TITRE
IV :
DISPOSITIONS RELATIVES À L'OUTRE-MER
ARTICLE 88
Application en
outre-mer et habilitation du gouvernement
au titre de l'article 38 de la
Constitution
Commentaire : le présent article a pour objet d'autoriser le gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures de nature législative permettant de rendre applicables, avec les adaptations nécessaires, les dispositions du présent projet de loi à Wallis et Futuna, en Polynésie Française, en Nouvelle Calédonie et à Mayotte.
I. LA PROCÉDURE DES ORDONNANCES
A. LE CADRE CONSTITUTIONNEL « CLASSIQUE »
Les territoires d'outre-mer, la Nouvelle Calédonie et Mayotte sont des parties du territoires national soumises au principe de spécialité législative : L'application des textes législatifs y est subordonnée à l'adoption d'une disposition expresse d'extension 794 ( * ) .
Depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001 relative à Mayotte, cette collectivité départementale n'est plus que partiellement soumise au principe de spécialité législative. L'article 3 de la loi précitée dispose que les lois, ordonnances et décrets qui, « en raison de leur objet, sont nécessairement destinés à régir l'ensemble du territoire national », y sont applicables de plein droit. Il en va de même des lois, ordonnances et décrets portant sur le droit pénal, la procédure pénale et la procédure administrative contentieuse et non contentieuse ainsi que de la quasi-totalité des dispositions du code de commerce.
Le présent article a pour objet d'autoriser le gouvernement à rendre applicables les dispositions du présent projet de loi au moyen de la procédure des ordonnances prévue à l'article 38 de la Constitution.
L'article 38 de la Constitution dispose que le gouvernement peut, « pour l'exécution de son programme », demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. Les ordonnances entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d'habilitation. Une fois le délai d'habilitation expiré, les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel précise que le gouvernement doit spécifier avec précision la finalité des mesures qu'il entend prendre sur le fondement de l'habilitation 795 ( * ) . Il doit également en faire connaître « le domaine d'intervention » sans pourtant être « tenu de faire connaître la teneur des ordonnances qu'il prendra » 796 ( * ) .
Cette procédure n'est pas la seule possible. Le présent projet de loi aurait pu prévoir les conditions dans lesquelles ses dispositions doivent être appliquées dans les collectivités territoriales concernées.
Depuis le début de la précédente législature, le gouvernement préfère, soit par des projets de loi spécifiques, soit en insérant des articles à cet effet dans les différents projets de loi, préciser les conditions d'application des nouvelles lois en recourant à la procédure des ordonnances.
La procédure des ordonnances, qui constitue un dessaisissement consenti du pouvoir du Parlement en matière de vote des lois, a vocation à être maniée avec précaution. En matière de droit applicable outre-mer, le procédé consistant à prévoir dans chaque projet de loi un article habilitant le gouvernement à en adapter les dispositions par ordonnances présente l'avantage d'éviter une divergence prolongée entre les règles applicables en métropole et dans les départements d'outre-mer et celles appliquées dans les anciens territoires d'outre-mer et à Mayotte. L'obligation de respecter les délais d'habilitation garantit que les ordonnances seront prises dans des délais rapprochés.
Cependant, si les projets de loi de ratification ne sont jamais inscrits à l'ordre du jour des assemblées, le recours aux ordonnances devient un moyen pratique de légiférer dans des domaines techniques en se dispensant de la phase parlementaire de l'élaboration de la loi.
Aujourd'hui, cinquante-quatre ordonnances sont en attente de ratification.
B. LE NOUVEAU CADRE CONSTITUTIONNEL
L'article 74-1 de la Constitution, dans sa rédaction issue de l'adoption par le Congrès du projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République le 17 mars 2003, dispose « dans les collectivités d'outre-mer visées à l'article 74 797 ( * ) et en Nouvelle-Calédonie, le Gouvernement peut, dans les matières qui demeurent de la compétence de l'Etat, étendre par ordonnances, avec les adaptations nécessaires, les dispositions de nature législative en vigueur en métropole, sous réserve que la loi n'ait pas expressément exclu, pour les dispositions en cause, le recours à cette procédure ».
La création d'une procédure d'habilitation permanente n'est pas motivée par une volonté de constitutionnaliser la dérive actuelle en matière de recours à la procédure des ordonnances, mais au contraire d'en prendre acte et de l'encadrer. A l'initiative du Sénat, l'article 74-1 dispose en effet que les ordonnances « deviennent caduques en l'absence de ratification par le Parlement dans le délai de dix-huit mois suivant cette publication ». Désormais, le Parlement a l'assurance d'examiner les projets de loi de ratification dans les dix-huit mois de la publication des ordonnances.
Cependant, la procédure spécifique à l'outre-mer de l'article 74-1 n'est pas exclusive de celle de l'article 38, et le gouvernement pourra continuer à demander au Parlement des habilitations selon la procédure classique. Le présent article constitue un premier exemple du choix de la procédure de l'article 38 plutôt que de celle de l'article 74-1.
II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ
A. LE CHAMP DE L'HABILITATION
Le présent article définit clairement le champ de l'habilitation. Il s'agit de « rendre applicable, avec les adaptations nécessaires, les dispositions de la présente loi » en Polynésie française, en Nouvelle - Calédonie, au territoire de Wallis et Futuna et à Mayotte. S'agissant de Mayotte, il est précisé que seules les dispositions « autres que celles relevant du code de commerce qui y sont applicables de plein droit en vertu de l'article 3-I de la loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001 relative à Mayotte » pourront être concernées par les ordonnances, une grande partie de ce code étant applicable de plein droit dans cette collectivité.
La rédaction retenue ne signifie pas que l'ensemble des dispositions du présent projet de loi sera étendu, avec ou sans adaptations, aux collectivités concernées. Leur extension sera réalisée seulement si elle est jugée souhaitable, et dans la mesure où elle est permise par les statuts des différentes collectivités 798 ( * ) . L'opportunité d'étendre certaines dispositions sera appréciée à la lumière des avis rendus par les institutions des collectivités concernées.
En tout état de cause, les dispositions qui relèvent de l'exercice par l'Etat de sa compétence en matière d'obligations commerciales devraient être étendues, en particulier les dispositions relatives à l'Autorité des marchés financiers.
Votre commission vous soumet un amendement rédactionnel tendant à supprimer la précision selon laquelle, à Mayotte, l'habilitation porte sur l'ensemble des dispositions du projet de loi à l'exception de celles qui seront applicables de plein droit en application de la loi du 11 juillet 2001 relative à Mayotte. De même que le présent article ne précise pas, pour la Polynésie et la Nouvelle Calédonie, que les extensions seront réalisées dans les limites autorisées par les statuts, la référence à la loi du 11 juillet 2001 est superflue. Il serait inutile qu'une loi rappelle qu'une autre loi s'applique.
B. LE DÉLAI D'HABILITATION
Le présent article propose que les ordonnances soient prises, au plus tard, le dernier jour du douzième mois suivant la promulgation des dispositions du présent projet de loi. Le projet de loi de ratification devra être déposé, au plus tard, le dernier jour du dix-huitième mois suivant la promulgation des dispositions du présent projet de loi.
Par rapport à plusieurs articles d'habilitation figurant dans différentes lois entrées en vigueur récemment, les délais proposés tendent à s'allonger. Ils étaient respectivement de neuf et douze mois dans la loi n° 2001-503 du 12 juin 2001 portant habilitation du gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à l'adaptation du droit applicable outre-mer, de neuf et douze mois également dans la loi n° 2002- 1094 d'orientation pour la sécurité intérieure du 29 août 2002, et de douze et quinze mois dans la loi n° 2002-1138 d'orientation pour la justice du 9 septembre 2002.
C. L'AVIS DES COLLECTIVITÉS CONCERNÉES
Le présent article propose de préciser que les projets d'ordonnances sont soumis pour avis aux « institutions compétentes » des collectivités concernées, telles qu'elles résultent de leurs statuts respectifs.
Cette proposition traduit la volonté du gouvernement d'exprimer son attachement à la concertation mais, juridiquement, ne s'imposerait pas forcément :
- en Nouvelle Calédonie et à Mayotte, le statut prévoit une consultation obligatoire des assemblées locales sur les projets d'ordonnance.
En Nouvelle Calédonie, en application de l'article 90 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999, le congrès dispose d'un mois pour rendre son avis sur les projets de loi et sur les projets d'ordonnance qui introduisent, modifient ou suppriment des dispositions spécifiques à la Nouvelle Calédonie (quinze jours en cas d'urgence). Le délai expiré, l'avis est réputé avoir été donné.
A Mayotte, selon l'article L. 3551-12 du code général des collectivités territoriales, le conseil général dispose également d'un délai d'un mois (quinze jours en cas d'urgence), au terme duquel il est réputé s'être prononcé, pour émettre un avis sur les projets de loi, d'ordonnance ou de décret comportant des dispositions d'adaptation du régime législatif ou de l'organisation administrative des départements.
- en Polynésie française, le statut ne prévoit la consultation automatique d'aucune institution sur les projets d'ordonnance. En revanche, l'article 32 de la loi organique n° 96-312 du 12 avril 1996 portant statut d'autonomie dispose que le conseil des ministres est obligatoirement consulté sur les dispositions réglementaires prises par l'Etat dans le cadre de sa compétence et touchant à l'organisation particulière de la Polynésie française 799 ( * ) . Le conseil des ministres dispose d'un délai d'un mois pour émettre son avis.
Le présent article propose que l'assemblée territoriale de Polynésie française soit également consultée. Dans la mesure où les ordonnances, bien qu'elles revêtent provisoirement un caractère réglementaire, portent sur des matières législatives 800 ( * ) , il paraît opportun que l'assemblée territoriale en ait connaissance et puisse émettre un avis.
- l'avis de l'assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna est également sollicité. Alors que la loi du 29 août 2002 de programmation et d'orientation pour la sécurité intérieure et la loi du 9 septembre 2002 de programmation et d'orientation pour la justice prévoyaient que cette assemblée dispose d'un délai d'un mois pour rendre son avis sur les projets d'ordonnance concernant ce territoire d'outre-mer, le présent article ne fixe pas de délai. En pratique, le délai retenu sera le « délai utile » d'un mois, issu de la jurisprudence du Conseil d'Etat.
III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES
Votre commission se félicite du choix du gouvernement de prévoir un article d'extension à l'outre-mer des dispositions du présent projet de loi. La systématisation de cette technique au cours des dernières années permet d'espérer une réduction de l'écart entre les règles applicables outre-mer et les textes en vigueur en métropole.
Il y a peu d'années encore, le rapporteur au nom de votre commission des finances de la loi n° 99-1121 du 28 décembre 1999 portant ratification de diverses ordonnances intervenues dans les domaines fiscal, douanier, monétaire et financier, notre collègue Henri Torre, écrivait : « le retard par rapport à la métropole est tel que, même si le législateur décidait de prévoir les modalités de l'extension à l'outre-mer de chacune des nouvelles dispositions législatives, il ne le pourrait pas toujours car les textes adoptés en métropole modifient parfois des dispositions dont l'applicabilité outre-mer n'a jamais été prévue ». Il constatait par ailleurs que le gouvernement n'avait matériellement pas été en mesure de prendre des ordonnances dans l'ensemble des domaines pour lesquels il avait été habilité. Ces remarques soulignent l'intérêt de la nouvelle procédure d'habilitation permanente.
Il importera cependant, lorsque la nouvelle procédure sera utilisée, de veiller à ce que le Parlement dispose des délais nécessaires pour examiner les projets de loi de ratification car, sur le fond, l'examen d'une ordonnance requiert le même soin et la même technicité que celui d'un projet de loi.
Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.
* 794 Les départements d'outre-mer et Saint-Pierre-et-Miquelon sont soumis au principe de l'assimilation législative : les textes législatifs s'y appliquent dans les mêmes conditions qu'en métropole.
* 795 Décision n° 77-72 DC du 12 janvier 1977.
* 796 Décision n° 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986.
* 797 Il s'agit des collectivités qui ne sont ni des départements ni des régions d'outre-mer et qui « ont un statut qui tient compte des intérêts de chacune d'elles au sein de la République ».
* 798 Les dispositions qui relèvent de domaines pour lesquels la compétence est devenue territoriale ne pourront être étendues.
* 799 Une ordonnance, qui peut être considérée comme de niveau réglementaire jusqu'à l'expiration du délai d'habilitation, est réputée toucher à l'organisation particulière de la Polynésie française dès lors que les textes étendus font l'objet d'adaptations.
* 800 L'assemblée de Polynésie est consultée sur les projets ou propositions de loi comportant des dispositions particulières à la collectivité.