3. L'agriculture en position d'accusé
90 % des pesticides sont utilisés à des fins agricoles. 95 à 100.000 tonnes par an de matières actives sont répandues chaque année, ce qui fait de la France le troisième utilisateur mondial. Dans la quasi totalité des cas pour les nappes et dans la très grande majorité des cas pour les rivières, les pesticides détectés dans les eaux sont d'origine agricole.
Il n'est nullement question de faire le procès de qui
que ce soit, de participer aux accusations simplistes et aux procès
conclus avant même d'être engagés. Mais il est clair que
l'agriculture est très impliquée et dans cette
dégradation, que l'agriculteur est interpellé.
a) Les bons arguments
Que disent les agriculteurs ?
Les agriculteurs ne manquent pas d'argument pour se défendre contre une accusation qu'ils estiment injuste. La pertinence de ces arguments est cependant variable.
§ Ils rappellent, et ils ont raison, que l'agriculture
des années 60 s'est engagée dans la recherche de
productivité, et que les objectifs fixés par la politique
agricole commune ont été atteints. Ce succès s'est fait
grâce à une révolution de la profession et des pratiques
agricoles avec notamment le recours à la production intensive, l'usage
massif d'engrais chimiques et de pesticides de synthèse. C'était
un choix politique, stratégique et européen. Cette politique a eu
le mérite de délivrer les citoyens européens des risques
de pénurie alimentaire. Peut-on être coupable d'avoir atteint les
objectifs fixés par la collectivité ?
§ Ils rappellent, et ils ont raison, que si la France est
un très gros utilisateur de pesticides, sans doute l'est-elle parce
qu'elle est aussi le premier producteur agricole de l'Union, et notamment le
premier producteur de maïs, gros consommateur de pesticides.
§ Ils rappellent, et ils ont raison, qu'ils n'utilisent
que des produits autorisés, et autorisés après une
procédure longue et contraignante
(50
(
*
)).
Peut-on être coupable d'utiliser un produit
régulièrement autorisé ?
§ Ils rappellent, et ils ont raison, que l'utilisation de
ces produits répond à une nécessité agricole
(protection des végétaux), économique (concurrence des
marchés mondiaux) et commerciale (le consommateur achète des
fruits calibrés, sans parasite et sans tâche - l'exemple typique
et caricatural est ce qu'on appelle la « banane plastique »
non seulement parce qu'elle pousse protégée par un sac plastique,
mais aussi parce qu'elle est parfaitement jaune, et si parfaitement lisse
qu'elle ressemble ... à une fausse banane).
§ Ils rappellent, et ils ont raison, que la politique
communautaire sur ce sujet est très contradictoire et même
incohérente, en exigeant de plus en plus de précautions
environnementales des productions européennes, tout en opérant
une baisse massive des prix intérieurs et en ouvrant toujours plus
largement le marché communautaire aux produits non communautaires
très souvent cultivés avec les produits interdits.
b) Les arguments discutables
Que disent également les agriculteurs ?
§ Ils rappellent, et ils n'ont pas tort, que les agriculteurs ne sont pas les seuls utilisateurs de pesticides et que les entretiens de jardins, des voiries, des talus, par les particuliers, les collectivités locales et les transports présentent aussi des risques.
§ L'argument est en partie fondé. Les
études sur les produits phytosanitaires dans les rivières de
Bretagne ont montré la présence d'herbicides à usage mixte
-agricole et non agricole- sans qu'il soit possible de déterminer la
part relative de chacune (cas de l'aminotriazole, du glyphosate -
herbicides-, du triclopyr - débroussaillant utilisé dans les
fossés...).
Cet impact des autres utilisateurs (particuliers,
collectivités locales, voiries...) est cependant sans commune mesure
avec celui des pesticides agricoles. Sauf exception, la fréquence des
détections et les niveaux relevés sont très
inférieurs aux résultats enregistrés sur les pesticides
agricoles.
Il n'est pas établi que les autres utilisateurs de
pesticides soient plus pollueurs que les agriculteurs. Il existe des pollutions
ponctuelles. La difficulté principale, que l'on rencontre chez les
particuliers et les personnels d'entretien des collectivités locales,
est très liée aux déversements directs dans les
réseaux d'évacuation des eaux. Il y a, sur ce point, de graves
lacunes. Mais à cette exception près, et contrairement à
ce qui est souvent affirmé, les quantités utilisées par
les utilisateurs non agricoles rapportées à l'hectare, sont du
même ordre de grandeur que les quantités utilisées en
agriculture
(51
(
*
)).
Concernant l'entretien des voies de la SNCF,
par exemple, grâce à la réduction importante des
consommations de pesticides et à l'efficacité des trains
désherbeurs (l'utilisation des pesticides par la SNCF chute de 40 %
entre 1984 et 2001, alors que la consommation en agriculture est restée
pratiquement constante), l'épandage de pesticides à l'hectare est
aujourd'hui pratiquement identique à celui des agriculteurs
(52
(
*
)).
§ Ils rappellent, et ils n'ont pas tort, que la
profession n'est pas immobile et sourde aux inquiétudes. Deux actions
ont ainsi été conduites. Il s'agit, d'une part, de la
récupération de produits non utilisés (80 à
100 tonnes par département ont ainsi été
récupérés) et d'autre part, d'une palette d'actions de
sensibilisation sur le modèle de « ferti-mieux »
appliqué aux engrais, dont un programme
« phyto-mieux », pour éviter les surdosages
comportant notamment une action « pulvi-mieux », programme
de vérification des pulvérisateurs. Un bilan mené en 1990
avait montré que seulement un tiers des pulvérisateurs
fonctionnait de façon satisfaisante, un tiers des pulvérisateurs
imposait des réglages, et un tiers était inapte. Le programme
phyto-mieux s'appliquerait dans 68 départements.
Ces actions
professionnelles et volontaires ont cependant les limites des actions
volontaires. Elles peuvent se heurter à quelques difficultés
d'application (dans le secteur viticole en particulier).
§ Ils rappellent, et ils n'ont pas tort, qu'il n'existe aujourd'hui pas de véritable solution alternative aux pesticides, au moins pour les herbicides des grandes cultures céréalières. Dans de nombreux cas, les agriculteurs sont prêts à utiliser d'autres produits, mais lesquels ? Aux seuils indiqués (0,1ug/l), pratiquement tous les produits se retrouveront dans les eaux. La situation est presque bloquée. Des traitements de substitution peuvent être trouvés par les insecticides et les fongicides. Les procédés de l'agriculture biologique (par la promotion de la biodiversité, les insectes bénéfiques, les « tisanes naturelles », la rotation des cultures) doivent être mieux connus, mais ne doivent pas être surestimés. On ne traitera pas des centaines de milliers d'hectares de cultures céréalières à la main et aux « tisanes naturelles ».
§ Il y a donc une situation de blocage que les acteurs
pressentent confusément mais que personne n'ose exprimer. Sauf à
remettre en cause l'activité agricole elle même, ou au moins
certaines productions, quelques solutions permettant de sortir de ce blocage
mais aucune n'est satisfaisante. La solutions de rechange permettant de
réduire les doses seraient de recourir à des produits hyper
concentrés qui ne se retrouveraient pas dans les eaux tellement les
doses seraient faibles mais dont on ne saurait pas le comportement à
long terme. La seule solution qui permettrait aux plantes de résister
aux parasites serait... les semences génétiquement
modifiées.
§ Ils rappellent, et il n'ont pas tort, que la « crispation » sur les pesticides dans l'eau est peu fondée sur le plan scientifique puisque à l'exception de pics toujours possibles, les niveaux de contamination enregistrés restent modestes, et que, selon l'avis du Conseil Supérieur de l'Hygiène publique en France, une eau reste consommable jusqu'à une teneur de 0,4 ug/litre, et que la norme de l'OMS est de 2 ug/l. Il s'agit cependant d'une fausse sécurité. La dégradation est continue et il ne faut pas attendre d'être hors limite pour commencer à réagir. Par ailleurs de nombreuses interrogations se font jour sur les conséquences à long terme des pesticides pour la santé.
c) Les possibles erreurs d'appréciation
La position des agriculteurs est donc solide et argumentée. La profession doit toutefois se garder de quelques erreurs d'appréciation.
• D'une part, dans le domaine de l'eau, la plupart des autres acteurs contribuant à la pollution des eaux ont fait leur révolution. La pollution industrielle est maîtrisée et le plus souvent accidentelle. Les collectivités locales ont fait des efforts importants pour améliorer les rejets d'eaux usées. L'agriculture a fait sa révolution professionnelle, mais elle n'a pas encore fait sa « révolution écologique ». C'est aujourd'hui son tour.
• D'autre part, la profession sous-estime l'ampleur et la
nature de l'inquiétude des Français. L'importance symbolique de
la contamination des eaux souterraines en pesticides est déterminante.
Les pesticides dans l'eau des nappes surtout, révèlent une
atteinte profonde à l'environnement, une sorte de
dégénérescence et engendre une angoisse face à
l'avenir.
Comme l'analyse parfaitement Mme Isabelle ROUSSEL,
Présidente du Comité régional NPDC de l'association pour
la prévention et la pollution atmosphérique,
«après un demi-siècle de pratiques, les peurs de
l'empoisonnement ont remplacé les peurs séculaires de la
pénurie. C'est essentiellement par la mobilisation autour de l'eau que
les excès de l'agriculture ont été
dénoncés ».
• Les agriculteurs bénéficient toujours d'un certain crédit dans l'opinion française. Mais ce crédit est fragile. Il serait irresponsable de se laisser entraîner vers une situation où il faudrait choisir entre la préservation de la qualité de l'eau et les agriculteurs.
• Enfin, la profession appréhende probablement trop la réforme de la politique agricole commune. La prise en compte des préoccupations environnementales est non seulement souhaitable, nécessaire, mais aussi acquise. Seules les modalités doivent être aujourd'hui définies. Loin d'être appréhendée, cette réforme est une chance à saisir. Après avoir été les fautifs -malgré eux- de la dégradation de l'eau, les agriculteurs peuvent devenir actifs dans sa reconquête.
Pour en savoir plus sur cette partie, voir aussi les annexes suivantes consultables à l'adresse ( http://www.senat.fr/rap/l02-215-2/l02-215-2.html ) :
Annexe 40 - Les dispositions de lutte contre les pollutions azotées d'origine agricole
Annexe 41 - Les règles d'épandage des engrais
Annexe 42 - Les contentieux dans le domaine de l'eau
Annexe 43 - Les marées vertes en Bretagne
Annexe 44 - Les pesticides - Présentation générale
Annexe 45 - Données statistiques sur les pesticides
Annexe 46 - Les difficultés d'établir des comparaisons dans la contamination des eaux aux pesticides
Annexe 47 - L'atrazine
Annexe 48 - La contamination des rivières de Bretagne aux pesticides
Annexe 49 - Les pesticides dans les eaux de ruissellement
Annexe 50 - La commercialisation des produits phytosanitaires
Annexe 51 - Les utilisations non agricoles de pesticides
Annexe 52 - La SNCF et les pesticides
* (50) Annexe 50 - La commercialisation des produits phytosanitaires.
* (51) Annexe 51 - Les utilisations non agricoles de pesticides.
* (52) Annexe 52 - La SNCF et les pesticides.