II. LA DETTE DEVIENT UN ENJEU DU DÉBAT EN LOI DE FINANCES

La variation de la dette est avant tout considérée comme la résultante des déficits publics. Il n'y a évidemment rien d'étonnant à cela puisque le solde d'exécution des lois de finances est depuis 1995 la contrepartie quasi-exclusive de la variation de la dette, du fait de la diminution des engagements de l'Etat classés en opérations de trésorerie.

On a ainsi pu considérer que le Parlement devait se prononcer uniquement sur l'article d'équilibre de la loi de finances, la dette apparaissant comme la conséquence du vote de cet article.

Au-delà de cette approche, il a pu sembler utile que le Parlement se prononce sur un plafond de variation de la dette. Le vote du Parlement, sur la variation du stock de dette provoquée par les décisions budgétaires et financières contenues dans la loi de finances, rend en effet possible les comparaisons et donc, les appréciations politiques sur le niveau souhaitable de dépenses d'aujourd'hui dont l'Etat reporte le paiement sur les années futures. En se prononçant sur la dette, le Parlement décide expressément de la charge imposée aux générations futures.

A. L'ARTICLE 34 DE LA LOLF

L'article 34 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances dispose que la loi de finances de l'année « fixe le plafond de la variation nette, appréciée en fin d'année, de la dette négociable de l'Etat d'une durée supérieure à un an ».

Il a été rédigé en tenant compte de deux préoccupations. L'une, exprimée par M. Alain Lambert, alors rapporteur de la proposition de loi pour le Sénat : « il s'agit en quelque sorte de donner un contenu à l'autorisation d'émettre des emprunts en le liant au besoin de financement révélé et exprimé par le tableau de financement ». L'autre, exprimée par Mme Florence Parly, alors secrétaire d'Etat au budget : « s'il devait y avoir un plafond d'emprunts, cela ne devrait pas placer le Gouvernement dans une situation d'incapacité brutale à financer ses dépenses, parce qu'il y aurait une rupture de trésorerie et un retard dans l'encaissement d'une recette importante, par exemple. » Pour tenir compte de ces deux positions, un amendement de compromis a été adopté à l'initiative de M. Alain Lambert et de notre collègue Philippe Marini, rapporteur général, ceux-ci reconnaissant : « Il est certain que les aléas qui s'attachent tant aux décaissements qu'aux encaissements de l'Etat justifient que les opérations liées à la tenue de la trésorerie de l'Etat ne soient pas contraintes par un plafond strict, sauf à imaginer des procédures d'urgence complexes. De même, fixer un plafond brut de la dette risquerait de soulever des difficultés pour la gestion de celle-ci. Des techniques financières complexes, qui peuvent conduire à racheter de la dette passée pour en émettre une nouvelle et donc à augmenter les émissions brutes, pouvant permettre de minorer finalement la charge de la dette. Celle-ci représentant la première dépense de l'Etat, il serait désastreux d'en rendre impossible la diminution par des dispositions inappropriées » .

Pour ces raisons, l'article 34 précité fixe le « plafond de la variation nette de la dette négociable de l'Etat d'une durée supérieure à un an, appréciée en fin d'année ». La variation nette permet d'éviter les biais mentionnés ci-dessus d'un plafond de dette brute ; la prise en compte de la seule dette supérieure à un an permet d'éviter d'y inclure les émissions de très court terme nécessitées par des besoins ponctuels de trésorerie 23 ( * ) . Cette variation est appréciée en fin d'année. Enfin, l'interprétation retenue par le Gouvernement et les Commissions des finances des deux Assemblées est que cette disposition vise la fixation d'un plafond pour la variation nette de la dette négociable de plus d'un an « à l'émission », soit la variation du stock des OAT et des BTAN du 1 er janvier au 31 décembre de l'année considérée.

Le plafond de variation de la dette tel qu'il est défini par l'article 34 de la loi organique précitée ne doit pas être confondu avec le dispositif très strict qui existe aux États-Unis où le Président est contraint de venir dans l'urgence devant le Congrès négocier le relèvement du plafond dès que celui-ci est dépassé, quelles que soient les raisons du dépassement 24 ( * ) . Dans l'intervalle, faute de moyens de paiement, les services publics s'arrêtent et les agents fédéraux ne sont plus payés. Le dispositif français apprécie la variation de la dette en fin d'année et exclut du plafond les mécanismes de gestion de la trésorerie et de gestion active de la dette.

1. Un plafond qui a une valeur juridique contraignante

Le plafond de variation de la dette a une valeur juridique contraignante. Il oblige le gouvernement à en demander le relèvement dans une loi de finances rectificative s'il lui paraît ne pas pouvoir être respecté en raison d'une aggravation du déficit budgétaire et d'une augmentation des besoins de financement. La décision du Conseil constitutionnel n° 91-298 en date du 24 juillet 1991 dispose en effet que le gouvernement est tenu de déposer sur le bureau de l'Assemblée nationale une loi de finances rectificative dès lors que les conditions de l'équilibre économique et financier sont bouleversées.

Le plafond de variation de la dette a ainsi le même statut, juridique et politique, que celui du déficit budgétaire : s'il peut être dépassé en cours d'année, il ne peut être dépassé en fin d'année qu'à la condition expresse qu'un collectif budgétaire l'autorise. La loi de règlement constitue la sanction politique ultime d'un éventuel dépassement, comme c'est aujourd'hui le cas pour le déficit budgétaire.

Le vote d'un plafond interdit également le recours à la pratique critiquable des engagements de l'Etat classés en opérations de trésorerie « hors la vue » du Parlement, comme ce fut le cas avant 1995 (reprise de la dette de l'ACOSS en 1994, reprise de la charge résultant de la suppression du décalage d'un mois pour les remboursements de TVA, reprise de dettes d'entreprises diverses). Si des engagements de type nouveau devaient un jour être pris (et personne ne peut exclure cette possibilité), ils devraient nécessairement apparaître en contrepartie de l'autorisation d'emprunter.

2. Une interprétation méritant d'être précisée

L'interprétation présentée précédemment ne semble pas, à ce jour, pleinement acceptée par le gouvernement.

La demande d'une « marge de manoeuvre » associée au plafond de dette par le gouvernement

Dans le fascicule bleu des « Charges communes » annexé au projet de loi de finances pour 2003, le gouvernement rappelle que : « l'article 34 de la loi organique relative aux lois de finances du 1 er août 2001 dispose que la loi de finances de l'année doit fixer « le plafond de la variation nette de la dette négociable de l'Etat d'une durée supérieure à un an, appréciée en fin d'année . (...) A titre d'information, la variation nette de la dette négociable à plus d'un an serait de 43,5 milliards d'euros en 2003, si toutes les hypothèses qui sous-tendent le tableau de financement étaient satisfaites. On sait que tel peut ne pas être le cas, pour des raisons tenant tant à l'évolution des marchés 25 ( * ) qu'à l'évolution budgétaire. Une marge de manoeuvre de 5 milliards d'euros apparaît de ce fait nécessaire pour faire face à ces évolutions. Cette marge de manoeuvre reste par ailleurs relativement limitée puisqu'elle correspond à 1 % ou 2 % seulement du stock de la dette négociable à plus d'un an ».

Le gouvernement évoque les écarts entre l'évaluation du déficit de la loi de finances et la loi de règlement, et indique que « la moyenne des écarts en valeur absolue des deux évaluations s'élève, de 1990 à 2001, à 3,95 milliards d'euros. L'écart-type moyen est de 5,77 milliards d'euros. En d'autres termes, sur la base des données historiques depuis 1990, 17 % des années auraient conduit à un dépassement du plafond intégrant une marge de manoeuvre de 5 milliards d'euros par rapport à l'évolution prévue du stock OAT-BTAN (...) ».

Source : fascicule bleu des charges communes, projet de loi de finances pour 2003, page 61

A titre personnel, votre rapporteur spécial considère qu'une étude plus approfondie de ce problème devra être menée à la lumière de l'expérience des années 2002-2003 qui a conduit le Gouvernement à financer une fraction de l'augmentation en cours d'année du déficit budgétaire par émission d'un supplément de BTF pour profiter du contexte très favorable de baisse des taux à court terme.

* 23 Elle est aussi un échappatoire possible pour un gouvernement peu scrupuleux qui, gêné par le plafond de la dette à plus d'un an, souhaiterait émettre des BTF pour financer de la dette à moyen et long terme...

* 24 Cette hypothèse n'est pas un cas d'école. Compte tenu des récentes moins-values fiscales et des dépenses engagées et à venir pour lutter contre le terrorisme, la dette fédérale américaine a atteint en mai 2002 sa limite légale, fixée à 5.950 milliards de dollars le 5 août 1997. Le Président a dû négocier avec le Congrès l'augmentation de cette limite dans l'urgence .

* 25 Par exemple, une augmentation brutale des taux à court terme, comparable à celle du début des années 90, inciterait rationnellement à un recours relatif accru en cours d'année au financement de long et moyen terme dans la politique d'émission de l'Etat.

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