemble des mineurs en matière sociale.

L'importance qui s'attache à son adoption, dans les meilleurs délais , a été mentionnée sur tous les bancs de l'Assemblée nationale . Les organisations syndicales ont, pour leur part, souligné en s'adressant à votre rapporteur que « l'attente de la population des différents bassins miniers est forte », tout en lui demandant de « soutenir la loi votée [...] afin que l'Agence nationale de gestion des droits des mineurs soit mise en place dans les plus brefs délais ». Ce dispositif a, en effet, été élaboré après une longue phase de concertation. Seule son adoption permettra de faire face à la disparition des exploitants grâce à la mise en place de nouvelles structures appropriées. Enfin ce texte sur la garantie des droits sociaux permettra de parachever l'élaboration des projets de décrets d'application aujourd'hui en préparation, lesquels sont très attendus par les populations concernées.

La diversité des sujets traités aux titres II et III de cette proposition de loi procède des conditions de sa discussion au Palais Bourbon. La commission des Affaires économiques de l'Assemblée nationale a, en effet, en juin 2003, fondu deux textes différents et complémentaires. Ces deux textes prévoyaient, d'une part, la création d'un établissement public destiné à remplacer l'ANGR pour conférer la garantie de l'Etat aux droits des mineurs et, d'autre part, l'adaptation des structures juridiques du groupe Charbonnages de France. Au surplus, la proposition n° 418 tendait à permettre la poursuite de l'exploitation minière après la disparition de CdF, tandis que la proposition n° 489 visait à supprimer le fonds de garantie et de compensation des prestations de chauffage et de logement. Créé par la loi du 20 mars 1951, ce fonds est, en vertu de ce texte, destiné à garantir le versement des prestations aux mineurs dont l'employeur a disparu. Il assure, en outre, une péréquation entre les exploitants de mines, pour le service des prestations de chauffage et de logement et limite, ipso facto , les effets des déséquilibres démographiques entre les exploitants.

Le texte soumis au Sénat résulte de la prise en compte de chacune des préoccupations des deux propositions de loi. Il traite, ce faisant, des sujets divers : la garantie des droits des mineurs qui intéresse, au premier chef, les mineurs et les organisations syndicales ; la question du devenir de CdF qui constitue, avant tout, une préoccupation pour tous les élus locaux des collectivités concernées, soucieux de conserver un interlocuteur afin de faire face à la question de l' « après mine ». S'y ajoutent diverses dispositions techniques réunies dans le titre III.

Suivant l'ordre des trois titres de la proposition de loi, le présent rapport évoquera, tout d'abord, la nécessité de pérenniser les droit sociaux de l'ensemble des mineurs, avant d'examiner les conséquences de la fin programmée de l'exploitation charbonnière, puis d'évoquer les dispositions diverses qui ont été ajoutées à ces deux volets principaux du texte qui vous est soumis, dont sera enfin présentée l'économie générale. Pour votre commission des Affaires économiques, cette proposition de loi à la fois équilibrée et consensuelle, mérite d'être adoptée par le Sénat sans modification.

I. UN DOSSIER QU'IL EST TEMPS DE CONCLURE : LA PÉRENNISATION DES DROITS DE L'ENSEMBLE DES MINEURS

La pérennisation des droits de tous les mineurs constitue une question d'une grande actualité, surtout eu égard au fait que la structure juridique de l'ANGR s'avère désormais inadaptée à sa mission.

A. LA GARANTIE DES DROITS DES MINEURS : UNE QUESTION D'ACTUALITÉ

La disparition des exploitants pose la question technique mais essentielle des modalités de la pérennisation des droits sociaux des mineurs et de leurs ayants droit qui étaient mis à la charge des employeurs. On compte aujourd'hui plus de 170.000 anciens agents bénéficiaires de ces droits , répartis dans des régions allant du Nord-Pas-de-Calais au Languedoc-Roussillon en passant par l' Alsace et la Lorraine , l' Auvergne , Rhône-Alpes et la Bourgogne , avec une concentration particulièrement forte dans la région Nord-Pas-de-Calais, où on retrouve près de 45 % des ayants droit (76.402) 2 ( * ) . Pour les anciens mineurs, la création d'un établissement public administratif constitue donc la garantie du maintien de leurs droits conventionnels et statutaires. C'est dire le caractère hautement symbolique que revêt la discussion de ce texte qui apaisera les inquiétudes suscitées chez les mineurs par la disparition programmée de CdF.

Avant de s'intéresser à l'économie générale de la proposition de loi soumise au Sénat, votre rapporteur s'attachera à présenter les institutions actuellement chargées de verser aux mineurs les prestations qui leurs sont dues en vertu du statut dont ils relèvent. Il s'avère, en effet, que le régime juridique de l'Association nationale pour la gestion des retraités chargée de cette mission pouvait être utilement modernisé.

B. L'ETENDUE DES DROITS SOCIAUX GÉRÉS PAR L'ASSOCIATION NATIONALE POUR LA GESTION DES RETRAITÉS (ANGR) : UN RÉGIME SPECIFIQUE

Les droits sociaux des mineurs se sont construits, à partir de 1946, sur deux piliers, le régime de sécurité sociale, d'une part, et celui relatif au versement des prestations sociales supplémentaires, de l'autre.

Le régime de sécurité sociale des mines

Le régime de sécurité sociale , défini par le décret n° 46-2769 du 27 novembre 1946 portant organisation de la sécurité sociale dans les mines concerne la gratuité des soins, l'assurance vieillesse, la protection contre les risques d'invalidité, d'accidents du travail, de maladies professionnelles et le versement des prestations familiales. Il est et demeurera géré par la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines (CANSSM) .

Le régime des prestations sociales supplémentaires

Le décret n° 46-1433 relatif au statut du personnel des exploitations minières et assimilées a prévu des prestations sociales supplémentaires à la charge des exploitants : fourniture de combustible et d'un logement gratuit, ou versement d'indemnités compensatrices aux retraités comme aux actifs, bourses pour frais d'études . A ces droits réglementaires sont venues s'ajouter diverses prestations conventionnelles. L'ensemble de ces prestations sont gérées, depuis 1989, par une association régie par la loi de 1901 : l'Association nationale pour la gestion des retraités (ANGR). Celle-ci compte aujourd'hui, après la dissolution des Houillères de Bassin du Nord-Pas-de-Calais, trois membres : les Charbonnages de France, les Houillères de Lorraine et celles du Centre-Midi 3 ( * ) . Elle a pour mission principale, « la gestion et le service de prestations à la charge de l'employeur conformément au statut du mineur et dont bénéficient les anciens agents des Charbonnages de France et des Houillères de Bassin ainsi que leurs ayants droit ». Conformément à ses statuts, elle a élargi à d'autres partenaires, tels que les Mines de Potasse d'Alsace, les Mines de Fer, ou les Mines Métalliques le service de prestations spécifiques au régime des mineurs.

D'après les chiffres communiqués par l'Association, celle-ci traite aujourd'hui les dossiers de 170.671 ayants droit directs et de leurs veuves, dont 157.752 agents relevant de Charbonnages de France et des houillères de bassin, soit plus de 92 %, les autres agents se répartissant entre les Mines de Potasse (9.100), les Mines de Fer (1.850), et les Mines Métalliques (1.450).

L'ANGR gère de nombreuses prestations. Elle est compétente, en premier lieu, pour les salaires, indemnités et avantages en nature versés au personnel qui n'est plus actif mais n'a pas encore été admis à faire valoir ses droits à la retraite . Ceux-ci sont, pour l'essentiel, les congés charbonniers de fin de carrière (CCFC, cf. page 12) ainsi que l'aide fournie au personnel dans le cadre des mesures favorisant la conversion. A la fin de l'année 2003, 4.592 agents de Charbonnages de France étaient en CCFC, la charge annuelle de ces dispositifs pour l'année 2003 s'élevant à 180 M€ pour Charbonnages de France.

Une deuxième catégorie de prestations est constituée par les avantages statutaires garantis aux anciens mineurs retraités et à leurs conjoints survivants . Au 30 septembre 2003, on compte ainsi 147.808 allocataires de prestations de chauffage et 136.678 de prestations de logement. Sur les 187.396 prestations servies, les avantages en nature de logement et de chauffage représentent un peu plus de 83 % des prestations globales. Le coût total de ces deux prestations pour l'année 2003 s'est élevé, pour l'ANGR, à 380 M€.

L'ANGR gère également une grande partie des prestations définies par voie conventionnelle , comme les « allocations de raccordement » , versées aux mineurs entre l'âge de la retraite de base et celui à partir duquel ils perçoivent leur retraite complémentaire. Enfin, l'ANGR peut assurer pour le compte des entreprises minières des missions particulières telles que l'instruction des dossiers d'attribution de médailles d'honneur du travail ou de bourses d'étude.

En termes géographiques, l'ANGR dont la direction générale se trouve à Paris, dispose d'un centre de traitement à Noyelles-sous-Lens (Pas-de-Calais) et d'antennes régionales à Lens, Freyming-Merlebach, Wittelsheim, Saint-Etienne, Gardanne, Alès, Carmaux, Decazeville, Messeix, Brassac-les-Mines, Saint-Eloi-les-Mines, Blanzy, La Grande Combe et La Mure.

C. LA FORME ASSOCIATIVE : UNE STRUCTURE JURIDIQUE INADAPTÉE POUR L'ANGR

La transformation de l'ANGR en un établissement public apparaît désormais souhaitable. Après la disparition, en 1992, des Houillères du Nord et du Pas-de-Calais, et la reprise de leurs droits et obligations par Charbonnages de France, l'association ne compte plus que trois membres, amenés, pour les mêmes raisons, à disparaître. Or l'association ne peut survivre, juridiquement, à la disparition de ses membres.

Au surplus, la forme juridique associative paraît, en elle-même, peu adaptée à l'importance des sommes gérées. En effet, le budget global de l'ANGR s'établit à 686 M€ en 2003 et 703 M€ au titre de 2004 . Le financement des prestations est assuré par une subvention de l'Etat à hauteur de 60 % (413.986 M€), par Charbonnages de France pour 35 % (251.058) et par les autres substances minières à hauteur de 5 % (37.729 M€). Un établissement public administratif, soumis aux règles de la comptabilité publique et à la tutelle de l'Etat paraît davantage adapté à l'importance des sommes en jeu.

* 1 Cité par le rapport n° 904, juin 2003, de M. Richard Mallié fait au nom de la commission des Affaires économiques de l'Assemblée nationale.

* 2 En seconde place, la Lorraine en compte pour sa part environ 28.882. Parmi les départements comptant une forte proportion d'anciens mineurs, on retrouve la Saône-et-Loire, qui en compte 5.597, ou encore le Gard, qui en compte 7.890.

* 3 L'ANGR compte, au 30 septembre 2003, 156 agents, le budget 2004 des charges de fonctionnement s'établissant à hauteur de 12 M€ dont 65 % au titre des charges salariales.

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