N° 142

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003

Annexe au procès-verbal de la séance du 23 janvier 2003

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi relatif à la répression de l' activité de mercenaire ,

Par M. Michel PELCHAT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. André Dulait, président ; MM. Robert Del Picchia, Jean-Marie Poirier, Guy Penne, Michel Pelchat, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. André Boyer, vice-présidents ; MM. Simon Loueckhote, Daniel Goulet, André Rouvière, Jean-Pierre Masseret, secrétaires ; MM. Jean-Yves Autexier, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Jacques Blanc, Didier Borotra, Didier Boulaud, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Ernest Cartigny, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Paul Dubrule, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Jean Faure, André Ferrand, Philippe François, Jean François-Poncet, Philippe de Gaulle, Mme Jacqueline Gourault, MM. Emmanuel Hamel, Christian de La Malène, René-Georges Laurin, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc, MM. Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Louis Moinard, Xavier Pintat, Jean-Pierre Plancade, Bernard Plasait, Jean Puech, Yves Rispat, Roger Romani, Henri Torre, Xavier de Villepin, Serge Vinçon.

Voir le numéro :

Sénat : 287 (2001-2002)

Mercenaires.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Déposé devant le Sénat le 4 avril dernier, le présent projet de loi tend à créer dans notre code pénal une incrimination nouvelle relative à l'activité de mercenaire, assortie de peines correctionnelles.

Cette démarche découle d'un double constat :

- la nécessité de lutter contre des pratiques qui contribuent à aggraver l'instabilité et la violence dans plusieurs régions du monde, que ce soit à l'occasion de conflits internationaux ou de troubles internes,

- l'absence, dans la législation française, de dispositions permettant de réprimer efficacement ces pratiques, lorsqu'elles impliquent nos ressortissants ou des personnes résidant habituellement sur le territoire français.

Le projet de loi s'attache tout d'abord à définir le plus précisément possible, en s'inspirant des critères les plus largement reconnus par les instruments internationaux, les faits répréhensibles, qui concerneront aussi bien la participation individuelle à une activité de mercenaires que la direction ou l'organisation d'une telle activité. Ces incriminations concerneront les ressortissants français et les personnes résidant habituellement sur le territoire français, la compétence des juridictions pénales françaises étant étendue de plein droit aux faits commis à l'étranger.

Avant de procéder à l'examen de l'article unique du projet de loi, votre rapporteur présentera les différentes définitions du mercenariat retenues par les instruments internationaux, afin de mieux cerner un phénomène difficile à appréhender. Il évoquera ensuite les législations existant dans les autres pays avant de détailler la situation actuelle du droit français et le dispositif du projet de loi.

I. LE MERCENARIAT : UN PHÉNOMÈNE DIFFICILE À APPRÉHENDER QUI REQUIERT UNE DÉFINITION PRÉCISE

Le terme de mercenaire semble a priori parfaitement connu de chacun, mais il apparaît rapidement, à l'analyse, que les individus s'engageant, contre rémunération, pour satisfaire les besoins de sécurité d'un gouvernement étranger ou d'une organisation étrangère, peuvent agir dans des cadres assez différents. Cette grande variété de situations est illustrée par l'émergence dans les pays anglo-saxons de sociétés privées, recrutant des professionnels de la chose militaire, offrant ouvertement des prestations en matière de sécurité, et refusant tout amalgame avec la notion traditionnelle de mercenariat.

Dès lors que l'on souhaite prévenir et réprimer des activités dangereuses pour la stabilité internationale ou l'état de droit, il est donc primordial de définir très précisément les critères constitutifs du mercenariat. Bien que ne procédant pas tous d'une inspiration analogue, plusieurs instruments internationaux permettent d'en cerner les caractéristiques principales. Les législations en vigueur de par le monde paraissent cependant peu nombreuses et très disparates, tant en ce qui concerne la répression du mercenariat que de l'encadrement des activités liées à la sécurité et la défense réalisées au profit de gouvernements étrangers.

A. UNE GRANDE VARIÉTÉ DE SITUATIONS SUR LE TERRAIN

Le mercenariat est un phénomène aussi ancien que la guerre elle même, présent à travers l'histoire de l'Antiquité à nos jours.

Il semblerait que ce soit à partir de la constitution des Etats-nations et d'armées véritablement nationales, principalement formées de conscrits, que le mercenariat ait été frappé de la connotation péjorative qui s'y attache depuis lors. On peut dire qu'il s'est trouvé totalement marginalisé durant la première moitié du 20 ème siècle, marquée par les deux grands conflits mondiaux. La guerre d'Espagne a certes conduit certains États à s'interroger sur l'attitude à adopter vis à vis de leurs ressortissants s'engageant dans une armée étrangère, mais il s'agissait là d'un cas de figure bien particulier, ces volontaires étant animés de motivations idéologiques et non financières.

C'est avec la décolonisation que le mercenariat est revenu d'actualité. Des États nouveaux, instables et dépourvus de forces de sécurité suffisamment formées et équipées, tout comme divers mouvements de rébellion, ont eu recours aux services d'ex-soldats occidentaux,. Durant près d'une décennie, à partir de la sécession du Katanga en 1961, le Congo fut l'un des principaux théâtres d'action des mercenaires.

La fin de la guerre froide à donné au phénomène une ampleur nouvelle, avec la rencontre d'une forte « demande » , liée à la multiplication des conflits régionaux autour de pays ne bénéficiant plus du soutien des grandes puissances, et d'une « offre » en développement rapide , du fait de la réduction de format des armées, tant dans les pays occidentaux que dans l'ex-bloc de l'est, qui met sur le « marché » un volume important de militaires expérimentés en âge de poursuivre un service actif au profit de commanditaires étrangers. La tentation est bien entendu d'autant plus forte que la démobilisation est rude, les pays de l'est, en proie à d'importantes difficultés économiques, tendant désormais à fournir les contingents de recrues les plus importants.

« Soldat recruté à prix d'argent et pour un conflit ponctuel par un gouvernement dont il n'est pas ressortissant » : telle est la définition du mercenaire donnée par le dictionnaire Larousse. Toujours actuelle, cette réalité doit être replacée dans un ensemble plus vaste de situations dans lesquelles des professionnels étrangers peuvent se trouver impliqués, en dehors de toute mission confiée par leur pays, dans des conflits internationaux ou des situations intérieures troublées.

Aux côtés du mercenariat classique, reposant sur l'engagement individuel et ponctuel pour un conflit ou une action donnée, émergent de nouveaux types d'activités , se voulant plus professionnels et transparents, fondés sur l'idée que la sécurité, que ce soit celle d'un État, d'un dirigeant ou d'une entreprise, peut constituer un service marchand et justifie l'intervention, non plus de « soldats perdus » ou d'aventuriers, mais de sociétés ayant pignon sur rue.

Apparaît ainsi ce que certains qualifient de « mercenariat d'entreprise », les intéressés préférant parler de sociétés de sécurité privées ou même de sociétés militaires privées , qui agissent au grand jour dans le cadre de relations contractuelles clairement établies avec leurs « clients ».

Les sociétés de sécurité privées interviennent surtout dans une optique de protection de personnes, de sites, ou d'installations, y compris au profit d'entreprises multinationales, comme celles du secteur minier ou pétrolier. Les sociétés militaires privées, moins nombreuses, proposent des prestations aussi diverses que la sécurité des dirigeants, l'instruction aux forces armées et parfois même le commandement opérationnel.

L'une des premières de ces sociétés militaires privées, Executive Outcomes , est apparue en Afrique du sud et était constituée d'ex-militaires sud-africains. Elle est intervenue en Angola, mais aussi en Sierra Leone et en Ouganda, avant d'être dissoute en 1999.

Sandline International est pour sa part une société britannique recrutant principalement parmi les anciens personnels des forces spéciales. Elle est intervenue en Sierra Leone, avec une certaine efficacité, mais il lui a été reproché à cette occasion de ne pas avoir respecté l'embargo sur les livraisons d'armes, ce qui a donné lieu à une commission d'enquête parlementaire au Royaume-Uni.

La plus importante des sociétés militaires privées est Military Professionnal resources Incorporated (MPRI), qui à son siège aux États-Unis et recrute parmi les anciens militaires américains. Dirigée par un ancien chef d'Etat-major de l'armée de terre, MPRI fonctionne en étroite liaison avec le gouvernement américain. Elle est intervenue aux côtés de l'armée croate et on lui attribue le succès de cette dernière en Krajina en 1995. MPRI a également obtenu un contrat pour restructurer l'armée bosniaque. Dyncorp , qui est intervenue en Bosnie et en Colombie, Vinnell Corporation ou encore Armor Holdings, qui possède une importante filiale au Royaume-Uni ( Armor Group Services ), figurent parmi les principales sociétés américaines du secteur.

Ce sont essentiellement, on le voit, des sociétés anglo-saxonnes qui opèrent sur ce « marché » de la sécurité.

La fourniture, par des individus ou des organisations, de services à caractère militaire revêt donc une grande variété de situations. Si l'assistance ou le conseil à une armée étrangère, y compris lorsqu'il émane d'intervenants privés, ne peuvent être assimilés au mercenariat, engagement ponctuel pour participer à un conflit, on voit bien que la frontière peut parfois être délicate à établir.

Un débat approfondi s'est développé à ce sujet au Royaume-Uni et a donné lieu à plusieurs publications officielles émanant du gouvernement comme du Parlement 1 ( * ) .

Le Foreign Office estime ainsi que les termes « mercenaires », « société militaire privée », « société de sécurité privée » couvrent une large gamme de personnes, d'organisations et d'activités différentes. De multiples intervenants, « certains respectables et légitimes, d'autres pas », sont amenés à fournir à l'étranger des services de nature militaire : mercenaires, volontaires, militaires servant dans les forces armées régulières étrangères, sociétés industrielles d'armement, sociétés militaires privées. Les activités concernées vont du conseil et de la formation au soutien logistique, à la fourniture de personnels de sécurité et au déminage. Pour le Foreign Office , il est difficile, et même artificiel, de distinguer, parmi ces activités, celles qui sont liées à des opérations de combat, l'assistance en matière d'instruction, de renseignement, d'organisation ou de planification constituant une contribution évidente à la capacité d'action militaire. Les autorités britanniques suggèrent que des sociétés privées peuvent apporter une contribution utile, en complément ou en substitution à des forces étatiques, pour des opérations de maintien de la paix, voir pour l'externalisation de certaines tâches, pour peu que l'on distingue les opérateurs privés respectables et ceux qui ne le sont pas.

Dans son rapport du mois de juillet 2002, la commission des Affaires étrangères de la chambre des Communes souligne la nécessité, mais aussi la difficulté, de distinguer activités licites et illicites parmi les prestations que fournissent ces sociétés privées. Elle estime qu'un critère de discrimination pourrait être l'absence de participation directe à des actions de combat, tout en précisant que l'on ne peut exclure de telles actions dans un contexte purement défensif, et en s'interrogeant sur la frontière entre assistance, conseil, instruction d'une part, et participation directe aux combats d'autre part.

Estimant qu'un principe de prohibition ne ferait qu'entraîner une délocalisation du recrutement, nos homologues britanniques estiment au contraire que le recours à des sociétés militaires privées, professionnelles, responsables, bien réglementées, peut, dans certaines circonstances, contribuer à établir ou à maintenir une relative stabilité, en aidant des gouvernements encore fragiles à garantir un niveau minimal de sécurité. Ils soulignent la contribution potentielle qu'elles peuvent apporter à la stabilité internationale et considèrent que, dans certaines circonstances, elles peuvent agir plus efficacement que les Etats. Ils suggèrent que pourrait être adapté à ces sociétés le code de conduite adopté par les pays européens pour leurs exportations d'armement, qui définit un certain nombre de critères, tels que le respect des obligations et décisions internationales, le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la prise en compte de la situation interne du pays en cause, du comportement de son gouvernement à l'égard de la communauté internationale, ou des risques de détournement de l'assistance accordée, la préservation de la sécurité et de la stabilité régionales, de la sécurité du Royaume-Uni et de ses alliés.

Le débat en cours au Royaume-Uni démontre la relative complexité des questions soulevées par le « mercenariat », terme générique dont l'acception plus ou mois large n'appelle pas nécessairement, selon les cas, le même type de réponses.

* 1 « Private military companies : options for regulation » - Foreign and Commonwealth Office - février 2002 ; 9 ème rapport du Foreign affairs committee de la Chambre des Communes - juillet 2002.

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