C. LE RETOUR DES DÉFICITS
Alors que la branche était excédentaire depuis 1995, la progression ralentie des produits conjuguée à la croissance encore élevée des charges a fragilisé les conditions générales de l'équilibre financier jusqu'à faire apparaître un déficit à partir de 2002 pour la branche AT-MP du régime général et à partir de 2003 pour l'ensemble des régimes de base.
1. Un résultat net désormais négatif
a) Le régime général
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 prévoyait le maintien d'un résultat net positif de la branche pour 2002 et 2003. Ces prévisions se sont révélées inexactes pour 2002 et devraient l'être encore pour 2003 du fait d'une progression plus rapide des charges (+ 4,2% en 2002, + 4,6 % en 2003) que des produits (+ 3,3 % en 2002, + 3,7 % en 2003).
Résultat net de la branche AT-MP de la CNAMTS
|
2002 |
2003 |
Prévision PLFSS 2003 |
+ 70 |
+ 152 |
Réalisation PLFSS 2004 |
- 45 |
- 125 |
Ces erreurs de prévision sur le caractère positif ou négatif du résultat sont toutefois largement inhérentes tant à l'exercice de prévision qu'à la nature même des objectifs financiers de la branche qui visent l'équilibre. Car plus les prévisions sont proches de l'équilibre, plus le risque d'obtenir un résultat inverse aux prévisions est élevé compte tenu des incertitudes lourdes pesant sur l'évolution des dépenses et des recettes.
Ainsi, en 2002, le résultat attendu s'est trouvé fortement dégradé par les mesures introduites par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003, au titre de son volet rectificatif pour 2002, ces mesures majorant de 200 millions d'euros les transferts initialement prévus vers les « fonds de l'amiante ».
De même, en 2003, le léger excédent anticipé a été anéanti par une croissance plus faible que prévu de la masse salariale et par une augmentation des dépenses d'incapacité temporaire supérieure aux prévisions.
Pour 2004, le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale anticipe un nouveau déficit de 74 millions d'euros, son montant devant toutefois être inférieur à celui attendu pour 2003 22 ( * ) .
Evolution du résultat net de la CNAMTS (AT-MP) depuis 1995 23 ( * )
(en droits constatés et en millions d'euros)
|
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
2003 (1) |
2004 (1) |
Résultat net annuel |
169 |
26 |
42 |
239 |
215 |
350 |
19,5 |
- 45,4 |
- 125,0 |
- 74,3 |
(1) prévisions Source : direction de la sécurité sociale
Les mesures prévues par le présent texte ne permettent en effet pas de ramener la branche à l'équilibre ni en 2003, ni en 2004.
Pour 2003, il ne comporte aucune mesure au titre de projet de loi de financement rectificatif.
Pour 2004, les dispositions introduites dans le projet conduisent à dégrader le résultat net de la branche jusqu'à le rendre déficitaire, du fait du poids financier des différents transferts légalement obligatoires à la charge de la branche 24 ( * ) et malgré le remboursement par la CADES de la seconde part de la créance sur le FOREC.
Evolution du solde de la branche AT-MP du régime
général
pour 2004 tel que modifié par le
PLFSS
(en millions d'euros)
Résultat net avant mesures nouvelles |
+ 766 |
Transfert de la CADES |
+ 90 |
Dotation FIVA |
- 100 |
Dotation FCAATA |
- 500 |
Transfert vers la branche maladie |
- 330 |
Résultat net après mesures nouvelles |
- 74 |
S'agissant de l'impact des dispositions du projet de loi de financement de la sécurité sociale, on observera toutefois que certaines d'entre elles sont légalement obligatoires (c'est le cas des transferts) sans bien sûr que leur montant soit pour autant encadré. A cet égard, les transferts prévus pour 2004 (930 millions d'euros) seront moins élevés que ceux prévus par la loi de financement pour 2003 (970 millions d'euros) ce qui conduit à réduire d'autant le niveau du déficit.
Dès lors, par rapport aux dispositions de la loi de financement pour 2003 (et notamment par rapport aux montants des transferts qu'elle a déterminés), les dispositions du projet de loi conduisent à apprécier différemment les « mesures nouvelles » 25 ( * ) .
Evolution du solde de la branche AT-MP du régime
général pour 2004
tel que modifié par le projet de loi
de financement de la sécurité sociale
par rapport à la
loi de financement de la sécurité sociale pour 2003
(en millions d'euros)
Résultat net avant mesures nouvelles |
- 204 |
Transfert de la CADES |
+ 90 |
Dotation FIVA |
+ 90 |
Dotation FCAATA |
- 50 |
Transfert vers la branche maladie |
0 |
Résultat net après mesures nouvelles |
- 74 |
On observera également que le résultat net cumulé de la branche depuis 1995 - sans qu'il s'agisse stricto sensu d'un fonds de réserve ou d'un provisionnement destiné à financer des dépenses exceptionnelles - témoigne de l'importance des « réserves » accumulées par la branche et conduit alors à relativiser pour partie les conséquences financières des déficits de 2002 à 2004, à la condition bien entendu que le retour des déficits n'illustre pas une tendance structurelle à la dégradation de la situation financière de la branche.
A cet égard, l'examen du bilan de la branche AT-MP du régime général tel que présenté dans le rapport de la Commission des comptes de septembre dernier permet d'apprécier quelque peu différemment la situation financière, au-delà de sa simple dégradation de court terme :
- le compte courant ACOSS débiteur passe de 1.618 millions d'euros fin 2001 à 1.741 millions d'euros fin 2002, illustrant ainsi, selon le rapport de la Commission des comptes, « l'équilibre de la situation financière de la branche AT-MP » ;
- surtout, et même si la situation nette de la branche connaît une légère dégradation en 2002 due au résultat déficitaire constaté, elle reste très largement excédentaire (à 1.907 millions d'euros), compte tenu notamment du montant élevé des reports à nouveau positifs des exercices précédents.
b) Les régimes de base
Compte tenu du poids de la branche AT-MP du régime général dans l'ensemble des branches AT-MP de tous les régimes de base, il n'est guère étonnant que son résultat influe sur la situation financière de l'ensemble des branches.
De fait, la détérioration de la situation financière du régime général s'est diffusée pour dégrader le résultat net des régimes de base de la branche.
Si le résultat net global des régimes de base de la branche AT-MP était encore légèrement positif en 2002, il devrait se réduire jusqu'à devenir négatif en 2003 et 2004.
Evolution du résultat net des branches AT-MP
de tous les régimes de base
(en millions d'euros)
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
399 |
61 |
52 |
- 69 |
- 35 |
Source : direction de la sécurité sociale
2. Les conditions d'un retour à l'équilibre
La loi n° 94-637 du 25 juillet relative à la sécurité sociale a posé l'objectif d'équilibre des comptes pour la branche AT-MT du régime général.
Cet objectif n'a pourtant été qu'imparfaitement atteint depuis 1995. Après avoir été excédentaire - et parfois largement - jusqu'en 2001, le résultat net de la branche est devenu déficitaire depuis 2002, du fait d'un « effet de ciseaux » caractérisé par le ralentissement des recettes et la poursuite de la progression des dépenses.
Ces évolutions appellent alors une double interrogation.
a) L'équilibre a-t-il un sens ?
Dans son rapport public particulier précité, la Cour des comptes s'est interrogée sur la cohérence des comptes de la branche et, in fine , sur la signification de son résultat, estimant que « la situation excédentaire de la branche ne traduit pas la situation réelle des coûts induits par les risques professionnels ».
De fait, il existe un double biais affectant les conditions de l'équilibre financier de la branche, compte tenu de l'existence de dépenses de réparation des accidents du travail et maladies professionnelles financées hors de la branche.
D'une part, l'imputation des dépenses entre la branche maladie et la branche AT-MP demeure incertaine, du fait notamment de la sous-déclaration et de la sous-reconnaissance des maladies liées au travail et de la non-imputation d'une part vraisemblablement forte des dépenses d'hospitalisation.
D'autre part, la création de fonds ad hoc , destinés à financer des dépenses de réparation (FIVA et FCAATA) n'est pas sans entraîner de réelles difficultés. Le financement de ces fonds, certes largement assuré par la branche, reste difficilement conciliable avec une comptabilité en droits constatés puisqu'ils fonctionnent en encaissements - décaissements et ont pu constituer des réserves appréciables. La clé de répartition entre les différents financeurs demeure, en outre, instable et ne prend qu'imparfaitement en compte le rattachement des victimes à leur régime de base.
Pour autant, les évolutions récentes tendent à relativiser ces biais.
L'instauration d'un transfert de la branche AT-MP vers la branche maladie et sa majoration progressive visent à mieux prendre en compte l'existence de charges indues.
La consommation à venir des réserves des fonds ad hoc devrait rapidement conduire à fixer les dotations de la branche à hauteur des coûts réels.
Dans ces conditions, on peut estimer que les résultats de la branche seront à l'avenir plus représentatifs de sa situation financière réelle.
b) La dégradation de la situation financière de la branche est-elle structurelle ?
La dégradation rapide de la situation financière de la branche invite immanquablement à s'interroger sur les causes et sur les conditions du retour à l'équilibre financier.
L'apparition d'un déficit est-elle la conséquence d'un simple « effet de ciseaux » de nature conjoncturelle ou marque-t-elle une dégradation plus structurelle de la situation financière de la branche ?
A cet égard, votre commission craint qu'au-delà des seuls facteurs conjoncturels liés au ralentissement de l'activité économique, l'apparition de nouveaux dispositifs de réparation financés largement par la branche, appelés à s'inscrire dans la durée et dont la montée en charge est loin d'être achevée - et elle pense ici avant tout au FCAATA et au FIVA - témoigne d'une tendance lourde. Celle-ci conduit, toutes choses égales par ailleurs, à peser durablement sur les comptes de la branche, sans que l'évolution des dépenses de prestations ne permette une réelle maîtrise des autres charges, dans la mesure où la forte augmentation des dépenses d'incapacité temporaire compense la modération des dépenses d'incapacité permanente.
Dans ces conditions, et abstraction faite de la situation nette actuelle de la branche, le retour durable à l'équilibre risque d'être difficile et pourrait même nécessiter, à moyen terme, la majoration du taux de cotisation, voire l'affectation de nouvelles recettes pour atteindre l'objectif d'équilibre.
Mais votre commission considère qu'une telle révision des modalités de financement de la branche ne devra être valablement examinée, au risque d'être inopérante, que si elle s'inscrit dans le cadre plus large d'une réforme d'ensemble de notre système de gestion du risque professionnel.
* 22 Le résultat net tel que prévu par le PLFSS pour 2004 (- 74,3 millions d'euros) diffère de celui prévu par la Commission des comptes de la sécurité sociale en septembre dernier (- 164,3 millions d'euros) car il intègre un produit supplémentaire : le remboursement par la CADES de la seconde moitié de la créance sur le FOREC pour son montant de 90 millions d'euros.
* 23 En encaissements-décaissements jusqu'en 1998, puis en droits constatés.
* 24 A ce titre, on peut s'étonner que les dotations au FCAATA et au FIVA, qui étaient comptabilisées l'an passé dans l'annexe C comme des dépenses supplémentaires, ne soient plus considérées comme telles cette année...
* 25 Témoignant ainsi de l'incertitude entourant ce concept en loi de financement.