Commentaire : le présent article vise à obliger les collectivités territoriales et leurs établissements publics à informer l'Etat avant toute opération affectant le compte du Trésor.
I. LE CONTEXTE
A. UNE GESTION ACTIVE DE LA TRÉSORERIE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES QUI CONSTITUE LA CONSÉQUENCE DE LA NON-RÉMUNÉRATION DES DÉPOTS AU TRÉSOR
Le principe de l'obligation de dépôt au Trésor des « fonds libres » des collectivités territoriales, très ancien, puisqu'il a été établi pour la première fois par un décret impérial en date du 27 février 1811, n'a pas nécessairement pour corollaire la règle selon laquelle ces dépôts ne sont pas rémunérés.
Cette règle est en effet beaucoup plus tardive : c'est ainsi la loi du 14 septembre 1941 qui a prévu que, pour l'ensemble des collectivités et établissements concernés, aucune rémunération n'était consentie sur les fonds déposés au Trésor .
Les collectivités territoriales peuvent donc logiquement être amenées à pratiquer une gestion active de leur trésorerie afin de réduire les effets de la non-rémunération de leurs encours.
B. UNE GESTION ACTIVE DE LA TRÉSORERIE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES QUI INTERFÈRE AVEC LA GESTION DE TRÉSORERIE DE L'ETAT
La gestion active de trésorerie au sens propre reste l'apanage d'un petit nombre de collectivités territoriales : en 2001, les communes disposaient ainsi en moyenne d'une encaisse correspondant à 39 jours de dépenses. Néanmoins, la généralisation de cette pratique commence à avoir un impact indéniable sur le compte au Trésor.
L'agence France-Trésor, dans la gestion quotidienne de la trésorerie de l'Etat, constate ainsi une amplitude de plus en plus forte des mouvements de trésorerie sur le compte au Trésor, preuve que parmi les collectivités territoriales les plus importantes, un nombre grandissant d'entre elles a une gestion de plus en plus active de ses encours et que celles-ci se servent du compte au Trésor pour optimiser la gestion de leurs lignes de crédits.
Evolution infra annuelle du solde quotidien des flux
des collectivités et établissements publics
locaux
(comparaison 1995-2002-2003)
(en millions d'euros)
L'amplitude de ces mouvements peut gêner la gestion de trésorerie de l'Etat, qui ne peut maximiser ses gains de trésorerie autant qu'il le voudrait. L'Etat peut même, ponctuellement, avoir des difficultés à conserver le solde du compte du Trésor à la Banque de France en excédent en fin de journée. Pourtant, en vertu de l'article 101 du traité instituant la Communauté européenne, la Banque de France ne peut accorder d'avance à des organismes publics.
II. LA MESURE PROPOSÉE PAR LE PRÉSENT ARTICLE : UN FREIN À LA GESTION ACTIVE DE LEUR TRÉSORERIE PAR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ?
A. UNE MESURE QUI INTERVIENT APRÈS LA SUPPRESSION DU CRÉDIT IMMÉDIAT
L'optimisation, par certaines collectivités territoriales, de leurs dépôts sur le compte au Trésor a pu conduire à certaines pratiques particulièrement ingénieuses. Il en est ainsi de la pratique du « crédit immédiat », dont les modalités sont décrites ci-après, à laquelle le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a mis fin au 1 er octobre 2003. Cette pratique permettait aux collectivités territoriales et à leurs banques de gagner de trois à quatre jours de trésorerie au détriment de l'Etat.
Collectivité territoriale
1/La collectivité locale tire sur sa 2/ Règle du
crédit immédiat :
ligne par un chèque de 100
M€ le Trésor verse 100 M€ à la
le vendredi avant
10 h collectivité le vendredi
3/ La collectivité territoriale rembourse
les 100
M€ le vendredi par un virement
Banque commerciale Trésor
4/ La banque commerciale n'est débitée par la
banque
de France pour le compte du Trésor des 100 M€ que
le
lundi (J + 1), voire le mardi (J + 2) si le chèque a
été remis par la collectivité au comptable du
Trésor après 10 h
Bilan :
• La banque commerciale est créditée le vendredi des l00 millions d'euros et est débitée le lundi ou le mardi des l00 millions d'euros : elle gagne de 3 à 4 jours de trésorerie .
• La collectivité locale a priori ne gagne ni ne perd puisqu'elle est créditée par le Trésor le vendredi des l00 millions d'euros et débitée par la banque commerciale le vendredi par virement.
• Le Trésor perd 3 à 4 jours de trésorerie puisqu'il est débité le vendredi des l00 millions d'euros et crédité seulement le lundi ou le mardi lorsque le compte de la banque commerciale est débité et le compte du Trésor crédité en Banque de France.
B. L'INFORMATION PRÉALABLE DE L'ETAT PAR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES DES MOUVEMENTS DE FONDS IMPORTANTS AFFECTANT LE COMPTE DU TRÉSOR
Il convient de noter que le système informatique mis en place entre la direction générale de la comptabilité publique et l'agence France Trésor permet déjà à celle-ci de connaître à l'avance une proportion significative des mouvements de fonds que vont effectuer les collectivités territoriales le lendemain.
L'agence France-Trésor a calculé sur une année glissante (du 1 er octobre 2002 au 30 septembre 2003 144 ( * ) ), la différence entre les montants des opérations financières déjà annoncées par les collectivités territoriales 145 ( * ) et les montants des opérations effectivement exécutées sur le compte au titre des collectivités territoriales .
Ramené à une base quotidienne, l'écart est en moyenne de l'ordre de 170 millions d'euros par jour. L'écart journalier maximal est de l'ordre de 600 millions d'euros.
Le coût financier d'une telle incertitude peut être évalué en considérant que, pour faire face à ces écarts, l'agence France-Trésor doit, par précaution, disposer en permanence d'un montant de liquidités équivalent sur le compte du Trésor. Le coût de cette ressource est calculé sur la base de la dette à court terme de l'Etat, soit les taux d'intérêts pesant sur les bons à taux fixe (de l'ordre de 2,20 % en 2003).
Sur la base de ces hypothèses, on peut considérer que le dispositif d'annonce obligatoire, une journée à l'avance, des mouvements supérieurs à 1 million d'euros sur le compte au Trésor proposé par le présent article permettrait de réaliser une économie de l'ordre de 3 à 5 millions d'euros. Pour 2003, l'impact serait évalué à 3,6 millions d'euros.
Ce chiffre ne couvre que l'écart moyen entre opérations réalisées et opérations annoncées. On pourrait, en effet, considérer que, compte tenu du risque que constitue un éventuel solde débiteur de l'Etat vis à vis de la Banque de France, ce n'est pas le risque moyen mais le risque maximal qui doit être couvert, l'impact de la mesure étant alors établi sur la base d'un encours de 600 millions d'euros. L'effet global serait donc trois fois supérieur (9 à 15 millions d'euros).
Quoiqu'il en soit, ces montants constituent le gain maximal qui pourrait résulter de la mesure proposée par le présent article consistant en une information préalable de l'Etat par les collectivités territoriales pour les mouvements de fonds importants affectant le compte du trésor. Le seuil, fixé par décret, serait de l'ordre de 1 million d'euros pour une opération.
Si cette mesure est susceptible d'engendrer un gain de trésorerie pour l'Etat, celui-ci trouvera son exacte contrepartie chez les collectivités territoriales qui se sont lancées dans la gestion active de leur trésorerie, pour l'essentiel les plus importantes.
Il résulte donc des dispositions du présent article un transfert de trésorerie de la part de certaines collectivités territoriales au profit de l'Etat.
La disposition ne va pas sans inconvénients pour ces collectivités territoriales. Le seul moyen pour elles de gérer leur trésorerie réside dans les facultés d'ajustement quotidien des flux, lesquelles ne peuvent se faire qu'au vu des informations transmises le matin même par l'Etat, à savoir l'avis de règlement positionnant les débits et les crédits de la journée, contenu dans la sacoche de la trésorerie générale, et dont la collectivité n'a la connaissance que vers 8h30-9h00.
Il paraît donc souhaitable que l'Agence France-Trésor fasse preuve d'une grande souplesse dans l'application du présent article, qui constitue une restriction au principe de libre administration des collectivités territoriales.
Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.
* 144 La série a été arrêtée sur la base de la dernière série mensuelle connue en 2003.
* 145 Si les collectivités territoriales n'annonçaient pas déjà aujourd'hui leurs mouvements de trésorerie, le coût d'un encours de précaution est de l'ordre de 32,4 millions d'euros.