ANNEXE -
AUDITIONS DE LA COMMISSION

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Mme Michèle ALLIOT-MARIE

Ministre de la défense

Le mardi 22 octobre 2002

Mme Michèle Alliot-Marie a tout d'abord rappelé que le projet de loi de programmation militaire 2003-2008 fixait le cadre de la politique de défense pour les prochaines années, dans la perspective de la réalisation du modèle d'armée 2015, défini par le Président de la République en 1996.

Elle a souligné l'effort de transformation considérable effectué lors de la première période 1997-2002, avec la professionnalisation des forces armées et la réduction de leurs effectifs de près de 120 000 postes. Il s'agit là d'une contribution sans précédent à la modernisation et à la réforme de l'Etat.

La ministre de la défense a en revanche estimé que cette première étape vers la réalisation du modèle avait souffert d'une insuffisance en crédits d'équipements, puisque, par rapport à l'enveloppe initialement prévue, leur réduction avait représenté une annuité de programmation. Cette situation a eu un impact négatif sur l'entretien et la disponibilité des matériels.

Mme Michèle Alliot-Marie a ensuite présenté les trois priorités retenues par le projet de loi de programmation militaire pour les années 2003-2008 :

- rétablir la disponibilité des équipements, dans le prolongement du premier relèvement des crédits d'entretien programmé des matériels réalisé, à hauteur de 100 millions d'euros, par la loi de finances rectificative pour 2002 adoptée l'été dernier ;

- poursuivre la modernisation de nos forces, avec un accent tout particulier sur l'effort de recherche et de développement, domaine dans lequel un écart s'est malheureusement creusé avec le Royaume-Uni ;

- consolider la professionnalisation, par des mesures visant à garantir l'attractivité des carrières militaires et à fidéliser les personnels.

Elle a ensuite présenté les crédits d'équipement prévus par ce projet de loi de programmation. L'annuité moyenne des crédits d'équipement entre 2003 et 2008 sera portée à 14,64 milliards d'euros en 2003, le total des crédits d'équipement sur la période s'élevant à 88,87 milliards d'euros, soit une hausse de 5,5 milliards d'euros par rapport au projet de loi de programmation militaire préparé par le précédent gouvernement. Cet accroissement passera par deux paliers importants, en 2003 puis en 2004.

Mme Michèle Alliot-Marie a ensuite présenté les crédits du ministère de la défense inscrits au projet de loi de finances pour 2003, en rappelant « l'épreuve de vérité » que constitue toujours le budget réalisant « l'entrée » dans une nouvelle loi de programmation.

Elle a estimé que ce projet de budget constituait, pour le ministère de la défense, une triple rupture :

- il rompt avec la décroissance des crédits qui caractérisait la période 1997-2002, puisqu'il augmentera de 7,5 % hors pensions, les moyens consacrés aux crédits d'équipement augmentant, pour leur part, de 11,2 % par rapport à 2002 ;

- il rompt avec la pratique antérieure consistant à imputer au budget de la défense des dépenses sans lien avec les armées, comme le financement du développement de la Polynésie française ;

- enfin, il rompt avec une faiblesse de nos moyens incompatible avec les engagements européens et internationaux de la France.

Le budget de la défense pour 2003 s'élève à 31,07 milliards d'euros, dont 13,64 milliards d'euros de crédits d'équipements, 3,45 milliards d'euros pour le fonctionnement et 13,98 milliards d'euros pour les rémunérations et charges sociales ; s'y ajoutent 8,89 milliards d'euros transférés aux charges communes du budget de l'Etat pour les pensions. Ce budget permettra de restaurer la capacité opérationnelle des armées. Ainsi, l'entretien des matériels bénéficiera d'une enveloppe de 2,6 milliards d'euros, montant qui va au-delà de l'annuité moyenne de 2,4 milliards d'euros prévue dans le projet de loi de programmation militaire. Pour la première fois depuis 1997, la barre des trois milliards d'euros d'autorisations de programme qui y sont consacrés est franchie. Fortes de cet effort financier, les structures d'entretien des matériels seront en mesure d'assurer un pilotage renforcé de cet entretien.

Le renouvellement des matériels se traduira de manière concrète. Le troisième avion de guet aérien Hawkeye sera livré à la marine. L'armée de terre recevra 45 chars Leclerc et ses deux premiers hélicoptères de combat Tigre. Le parc de véhicules de la gendarmerie sera renouvelé à hauteur de 3 000 véhicules et elle recevra 42 000 gilets pare-balles. L'armée de l'air recevra les premiers lots de missiles de croisière Scalp et 962 millions d'euros seront affectés au Rafale. La réalisation des frégates anti-aériennes Horizon est dotée de 346 millions d'euros en vue d'une mise en service en 2006. Le développement du missile M 51 bénéficiera de 561 millions d'euros. La construction des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de nouvelle génération sera dotée de 302 millions d'euros. Sont également prévues, en 2003, la commande de 59 Rafale et la rénovation de 55 AMX 10 RC et de 70 canons automoteurs pour l'armée de terre.

Par-delà ces commandes, la préparation de l'avenir sera prise en compte, grâce à un effort plus soutenu en matière de recherche porté à 1,24 milliard d'euros, soit une hausse de 4,2 % par rapport à 2002.

Le fonds de consolidation de la professionnalisation sera créé en 2003 et sera doté, dès cette première année, de 11 millions d'euros consacrés aux recrutements dans des spécialités critiques et de 8 millions d'euros destinés à financer des mesures d'aide au logement des personnels.

Des crédits supplémentaires de 36,8 millions d'euros ont été affectés à l'instruction et à l'entraînement des forces, les crédits dévolus à l'activité des forces approchant le milliard d'euros.

Une mesure nouvelle de 40 millions d'euros soutiendra les actions d'externalisation, qui permettent de recentrer les personnels militaires sur leurs missions essentielles, même si elles ne se traduisent pas toujours par des économies, notamment du fait de l'application de la TVA.

Les crédits consacrés à l'environnement professionnel immédiat, comme au cadre de vie et de travail des militaires, font l'objet d'un effort significatif. Il s'agit en particulier des dépenses d'équipement individuel, d'infrastructure ou de munitions. Les crédits qui y sont consacrés s'élèvent à 2,6 milliards d'euros, en hausse de 13 % par rapport à 2002.

Une enveloppe de 303 millions d'euros, soit 24 % d'augmentation par rapport à la loi de finances pour 2002, permettra de résorber le déficit chronique des loyers de gendarmerie ; elle s'ajoute aux 182 millions d'euros qui correspondent à la construction de 1 235 unités-logements. Mme Michèle Alliot-Marie a précisé à ce sujet qu'elle s'était inquiétée de l'état des casernements de la gendarmerie, certains logements n'offrant pas de conditions d'hébergement convenables aux personnels et à leurs familles.

Les ajustements d'effectifs permettront d'améliorer les capacités des armées à participer aux missions de sécurité intérieure, ainsi qu'aux opérations extérieures. La création de 1 200 postes et le dégel de 700 autres au profit de la gendarmerie nationale permettront de se conformer, dès 2003, aux dispositions de la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité intérieure.

L'armée de terre bénéficiera, pour sa part, de la création de 1 000 postes d'engagés. Ces effectifs renforceront les unités d'infanterie et de renseignement, ainsi que les unités spécialisées dans la protection contre la menace nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique.

Pour remédier à un sous-effectif chronique du service de santé, 200 postes de militaires infirmiers et techniciens des hôpitaux des armées seront créés et 20 élèves médecins supplémentaires seront recrutés.

Un plan de reconnaissance professionnelle des personnels civils, centré sur un renforcement de l'attractivité du ministère de la défense, sera également mis en oeuvre grâce à un abondement de 13,5 millions d'euros. Cet effort est à lui seul supérieur au total des mesures prises en faveur du personnel civil dans les budgets couvrant la période 1995-2001, qui ne représentait que 11,2 millions d'euros.

De surcroît, des mesures d'action sociale en faveur des conditions de vie du personnel civil et militaire seront engagées et financées à hauteur de 4,4 millions d'euros, notamment pour la garde des jeunes enfants.

Mme Michèle Alliot-Marie a conclu en estimant que l'effort considérable effectué en 2003 au profit du ministère de la défense comportait en retour une exigence accrue de bonne gestion. Le ministère poursuivra la modernisation de son mode de gestion. A titre d'exemple, un système de dématérialisation des procédures d'achat utilisant un portail Internet sera opérationnel au début de l'année 2003 pour simplifier et améliorer les relations avec les fournisseurs. Le contrôle de gestion et l'amélioration des circuits administratifs seront accentués. Le relèvement des crédits n'entraînera aucun laxisme, bien au contraire, notamment quant aux exigences de prix, de délais ou de maintien en condition des équipements attendues des industriels.

Mme Michèle Alliot-Marie a qualifié d'exceptionnel un ministère où se rejoignent les plus hautes technologies de pointe et une remarquable éthique de l'Etat. Elle s'est félicitée du redressement de ses moyens dans un contexte international qui démontre chaque jour que la sécurité n'est jamais acquise.

Puis un large débat s'est instauré au sein de la commission.

M. Serge Vinçon, rapporteur pour avis des crédits des forces terrestres , a salué l'effort considérable accompli par les armées et qui a conduit à la réussite rapide de leur professionnalisation. Abordant ensuite les priorités retenues par la future loi de programmation militaire, il s'est félicité de l'objectif d'une meilleure disponibilité des matériels, conformément à une demande réitérée maintes fois par la commission sénatoriale des affaires étrangères et de la défense. Puis il a évoqué les conditions d'exécution du budget en cours d'ici la fin 2002. Il s'est notamment enquis des modalités de financement des OPEX, et a souhaité s'assurer que le traditionnel collectif de fin d'année permettrait d'y faire face. Il a par ailleurs relevé la différence constatée en matière de financement des réserves opérationnelles entre le projet de budget pour 2003 et la première annuité de la future loi de programmation militaire (LPM). Enfin, il a fait état des transferts financiers effectués par le ministère de la défense au profit du BCRD (budget civil de recherche et de développement), et a souhaité s'assurer qu'ils seraient compensés par une ouverture équivalente de crédits dans le collectif prévu pour la fin 2002.

M. Xavier de Villepin s'est félicité des bonnes nouvelles pour la défense française que venait d'annoncer le ministre. Il s'est néanmoins inquiété de risques de gels et d'annulations de crédits dans l'exécution des futurs budgets. Evoquant le prochain sommet de l'OTAN à Prague, il a souhaité connaître la position française vis-à-vis du projet d'élargissement à de nouveaux pays et sur l'évolution des missions de l'Organisation. Il a également déploré l'immobilisme qui semblait affecter actuellement la construction de l'Europe de la défense. Il s'est inquiété de l'évolution des commandes allemandes pour le futur avion de transport militaire A 400-M, et s'est enquis du projet de vente de chars Leclerc à l'Arabie saoudite. Il s'est enfin interrogé sur l'éventuelle imputation sur le budget de la défense d'une possible recapitalisation par l'Etat du GIAT.

M. Didier Boulaud a évoqué le modèle d'armée 2015 établi en 1994 et a estimé qu'il aurait été souhaitable de le réviser à la lumière des derniers développements internationaux. Evoquant l'avenir des entreprises GIAT et DCN, il s'est enquis de leur possible recomposition au plan européen. Il a également souhaité connaître les modalités de financement des OPEX en 2003. Abordant le projet de force de réaction rapide élaboré par l'OTAN, il s'est enquis de la position de la France à ce propos. Enfin, il s'est inquiété de possibles gels de crédits qui pourraient affecter le budget militaire dès le 1 er janvier 2003 et a fait valoir la nécessité que ce budget soit « sanctuarisé ».

M. Guy Penne a estimé que seule une forte coopération européenne permettrait de rivaliser avec la puissance américaine en matière de défense. A ce propos, il s'est ému des projets d'acquisition par divers pays européens du futur avion de combat américain JSF. Enfin, il a fait valoir l'opportunité que constituerait la possibilité d'assurer, dans certains cas, l'hébergement de gendarmes dans des logements HLM, ce qui constituerait une bonne alternative à l'exiguïté de certaines casernes de gendarmerie.

M. André Boyer s'est félicité du projet de budget pour 2003 qui comporte de nombreux éléments positifs pour la marine nationale. Il s'est interrogé, à propos de DCN, sur les modalités de compensation envisagée au paiement, par la Marine, de la TVA à laquelle cette entreprise est désormais soumise. Il a souhaité par ailleurs obtenir des informations sur la coopération entre les différentes marines européennes dans le cadre de l'opération « Héraklès » dans l'océan indien.

M. Jean-Pierre Masseret a souligné l'opportunité que présenterait l'élaboration d'un Livre blanc européen pour relancer l'Europe de la défense, et prendre pleinement en compte la menace terroriste. Il a fait valoir ses interrogations sur l'adaptation à cette menace des programmes décrits dans la future LPM et s'est enquis des évolutions engagées dans ce domaine par les industries d'armement. Abordant la comparaison souhaitée entre les capacités militaires respectives de la France et de la Grande-Bretagne, il a recueilli l'appréciation du ministre sur le constat fréquemment porté d'une armée britannique performante bien que disposant d'effectifs militaires moindres.

M. Louis Moinard a souligné la nécessité d'une attractivité accrue du métier militaire par la poursuite du dispositif d'aide à la reconversion. Il a cité en exemple le Centre militaire de formation, qui dans son département, dispense de tels enseignements à près de 500 militaires par an, et a souhaité y accueillir prochainement le ministre.

Mme Hélène Luc a souligné le rôle essentiel des personnels militaires dans la définition d'une défense efficace ce qui justifiait des mesures favorisant l'attractivité du métier militaire, notamment en matière de rémunération pour favoriser les recrutements. Elle a fait valoir la nécessaire concertation européenne dans le contexte international très incertain découlant des événements intervenus depuis le 11 septembre 2001. Elle a enfin relevé la nécessaire création d'un service militaro-civil, qui permettrait notamment de faire face aux conséquences de catastrophes naturelles, ainsi que d'engager des actions humanitaires.

M. Christian de La Malène s'est enquis des résultats obtenus lors du récent déplacement du ministre à Washington, et a souhaité savoir si la participation de la France serait éventuellement sollicitée en cas d'attaque contre l'Irak.

M. Emmanuel Hamel s'est inquiété de la diminution de l'esprit de défense dans la population française, parfois relayée par des déclarations inopportunes de certains hommes politiques.

M. Jean-Guy Branger a insisté sur le caractère très encourageant des chiffres du budget de la défense, et ceci dès l'adoption du collectif de l'été 2002. Il s'est interrogé sur les modalités qui pourraient être retenues pour soutenir GIAT et s'est également enquis des perspectives d'exportations de chars Leclerc en Arabie Saoudite.

Mme Paulette Brisepierre a salué les résultats exceptionnels obtenus par les soldats français engagés dans un contexte très difficile en Côte d'Ivoire et a souhaité un renforcement de nos forces prépositionnées en Afrique.

M. André Dulait, président, a souhaité connaître le contenu des alternatives à l'acquisition patrimoniale en matière de matériels militaires prévues par le projet de loi de programmation militaire. Il s'est déclaré préoccupé par l'évolution de la politique européenne de sécurité et de défense, du fait de son manque de dynamisme. Il a conclu en interrogeant le ministre sur les effectifs et la mission de nos forces engagées en interposition en Côte d'Ivoire.

En réponse à cet ensemble de questions, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense , a apporté les précisions suivantes :

- la pérennité des crédits budgétaires affectés au ministère de la défense est garantie par l'engagement conjoint du Président de la République et du Premier ministre en faveur de l'effort de défense. Une réflexion est par ailleurs en cours pour que les investissements militaires ne soient plus pris en compte dans la définition des dépenses publiques qui sert de référence aux critères du Pacte européen de stabilité ;

- le financement des OPEX était, jusqu'à cette année, effectué en collectif de fin d'année. Ce système s'appliquera encore à la fin 2002, mais un accord de principe a été passé avec le ministère des finances pour modifier ce mode de financement qui n'est pas satisfaisant : il a été désormais décidé qu'à compter de 2003 le ministère de la défense disposerait d'une provision financière initiale pour ces OPEX, provisions qui seraient régularisées en fin d'année ; une mission commune de réflexion entre les deux ministères va être lancée pour déterminer le montant adéquat de cette provision ;

- le collectif de fin 2002 attribuera effectivement au budget de la défense une somme équivalente à celle versée par celui-ci au titre du BCRD ;

- la constitution de réserves opérationnelles est essentielle à la mise en oeuvre satisfaisante de la professionnalisation, mais les effectifs actuellement constatés, notamment dans le corps des sous-officiers et surtout parmi les militaires du rang, sont largement inférieurs aux besoins. La mise en place d'une réserve opérationnelle dépasse les seuls enjeux financiers. L'un des problèmes tient à la réticence de nombreuses entreprises, y compris celles qui travaillent dans le secteur de la défense, de libérer les salariés pour les périodes nécessaires. Il convient également d'assurer une reconnaissance financière à l'activité de réservistes. Une réflexion interne est en cours, au ministère de la défense, sur cette question générale des réserves ;

- l'Europe de la défense bénéficie toujours des décisions prises lors du sommet de Saint-Malo, et nos partenaires européens ont conscience de l'intérêt d'une capacité européenne autonome par rapport à l'OTAN. La démarche collective qui, dans le cadre du programme ECAP, a consisté à analyser nos insuffisances capacitaires pour les combler à terme, constitue un progrès significatif. Il reste, pour plusieurs de nos partenaires, à mettre en accord les intentions politiques et les efforts financiers, ce que la Grande-Bretagne et la France ont décidé de faire. Il reste à trouver une traduction concrète à ces réflexions : ce pourrait être par la relève prochaine de la force civile en Bosnie Herzegovine ou celle des forces de l'OTAN en Macédoine, relève qui achoppe actuellement sur l'opposition de la Turquie aux modalités de coopération entre l'OTAN et l'Union européenne décidées à « Berlin plus » ;

- il semble probable que l'OTAN s'ouvrira à de nouveaux partenaires lors du prochain sommet de Prague, ce qui porterait à 25 le nombre des pays membres. Dans le cadre de l'évolution de l'Alliance, la France a fait des propositions pour rendre plus cohérente la nouvelle structure de l'Organisation. Nous sommes favorables à la constitution, par l'OTAN, d'une force d'intervention rapide, notamment pour des missions humanitaires ou de prévention de crises. Des problèmes restent à résoudre, comme la prise en compte du niveau politique dans le commandement de cette force et sur sa zone d'intervention géographique ;

- s'agissant de l'A 400M, les autorités allemandes ont réaffirmé qu'en dépit de leurs difficultés financières elles maintiendraient des commandes à un niveau permettant la réalisation effective du programme ;

- les éventuelles recapitalisations de DCN et de GIAT ne seront, en toute hypothèse, pas imputées sur le budget de la défense. S'agissant de DCN, cette entreprise doit être considérée comme viable dans un contexte concurrentiel, à condition que des efforts soient consentis, notamment pour nouer des partenariats étrangers ;

- la situation de GIAT mérite que soit enfin posé un vrai diagnostic sur les capacités industrielles de cette entreprise, ce qui permettra de la recentrer sur ses pôles d'excellence, et d'offrir ainsi des perspectives cohérentes pour les personnels qui sont actuellement inquiets et démobilisés. Là aussi, des partenariats européens seront nécessaires ;

- il est en effet surprenant que plusieurs pays européens, engagés dans un processus de constitution d'une défense européenne autonome, mobilisent de très importants financements pour commander un avion de combat américain, le JSF, qui n'en est qu'au stade du développement ; il faut souligner la très forte pression financière et diplomatique exercée sur ce point par les Etats-Unis dans le but d'obtenir à terme un monopole dans le domaine des avions de combat. Dans la situation actuelle, les appareils européens que sont le Rafale et l'Eurofighter seront présents sur le marché dans les quinze prochaines années. Il conviendra d'organiser des coopérations entre industriels européens pour préparer leur future relève ;

- les logements HLM sont déjà ponctuellement utilisés dans des zones périurbaines pour le logement de certains gendarmes. Mais le poids des astreintes rend néanmoins indispensable un logement en caserne, qui apporte par ailleurs des garanties en matière de sécurité pour les familles ;

- dans le cadre de l'opération Héraklès, la coopération entre marines européennes n'a cependant pas permis la mise en place d'une force maritime européenne ad hoc que la France appelait de ses voeux ;

- le modèle d'armée 2015 intègre la menace terroriste, du fait des attaques de ce type dont la France avait déjà été victime, particulièrement dans les années 1985 et 1986 ; il n'est donc pas obsolète sur ce point. Par ailleurs, la LPM à venir intégrera de nouvelles données dans ce domaine, et notamment la nécessité de prévenir cette menace par le renforcement des capacités de projection ainsi que de renseignement, tant humain que matériel, grâce aux drones et au renseignement satellitaire ;

- si l'armée britannique compte moins d'effectifs que l'armée française, c'est que la Grande-Bretagne ne dispose pas de corps spécifique de gendarmerie et que l'externationalisation y a été très développée, notamment pour le service de santé ;

- la politique de formation des hommes et de préparation à leur reconversion, conduite par les armées, donne des résultats très positifs. D'une manière générale, l'armée tient un rôle aussi prépondérant que méconnu en matière de promotion sociale, et ceci à tous les niveaux ;

- la qualité des matériels, le suivi de leur entretien, la sûreté apportée par leur emploi contribuent considérablement au moral des armées. La rémunération des militaires est encadrée par les contraintes générales de la fonction publique, ce qui limite les possibilités d'offrir des soldes attractives pour certaines spécialités au regard des rémunérations offertes par le secteur privé. Il faut donc saluer le sens du service et de l'engagement qui conduit malgré cela chaque année de nombreux jeunes à intégrer l'armée ;

- la dissuasion reste la base de la protection. La détention, récemment révélée, par la Corée du Nord, d'armes nucléaires, démontre à cet égard la permanence du risque ;

- les éventuelles initiatives vis-à-vis de l'Irak font actuellement l'objet d'intenses tractations diplomatiques, dans le cadre desquelles la France plaide pour un mécanisme en deux temps. L'objectif commun reste l'élimination des armes irakiennes de destruction massive. Il faut souligner à cet égard le rôle déterminant des précédentes inspections menées dans ce pays, jusqu'en 1998, sous l'égide des Nations unies qui ont permis de détruire plus d'armes que les opérations militaires menées en 1991 pendant la guerre du Golfe. Cependant, aucune option n'est à exclure, sachant néanmoins que la guerre reste la pire des solutions ;

- la décision de construire un second porte-avions français figure dans la LPM, mais les modalités de propulsion de ce bâtiment ne sont pas encore définies et font l'objet de réflexions qui déboucheront après le vote de la loi. La construction pourrait commencer en 2005, éventuellement en coopération avec les britanniques, ce qui permettrait d'en réduire le coût ;

- un service civil succédant à la conscription reste souhaitable, mais se pose le problème de son encadrement qui, pour des questions d'effectifs, ne pourrait pas être assuré par des militaires ;

- il existe un large éventail d'analyses au sein de la classe politique américaine vis-à-vis de l'Irak. Les capacités militaires des Etats-Unis leur permettent d'agir seuls partout dans le monde et ils se sentent directement responsables des répliques aux attaques terroristes qu'ils ont subies en septembre 2001. Leur réflexion les conduit cependant à préférer agir dans le cadre d'une coalition ;

- un récent sondage a souligné que l'opinion publique française approuve, à 67 %, l'augmentation des crédits de la défense dont elle perçoit, de manière aiguë, la nécessité à la lumière des multiples attaques terroristes qui se succèdent sur la planète. Il n'en demeure pas moins nécessaire de renforcer le lien entre l'armée et la nation ;

- s'agissant des alternatives possibles à l'acquisition patrimoniale de matériels, diverses solutions sont envisageables, dont le leasing ou la location, notamment pour les appareils de transport de troupes ; ces solutions devront être mises en oeuvre en cas de déficit futur de capacités dans ce domaine ;

- la France a envoyé en Côte d'Ivoire une force d'interposition de 500 hommes, dont la totalité sera déployée au mois de novembre, et qui sera remplacée, à terme, par les troupes de certains pays africains comme le Sénégal, le Mali, le Togo ou le Ghana. La France apportera un soutien à ces futures troupes africaines dans le cadre du dispositif RECAMP (renforcement des capacités africaines de maintien de la paix).

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M. Yves GLEIZES
Délégué général pour l'armement

Le mercredi 16 octobre 2002

M. Yves Gleizes a tout d'abord évoqué les programmes nationaux ayant franchi récemment des étapes majeures en 2002, estimant leur déroulement satisfaisant : les programmes frégates multimissions, systèmes de drones MALE (moyenne altitude longue endurance) et MCMM (multi capteurs multimissions), ainsi que missile de croisière naval ont été lancés, les essais de qualification du missile de croisière SCALP-EG ont commencé, le dernier Mirage 2000D a été livré et une commande de 20 Rafale a été passée.

Le délégué général pour l'armement s'est déclaré plus réservé sur le bilan des programmes en coopération, qui apparaît contrasté : l'avion de transport A400M et le missile d'interception Meteor attendent une décision de l'Allemagne, et l'Espagne n'a pas encore annoncé son choix quant à son entrée dans le programme d'hélicoptère Tigre. En revanche, les échanges de capacités avec l'Allemagne et l'Italie en matière d'observation spatiale ont progressé de façon plus satisfaisante et des perspectives s'ouvrent pour une participation italienne au programme de frégates multimissions.

Tirant le bilan de l'exécution budgétaire des crédits confiés à la DGA sur le titre V, le délégué général a insisté sur le niveau très élevé de consommation des crédits sur lequel la DGA a réalisé des efforts particuliers au moyen, notamment, de commandes globales. S'agissant de cette procédure qui concerne notamment le missile balistique M51, il a évoqué les conséquences financières d'une éventuelle indisponibilité des autorisations de programme et la nécessité de les intégrer dans le collectif budgétaire de fin d'année.

Le délégué général a rappelé par ailleurs les efforts entrepris depuis 1997 pour réduire les coûts des programmes et le coût d'intervention de la DGA. Il a ainsi indiqué que le coût des programmes sur la période de la dernière programmation avait fait l'objet d'économies à hauteur de 9,6 milliards d'euros et que le coût d'intervention de la DGA avait été réduit de 30 %, par le biais notamment d'importantes réductions d'effectifs. Bien que désormais entrée dans une phase de stabilisation, la DGA poursuit ses efforts de modernisation.

M. Yves Gleizes a ensuite abordé le concours de la DGA aux différentes priorités établies par le projet de loi de programmation militaire 2003-2008. Il a rappelé que le rétablissement de la disponibilité des matériels dépendait des ressources budgétaires affectées, mais aussi de l'organisation des structures concourant au soutien, ainsi que des modes de contractualisation, qui doivent viser à procurer une plus grande flexibilité. Il a appelé sur ce sujet à une meilleure répartition des rôles entre les acteurs étatiques et les industriels.

S'agissant des programmes d'armement, il a indiqué que les moyens prévus par le projet de loi de programmation permettraient de réaliser le modèle 2015, et que la DGA poursuivrait l'amélioration des méthodes d'acquisition, pour réduire les coûts et les délais des programmes en visant notamment à approfondir la phase de levée de risques, pour introduire davantage de concurrence au niveau des maîtres d'oeuvre ou des équipementiers, tout en renforçant les capacités d'acheteur du ministère de la défense et en approfondissant les réflexions relatives à des modes de financements innovants.

Il a en outre précisé les priorités retenues pour les études en amont, dont le projet de loi de programmation prévoit de restaurer progressivement les crédits, à hauteur du niveau britannique.

Evoquant la construction de l'Europe de l'armement, le délégué général a décrit l'engagement de la DGA dans la montée en puissance de l'OCCAR et le comblement des lacunes mises en lumière par le catalogue des capacités.

Dressant le tableau des évolutions récentes intervenues dans le domaine de l'industrie de l'armement, M. Yves Gleizes a affirmé son optimisme quant au processus de transformation de DCN en entreprise nationale en 2003. Il a indiqué que les perspectives de commandes ouvertes par la loi de programmation permettraient d'assurer à DCN une transition vers un statut de véritable société dans des conditions satisfaisantes.

M. Yves Gleizes a relevé que les perspectives industrielles de GIAT Industries étaient moins favorables et qu'en dépit de l'effort accompli au titre du dernier plan stratégique, économique et social, cette société ne semblait pas en mesure de parvenir à l'équilibre comme escompté.

SNPE, pour sa part, se trouve dans une situation difficile à la suite de l'explosion de l'usine AZF voisine qui, en entraînant l'arrêt d'un certain nombre d'activités, a fragilisé sa branche chimie fine. Avec le projet de formation de la société Héraklès conjointement avec SNECMA, le délégué général indique toutefois que l'avenir de la branche matériaux énergétiques paraît bien assuré.

M. Yves Gleizes a précisé que l'industrie française, après une baisse des prises de commandes en 2001, a connu quelques succès notables à l'export en 2002, malgré un contexte de forte concurrence américaine.

Revenant sur les crédits de la DGA pour 2003, M. Yves Gleizes a insisté sur la phase de stabilisation que doit désormais entamer la Délégation générale, parvenue à un seuil limite pour la réalisation de ses missions.

Un débat s'est ensuite instauré avec les commissaires.

M. Xavier de Villepin a souhaité obtenir des précisions sur la question de la défense antimissile d'un point de vue américain et français ; il s'est interrogé sur les évolutions techniques affectant les programmes nucléaires. Il a évoqué les difficultés rencontrées par le programme A 400 M et s'est inquiété des perspectives du Rafale à l'export. Il a enfin souhaité connaître les conséquences pour la Marine de l'évolution engagée par DCN.

M. Serge Vinçon a évoqué la nécessité d'assouplir les procédures s'agissant de la disponibilité opérationnelle des équipements ; il a précisé l'intérêt de financements innovants pour combler des déficits capacitaires, notamment concernant l'aéromobilité. Il s'est inquiété des conséquences de l'érosion des crédits de recherche constatée en exécution de la précédente loi de programmation militaire.

M. Robert Del Picchia est revenu sur les difficultés de l'A 400 M et sur les conséquences de l'Europe de l'armement sur les industriels nationaux.

M. Jean-Pierre Masseret a demandé des précisions sur les délais de paiement de la DGA, sur son rôle de conseil sur les évolutions éventuelles à apporter aux postures stratégiques retenues par le Modèle 2015, du fait de l'évolution du contexte international, ainsi que sur les difficultés rencontrées par l'Europe de l'armement.

Mme Maryse Bergé-Lavigne a souhaité obtenir des précisions sur le devenir du site toulousain de la SNPE.

Mme Hélène Luc s'est interrogée sur la philosophie qui guidait nos exportations d'armement ainsi que sur l'avenir de DCN et de GIAT.

M. André Boyer s'est interrogé sur l'avenir de DCN et des centres d'essais. Il a souhaité connaître les possibilités de coopération extérieure dans le domaine de l'armement.

Evoquant le programme A 400 M, M. André Dulait, président, a souhaité savoir quelles étaient les solutions alternatives en cas de différé ou d'échec du programme.

M. Yves Gleizes a apporté les éléments de réponse suivants :

- sur le devenir du programme A400M, il a indiqué que le lancement de ce programme emblématique pour l'Europe de la défense était suspendu à la décision de l'Allemagne et a souligné les conséquences qu'aurait une éventuelle réduction du nombre d'appareils commandés par ce pays ;

- sur la problématique de l'antimissile, il a indiqué que l'ASTER constituait la réponse française pour la protection de forces déployées. Il a précisé que les capacités françaises de protection des forces devaient être renforcées, notamment sur les moyens d'alerte avancée, qui pourraient faire appel pour la détection à des satellites. Il a regretté qu'une position européenne peine à se dégager sur ces questions ;

- sur le nucléaire, il a indiqué que l'effort portait sur le renouvellement des composantes de la force de dissuasion avec les entrées en services à venir des SNLE n os 3 et 4 ainsi que du missile M51 ;

- sur les possibilités d'exportation du Rafale, il a indiqué que les perspectives actuelles à court terme nécessitaient, de la part de l'industriel, de nouveaux déploiements relativement coûteux dans l'hypothèse de marchés portant sur un nombre d'avions limité, ce qui conduisait à s'interroger sur leur financement ;

- s'agissant de la consommation des crédits, il a indiqué que la DGA avait mis en place une série de procédures pour garantir leur consommation effective, y compris dans l'hypothèse où des programmes subiraient des retards importants ;

- revenant sur la question des exportations d'armement, M. Yves Gleizes a rappelé qu'il s'agissait de décisions de nature essentiellement politique que la DGA avait pour mission d'accompagner sur le plan technique ;

- les relations entre DCN et Thales, à l'exception du cadre de la société Armaris dédiée aux exportations, ne sont pas encore définies et le cadre législatif dans lequel s'effectue la réforme de DCN exclut toute prise de participation dans l'immédiat. Par ailleurs, le changement de statut conduira à l'application de la TVA sur les prestations fournies par DCN. Cela nécessitera de trouver une solution pour aboutir à une neutralisation de ses effets sur les crédits d'équipement ;

- en dépit de perspectives offertes par un programme comme le VBCI, il est clair que le plan de charge prévisionnel de GIAT Industries ne suffira pas à garantir la stabilisation du format de l'entreprise.

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Général Bernard THORETTE
Chef d'Etat-Major de l'Armée de terre

Le mercredi 16 octobre 2002

Le général Bernard Thorette a tout d'abord rappelé que l'armée de terre constituait un outil polyvalent au service de la politique de sécurité de la France, fournissant en permanence 80% des forces françaises engagées en opérations et offrant un éventail très large de capacités, allant du combat classique contre des forces blindées aux missions de soutien de la paix ou de secours aux populations. Il a affirmé que son objectif était d'amener à maturité, afin d'en faire une armée véritablement « professionnelle », cette armée de terre qui vient de mener à bien une exceptionnelle réorganisation.

Le général Bernard Thorette a ensuite présenté les orientations définies, pour l'armée de terre, par le projet de loi de programmation militaire 2003-2008 et qui permettent, selon lui, de la replacer correctement sur le chemin du modèle d'armée 2015 en réalisant un effort équilibré au profit des ressources humaines, de l'équipement et de l'entraînement.

S'agissant des effectifs militaires, l'armée de terre transformera en trois ans 3.000 postes de volontaires en 2.500 postes d'engagés. Elle accroîtra ses capacités dans les domaines de l'infanterie et des forces spéciales, du renseignement, de la défense biologique et chimique. Le projet de loi prévoit en outre un rattrapage de 749 postes de personnels civils entre 2002 et 2008, mais les décisions de non-renouvellement des départs en retraite conduisent à s'interroger sur la possibilité de respecter cet objectif.

Un fonds de consolidation de la professionnalisation, prévu par le projet de loi, devra permettre la pérennisation de l'effort de recrutement et la fidélisation des personnels, alors que la condition militaire appellera un suivi régulier, après les mesures importantes engagées cette année.

Une dotation supplémentaire au profit des réserves, qui n'a pas été pour le moment répartie entre armées, doit favoriser la montée en puissance de la réserve opérationnelle, dont l'effectif global prévu est de 28.000 hommes.

En ce qui concerne les équipements, l'armée de terre mènera de front un double effort financier d'acquisition de matériels nouveaux et de maintien en service ou de rénovation de matériels anciens.

Le général Bernard Thorette a précisé qu'une priorité serait maintenue au profit des programmes d'information et de commandement qui confèrent déjà à l'armée de terre française, en Europe, une avance importante au service de sa capacité de commandement, notamment pour des opérations multinationales.

Il a également évoqué trois autres efforts principaux :

- la modernisation des unités de contact, notamment l'infanterie, grâce à la rénovation des véhicules de transport de troupes (VAB et AMX 10 P) et des chars légers (AMX 10 RC) et aux premières livraisons des équipements FELIN pour les fantassins à pied et du véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI) ;

- l'évolution de l'artillerie et des missiles, afin de passer de feux massifs de saturation à des feux de précision à distance accrue ;

- la restauration d'une meilleure cohérence des forces destinées au combat blindé de haute intensité, grâce à l'achèvement du programme Leclerc et aux programmes d'accompagnement concernant le déminage et le franchissement d'obstacles, la protection, la mobilité des moyens logistiques et le dépannage.

Le chef d'Etat-major de l'armée de terre a ajouté à ce sujet, au vu d'engagements récents, que l'emploi de moyens de haute intensité permettait le maintien des crises à un bas niveau d'intensité.

Abordant la capacité aéromobile, qui représentait il y a quelques années un pôle d'excellence pour l'armée de terre française, il a confirmé qu'il n'avait pas été possible d'avancer de plusieurs années les livraisons d'hélicoptères de transport NH 90, et que la valorisation d'une partie du parc actuel serait entreprise pour préserver des capacités minimales d'engagement.

Le projet de loi de programmation prévoit un doublement des dotations destinées à l'entretien des hélicoptères, et une progression d'un tiers de celles consacrées aux autres matériels, ce qui devrait garantir un retour durable à une meilleure disponibilité. Il retient également des objectifs quantitatifs d'entraînement comparables à ceux de nos alliés, à savoir 100 jours d'activité par an pour les forces projetables et 180 heures de vol par an pour les pilotes d'hélicoptères. L'effort portera également sur la qualité des entraînements, à l'image de l'exercice très réussi effectué en Ukraine, au printemps dernier, par la 2ème brigade blindée.

Concluant sa présentation du projet de loi de programmation, le général Bernard Thorette a souligné que sans éliminer certaines difficultés dans les domaines de l'aéromobilité, du combat d'infanterie débarqué et de la logistique, il permettrait de faire face aux exigences opérationnelles du court terme, à condition bien entendu que les annuités budgétaires successives s'y conforment rigoureusement.

Présentant ensuite les crédits de l'armée de terre dans le projet de loi de finances pour 2003, il a précisé que les effectifs militaires diminueraient de 609 postes, principalement en raison de la transformation de postes de volontaires en postes d'engagés. Il a toutefois escompté une meilleure réalisation globale de ces effectifs militaires grâce à cette conversion. Il a en revanche observé que la suppression de 178 postes de personnels civils, alors que les restrictions à l'embauche sont maintenues, constituait le seul point du prochain budget en décalage avec le projet de loi de programmation militaire. Le sous-effectif en personnels civils conduit à placer sur les postes vacants des militaires qui manquent alors aux forces.

Les crédits de rémunérations et de charges sociales permettront de financer le plan d'amélioration de la condition militaire, à hauteur de 46 millions d'euros, et les mesures relatives au temps d'activités et d'obligations professionnelles des militaires (TAOPM) pour 69 millions d'euros. Le redressement des crédits de fonctionnement se traduira par une dotation supplémentaire de 19 millions d'euros pour la sous-traitance et par la réalisation de l'objectif de 100 jours d'activités pour les unités, alors que le nombre d'heures de vol des pilotes d'hélicoptères passera de 150 en 2002 à 160 l'an prochain.

En ce qui concerne le titre V, les crédits de paiement atteindront 2.620 millions d'euros, une dotation complémentaire de 190,5 millions d'euros devant être mise en place, en fin d'année, dans le cadre de la seconde loi de finances rectificative pour 2002. Les crédits d'entretien programmé des matériels progresseront de 12% et les livraisons concerneront 45 chars et 6 dépanneurs Leclerc, les deux premiers hélicoptères de combat Tigre, 88 véhicules blindés légers (VBL), 679 obus antichars à effet dirigé (ACED), 666 postes de radio de dernière génération (PR4G), la rénovation de 285 véhicules de l'avant blindés (VAB) et de 55 chars légers AMX 10 RC, l'acquisition de 20.000 gilets pare-balles.

Les autorisations de programme s'élèveront pour leur part à 3.471 millions d'euros, une dotation de 190,5 millions d'euros étant ici encore attendue dans le cadre du prochain projet de loi de finances rectificative. Seront commandés, 88 VBL, 1.200 postes radio PR 4G, 66 stations de commandement pour la numérisation des unités, 70 canons de 155 mm valorisés, 15 systèmes de défense sol-air valorisés, 55 AMX 10 RC rénovés, 40.000 tenues de protection NBC (nucléaire, biologique, chimique) et 20.000 gilets pare-balles. En outre, le niveau des autorisations de programme rendra possible une commande globale de 20 lanceurs et 480 missiles à fibre optique.

Le chef d'Etat-major de l'armée de terre a porté une appréciation positive sur les moyens prévus par le projet de loi de finances pour 2003, tout en soulignant la nécessité d'obtenir effectivement en loi de finances rectificative pour 2002 la dotation complémentaire de 190,5 millions d'euros à laquelle il s'est référé ainsi que la prise en compte d'insuffisances de l'ordre de 200 millions d'euros apparues lors de la gestion de l'exercice 2002, et ce afin d'éviter tout report de charge qui obèrerait l'entrée dans la période de programmation 2003-2008.

Il a conclu en estimant que sans rattraper les retards pris sur certains programmes, le projet de loi de programmation militaire 2003-2008 redonnait les moyens d'atteindre le modèle d'armée 2015. Il a insisté sur la nécessité de garantir, sur toute la durée de la loi, le respect de son exécution, en vue de disposer d'une armée professionnelle correctement équipée et entraînée, vivant en phase avec la société.

A la suite de cet exposé, M. Serge Vinçon, rapporteur pour avis des crédits de l'armée de terre, a interrogé le chef d'Etat-major de l'armée de terre sur le niveau des effectifs, notamment en ce qui concerne les volontaires, les personnels civils et les personnels en opérations extérieures, sur les catégories de personnels les plus concernées par le fonds de consolidation de la professionnalisation, sur la pertinence d'une structure interarmées de maintenance pour les matériels terrestres, sur le programme de missile à fibre optique et sur les conséquences de notre affaiblissement capacitaire en matière aéromobile.

M. Xavier de Villepin a demandé des précisions sur l'exécution budgétaire 2002, sur l'état d'esprit des personnels, sur la possibilité de confier à GIAT-Industries des opérations de maintenance au profit de l'armée de terre et sur l'engagement des forces terrestres en Côte d'Ivoire.

M. Jean-Pierre Masseret s'est interrogé sur l'actualité du modèle d'armée 2015, établi à partir du Livre blanc de 1994, alors que des évolutions géopolitiques significatives sont intervenues depuis lors. Il a évoqué les difficultés de mise en oeuvre de l'Europe de la défense. Il a interrogé le chef d'Etat-major de l'armée de terre sur la proposition américaine de création d'une force de réaction rapide au sein de l'OTAN, sur le devenir du programme de missile antichars Trigan et sur l'implication des forces terrestres dans les missions de sécurité intérieure.

M. Didier Boulaud a souhaité connaître le taux de disponibilité technique opérationnelle du char Leclerc et s'est interrogé sur la cible retenue par le projet de loi de programmation. Il a demandé des précisions sur la mise en oeuvre du plan d'amélioration de la condition militaire, sur l'action des forces terrestres en Côte d'Ivoire et enfin sur le projet de centre d'entraînement au combat en milieu urbain.

Mme Hélène Luc a évoqué l'adaptation des forces terrestres aux nouvelles formes de conflit, les capacités de l'armée de terre dans le domaine du renseignement, la situation du recrutement des engagés et les réflexions autour d'un service à vocation civile. Elle a en outre déploré la diminution du nombre de postes de personnels civils de l'armée de terre inscrite au projet de loi de finances pour 2003.

M. Emmanuel Hamel a souhaité connaître les raisons du choix de l'Ukraine pour l'organisation d'un grand exercice d'unités blindées. Il a demandé des précisions sur la crise de trésorerie que connaîtraient certains services.

M. Robert Del Picchia a souhaité savoir si, avec son effectif actuel en opérations extérieures, l'armée de terre avait atteint une limite maximale.

M. André Dulait, président , s'est interrogé sur la réalisation des objectifs fixés dans le domaine des effectifs de la réserve opérationnelle.

A la suite de ces interventions, le général Bernard Thorette a apporté les précisions suivantes :

- les difficultés rencontrées pour le recrutement des volontaires ont conduit l'armée de terre à proposer la transformation d'une partie des postes correspondant en un nombre de postes d'engagés, certes inférieur, mais plus faciles à pourvoir ;

- l'effectif en opérations extérieures s'élève pour l'armée de terre à environ 16.000 hommes alors que sa capacité de projection immédiate se situe entre 26.000 et 30.000 hommes, tout en maintenant des relèves ;

- les forces stationnées en permanence en Côte d'Ivoire, qui s'élèvent à 550 hommes, ont été renforcées, dans de brefs délais, avec des unités provenant de nos forces prépositionnées en Afrique ; nos effectifs se montent actuellement à 1.300 hommes, avec pour mission essentielle la protection des ressortissants français ; la mise en place du soutien logistique correspondant s'est effectuée dans d'excellentes conditions ;

- la tension sur les effectifs, qui avait été vive il y a plus de deux ans, s'est désormais atténuée ; le rythme des missions de courte durée, qui avait atteint une mission par an, se situe désormais autour d'une mission tous les dix-huit mois ;

- les effectifs engagés dans le cadre du plan Vigipirate représentent actuellement environ 250 hommes, l'armée de terre pouvant mobiliser 1.800 hommes sous préavis de 24 heures ;

- l'armée de terre a vocation à mettre ses compétences et ses moyens à la disposition des populations, dès lors que des catastrophes ou des sinistres appellent des actions d'urgence ; ces opérations ne peuvent toutefois se prolonger dans la durée ;

- le plan d'amélioration de la condition militaire a été bien reçu et sa mise en oeuvre s'effectue conformément aux engagements pris, étant précisé que certaines mesures seront mises en place jusqu'en 2005, voire au-delà ;

- les perspectives ouvertes pour les prochaines années contribuent à renforcer la confiance dans une armée de terre dont l'état d'esprit est aujourd'hui sain ; les préoccupations relatives aux rémunérations apparaissent au demeurant moins fortes que celles qui concernent les moyens d'exercice du métier militaire, notamment la disponibilité des équipements ;

- le fonds de consolidation de la professionnalisation, dont la répartition entre armée n'a pas encore été opérée, servira prioritairement à des mesures de recrutement et de fidélisation, telles que le relèvement des primes d'engagement et de réengagement  pour des spécialités recherchées ; pour l'armée de terre, les catégories les plus concernées seront les sous-officiers, où l'on constate des départs vers le secteur civil, et les spécialistes, en particulier les informaticiens, qu'il est difficile de conserver dans les armées une fois formés ;

- la situation du recrutement des engagés est actuellement bonne, puisque l'on compte une proportion moyenne de 1,3 candidat homme et 2 candidates femmes pour un poste offert ; par ailleurs, lors de l'arrivée à échéance des premiers contrats, le taux des réengagements a atteint 70%, ce qui peut être considéré comme très satisfaisant ; toutefois, ces résultats demeurent fragiles et il importe d'une part de limiter à 15% le « taux d'attrition » des jeunes engagés dans les 6 premiers mois de contrat, et d'autre part d'obtenir également un bon niveau de reconduction de contrats lors de l'échéance des réengagements, dans la perspective des carrières de 11, 15 ou 22 ans prévues pour certains engagés ;

- la réserve opérationnelle ne compte actuellement que 10.000 hommes, dont à peine plus de 2.000 militaires du rang, pour un objectif de 28.000 hommes  en 2008 ; un plan d'action pour les réserves est donc indispensable, afin notamment d'encourager l'engagement dans la réserve de militaires du rang, très difficile aujourd'hui en raison du type d'emplois occupés dans la vie civile par les personnes potentiellement concernées ; ce plan pourrait comporter un relèvement de la rémunération journalière et le développement de campagnes d'information ;

- les réservistes sont considérés comme des professionnels à part entière, même s'ils servent à temps partiel ; à titre d'illustration, la mission assurée à Sangatte par l'armée de terre est effectuée par une section de réservistes, dans des conditions analogues à ce que réaliserait une unité professionnelle ;

- au total, le niveau d'effectifs constitue pour l'armée de terre une préoccupation constante et un élément dimensionnant ; en effet, sa mission est d'occuper ou de contrôler le terrain, et elle exige toujours en dernier ressort un volume adéquat de personnels présents dans la durée, au milieu des populations et des factions ;

- l'exercice 2002 ne s'est traduit par aucune annulation de crédits, ni par des gels de crédits ;

- en ce qui concerne la maintenance des matériels terrestres des armées, qui sont concentrés dans l'armée de terre, la situation ne se présente pas dans les mêmes termes que pour les matériels aériens, répartis entre les trois armées ; aussi, la création d'une structure interarmées mérite-t-elle d'être étudiée de manière approfondie, à l'égard des bénéfices qu'elle pourrait apporter en termes d'efficacité et de coûts ;

- l'armée de terre dispose, avec la direction centrale du matériel, d'une organisation en charge de la maintenance ; l'éventualité de déléguer certaines de ses tâches à un industriel, en l'occurrence GIAT-Industries, fait l'objet d'études et de discussions ; elle ne concernerait que certains aspects de la maintenance, à savoir le soutien industriel proprement dit ;

- la disponibilité technique opérationnelle du char Leclerc s'est redressée et avoisine 65% ; elle est de 90% pour les Leclerc projetés au Kosovo ; quant à la cible prévue par le projet de loi de programmation, elle n'a pas varié et s'élève à 406 chars, ce qui permettra de disposer de 320 chars en ligne, soit 4 groupements d'escadrons de 80 chars ; le restant sera utilisé pour la formation et l'instruction, étant rappelé que les premiers exemplaires de série ont dû être retirés du service ;

- compte tenu des contraintes financières, la rénovation d'une partie des hélicoptères Puma et Cougar est la seule alternative au maintien de l'échéance de 2011 pour l'arrivée des premiers NH 90 ;

- les autorisations de programme nécessaires à la commande du missile à fibre optique sont prévues par le projet de loi de finances pour 2003, mais il reste à s'assurer de la maturité technologique de ce programme qui doit être confié à l'OCCAR ;

- les capacités de renseignement de l'armée de terre s'articulent autour d'unités de recherche humaine, par exemple au sein du 13 ème régiment de dragons parachutistes ou du 1er régiment parachutiste d'infanterie de marine, de moyens d'imagerie, avec les drones et le système héliporté Horizon, et de moyens de renseignement électromagnétique ;

- l'Ukraine offrait des terrains d'entraînement adaptés à l'engagement de l'ensemble des moyens d'une brigade blindée pour des exercices au cours desquels a été vérifiée l'aptitude du char Leclerc à tirer en roulant ;

- le projet de réalisation au camp de Sissonne d'un centre d'entraînement en zone urbaine (CENZUB) est confirmé et devrait aboutir d'ici 2006-2007 ;

- le modèle d'armée 2015 tirait en grande partie les conséquences d'un changement de contexte géostratégique qui se vérifie aujourd'hui, les réformes intervenues en France ayant devancées celles en cours aux Etats-Unis, dont l'armée de terre vient seulement d'engager une transformation destinée à privilégier la projection et à abandonner ses lourdes divisions blindées et mécanisées ; ainsi, ce modèle 2015 demeure cohérent et pertinent. Il sera de surcroît ajusté aux enseignements des dernières crises, par le renforcement des capacités de l'infanterie débarquée et des forces spéciales et par la prise en compte du risque NBC (nucléaire, biologique, chimique) ;

- la proposition américaine de force de réaction rapide au sein de l'OTAN va dans le sens des évolutions entreprises en France ;

- il est à souhaiter, pour l'avenir de l'Europe de la défense, que l'effort représenté par le projet de loi de programmation militaire 2003-2008 provoque un effet d'entraînement sur nos partenaires, en particulier pour l'Allemagne, qui a réduit très sensiblement son budget de défense.

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Général Richard WOLSZTYNSKI
Chef d'Etat-major de l'Armée de l'Air

Le Jeudi 17 octobre 2002

Le chef d'Etat-major s'est tout d'abord exprimé sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2003 à 2008. Il a fait valoir que ce projet de loi visait trois objectifs principaux : la restauration de la disponibilité des matériels, la modernisation des équipements et la consolidation de la professionnalisation des personnels. Ces orientations trouvent une traduction concrète dans le projet de loi, dont les masses financières permettront d'optimiser les conditions de travail du personnel, d'améliorer la capacité opérationnelle de l'armée de l'air, tant du point de vue du combat que du transport, grâce à la mise en fabrication du Rafale et, du moins l'a-t-il espéré, de l'A-400M.

Ces améliorations porteront d'abord sur le domaine du renseignement, qui nécessite l'emploi complémentaire d'avions, de drones et de satellites. S'agissant des avions, 15 nacelles de reconnaissance de nouvelle génération seront livrées, à partir de 2006, pour équiper les Mirage 2000 puis les Rafale F3. La mise en service opérationnelle de drones MALE (moyenne altitude longue endurance), à partir de 2004, complétera utilement les outils de reconnaissance. Enfin, les 2 satellites Hélios s'insèreront dans cet ensemble.

Un autre élément-clé de l'action spécifique à l'armée de l'air consiste dans la capacité de projection de forces ; dans ce domaine, les perspectives sont contrastées : en effet, les Transall commenceront à être retirés du service à compter de 2005, et leur capacité sera partiellement compensée par l'acquisition de deux Casa 235, et de deux Airbus d'occasion A 340. A ce sujet, le chef d'Etat-major a souligné que l'affrètement pouvait utilement compléter, de façon ponctuelle, des capacités de transport dont l'essentiel devait rester indépendantes pour préserver une capacité permanente et instantanée de projection.

Le général Richard Wolsztynski s'est inquiété du retard pris par la possible construction de l'A-400M dont les trois premières unités ne seraient au mieux livrées à la France qu'à partir de 2009. Il a donc souligné l'impérieuse nécessité que ce programme soit lancé dans les plus brefs délais.

Abordant ensuite la capacité de projection de feu, le chef d'Etat-major s'est félicité qu'elle puisse, grâce au projet de loi de programmation militaire, gagner en puissance, cohérence et flexibilité, grâce à la prochaine arrivée du Rafale, appareil caractérisé par sa polyvalence et son potentiel d'évolution et d'interopérabilité. En effet, deux commandes globales sont prévues, portant respectivement sur 46 appareils en 2003, et 48 en 2006. S'agissant des livraisons effectives, ce sont 57 Rafale dont l'armée de l'air sera progressivement dotée entre 2004 et 2008, et qui constitueront deux escadrons sur la base de Saint-Dizier. Pour l'année 2003, les améliorations consisteront en l'arrivée de nouveaux armements à guidage de précision au profit des Mirage 2000-D, en la livraison de 100 missiles Apache d'ici la fin 2002, et de 450 missiles Scalp, à compter de 2003.

Le général Richard Wolsztynski a souligné que ces missiles conféreront à la France une capacité de frappe unique en Europe.

Abordant ensuite l'état des personnels de l'armée de l'air, le chef d'Etat-major a estimé que les équipements qu'il venait de présenter ne valaient que par les hommes qui les emploient. Le projet de loi de programmation garantira à ces personnels la qualité et la régularité des entraînements souhaitables.

S'agissant de la disponibilité des appareils, il s'est inquiété du vieillissement de la flotte qui conduit à un fort coût de sa maintenance, comme pour le Mirage IV qui a été inclus dans l'opération Héraklès avec de bons résultats. Le général Richard Wolsztynski a mis en valeur les bons résultats obtenus par la structure interarmées de maintenance des matériels aéronautiques de défense (SIMMAD), créée voici deux ans. En effet, dans un délai aussi bref, cette structure a obtenu une amélioration de dix points de la disponibilité des appareils. La poursuite de ces bons résultats sera naturellement conditionnée à l'obtention des crédits nécessaires.

Concluant son bilan des apports du projet de loi de programmation militaire, le chef d'Etat-major a souligné qu'il s'agissait pour l'armée de l'air d'une loi de fabrication, dont le respect, année après année, permettra d'atteindre le modèle d'armée défini pour 2015, à condition bien sûr que les plans de fabrication des deux grands programmes que constituent le Rafale et l'A-400 M soient respectés.

Abordant ensuite le contenu du projet de loi de finances pour 2003, le général Richard Wolsztynski s'est félicité qu'il soit en conformité avec les dispositions du projet de loi de programmation militaire. Le projet de budget confortera la dynamique de la récente loi de finances rectificative, comme en témoigne l'augmentation des crédits de paiement des titres III et V de 10 % par rapport à la loi de finances initiale de 2002.

S'agissant spécifiquement du titre III, le chef d'Etat-major a souligné qu'il permettrait d'atteindre le format prévu pour 2015 d'environ 70.000 personnels militaires et civils. Les crédits de rémunérations et de charges sociales augmenteront de 3,4 %, ce qui ne pénalisera pas le fonctionnement courant. Celui-ci connaît en effet une augmentation de 6,8 % permettant de poursuivre les actions menées pour améliorer la qualité de l'entraînement.

Pour le titre V, le général Richard Wolsztynski a mis l'accent sur la restauration de la disponibilité ainsi permise, avec notamment 1 milliard d'euros d'autorisations de programme et 900 millions d'euros de crédits de paiement consacrés en 2003 à l'entretien programmé des matériels. Les crédits du titre V permettront également la modernisation des équipements déjà évoqués, avec le programme d'accompagnement de l'arrivée des Rafale sur la base de Saint-Dizier.

Enfin, les capacités de frappe en profondeur seront améliorées, avec la livraison, en 2003, de 41 missiles Apache, de 60 missiles Scalp, avec la commande de 430 missiles Mica air-air, et le développement des standards opérationnels F2 et F3 du Rafale. Les capacités de projection seront améliorées par la livraison de 3 avions cargo Casa 235 qui s'ajouteront aux 2 déjà livrés cette année permettant de ralentir le vieillissement des Transvall.

En concluant, le chef d'Etat-major a mis en évidence que les moyens financiers promis à l'armée de l'air étaient de nature à restaurer pleinement la confiance de ses personnels.

Puis un large débat s'est instauré au sein de la commission.

M. Xavier Pintat, rapporteur pour avis du projet de budget de l'armée de l'air , a souhaité obtenir des précisions sur les leçons opérationnelles tirées par le chef d'Etat-major de la présence française à Manas, dans le cadre de l'opération « Liberté immuable ». Il a déploré les tergiversations allemandes sur les commandes éventuelles de l'avion A-400M et a souhaité être éclairé sur les potentialités de commercialisation de ce futur appareil s'il finissait par se réaliser. Il a également interrogé le chef d'Etat-major sur les perspectives d'emploi des drones ; il s'est enfin félicité du bon moral des personnels de l'armée de l'air qu'il a pu constater lors de déplacements récents sur diverses bases aériennes.

M. Xavier de Villepin s'est ému des indications provenant d'Allemagne, selon lesquelles ce pays limiterait ses acquisitions à 40 A-400M. Il a souhaité savoir quelle solution alternative pourrait être mise en oeuvre si cette hypothèse malencontreuse se confirmait. S'agissant des avions de combat, il s'est interrogé sur les meilleurs marchés potentiels d'exportation du Rafale à l'heure des commandes croissantes passées par plusieurs pays européens du futur avion américain JSF.

M. Serge Vinçon a salué le remarquable travail accompli en Afghanistan par les Mirage IV en matière de renseignement photographique. Il s'est enquis de l'utilisation des deux Airbus d'occasion que l'armée de l'air projette d'acquérir. Il s'est inquiété des difficultés de construction de l'Europe de la défense. Il s'est interrogé sur l'éventuelle parité que la France pourrait réaliser avec la Grande-Bretagne en particulier, en matière de missiles de croisière.

M. Didier Boulaud a appuyé les propos du général sur les coûts croissants imposés par le maintien en condition opérationnelle d'appareils vieillissants. Il a souhaité que le général dresse un premier bilan de la participation de l'armée de l'air française aux opérations en Afghanistan. Il s'est également interrogé sur les missions qu'il serait concevable de confier aux drones, ainsi que sur les perspectives du programme JSF et de l'éventuelle concurrence de ce futur appareil avec le Rafale.

M. Jean-Pierre Masseret s'est enquis des spécialités pour lesquelles l'armée de l'air rencontrait des difficultés de recrutement ou de fidélisation.

M. Hubert Durand-Chastel s'est félicité que, face à une flotte aérienne américaine considérable, la France puisse se présenter comme un partenaire de poids tant dans le domaine civil que militaire.

M. Robert Del Picchia a souhaité connaître les alternatives possibles au programme A-400 M, si ce dernier ne parvenait pas à se réaliser. Evoquant le vieillissement de la flotte des Transall, il s'est inquiété de leur coût de maintenance. Enfin, il s'est interrogé sur des possibles utilisations des drones en matière de surveillance des sites urbains.

Mme Maryse Bergé-Lavigne s'est également émue d'un éventuel échec du programme A-400M et a souhaité savoir comment serait comblé le déficit capacitaire ainsi créé entre 2006 et 2009 en matière de transports stratégiques.

Mme Hélène Luc a évoqué la participation française aux opérations en Afghanistan et a souhaité être éclairée sur sa nature, ses réussites et les leçons qu'en a tirées l'armée de l'air. Elle s'est également interrogée sur l'apport de cette armée en matière de lutte contre le terrorisme et a souhaité recueillir le sentiment du général sur l'opportunité de construire un deuxième porte-avions français.

M. André Boyer s'est interrogé sur les prestations d'entreprises portugaises pour le nouveau marché de maintenance du C-130.

Enfin, le président André Dulait a interrogé le général sur l'évolution du projet européen de navigation par satellite Galiléo, et sur les solutions alternatives envisageables en cas d'échec du programme A-400M.

Le chef d'Etat-major a apporté en réponse les précisions suivantes :

- les opérations en Afghanistan ont souligné que la capacité de projection d'une base aérienne constituait le socle de la réactivité de l'armée de l'air. La force de la France est de pouvoir projeter cette structure qui constitue le lien essentiel entre le soutien et les aéronefs. C'est sur ce modèle qu'a été édifiée la base de Manas, modèle qui s'est révélé tout à fait adapté, alors même que les personnels militaires de neuf pays différents s'y côtoyaient ;

- le deuxième enseignement fort de ces opérations est que la gestion de crise requiert une autonomie dans la projection de force, particulièrement pour une opération qui s'est déroulée à 6.000 km de la France. Cette constatation conduit à considérer l'apport de l'affrètement comme un appoint, utilisable pour un flux logistique, mais ne pouvant assumer de façon réactive la capacité de projection ;

- la nécessité d'une projection de feu qui soit continue dans le temps et dans l'espace a constitué le troisième enseignement de cette opération. En effet, l'utilisation des Mirage 2000 D, adaptés à des missions tout temps et de jour comme de nuit, a permis le maintien d'une pression constante sur l'adversaire ;

- quatrième élément : cette mission a souligné l'importance du renseignement et particulièrement la nécessité impérative de posséder des images des objectifs assignés par la coalition à notre pays, notamment pour prévenir tout « dommage collatéral ». A cet égard, les deux satellites européens Hélios ont apporté la continuité requise dans la prise d'images. Le général Richard Wolsztynski a souligné, sur ce point, la complémentarité entre les satellites de veille stratégique, en permettant la constitution d'une banque de données, les drones, opérationnels pour une durée supérieure aux capacités humaines et qui fournissent également des images, enfin les avions, dont l'atout majeur est constitué par une présence humaine à leur bord qui permet de rectifier ou, si besoin est, d'annuler la mission jusqu'au dernier moment ;

- plus généralement, Hélios II permettra l'utilisation de l'infrarouge qui permet une veille satellitaire plus fine ; il devra être complété ultérieurement par des satellites apportant une imagerie radar ;

- s'agissant du système de navigation Galiléo, le chef d'état-major de l'armée de l'air a souligné qu'il était principalement destiné à l'aviation civile ; ses utilisations militaires sont naturellement envisagées ;

- l'utilisation urbaine des drones, déjà opérationnelle aux Etats-Unis, permet la fourniture continue d'images qui peut être utile en matière de sécurité ;

- l'arrivée du Rafale sur la base de Saint-Dizier, où il remplacera à terme le Jaguar, requiert une mobilisation du personnel et une adaptation des infrastructures. Il est de fait que, en raison du poids de l'histoire, la majeure partie des bases aériennes françaises est concentrée dans le Nord-Est du pays. Cette concentration pourrait être progressivement modifiée. Ainsi, les deux autres bases de stationnement du Rafale seront choisies dans une autre partie du territoire ;

- une nouvelle prolongation des Transvall s'avérerait problématique et coûteuse ; si le programme A-400M se traduit par un échec, la France se tournerait vers des achats de matériels de capacités comparables ;

- l'A-400M pourrait disposer d'un fort potentiel d'exportation, en Europe, voire ailleurs dans le monde, en raison de ses qualités ;

- l'acquisition de deux Airbus A 340 vise à suppléer, en matière de capacité stratégique, l'obsolescence constatée des DC 8 ;

- le chef d'Etat-major a également situé les capacités d'exportation du Rafale prioritairement en Europe. Il a souligné que, sur l'ensemble de ce continent, volaient actuellement pas moins de 12 types différents d'avions de combat ; il était donc raisonnable d'en prévoir la réduction progressive à 4. Il ne faut cependant pas sous-estimer les capacités d'attraction que constituent les aéronefs vendus d'occasion par les Etats-Unis, notamment les F16 et les C 130 ;

- la meilleure disponibilité de l'ensemble des matériels aéronautiques, comme le succès de l'armée de l'air en Asie centrale, contribuent à relever le moral des personnels ;

- l'acquisition des missiles Scalp et Apache permettra à la France de participer à une première frappe en zone hostile. Elle entre ainsi dans un cercle très restreint des pays possédant cette capacité ;

- les drones étaient à l'origine destinés à tester les défenses ennemies, sans coût humain et avec des équipements financièrement peu exigeants ; certaines évolutions proposées par les industriels sont certes attractives mais peuvent s'avérer coûteuses pour l'utilisateur ;

- le recrutement des personnels de l'armée de l'air s'effectue dans de bonnes conditions. Une campagne ciblée de promotion va néanmoins être lancée pour certaines spécialités comme les électroniciens, les mécaniciens et les informaticiens, ou encore les fusiliers commandos de l'Air. Il faut également souligner que la région parisienne n'est guère attractive, ce qui conduira à n'y maintenir que le personnel strictement nécessaire ;

- le marché remporté, après appel d'offres, par une entreprise portugaise pour la maintenance de 14 avions C 130, suscitera sans doute quelques difficultés de transition, limitées dans le temps. De façon plus générale, l'Europe de la défense ne pourra se construire qu'avec des échanges industriels de ce type ;

- le porte-avions représente une capacité importante : ainsi la présence du Charles-de-Gaulle au large de l'Afghanistan, lors de l'opération Héraklès, a démontré que ce type de bâtiment apportait un appui indispensable à des frappes en zone éloignée du territoire national, où la mise à disposition de bases aériennes dans un Etat souverain peut demander du temps.

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Amiral Jean-Louis BATTET
Chef d'état-major de la Marine

Le jeudi 24 octobre 2002

L' amiral Jean-Louis Battet s'est félicité de l'évolution notable de la prise en compte des problèmes de défense dans les deux textes et a souligné l'espoir qu'ils suscitaient dans les forces : l'amélioration de la disponibilité et le renouvellement des matériels sont des composantes essentielles de la motivation des militaires.

Il a tout d'abord dressé un bref bilan de la loi de programmation militaire, qui vient de s'achever. Il a estimé que la professionnalisation avait pu être menée à bien, mais selon des adaptations nécessaires dans les organisations, la Marine ayant fait le choix original d'un remplacement significatif des appelés par des personnels civils.

Sur la durée de la programmation, le niveau des crédits de fonctionnement, bien que globalement satisfaisant, a affecté le fonctionnement courant.

A la suite des différents aménagements apportés à la loi de programmation, les dépenses en capital ont été revues à la baisse à hauteur de 3 milliards d'euros, soit l'équivalent d'une annuité de programmation. Le Chef d'état-major de la Marine a précisé que ces aménagements avaient conduit à un désarmement anticipé du porte-avions Foch, mais surtout à une rupture capacitaire au sein de la flotte de surface avec le retrait du service, sans remplacement immédiat, de la frégate Suffren. Il a indiqué que le désarmement du Duquesne, un temps envisagé, ne serait pas effectif avant l'admission au service des frégates Horizon, en 2006 et 2008.

Il a également évoqué le retard des programmes de l'avion de combat Rafale et des frégates Horizon, ainsi que le décalage subi par le 4 e sous-marin lanceur d'engins de nouvelle génération.

S'agissant de la loi de programmation 2003-2008, le Chef d'état-major a indiqué qu'elle reprenait les hypothèses financières ayant présidé à la définition du modèle 2015, fondées sur des calculs de coûts de possession des équipements. Le modèle 2015, tourné vers l'action extérieure des armées, se trouve confirmé : la commande d'un second porte-avions est annoncée sans préjudice du renouvellement de la flotte de surface, l'emport de missiles de croisière est prévu à terme sur tous les porteurs de la Marine, la dissuasion est confirmée et les moyens de renseignement sont renforcés. Un gros effort a également été fait sur la protection des approches maritimes.

L' amiral Jean-Louis Battet a exposé, à cet égard, les moyens mis en oeuvre par la Marine : il a indiqué que ce mouvement était antérieur aux attentats du 11 septembre 2001 et avait été notamment motivé par l'échouage, sur les côtes françaises, du cargo East Sea, avec des clandestins à bord.

Un renouvellement de doctrine a néanmoins été opéré à la suite des attentats, sous la forme d'un concept de « sauvegarde maritime », mis en oeuvre depuis la haute mer -où la marine nationale est seule présente- ainsi que dans les approches maritimes, en collaboration avec les autres administrations intéressées. Dans ce cadre, une frégate est maintenue en permanence en Méditerranée orientale, ainsi que dans les Antilles, pour la lutte contre le narco-trafic.

La mise en place d'une chaîne continue de sémaphores armés, équipés en radars et en dispositifs d'échanges de données, en coopération avec le ministère des transports, s'inscrit dans la même perspective de surveillance des approches.

Le ministère des transports crée un dispositif de surveillance pour les navires qui acceptent de s'équiper de balises. Ce dispositif pourrait intéresser d'autres nations européennes. Pour compléter ses équipements, la Marine a un projet de construction de 22 patrouilleurs destinés à la gendarmerie maritime et va compléter sa flotte d'avions de surveillance.

L' amiral Jean-Louis Battet a ensuite abordé la réforme de DCN, soutenue par la Marine. Si elle est sur le point d'aboutir, certaines incertitudes ne sont pas encore levées : paiement de la TVA, remise à niveau des installations transférées, capitalisation et sureffectifs.

Evoquant le projet de loi de finances pour 2003, le Chef d'état-major de la Marine a constaté que les crédits étaient conformes à la première annuité de programmation, avec une hausse de 9 %. Ils devraient permettre d'entamer le redressement de la disponibilité des matériels et la restauration de ses capacités.

Le titre III est correctement doté en fonctionnement puisqu'il poursuit la remontée des normes d'activité des bâtiments à 100 jours de mer et dispose de crédits d'externalisation qui permettront, à la Marine, d'utiliser pleinement ses personnels sur le coeur de métier.

S'agissant des effectifs, l' amiral Jean-Louis Battet a précisé que la Marine connaissait un sous-effectif structurel de l'ordre de 2 %, qui avait permis le maintien dans l'enveloppe indemnitaire mais qu'il convenait désormais de résorber.

La Marine ne connaît pas de difficulté de recrutement mais peine à conserver ses personnels dans certaines spécialités : les atomiciens, les informaticiens, les plongeurs-démineurs ou encore les infirmiers connaissent des déficits qui peuvent atteindre 30 %.

A cet égard, la consolidation de la professionnalisation, prévue en loi de programmation, devrait contribuer à la fidélisation de ces personnels.

Sur le titre V, qui connaît une hausse globale de 11 %, le Chef d'état-major a relevé un effort important sur les programmes, qui permettra leur évolution dans de bonnes conditions.

S'agissant de l'entretien programmé des matériels, il a précisé que la hausse de 0,45 % n'était qu'apparente et résultait de modifications de périmètre liées au changement de statut de DCN. A périmètre constant, la hausse est de 11 % et l'augmentation des autorisations de programme anticipe sur un redressement notable des crédits.

Deux postes ne sont pas couverts par le projet de loi de finances initiale et devront être budgétés en loi de finances rectificative : les crédits de paiement correspondant aux frais de TVA et les autorisations de programme nécessaires à la commande du Rafale, à hauteur de 848 M€.

En conclusion, l' amiral Jean-Louis Battet a rappelé que les marins affichaient une certaine sérénité devant la restauration des crédits.

Un débat a suivi l'exposé du Chef d'état-major.

M. André Boyer a souhaité savoir si les conditions optimales étaient désormais réunies en termes d'organisation et de moyens pour l'entretien des matériels. Il a souhaité connaître le calendrier du remplacement du bâtiment atelier Jules Verne, absent de la loi de programmation. Il s'est interrogé sur la relance de la coopération européenne et a souhaité savoir si la Marine avait recours à la formation continue pour pallier son déficit dans certaines spécialités.

M. Xavier de Villepin a évoqué l'avenir du bâtiment école Jeanne d'Arc. Il a souhaité des précisions sur la réponse de la Marine aux problèmes de terrorisme et de narco-trafic et sur les conséquences du changement de statut de DCN.

M. Serge Vinçon a souhaité connaître l'échéance de l'effectivité de la remise à niveau des équipements. Il a évoqué l'armement en missiles de croisière des frégates multimissions et a également souhaité obtenir des précisions quant au paiement de la TVA par la Marine, après la réforme de DCN.

M. Jean-Yves Autexier s'est interrogé sur la place, selon lui excessive, conférée aux opérations extérieures dans le modèle 2015 et sur la nécessité de le revoir pour une meilleure prise en compte de la menace terroriste.

M. Christian de La Malène a souhaité recueillir des précisions sur la définition et le calendrier du second porte-avions.

M. André Dulait, président , s'est interrogé sur les possibilités de coopération avec l'Espagne pour la protection des approches maritimes. Revenant sur la question des personnels, il a évoqué la place du personnel civil et les perspectives de la réserve opérationnelle dans la Marine.

Le Chef d'état-major de la marine a apporté aux commissaires les précisions suivantes :

- la situation actuelle de l'entretien des matériels n'est pas satisfaisante, mais elle est en voie de redressement. L'année 2002 a été une mauvaise année pour la consommation de rechanges -principalement due à une forte consommation pendant l'opération Héraklès- tandis que la fonction « achat » souffrait d'un déficit en personnel. Le code des marchés publics constitue une difficulté supplémentaire. Les rechanges sont la clé de la disponibilité des matériels. La reprise de la gestion des rechanges s'achève mais ne sera véritablement optimale qu'avec l'arrivée de systèmes de gestion informatisés des pièces, prévue pour la fin 2003 ;

- le bâtiment atelier Jules Verne a été une des clés de l'opération Héraclès. Son remplacement n'est pas actuellement une priorité, le retrait du service actif étant prévu en 2012 ;

- la coopération européenne en matière de défense progresse lentement. Toutefois, le premier déploiement opérationnel d'Euromarfor est prévu en Méditerranée orientale pour la lutte antiterroriste. Il pourrait être complété par une relève des Allemands dans la Corne de l'Afrique. L'amiral Jean-Louis Battet s'est déclaré favorable à l'élargissement d'Euromarfor à d'autres marines européennes ;

- l'accélération des recrutements d'officiers par l'utilisation de contrats courts, ainsi que l'augmentation du nombre des engagés de longue durée constituent des premières réponses au déficit, mais le remplacement de personnels formés ne peut être immédiat ;

- la prolongation de la Jeanne d'Arc fait l'objet d'études, compte tenu de son âge. L'alternative serait dans l'utilisation d'autres frégates ou dans une coopération européenne avec l'Allemagne et le Royaume-Uni, qui pourraient être intéressés par ce type de formation ;

- s'agissant de la lutte contre le terrorisme, le risque en escale, traité comme un risque militaire, conduit à réduire le nombre des escales et à renforcer la protection des bâtiments. Des dispositifs ont été mis en oeuvre pour le renforcement de la sécurité dans le port de Toulon, en particulier autour du porte-avions Charles de Gaulle ;

- DCN, devenue société de droit privé, n'appelle pas le même type de relations et il est acquis que le paiement de la TVA ne sera pas prélevé sur le budget de la défense. L'Etat devra être représenté au conseil d'administration pour exercer sa fonction de surveillance ;

- le modèle 2015 ne devrait pas subir de notable remise en cause, mais plutôt des aménagements et des dispositions complémentaires, relatives à la protection des approches et du trafic maritime ;

- la propulsion du 2 e porte-avions fait actuellement l'objet de débats. Trois études sont en cours sur les différentes hypothèses : un porte-avions à propulsion nucléaire, sistership du Charles de Gaulle ou à propulsion classique avec les Britanniques ou sur une base nationale. Une décision doit intervenir en juin 2003. Le calendrier prévu est une admission au service actif en 2013/2014.

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Général Henri BENTEGEAT
Chef d'état-major des Armées

Le jeudi 31 octobre 2002

Le général Henri Bentegeat a tout d'abord rappelé que le gouvernement avait décidé d'accomplir un effort significatif en matière de défense à travers le projet de loi de programmation militaire pour les années 2003-2008, afin de faire face à un environnement de sécurité complexe et tendu, marqué par la multiplication des attentats terroristes, la menace d'un conflit en Irak, la persistance de crises en Afghanistan et en Afrique et un engagement important de nos forces dans les Balkans. Dans ce contexte, le projet de loi de programmation va permettre le retour au niveau financier prévu pour atteindre le modèle d'armée 2015. Celui-ci, défini en 1996, reste la référence indispensable des armées pour mener à bien les programmes d'équipement dont la durée de vie excède une quinzaine d'années.

Ce modèle a toutefois été amendé pour tenir compte des enseignements des conflits récents et des besoins spécifiques de la lutte contre le terrorisme. Ainsi, les forces spéciales vont voir leurs moyens de transmission et de transport renforcés grâce, notamment, à l'acquisition de dix hélicoptères Cougar MK 2. Un effort particulier sera entrepris en matière de protection contre les menaces nucléaires bactériologiques et chimiques (NBC), l'objectif étant d'assurer la protection, en 2008, d'une force de 15.000 hommes et de dix sites particuliers.

En matière de sécurité intérieure, la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LOPSI) a dégagé un milliard d'euros de crédits d'équipement supplémentaires et créé 7.000 postes au profit de la gendarmerie. Enfin, les capacités de renseignements satellitaires et électromagnétiques seront renforcés, tandis que l'armée de l'air et la marine seront dotées du missile de croisière Scalp, qui pourra être aussi bien tiré à partir d'avions Rafale qu'à partir de plates-formes navales, dans une version adaptée.

Le projet de loi de programmation militaire a pour objectif principal de rétablir la capacité de la France à exercer ses responsabilités en Europe et dans le monde en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU. Trois priorités ont donc été dégagées par le Chef de l'Etat.

La première, a indiqué le chef d'état-major des armées, est la restauration de la disponibilité des équipements afin de rétablir la crédibilité des forces et le moral des armées. La réalisation de cet objectif nécessite l'accroissement des crédits d'entretien programmé des matériels (EPM), qui passeront d'une moyenne annuelle de 2,16 milliards d'euros sur les cinq dernières années à 2,4 milliards d'euros entre 2003 et 2008. Une réforme des procédures et des structures d'entretien, à travers une plus grande interarmisation et une plus grande synergie entre les industriels et les armées, est également nécessaire.

La seconde priorité est la modernisation des systèmes d'armes contribuant aux quatre fonctions stratégiques que sont la dissuasion, la prévention, la projection-action et la protection. En matière de dissuasion, le projet de loi de programmation permet la construction des deux derniers sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de nouvelle génération (SNLE-NG), la poursuite du programme de missiles M51, dont l'entrée en service est prévue en 2010, du programme de missile air-sol moyenne portée amélioré (ASMP-A) et du programme de simulation dont le général Henri Bentegeat a souligné l'importance. En matière de prévention, le chef d'état-major des armées a indiqué qu'un effort serait fait pour le renseignement à travers des programmes nationaux de satellites (Hélios II) et de coopération avec l'Allemagne et l'Italie, la construction d'un nouveau bâtiment d'écoute et la livraison à l'armée de l'air de nouvelles nacelles de reconnaissance. Pour la fonction de projection-action, les principaux programmes sont la construction d'un second porte-avions, la livraison de deux bâtiments de projection et de commandement (BPC), la commande d'avions A400M, la rénovation des ravitailleurs en vol et d'une partie du parc des Cougar et Puma, la commande et la livraison d'hélicoptères NH 90 pour la marine. Les capacités de frappe dans la profondeur seront améliorées grâce à la livraison à l'armée de l'air du premier escadron de Rafale en 2006 et du programme visant à doter les forces françaises de moyens de frappe de précision tout temps, de jour comme de nuit (Armement Air-Sol Modulaire). Des moyens nouveaux seront également mis en oeuvre dans le domaine du commandement et des communications, afin que la France puisse remplir son rôle de nation-cadre d'une force européenne ou multinationale. Des moyens nouveaux de détection des frappes biologiques et chimiques, une capacité anti-missile de théâtre et la livraison du véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI) à l'armée de terre viendront améliorer la protection des forces. Enfin, la loi de programmation pour les années 2003-2008 verra le redressement des crédits d'études amont.

La loi de programmation militaire permettra en outre de consolider la professionnalisation. Elle effectue un ajustement des effectifs des armées. 7.000 postes de militaires sont créés dans la gendarmerie, 2.500 postes d'engagés contre la suppression de postes de volontaires dans l'armée de terre et 570 (220 médecins et 350 infirmiers) au profit du service de santé des armées. La réserve se voit dotée d'importants moyens nouveaux avec 86 millions d'euros, l'objectif étant un effectif de 82.000 réservistes en 2008. Un fonds de consolidation de la professionnalisation sera mis en place afin de renforcer l'attractivité, par rapport au secteur civil, de certaines spécialités, et de fidéliser les personnels engagés. Enfin, la loi de programmation intègre des objectifs d'entraînement des forces alignés sur les pratiques des armées étrangères les plus modernes.

Le général Henri Bentegeat a estimé que le projet de loi de programmation militaire pour les années 2003-2008 marquait un effort sensible de la nation en faveur des armées, consolidant la position de la France. Ce projet de loi, même s'il est très favorable, ne permettra pas toutefois de rattraper tous les retards, notamment en matière de projection aérienne et maritime.

Evoquant les crédits de la défense inscrits au projet de loi de finances pour 2003, le général Henri Bentegeat a constaté leur stricte conformité à la première annuité de la programmation. Il a estimé cette conformité indispensable au rétablissement de la confiance au sein des armées. Le malaise récemment constaté trouvait en effet pour partie son origine dans une perte de confiance devant le « décrochage » budgétaire qui a notamment induit un effondrement de la disponibilité des matériels.

Le chef d'état-major des armées a relevé les augmentations du titre III à hauteur de 4,7 % et du titre V, de 10,6 %, en précisant que le niveau atteint était celui de la précédente programmation, une fois intégrée la revue des programmes. La loi de finances pour 2003 constitue une première étape qui devra être confirmée.

Il a estimé que les dotations du titre III étaient satisfaisantes. Le taux de renouvellement des engagements est actuellement de 75 %, ce taux étant fonction de la conjoncture et de l'efficacité de la reconversion. La part des rémunérations et charges sociales est stabilisée à 80 % du titre III, les 20 % restants étant consacrés à l'activité des armées, avec un objectif de 100 jours de sortie pour la marine et l'armée de terre. Le général Bentegeat a également souligné l'effort sur les crédits d'externalisation qui atteindront 40 millions d'euros en 2003.

Le titre V donne la priorité à la restauration de la disponibilité des équipements, avec un objectif de 75 % ; il permet également des commandes importantes, notamment l'achat d'avions Rafale et du missile MICA, ainsi que le développement du missile M 51.

Le chef d'état-major des armées a indiqué par ailleurs que 36.700 hommes étaient déployés hors de la France métropolitaine, dont 15.500 dans les DOM-TOM, 5.900 prépositionnés en Afrique et 14.000 en opérations extérieures dont 8.400 dans les Balkans. Pour 2003, le coût prévisionnel des opérations extérieures s'élevait à 670 millions d'euros. Sur les dix dernières années, ce montant s'établit en moyenne annuelle à 620 millions d'euros.

Evoquant la Côte d'Ivoire, le général Henri Bentegeat a qualifié la situation de préoccupante. L'issue des négociations, qui se tiennent à Lomé, est incertaine. Le rôle provisoire assigné aux forces françaises est la surveillance du cessez-le-feu conclu entre les deux parties. Une relève par la CEDEAO ne paraît pas imminente compte tenu des modalités de mise en place de la force. Dans l'hypothèse d'une relance des combats, la mission des forces françaises serait recentrée sur la stricte protection de nos ressortissants.

En République centrafricaine, les forces loyalistes ont repris le contrôle de la plus grande partie de la capitale, mais le recours à des éléments venus du Congo pose d'ores et déjà des difficultés, et des pillages ont été constatés. La France pourrait faire intervenir des forces prépositionnées au Gabon, dans le cas où une menace pèserait sur nos compatriotes.

En conclusion, le général Henri Bentegeat a rappelé qu'avec le projet de loi de programmation militaire, un effort très important avait été consenti par la nation au profit des armées. La réalisation du modèle 2015 dépendra de l'exécution fidèle des engagements pris ; en contrepartie, les armées devront faire preuve d'un effort accru de rigueur dans la gestion des crédits. L'ensemble permettra de disposer de forces modernes, efficaces et respectées à l'extérieur.

A la suite de l'exposé du chef d'état-major des armées, un débat s'est engagé avec les membres de la commission.

M. Serge Vinçon a demandé des précisions sur la capacité actuelle de la France à assumer le rôle de nation-cadre pour des opérations multinationales. Il s'est interrogé sur la mise en oeuvre de la politique européenne de sécurité et de défense, et en particulier la possibilité, pour l'Union européenne, de prendre la relève de l'OTAN en Macédoine. Il a souligné la nécessité de mieux mettre en valeur les résultats d'ores et déjà obtenus par le programme de simulation nucléaire. Il a souhaité savoir si la coopération européenne en matière spatiale allait se concrétiser, et si elle pourrait porter sur des domaines nouveaux, tels que l'alerte avancée en vue de la détection des tirs de missiles balistiques. Enfin, il a fait part des incertitudes actuelles sur la création d'une structure interarmées de maintenance pour les matériels terrestres.

M. Xavier de Villepin a souhaité recueillir le sentiment du chef d'état-major des armées sur l'évolution de la politique européenne de sécurité et de défense, qui semble connaître un certain essoufflement. Il s'est interrogé sur la concurrence éventuelle entre la force de réaction rapide de l'Union européenne et celle que les Etats-Unis proposent de créer dans le cadre de l'Alliance atlantique. S'agissant des opérations extérieures, il a demandé si elles continueraient à être financées par prélèvement sur le budget courant de la défense. Il a évoqué les dernières évolutions du dossier de l'avion de transport A 400 M. Enfin, il a demandé si les troupes françaises en Côte d'Ivoire verraient leurs effectifs diminuer dans l'hypothèse d'une intervention de forces des pays de la Communauté économique des Etats d'Afrique occidentale (CEDEAO).

M. Guy Penne a observé la relative lenteur avec laquelle semble se préparer une éventuelle relève par la CEDEAO en Côte d'Ivoire. Il a souligné la situation délicate dans laquelle se trouvait la France, compte tenu de l'évolution de la situation sur le terrain. Plus généralement, et notamment au vu des événements en République centrafricaine, il a souligné les difficultés à garantir la sécurité de nos ressortissants en Afrique tout en veillant à ne pas opter pour le soutien des régimes en place.

M. Robert Del Picchia a demandé des précisions sur la prise en charge des coûts de personnel et d'équipement de la force de la CEDEAO en Côte d'Ivoire. Il a par ailleurs souhaité savoir si nos services de renseignement ne disposaient pas d'informations laissant présager le soulèvement d'une partie de l'armée ivoirienne. Enfin, il s'est interrogé sur la présence d'éléments libyens en République centrafricaine.

M. Philippe François a interrogé le chef d'état-major des armées sur les perspectives de rénovation du missile Exocet. Il lui a par ailleurs demandé son sentiment sur le passage des forces de gendarmerie sous la tutelle du ministère de l'intérieur.

À la suite de ces interventions, le général Henri Bentégeat , chef d'état-major des armées , a apporté les précisions suivantes :

- nos forces prépositionnées en Côte d'Ivoire, qui sont constituées par les 450 hommes du 43e Bataillon d'infanterie de Marine, ont été renforcées, à la suite de la crise actuelle, et atteignent désormais 1.600 hommes ; ce niveau d'engagement a vocation à diminuer dès que la situation le permettra ;

- en Côte d'Ivoire comme dans beaucoup d'autres pays d'Afrique, nos services de renseignement recueillent régulièrement des informations sur des projets de coup d'Etat, sans pour autant que l'on puisse anticiper avec certitude la probabilité de réalisation et son échéance éventuelle ; en l'occurrence, le fait que le soulèvement armé provienne d'une partie de l'armée ivoirienne et que l'on ne dispose d'aucune certitude sur une éventuelle intervention étrangère, ne permettait pas de mettre en oeuvre les accords de défense et d'agir contre les mutins ;

- la France, dans le cadre du dispositif de renforcement de capacités africaines de maintien de la paix (RECAMP), s'est déclarée disposée à prendre en charge les frais de personnels et l'équipement d'un bataillon au profit de la force de la CEDEAO en Côte d'Ivoire ;

- entre 200 et 300 militaires libyens sont présents en République centrafricaine, mais seront prochainement retirés, un accord ayant été obtenu pour l'envoi d'une force de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC) dirigée par le Gabon ;

- les difficultés de la mise en oeuvre pratique de la politique européenne de sécurité et de défense et le rapprochement entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont contribué à un réel sentiment d'essoufflement de l'esprit de Saint-Malo ; pour autant, il ne faut pas négliger les progrès accomplis, en particulier la création des institutions et des procédures permettant à l'Union européenne de décider d'une opération et d'en assurer le contrôle politique ; par ailleurs, en dépit de certaines lacunes, la constitution d'une capacité européenne d'action militaire est en cours, avec pour objectif d'être opérationnelle en 2003 ;

- la création, au ministère de la défense, d'un centre de planification et de conduite d'opérations (CPCO) traduit la volonté de la France de pouvoir assumer le rôle de nation-cadre pour des opérations multinationales ; ce centre permettra d'assurer le commandement stratégique d'opération pour une force du niveau brigade en 2003, du niveau division en 2005 et du niveau corps d'armée en 2007 ; il s'agira d'un poste de commandement « multinationalisable », capable d'accueillir jusqu'à 400 officiers français et européens ; son équipement reposera sur des systèmes d'information et de commandement permettant de diriger une opération multinationale depuis Paris, conformément aux engagements pris pour la constitution des capacités européennes ;

- le projet de force de réaction rapide de l'OTAN, qui pourrait ne se limiter qu'à des unités européennes, ne doit pas handicaper la mise en place de la force de réaction européenne ; les deux forces ne sont pas concurrentes, car elles reposent sur un même réservoir d'unités ; nous veillerons à la compatibilité des deux démarches ;

- il n'est pas prévu d'acquérir d'ici 2008 une capacité spatiale d'alerte, mais le projet de loi de programmation prévoit le financement d'études-amont dans le cadre du programme de défense antimissiles de théâtre ; il serait nécessaire de développer cette capacité en coopération européenne, en se rapprochant notamment des allemands et des italiens ;

- l'opportunité de la création d'une structure interarmées de maintenance des matériels terrestres (SIMMT) fait actuellement l'objet d'une étude d'évaluation ;

- depuis 10 ans, le poids financier des opérations extérieures représente environ 620 millions d'euros par an, principalement financés en loi de finances rectificative par prélèvement sur les crédits d'équipement de la défense ; un groupe de travail commun au contrôle général des armées et à l'inspection générale des finances doit remettre l'an prochain ses conclusions en vue d'améliorer le mode de financement des opérations extérieures, par exemple par un meilleur provisionnement en loi de finances initiale ; d'autres améliorations pourraient être permises dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances ;

- l'équilibre économique du programme d'avion de transport A400 M exigerait une commande minimale de 60 appareils par l'Allemagne ; toutefois, ce seuil ne tient pas compte de commandes nouvelles provenant de pays qui ne sont pas actuellement partie au programme ; l'Italie n'exclut pas de se rallier au programme à partir de 2006 et des pays non-européens, comme le Canada, marquent leur intérêt pour cet avion ; il est donc possible de rester raisonnablement optimiste, pour autant que le Royaume-Uni accepte d'attendre la décision définitive de l'Allemagne sur ce dossier ;

- le projet de loi de programmation permet la rénovation des trois composantes de la famille Exocet : air-air, sol-mer et mer-mer. Pour cette dernière version (MM40), des négociations sont en cours avec l'industriel pour un éventuel changement de mode de propulsion, qui en augmenterait la portée ;

- le passage de la gendarmerie sous l'autorité du ministère de l'intérieur, pour les missions de sécurité intérieure, répondait à une nécessité et s'effectue dans des conditions satisfaisantes ; il reste à observer comment évoluera la question du statut militaire de la gendarmerie ; il n'y a pas en cette matière de voie moyenne, qui consisterait à conserver certains aspects du statut militaire et à en écarter d'autres ; le statut militaire, fondé sur les exigences de discipline et de disponibilité, forme un tout indissociable qu'il faut préserver.

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M. François HEISBOURG
Directeur de la Fondation pour la recherche stratégique

Le mercredi 6 novembre 2002

M. François Heisbourg a tout d'abord exprimé sa satisfaction sur le contexte renouvelé dans lequel s'inscrit son intervention sur le projet de loi de programmation militaire. Il a estimé que, sur le plan stratégique, l'innovation apportée par la loi de programmation militaire était plus importante qu'il n'y paraissait.

Reprenant les différentes fonctions stratégiques énumérées par la loi de programmation, dissuasion, prévention, projection et protection, il a considéré que le contenu du volet « prévention » constituait un apport substantiel. Bien que différente du concept américain qui inclut notamment l'idée de frappes préventives, la conception française de la prévention résulte directement des événements du 11 septembre. Cette fonction stratégique spécifique, qui comprend le développement de capacités de veille et d'alerte précoce, ainsi que de renseignement a été identifiée comme une réponse à la menace émanant de groupes non-étatiques. Elle constitue une actualisation du Livre blanc de 1994, qui évoquait le terrorisme sans y apporter le même type de réponse.

La nouvelle loi de programmation militaire résulte tant des événements du 11 septembre que du constat d'un décalage croissant entre les efforts de défense français d'une part, et britanniques d'autre part : 37 milliards d'euros ont été consacrés à la défense par le Royaume-Uni contre 25,5, hors gendarmerie, par la France sur la dernière période de programmation.

La réforme des armées, combinée à la multiplication des opérations extérieures avec un budget inchangé, a conduit à la dégradation de la disponibilité des matériels. La loi de programmation militaire, donnant une priorité claire au maintien en condition opérationnelle des forces, apporte des réponses satisfaisantes à une question urgente. Le niveau des crédits consacrés au titre V, de l'ordre de 15 milliards d'euros par an, constitue également un motif de satisfaction.

Certaines interrogations subsistent cependant. L'exécution budgétaire et la nécessité de réaliser des dépenses en temps et en heure sont une première source d'incertitude. M. François Heisbourg a estimé qu'en l'absence de refonte du Livre blanc de 1994, la loi de programmation ne posait pas suffisamment la question de l'arbitrage entre les différents types d'opérations que la France peut mener. Prenant l'exemple de l'Afghanistan, il a indiqué que, seule, la France menait à la fois des opérations militaires, de maintien de la paix dans le cadre de l'ISAF et de formation de la nouvelle armée. De ce point de vue, les Britanniques établissent une hiérarchie plus nette dans leurs priorités. Il a considéré que ce choix devait être mis en rapport avec la logique de fonctionnement d'une armée professionnelle. Si elle fait l'objet de sollicitations trop nombreuses, des tensions sur le recrutement risquent d'être observées à terme.

La loi de programmation militaire n'aborde pas non plus la question de la convergence entre sécurité extérieure et sécurité intérieure. La mise en place de conseils de sécurité intérieure, au même niveau que les conseils de défense, constitue un début de mise en cohérence.

M. François Heisbourg a conclu sur la question de l'européanisation de notre défense dans un contexte de retrait britannique et de restriction budgétaire en Allemagne.

Un débat s'est ensuite instauré avec les commissaires.

M. Xavier de Villepin a souhaité savoir si le niveau de l'effort français en matière de recherche et développement ainsi que dans le domaine de l'espace était suffisant, alors que l'on observe une augmentation très forte de la dépense américaine dans ces domaines. Il a par ailleurs souhaité connaître l'opinion de M. François Heisbourg sur les évolutions de l'OTAN et de la défense européenne.

M. Hubert Durand-Chastel s'est interrogé sur l'impact économique, notamment en termes d'emploi, de la recherche en matière de défense. Il a considéré que cet impact pouvait constituer une incitation pour certains pays neutres à investir davantage dans le secteur militaire.

M. Serge Vinçon a sollicité l'opinion de M. François Heisbourg sur l'évolution attendue de l'attitude des Etas-Unis par rapport à l'OTAN. S'agissant des efforts comparés de défense, il s'est interrogé sur la sortie des crédits correspondants des critères du pacte de stabilité. Il a enfin souhaité des éléments de précision sur le rôle de la dissuasion nucléaire dans le contexte stratégique actuel.

M. Jean-Pierre Masseret a souhaité connaître les moyens de réponse dont dispose notre pays face aux menaces bactériologiques et chimiques. Il s'est interrogé sur les rôles respectifs de la défense européenne et de l'OTAN, dans un contexte où le champ d'intervention de cette dernière pourrait être élargi.

M. Christian de La Malène, partageant l'opinion de M. François Heisbourg selon laquelle la France ne peut prétendre assigner un champ trop vaste aux missions de ses forces armées, lui a demandé si, de son point de vue, le projet de loi de programmation militaire opérait, à ce sujet, des choix suffisamment clairs. Il s'est notamment interrogé sur la fréquence et l'importance des opérations extérieures auxquelles la France prenait part, et sur les retombées de nos efforts en faveur du développement de capacités militaires européennes de gestion de crise, compte tenu des difficultés de la politique européenne de sécurité et de défense.

Mme Hélène Luc a demandé des précisions sur le rôle futur de l'OTAN et sur la place que lui réserveraient les Etats-Unis. Elle s'est inquiétée de la relative faiblesse des crédits consacrés au renseignement. Elle a souligné la nécessité, pour la France, de s'engager davantage dans la reconstruction de l'Afghanistan, en particulier en matière d'équipements scolaires et sanitaires.

M. Robert Del Picchia a évoqué les incertitudes pesant sur l'étendue exacte des missions dites « de Petersberg » que devrait assumer l'Union européenne. Il a souligné que certains de nos partenaires ne souhaitaient pas aller au-delà de missions de maintien de la paix et n'envisageaient pas de missions de rétablissement de la paix. Il a par ailleurs interrogé M. François Heisbourg sur les perspectives d'intervention militaire américaine en Irak.

Mme Josette Durrieu a évoqué l'évolution du dossier de l'avion de transport A 400 M et la situation en Macédoine à l'approche de la fin de la mission de l'OTAN.

Mme Maryse Bergé-Lavigne a souhaité des précisions sur la nature du parti qualifié d'islamiste modéré qui vient de remporter les élections turques. Elle s'est demandé dans quelle mesure l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne pouvait constituer un moyen de rapprocher les civilisations et les cultures.

M. Pierre Biarnès, évoquant l'Irak, a déploré que la communauté internationale ne soit pas suffisamment déterminée à faire appliquer les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies au Proche-Orient. Il a souligné qu'Israël possédait des armes de destruction massive, notamment nucléaires.

M. André Dulait, président, a souhaité connaître l'opinion de M. François Heisbourg sur l'efficacité de l'organisation de nos services de renseignement. Il a par ailleurs demandé comment la Convention sur l'avenir de l'Europe prendrait en compte les questions de défense. Il s'est enfin interrogé sur l'adaptation de notre politique nucléaire militaire au nouveau contexte international.

En réponse à ces différentes interventions, M. François Heisbourg a apporté les précisions suivantes :

- la recherche et le développement constituent les domaines qui ont été les plus affectés, ces dernières années, par la réduction du budget de défense français, alors qu'ils ont au contraire été constamment préservés aux Etats-Unis, quel que soit le contexte budgétaire ; l'effort consacré par la France en la matière ne représente plus qu'environ la moitié du niveau atteint au début des années 1990 ; par ailleurs, la délégation générale pour l'armement a renoncé, à partir de 1997, à conduire elle-même des recherches-amont ;

- à la différence des dernières décennies, c'est désormais en grande partie la recherche civile qui « tire » la recherche militaire, car les cycles technologiques sont beaucoup plus courts que les cycles d'acquisition des armements ; il est donc nécessaire de réduire la durée de ces cycles d'acquisition d'équipements militaires afin de bénéficier davantage des retombées de la recherche civile ;

- le renforcement des programmes spatiaux militaires est, pour la France, une nécessité ; il est heureux à cet égard que le projet de loi de programmation militaire, même s'il demeure discret sur le sujet, prévoie des études sur la mise au point de systèmes d'alerte satellitaires, indispensables à la détection et à la localisation des tirs de missiles balistiques ;

- les Etats-Unis continuent à accorder une grande importance politique à l'OTAN, mais considèrent qu'avec la disparition de la menace soviétique, son intérêt militaire s'est considérablement réduit ; de fait, 92% de la structure des forces américaines n'est pas rattachée pour emploi à l'OTAN et fonctionne selon des procédures et des standards différents de ceux de l'Alliance atlantique, ce qui crée des difficultés pour nos forces lorsqu'elles sont appelées, comme en Afghanistan, à opérer avec des unités ne relevant pas du commandement américain en Europe ; cette évolution laisse présager un déclin de l'OTAN en tant qu'organisation de défense collective ;

- la proposition américaine de force de réaction rapide au sein de l'OTAN, davantage soutenue par la Maison Blanche que par le Pentagone, présente un intérêt militaire réduit ; son effectif sera minime, sa capacité à être très rapidement engagée est incertaine, notamment dans une Alliance élargie ; elle permettra cependant de promouvoir l'interopérabilité entre les différentes armées y prenant part ;

- la force européenne de réaction rapide, telle qu'elle a été définie à Helsinki par le Conseil européen, ne paraît pas en mesure de pouvoir mener des actions de projection de vive force ; insuffisamment ambitieux, si l'on considère que l'Europe doit pouvoir conduire des opérations de guerre loin de ses frontières, le projet est en revanche sur-dimensionné s'il ne s'agit que de mener des opérations de maintien de la paix comme celles actuellement en cours en Bosnie-Herzégovine ;

- l'institut d'étude et de sécurité de l'Union européenne travaille actuellement à la rédaction d'un livre européen sur la défense ; la question se pose, dans ce cadre, de savoir si l'Europe de la défense doit se limiter aux missions de Petersberg ;

- la Convention sur l'avenir de l'Europe aura également à s'intéresser aux développements de la politique européenne de sécurité et de défense ; on peut par exemple se demander si, comme la Constitution française, la future Constitution européenne comportera une disposition relative à l'intégrité territoriale de l'Union européenne ;

- la France est aujourd'hui mieux préparée à la lutte contre le risque chimique qu'à celle contre le risque biologique ; une implication plus forte des institutions européennes est nécessaire dans ce domaine ; il est également indispensable de procéder à des exercices sur le terrain, comme l'exercice Eurotox récemment organisé à Canjuers, mais également à des exercices de gestion de crise par l'échelon politique, comme l'on fait les Etats-Unis au printemps 2001 en testant les lacunes de leur appareil de décision face à la propagation du virus de la variole ;

- la part de la dissuasion nucléaire représente actuellement environ 20% des crédits d'équipement de la défense, ce qui est supérieur à ce que l'on constate aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni ; il n'est donc pas illégitime de se demander s'il serait possible, tout en préservant la dissuasion, ce qui demeure indispensable, de réduire l'effort financier qui lui est consacré ; on peut regretter qu'un débat plus ouvert ne se soit pas produit sur la nécessité de construire un 4e sous-marin nucléaire lanceur d'engins de nouvelle génération, ou d'engager le programme de missile air-sol moyenne portée amélioré (ASMP/A) ;

- il est en revanche important d'envisager, pour la crédibilité même de notre dissuasion, une capacité de détection et d'alerte ; la prolifération des missiles balistiques et des armes de destruction massive rend indispensable la capacité de détection et d'identification d'un éventuel agresseur ; un tel système, d'un coût évalué entre 400 et 500 millions d'euros, est à la portée du budget de défense français ;

- s'agissant de l'avion de transport A 400 M, il aurait été préférable que l'Allemagne indique clairement, dès le départ, le nombre d'appareils qui lui étaient réellement nécessaires ;

- le parti de la justice et du développement (AKP) de M. Erdogan, qui vient de remporter les élections législatives en Turquie, représente effectivement une ligne modérée et ne saurait en aucun cas être mis sur le même plan que le FIS algérien ; certains ont pu, à juste titre, parler d'une version musulmane de la démocratie chrétienne, telle que nous la connaissons en Europe ;

- les Européens ont fait preuve d'une grande inconséquence dans leur attitude vis-à-vis de la Turquie depuis plusieurs années ; cette dernière peut à bon droit évoquer les engagements clairs, énoncés notamment lors du Conseil européen d'Helsinki en 1999, sur sa vocation à intégrer l'Union européenne ; il est regrettable de constater sur ce point un profond décalage entre les déclarations officielles de l'Union européenne et le sentiment réel des différentes capitales ;

- la diplomatie française aura montré, dans la gestion du dossier irakien aux Nations unies, de grandes qualités d'efficacité et de professionnalisme ; si un compromis était trouvé autour d'une résolution acceptable par la France, cette dernière serait bien entendu liée par ce compromis et devrait en conséquence participer à une éventuelle opération militaire en cas de non-respect par l'Irak de ses obligations ; une participation française devrait en revanche être exclue si une action américaine intervenait en dehors des résolutions du Conseil de sécurité ;

- les attentats dont la France a été victime au cours des vingt dernières années l'ont incitée à mettre en place une bonne coordination des services de renseignement ; celle-ci peut être aujourd'hui jugée efficace ;

- Israël a commencé à développer un programme nucléaire, bien avant la conclusion du traité de non-prolifération (TNP) ; cet Etat n'a d'ailleurs pas signé ce traité et n'est donc pas en contradiction avec ses engagements internationaux, contrairement à l'Irak et à la Corée du Nord ; en ce qui concerne les résolutions du Conseil de sécurité sur le Proche-Orient, elles s'adressent à la partie israélienne comme à la partie palestinienne et ne sont pas fondées, à la différence des résolutions concernant l'Irak, sur le chapitre VII de la Charte des Nations unies relatif aux menaces contre la paix et au recours éventuel à la force par l'ONU.

Enfin, répondant à une question de M. Xavier de Villepin, M. François Heisbourg a évoqué les conditions dans lesquelles a été révélée l'existence d'un programme nucléaire nord-coréen. Il a souligné que la situation ainsi créée ne pouvait être comparée à celle de l'Irak, car il ne s'agissait pas de l'acquisition potentielle de la capacité nucléaire, mais de sa possession, ce qui, entre autres raisons, excluait toute option militaire. Il a reconnu la relative modération des réactions internationales, en particulier aux Etats-Unis et au Japon, ce dernier pays étant soumis à d'intenses pressions de Pyongyang pour normaliser, dans un sens très favorable à la Corée du Nord, les relations bilatérales. Il a jugé que la révélation du programme nucléaire nord-coréen ne rendait que plus inquiétants les soupçons de transferts de technologies vers des pays proliférants, comme l'Iran ou la Libye.

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M. Denis RANQUE
Président-directeur général de Thales

Le jeudi 7 novembre 2002

M. Denis Ranque a tout d'abord présenté les trois métiers principaux de la société Thales : les systèmes électroniques de défense, qui concourent à 50 % du chiffre d'affaires global, les systèmes aéronautiques, tant civils que militaires, et enfin les technologies de l'information et les services dans le secteur des transactions, de la sécurité et du positionnement.

Puis M. Denis Ranque a présenté l'évolution récente de sa société, dont 50 % des effectifs sont aujourd'hui basés à l'étranger, pour répondre aux impératifs d'une stratégie dite « multidomestique », qui vise à répondre à un double défi : d'une part, la mondialisation du marché et d'autre part, la nécessité de maintenir des protections nationales dans des domaines aussi sensibles, liées à la sécurité, la souveraineté ou le contrôle des exportations.

Cette stratégie multidomestique donne de bons résultats. La société Thales est aujourd'hui le premier fournisseur de la Délégation générale pour l'armement en France, le deuxième fournisseur en Grande-Bretagne, et elle est également présente dans de nombreux autres pays, dont l'Australie et la Corée du sud. Ce succès est largement dû à la stratégie de Thales, qui vise à impliquer les économies des différents pays partenaires dans les retombées économiques des dépenses d'armement. Prenant l'exemple de l'Australie, M. Denis Ranque a souligné que le partenariat avec Thales avait permis à ce pays le développement, sur son sol, de plusieurs industries qui exportent dans la zone Pacifique. Ce concept multidomestique innovant a permis une croissance de l'activité de la société, notamment en matière de défense et ceci dès 1997, alors que les crédits militaires français étaient en réduction. Au total, le marché français représente aujourd'hui 15 % des ventes en matière militaire, et les activités ont été développées dans plusieurs autres pays européens.

Puis M. Denis Ranque a mis en exergue les domaines dans lesquels sa société exerçait une prééminence sur le plan mondial, immédiatement derrière certaines sociétés américaines. Ces domaines sont les systèmes navals et aéronautiques, l'optronique, ainsi que les systèmes de communication - commandement et de défense aérienne.

Abordant ensuite le contenu de la loi de programmation militaire 2003-2008, M. Denis Ranque a salué la rupture qu'elle opérait avec la période antérieure. Cette rupture est d'autant plus opportune que l'après guerre froide a été marquée par une décroissance générale des budgets militaires, alors même que les incertitudes internationales réclamaient de nouvelles modalités d'emploi des forces. Il a ainsi repris la comparaison entre les dépenses consacrées à la défense par les quinze pays membres de l'Union européenne qui, au total, n'avoisinent que la moitié des dépenses consacrées par les Etats-Unis à leur équipement militaire, l'effort européen de recherche et développement ne dépassant pas le quart de l'effort consenti en la matière outre-atlantique. La deuxième dérive que la loi de programmation militaire vise à interrompre tient à la disponibilité opérationnelle des équipements des forces armées qui, faute de crédits dans la période antérieure, a chu de façon considérable aboutissant à l'immobilisation d'un nombre croissant de matériels. Enfin, a-t-il estimé, cette loi de programmation permettra à la France de restaurer une prééminence en Europe qui lui était contestée par la Grande-Bretagne, pays qui a su maintenir de façon constante son effort de défense.

Au total, M. Denis Ranque a jugé que cette loi de programmation était une bonne initiative tant pour les industries de la défense que pour les citoyens. Il a cependant assorti ses propos optimistes d'une restriction portant sur la nécessité que cette loi, à la différence des précédentes lois de programmation militaire, soit effectivement et pleinement appliquée. Dans le cas contraire, le phénomène de sous-équipement persisterait avec, comme conséquence négative, un renchérissement des différents programmes d'armement, comme cela a été malheureusement le cas notamment pour le Rafale. En effet, les amputations budgétaires successives qui ont affecté ce programme ont conduit à majorer considérablement son coût de développement, ainsi qu'à affecter ses possibilités d'exportation. Si cet exemple démontre les nombreuses conséquences perverses des annulations budgétaires successives, M. Denis Ranque a souligné qu'en contrepartie de cet effort financier important consenti par la nation, les forces armées devaient s'engager résolument à accroître leur efficacité financière, en se dégageant du poids de certains services qui sont délégables et en rendant plus réactifs les mécanismes de décision. Si d'importants progrès ont été accomplis tant par les industriels que par la Délégation générale pour l'armement s'agissant des équipements neufs, des progrès similaires restent à faire dans le domaine de la maintenance. A cet égard, M. Denis Ranque a évoqué les exemples britanniques ou norvégiens, dont les procédures permettent de reverser, au budget de la défense, toute somme économisée grâce à des efforts de productivité ou de rationalisation du processus de décisions. Il a fait valoir que les efforts considérables accomplis récemment par les forces armées dans le cadre de leur professionnalisation démontraient leur capacité à se moderniser.

Abordant ensuite les conséquences industrielles des crédits inscrits dans la loi de programmation militaire, il a salué la priorité accordée au secteur naval. Rappelant que le marché français, en ce domaine, est dominé par le rôle de la Direction des constructions navales (DCN), il a mis en évidence que celle-ci pouvait s'appuyer sur un marché dynamique. De surcroît, ce domaine est au coeur des opérations de projection, qui constituent l'axe des opérations militaires modernes. M. Denis Ranque a rappelé que Thales avait créé avec DCN une société commune, dénommée Armaris. Cette communauté de projet doit accentuer la nécessité d'une bonne maîtrise des coûts par la DCN, dont le nouveau statut constitue un pas nécessaire mais non suffisant pour une réforme globale. Dans le domaine aéronautique, qui constitue un domaine d'excellence de l'Europe, où la dualité civile et militaire est totale, M. Denis Ranque a ensuite relevé que les deux grands groupes européens que constituent Thales et EADS seraient de plus en plus confrontés à l'ambition américaine de dominer le secteur. Le succès en Europe du JSF en est un exemple inquiétant, a-t-il déploré. En dehors du marché britannique, qui s'est tourné vers cet avion pour répondre à un besoin spécifique, d'autres pays européens, tels la Norvège, les Pays-Bas ou l'Italie, se sont agrégés au programme en l'absence de réel besoin et sans réelles perspectives de participation industrielle et de transfert technologique.

Enfin, M. Denis Ranque a évoqué l'évolution des systèmes de communication et de décision (C3R), qui avaient permis, en dix ans, de réduire de deux jours à quelques minutes la « boucle » renseignement-détection-commandement-exécution-contrôle. Cette évolution majeure du circuit de décision conduit à un véritable bouleversement des méthodes, et M. Denis Ranque s'est félicité que la loi de programmation militaire contienne des dispositions -notamment un programme de commandement et de planification interarmées, visant à permettre à la France d'être une « nation cadre », et une phase nouvelle du programme Syracuse- en ce domaine.

A la suite de l'exposé de M. Denis Ranque, un débat s'est engagé avec les commissaires.

M. Serge Vinçon a souhaité savoir quelles pouvaient être la participation de Thales et la place de la France dans les futurs programmes de lutte anti-missiles, il s'est interrogé sur la coopération qui pourrait s'instaurer avec les Britanniques pour la construction du second porte-avions. Il a enfin fait part de sa préoccupation à propos de l'avenir des industries européennes d'avions de combat confrontées au programme américain JSF.

M. Xavier de Villepin a demandé comment Thales pouvait développer ses parts de marché aux Etats-Unis. Il a en outre souligné l'importance pour les Européens de participer aux programmes anti-missiles et de renforcer leur effort en matière de recherche et développement face aux Etats-Unis. A cet égard, il a souhaité savoir quelles étaient les parts respectives des industriels et de l'Etat. Abordant l'évolution du statut de DCN, il a estimé que la transformation en société nationale ne pouvait être qu'une étape. Enfin, il s'est interrogé sur l'avenir du dispositif français d'aide aux exportations d'armements à l'étranger.

M. Jean-Pierre Masseret s'est interrogé sur les solutions politiques et industrielles qui pourraient permettre à l'Europe de mettre en place une alternative au JSF. Il a par ailleurs souhaité des précisions sur l'évolution possible de l'actionnariat de Thales.

M. Didier Boulaud, notant la part importante des composants américains dans les avions Airbus, s'est demandé comment accroître les parts de marché des industriels européens chez les constructeurs américains.

M. Denis Ranque a alors apporté les précisions suivantes :

- le marché des composants aéronautiques fait l'objet de mises en concurrence où Thales est confronté à des compétiteurs américains forts d'une longue expérience. Il est donc normal, compte tenu de la durée des programmes, qu'ils disposent d'une part importante du marché ;

- les Etats-Unis vont effectivement poursuivre leur programme anti-missiles et il sera très difficile aux industriels européens d'y participer tant que l'Europe elle-même n'aura pas de programme propre. Cependant, même s'il n'est pas dans l'ambition de l'Europe de se doter d'un bouclier comparable à ce que préparent les Etats-Unis, le besoin des Européens est réel pour protéger leurs forces déployées face à des missiles tactiques. Le projet de loi de programmation militaire prévoit d'ailleurs d'étendre la portée de détection des radars associés au système anti-missile de théâtre SAMP-T. Il sera nécessaire de réfléchir ultérieurement à l'évolution du missile lui-même ;

- les Britanniques poursuivent leur projet de construction de deux grands porte-avions. Thales est en compétition sur ce programme avec BAe-Systems. La phase d'étude financée par le gouvernement britannique s'achève fin novembre, le premier contractant devant être choisi au mois de février ou de mars. La mise en chantier du second porte-avions français n'interviendra que dans deux ans mais son entrée en service est prévue pour la même période que les porte-avions britanniques. La solution d'un porte-avions construit en coopération avec les Britanniques sera vraisemblablement la moins coûteuse, même si des adaptations pourraient être nécessaires, les besoins n'étant pas strictement identiques. Trouver une base commune est envisageable puisque les Britanniques, tout en choisissant un porte-avions sans catapulte, ont préservé la possibilité d'installer ultérieurement un tel système ;

- seule une partie du pacte d'actionnaires liant Dassault et Alcatel se dénoue en 2003, le pacte d'actionnaires lui-même, conclu pour huit ans, s'achèvera en 2006. L'actionnariat de Thales est entré dans une phase d'évolution en raison de la diminution de la part dans le capital d'Alcatel et de l'Etat. Les actionnaires actuels ont soutenu la stratégie et la transformation de la société et il est souhaitable que Thales puisse compter sur le même soutien à l'avenir. La présence de l'Etat dans le capital semble moins justifiée que par le passé en raison de l'évolution du marché mondial. Elle apparaît aujourd'hui comme une singularité et parfois comme un handicap, notamment lorsqu'il s'agit de prendre des participations dans le capital de sociétés étrangères. Une évolution de la part de l'Etat ne conduirait pas à un risque de perte de contrôle, l'actionnaire public représentant 15 % du chiffre d'affaires de Thales et 15 % supplémentaires par le biais des autorisations d'exportation. L'Etat conserve, en outre, à travers sa « golden share » (action spécifique), la possibilité de contrôler l'évolution du capital. Par ailleurs, s'il a été utile, en 1998, d'adosser Thales à un partenaire privé, il ne serait pas souhaitable que l'actionnaire de référence futur de la société soit un groupe qui aurait des intérêts concurrents ou divergents ;

- la présence sur le marché américain est indispensable pour tous les grands groupes français ou européens, même si elle est plus difficile dans le domaine de la défense. Pour parvenir à cet objectif, Thales pourra s'appuyer sur la dualité civile et militaire de ses activités. Il s'agit du défi majeur de la décennie à venir, comme l'européanisation a été l'enjeu des années passées ;

- d'un point de vue quantitatif, la relance de la recherche développement par le projet de loi de programmation militaire est très positive. D'un point de vue qualitatif, il serait souhaitable de développer la construction de démonstrateurs technologiques ;

- il sera nécessaire, après la transformation de DCN en société nationale, de passer rapidement à une autre étape ;

- le dispositif commercial à l'exportation est en évolution. Les sociétés commerciales intermédiaires vont vraisemblablement se transformer en partenaires des grands industriels. L'Etat, notamment à travers le réseau diplomatique, fait un effort accru pour soutenir les exportations ;

- pour une alternative au programme JSF, il est nécessaire de développer l'effort national pour soutenir l'exportation du Rafale, appareil extrêmement compétitif techniquement et économiquement. Cela passe par une mobilisation du pouvoir exécutif et par un financement, en coopération avec les industriels, d'une version export. Il est par ailleurs nécessaire, au niveau européen, de préparer l'avenir à travers, notamment, la conception de systèmes d'avions de combat non pilotés.

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M. Jean-Claude MALLET
Secrétaire général de la défense nationale

Le mardi 12 novembre 2002

M. Jean-Claude Mallet a tout d'abord décrit, d'une part, le contexte stratégique général où s'étaient inscrits les travaux d'élaboration de la loi de programmation militaire 2003-2008, et d'autre part, la traduction de ce contexte dans les orientations de la loi de programmation.

Le secrétaire général de la défense nationale a souligné que le contexte stratégique général était marqué par un net accroissement des menaces contre la paix, par contraste avec les espoirs développés au début de la décennie antérieure. Ces menaces se concrétisaient dans une multiplication des crises internationales, sollicitant toujours davantage nos moyens de défense.

M. Jean-Claude Mallet a alors énuméré les éléments lui paraissant sous-tendre cette multiplication des crises : le terrorisme international, tout d'abord, passé d'un ancrage fortement local, qui demeure souvent, à une logique transnationale de filières et de réseaux, à la faveur de crises en Algérie, en Afghanistan, en Tchétchénie ou dans les Balkans. Le réseau Al Qaïda a été le premier à exploiter cette nouvelle donne et les dimensions technologiques et sociales de la mondialisation, à partir de l'Afghanistan, mais aussi dans d'autres points du globe, menaçant non seulement les Etats-Unis, mais aussi les intérêts et les territoires européens et nationaux ;

- l'absence de règlement de crises persistantes, ensuite, contribuait à cette évolution comme celles du Proche et du Moyen-Orient, ou encore du Cachemire. Un troisième élément pesait sur la stabilité internationale : la difficulté à maîtriser la prolifération des armes de destruction massive, qu'elles soient nucléaires, biologiques, chimiques ou radiologiques. A cette prolifération s'ajoute la dissémination des savoir-faire, notamment à travers internet, qui augmente dangereusement les capacités de conception, de fabrication, mais également d'emploi de ces armes. Un quatrième élément négatif est lié aux espoirs déçus de réduction des inégalités entre pays riches et pauvres, ces derniers se trouvant aspirés dans une spirale régressive, alors que la croissance n'a profité qu'à un nombre restreint d'Etats.

M. Jean-Claude Mallet a par ailleurs constaté que les organisations internationales, qui devraient pouvoir réguler ces facteurs de tension, ont vu leur légitimité mise en doute par certains. Dans les années 1990, la multiplication des opérations de maintien de la paix a mis en lumière les pesanteurs décisionnelles de l'ONU au plan militaire. L'organisation, en particulier le Conseil de sécurité, est par ailleurs jugée insuffisamment représentative -en termes d'équité- par les uns, ou trop contraignante pour d'autres. Des interrogations sur l'avenir et sur les limites du rôle de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord se sont développées, y compris aux Etats-Unis. Le futur élargissement à sept nouveaux membres, ainsi que la mise en place du Conseil de coopération avec la Russie ou les nouvelles missions dans le domaine du maintien de la paix contribuent à modifier sa vocation originelle. L'Union européenne également, du fait notamment de son prochain élargissement, en 2004, à 10 nouveaux membres, s'interroge sur ses capacités à répondre aux nouveaux défis internationaux, mais aussi sur l'efficacité de ses mécanismes de décision, voire sur son identité même, à travers le débat sur ses institutions et ses limites géographiques.

Face à ces facteurs d'incertitude, le secrétaire général de la défense nationale a observé, sur la scène internationale, un regain d'une forme de « demande d'Etat ». La France s'est toujours fondée sur l'autorité et la légitimité du cadre étatique. Elle vient de décider particulièrement le redressement de ses capacités en matière de défense et de sécurité. Elle associe à cette approche une vision équilibrée, multilatérale, de l'organisation internationale et ne cesse de promouvoir, comme elle l'a prouvé dans la crise irakienne, un renforcement des systèmes de régulation internationale. Dans cette organisation équilibrée du monde, elle souhaite que se développe un pôle européen à part entière.

M. Jean-Claude Mallet a cependant relevé certains facteurs d'optimisme, comme la stabilisation intervenue dans la région des Balkans, ou encore l'éloignement du risque de crise majeure, au printemps dernier, entre l'Inde et le Pakistan, grâce aux efforts diplomatiques, notamment, de la France. Il a également relevé que le monde musulman ne s'était pas soulevé contre la civilisation occidentale comme l'y appelaient les dirigeants Taliban et le réseau Al Qaïda, et ceci même dans les pays les plus exposés comme le Pakistan.

Abordant ensuite les conséquences de cette analyse stratégique sur l'élaboration de la loi de programmation militaire 2003-2008, M. Jean-Claude Mallet a considéré que la première d'entre elle consistait dans la réaffirmation de la capacité d'autonomie stratégique de la France, avec, notamment, un net renforcement des moyens alloués au renseignement, au commandement et au contrôle de l'emploi des forces. La dissuasion demeure également centrale comme facteur de cette autonomie et reste ancrée au coeur de notre politique de défense, justifiant la modernisation des composantes et l'adéquation du concept aux menaces nouvelles. Le développement des capacités de projection ensuite est pris en compte dans le projet, avec notamment les programmes de deuxième porte-avions, de missile de croisière naval et le renforcement des forces spéciales. L'impératif de la protection est souligné, notamment par le développement de la défense anti-missile balistique tactique pour la protection des forces déployées, ou encore celui des moyens de prévention contre une attaque chimique ou biologique. La loi de programmation s'inscrit aussi dans l'ambition européenne de la défense, notamment en matière d'harmonisation des équipements et de développement de structures de commandement ouvertes à nos partenaires. Enfin, elle tend à ancrer la professionnalisation dans le temps et dans l'espace, notamment par l'amélioration de la disponibilité des équipements, l'accroissement des capacités d'entraînement ou la nécessaire valorisation des réserves.

Un débat s'est ensuite instauré entre les commissaires.

M. Serge Vinçon a demandé des précisions sur l'évolution du dispositif de protection contre les risques nucléaire, biologique et chimique et sur les responsabilités respectives du ministère de la défense et des ministères civils en la matière. Il a souhaité connaître ce que recouvrait le concept de « dissuasion adaptée », évoqué à la suite du discours prononcé le 8 juin 2001 par le Président de la République. Il a observé que le rapport annexé au projet de loi de programmation militaire évoquait la possibilité d'actions préemptives et s'est interrogé sur la portée stratégique de cette notion.

M. Didier Boulaud , soulignant la nouveauté du rôle que sont appelées à jouer l'Union européenne et l'OTAN, compte tenu des processus d'élargissement en cours, s'est demandé si des organisations comme l'UEO ou l'OSCE conservaient aujourd'hui encore leur justification. Il a par ailleurs relevé la proportion relativement modique de militaires français au sein des Casques bleus de l'ONU et a demandé au secrétaire général de la défense nationale s'il estimait souhaitable de renforcer l'engagement de la France dans les opérations de maintien de la paix conduites par celle-ci.

Mme Hélène Luc s'est interrogée sur l'évolution des missions dévolues à l'OTAN dans le nouveau contexte international. Observant que l'effort financier consacré à la dissuasion nucléaire représentait près de 20 % des crédits d'équipement du ministère de la défense, elle s'est demandé si un tel niveau de ressources était toujours justifié.

M. Christian de La Malène a souligné les moyens supplémentaires dégagés par le projet de loi de programmation militaire 2003-2008 pour les actions de sécurité intérieure ou en faveur du renforcement des capacités de commandement et de renseignement. Tout en se félicitant de cet effort, il s'est demandé si le projet de loi s'était suffisamment attaché à opérer des arbitrages entre les différentes priorités, compte tenu des moyens nécessairement limités que la France pouvait mettre au service de ses ambitions.

M. André Dulait, président , a interrogé M. Jean-Claude Mallet sur la mise en place de la réserve au sein des armées. Il lui a également demandé des précisions sur le rôle moteur que la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne pouvaient jouer dans la politique européenne de sécurité et de défense et sur les incidences de l'éventuelle création d'une force de réaction rapide au sein de l'OTAN.

M. Jean-Claude Mallet, secrétaire général de la défense nationale , a alors apporté les précisions suivantes :

- la fin de l'usage systématique du droit de veto depuis le début des années 1990 a incontestablement rétabli le rôle du Conseil de sécurité des Nations unies, même si certains Etats, par leur politique, tendent à remettre en cause le rôle clé, à nos yeux, des organisations multilatérales ;

- si elle fournit aujourd'hui peut-être moins de Casques bleus à proprement parler qu'au milieu des années 1990, la France n'a pas pour autant réduit ses engagements en faveur des opérations de maintien de la paix ; cela est notamment le cas dans les Balkans, où nos forces sont engagées au titre de l'OTAN, ou encore en Afghanistan, dans le cadre d'un ensemble multinational, mais toujours avec un mandat relevant du Conseil de sécurité de l'ONU et de ses résolutions ;

- la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) doit nécessairement concilier la préservation du consensus entre les Quinze, demain les vingt-cinq, et les objectifs des pays disposant des capacités militaires les plus importantes, au premier rang desquels figurent le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne et l'Italie ; de fait, ces pays sont appelés à jouer ensemble un rôle moteur dans la défense européenne ;

- au cours des dernières années, de multiples facteurs ont joué dans le sens d'une profonde évolution de l'OTAN : l'intégration de pays d'Europe centrale, l'établissement de nouvelles relations avec la Russie, la transformation de l'organisation et des structures de l'Alliance, la redéfinition de ses missions ; la France conserve, au sein de l'organisation, sa position particulière, fondée en particulier sur le principe du contrôle, par nos autorités politiques, des décisions d'affectation et d'emploi des forces françaises ;

- la force européenne d'action rapide, définie à Helsinki en 1999, et le projet de force de réaction rapide en cours de discussion au sein de l'OTAN procèdent d'approches complémentaires, car il s'agit des mêmes ressources ; il n'y a donc pas de concurrence mais plutôt, potentiellement, si l'OTAN développe sa démarche, une complémentarité entre ces deux initiatives ;

- dans son discours du 8 juin 2001, le Président de la République a clairement affirmé que notre dissuasion s'exerçait aussi à l'égard de puissances régionales disposant d'armes de destruction massive, qui s'exposeraient à des dommages inacceptables si elles venaient à menacer directement nos intérêts vitaux, en particulier notre territoire. Cette prise de position vise ainsi à dissuader d'éventuels adversaires d'exercer un chantage à l'encontre de notre pays ; l'effort financier consacré à notre dissuasion nucléaire, au demeurant très inférieur à ce qu'il était au début de la décennie 1990 où il s'élevait à 30 % du titre V, vise à permettre la modernisation de nos forces nucléaires, afin de préserver leur crédibilité et de les adapter à cette mission ;

- la protection contre les risques nucléaire, biologique et chimique implique, outre la défense, de nombreux ministères civils, en particulier les ministères de l'intérieur, des transports ou de la santé. Le secrétariat général de la défense nationale a notamment pour mission d'assurer une bonne coordination interministérielle de ces efforts, en vue de renforcer les différents moyens de protection et de relever le niveau de notre sécurité contre ce type de risques ;

- telle que définie dans le rapport annexé au projet de loi de programmation, la notion d'action préemptive est rigoureusement encadrée ; elle ne se conçoit qu'en cas de matérialisation d'une menace avérée et dans le respect de la légalité internationale et du rôle du conseil de sécurité des Nations unies ;

- les moyens supplémentaires dégagés par le projet de loi de programmation militaire ont été prioritairement affectés aux capacités de renseignement et de commandement, aux capacités de projection et aux forces spéciales ;

- le projet de loi prévoit une dotation financière destinée à favoriser la montée en puissance de la réserve et il définit un certain nombre d'indicateurs d'activité et d'entraînement ; plus globalement, la réserve constitue une composante à part entière de l'armée professionnelle ; elle contribue à la réalisation des objectifs en termes de capacité militaire et représente un volet important du lien armée-nation.

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M. Philippe CAMUS
Président exécutif d'EADS

Le mercredi 13 novembre 2002

M. Philippe Camus a tout d'abord rappelé que la société EADS, créée en juillet 2000, résulte de la fusion de trois sociétés : la française Aérospatiale-Matra, l'allemande DASA, l'espagnole CASA. EADS est aujourd'hui le numéro deux mondial de l'aéronautique et de la défense, avec un chiffre d'affaires de 30 milliards d'euros, après l'Américain Boeing, avec un chiffre d'affaires de 54 milliards d'euros. Dans certains domaines, comme celui des avions commerciaux, EADS fait jeu égal avec son concurrent.

Avec Eurocopter, EADS est numéro un mondial sur le marché des hélicoptères. Elle Le groupe occupe également une place prépondérante sur le marché des lanceurs commerciaux, des missiles tactiques et des satellites. Elle réalise 80 % de son activité dans le domaine civil et 20 % dans le secteur de la défense.

M. Philippe Camus a indiqué que la hausse des budgets de défense, consécutive aux événements du 11 septembre 2001, avait des conséquences structurantes pour l'industrie de défense. Le risque que fait peser la hausse des budgets de défense américains pèse sur l'ensemble de l'industrie aéronautique et spatiale :. Fface à ce risque, il faut une politique européenne de défense qui puisse être une base suffisante, à la fois en termes de budget et d'organisation, pour permettre un meilleur équilibre de compétitivité.

Le projet de loi de programmation militaire pour les années 2003 à 2008 marque une inflexion positive. La France cesse d'accumuler un retard qui lui faisait prendre, à terme, le risque d'une perte de sa base industrielle. En outre, les assurances données quant à la bonne exécution des engagements fournissent l'engagement solennel exprimé, selon lequel la loi de programmation militaire devrait être exécutée en l'état, fournit une plus grande visibilité pour l'industrie. Dans ce cadre, la loi de finances pour 2003 s'inscrit en conformité avec la loi de programmation dont elle constitue la première annuité.

M. Philippe Camus a cependant émis deux réserves principales quant au contenu de la loi :

- en matière de recherche et développement, l'effort budgétaire consenti, 800 millions d'euros par an, soit une hausse de 16 %, ne permet cependant pas de revenir au niveau souhaitable qui se situerait à hauteur d'un milliard d'euros par an ;

- il aurait été en outre nécessaire d'intégrer une plus forte coordination européenne dans les programmes d'équipements.

S'agissant des programmes, M. Philippe Camus a formulé deux observations. Le besoin de systèmes intégrés de reconnaissance, commandement-action, est avéré, comme l'illustre l'exemple récent de l'utilisation, par les Américains, de drones armés. L'établissement d'un circuit court entre l'observation, la décision de commandement et l'action nécessite notamment la mise en oeuvre de satellites et de drones éventuellement armés. Or, l'effort consenti sur les programmes de drones dans la loi de programmation apparaît à la fois insuffisant et tardif.

En matière de frappe dans la profondeur, M. Philippe Camus a fait observer que les calendriers des programmes de frégates multimissions et du missile de croisière naval n'étaient pas concordants. Un effort budgétaire supplémentaire de l'ordre de 200 millions d'euros serait nécessaire pour permettrait l'équipement, dès 2008, des frégates multimissions en missiles Scalp naval.

Un débat s'est ensuite instauré avec les commissaires.

M. Serge Vinçon a souhaité savoir si une coopération européenne était envisageable sur le programme du missile de croisière navalisé. Il a souhaité connaître l'état d'avancement des discussions avec l'Espagne au sujet de l'hélicoptère Tigre. Evoquant la compétition entre le Rafale et l'Eurofighter, alors que des pays européens participent au développement du F-35 (JSF), il a souhaité savoir quelle pourrait être la solution européenne pour une meilleure coopération en matière d'armement et a voulu connaître l'appréciation du président exécutif d'EADS sur le bilan de l'OCCAR.

M. Xavier de Villepin a souhaité connaître l'état des relations avec l'Allemagne alors que l'effort de défense de ce pays reste faible. Il a souhaité savoir dans quelle mesure l'absence de position forte d'EADS aux Etats-Unis constituait un handicap industriel. Il s'est interrogé sur les possibilités de faire progresser l'Europe de la défense.

M. Jean-Pierre Masseret s'est interrogé sur l'opportunité de communautariser les politiques européennes de recherche et développement. Il a sollicité l'opinion de M. Philippe Camus sur la création d'une agence européenne de l'armement. Evoquant l'échéance programmée du pacte d'actionnaires d'EADS, il a souhaité connaître les perspectives d'évolution de la société. Il a enfin interrogé le président d'EADS sur le décalage, souvent évoqué, entre la livraison des premières frégates multimissions en 2008 et l'arrivée du missile de croisière en 2011.

M. Didier Boulaud s'est interrogé sur les moyens de progresser dans la pénétration du marché américain. Il a notamment souhaité connaître les chances d'EADS d'emporter des parts du marché dans le cadre du programme américain de défense anti-missile.

Mme Josette Durrieu a souhaité connaître les programmes en coopération qui pourraient émerger à moyen terme en Europe. Elle s'est interrogée sur l'opportunité d'une Agence européenne de l'armement pour dépasser les difficultés actuelles. Elle a souhaité connaître l'état d'avancement des appels d'offres sur l'avion ravitailleur A 330. S'agissant d'Ariane, elle a interrogé M. Philippe Camus sur les principales difficultés rencontrées.

M. Robert Del Picchia a également interrogé le président exécutif d'EADS sur la compétitivité d'Ariane face à la NASA ses concurrents. Il a voulu connaître les conséquences industrielles d'une révision de l'objectif d'acquisition des avions A-400 M par l'Allemagne. Il a souhaité des précisions sur l'opportunité d'emploi de drones armés.

M. André Dulait, président , évoquant les difficultés de pénétration du marché américain, s'est interrogé sur l'état de la coopération avec la société Northrop Grumann.

S'agissant du missile de croisière naval, M. Philippe Camus a indiqué que les Britanniques avaient fait antérieurement le choix du missile américain Tomahawk pour ses sous-marins. L'Italie, qui utilise le missile de croisière Scalp, pourrait être intéressée par sa version navalisée. L'équipement des frégates multimissions en capacitétir à distance serait d'attaque à terre est complémentaire des besoins de lutte anti-sous-marine qui sera la capacité prioritaire des premiers bâtiments pour leur permettre de remplir pleinement leur rôle multimissions. Dans l'hypothèse d'une participation italienne au programme, les calendriers missiles-frégates pourraient s'harmoniser.

Evoquant les programmes d'hélicoptères, il a indiqué que le programme d'hélicoptère de transport NH 90 était bien lancé. L'hélicoptère de combat franco-allemand Tigre a remporté un succès en Australie et se trouve en compétition avec l'Américain Apache sur le marché espagnol. La convergence des spécifications demandées pourrait permettre d'élargir effectivement le programme à l'Espagne.

Evoquant les perspectives européennes, M. Philippe Camus a souligné que, contrairement à une idée répandue, les opinions publiques sont assez favorables à un effort de défense accru et tout particulièrement à la constitution d'une capacité européenne de défense autonome. La solution réside dans le montage de programmes européens pour une dépense moins importante. A cet égard, un seul avion de combat, au niveau européen, permettrait de faire face de façon plus efficace à la menace d'un monopole américain dans ce domaine. Le risque est sérieux car il s'agit d'un domaine-clé en matière de technologie.

Il n'existe pas, pour l'heure, d'institution européenne dans le domaine de l'armement. L'OCCAR est un organisme qui gère des contrats, mais ne définit pas de politique d'achat.

M. Philippe Camus s'est fait l'écho des attentes des industriels, demandeurs d'une meilleure organisation de leurs clients, qui pourrait résulter des travaux de la Convention pour l'avenir de l'Europe. Il a indiqué qu'il avait formulé des propositions pour la mise en place d'une agence de défense européenne intégrée, dédiée au et de financement en amont des recherches, à l'instar de celle qui existe aux Etats-Unis -la DARPA- et dont l'action est comparable à celle initiée par l'Agence spatiale européenne., afin Sa mission : de favoriser l'émergence de programmes de recherche en coopération dans les domaines de la défense et de la sécurité.

M. Philippe Camus a indiqué que l'Allemagne dépensait, par rapport à ses partenaires, une part moindre de sa richesse nationale pour la défense. Il a indiqué qu'à court terme deux programmes étaient au coeur des difficultés financières allemandes : le Meteor, tout d'abord, missile air-air de combat qui devrait équiper tant le Rafale que l'Eurofighter, conférant ainsi une véritable supériorité technologique aux Européens et l'A-400 M ensuite. Le contrat a été signé en décembre 2001 pour un nombre total de 193 appareils. Il est nécessaire qu'une décision intervienne rapidement au risque de voir d'autres partenaires se retirer du programme pour ne pas remettre en cause l'équilibre du programme..

S'agissant de la pénétration du marché américain, M. Philippe Camus a estimé qu'une coopération équilibrée ne pouvait être envisagée que sur la base de positions industrielles solides en Europe. Trois options sont ouvertes pour pénétrer ce marché : l'achat de sociétés américaines, qui se heurte à des barrières technologiques administratives difficilement surmontables ;, l'accord avec une société américaine sur des activités communes, qu'EADS pratique avec Northrop Grumann pour les drones de reconnaissance à haute altitude, et avec Boeing sur le système anti-missiles américain. La troisième solution est la compétitivité des produits : c'est ainsi qu'EADS avait vient de remporteré le marché de la modernisation des garde-côtes américains qui porte sur des avions de patrouille maritime, des hélicoptères Dauphin et des radars.

Au sujet de l'avion ravitailleur A330, M. Philippe Camus a précisé que le Royaume-Uni avait développé les initiatives publiques/privées pour le financement de certains équipements : l'industriel ou une société ad hoc, tout en restant propriétaire des équipements, est prestataire de service auprès des autorités militaires, formule utilisable pour les avions ravitailleurs et les satellites de communication. La France se situe encore en retrait par rapport à ces modes de financement qui pourraient, notamment, être utilisés dans le domaine satellitaire.

Le programme A-400 M prévoit, en cas d'exportation, le paiement de redevances aux pays initiateurs.

M. Philippe Camus a précisé qu'Arianespace avait bénéficié du pari américain sur la navette spatiale. Cependant, les lanceurs Atlas et Delta, qui ont fait l'objet de programmes de modernisation, offrent désormais de bonnes performances économiques. Un programme de modernisation d'Ariane a été décidé par les Européens en novembre 2001 pour restaurer sa compétitivité. Un problème de surcapacité demeure néanmoins sur les lanceurs dans un marché qui, n'étant pas en expansion, pose des problèmes de viabilité commerciale. L'Europe doit, à cet égard, faire un choix financier pour conserver une capacité autonome d'accès à l'espace.

Sur les drones, M. Philippe Camus a indiqué que les actions reconnaissance, surveillance et frappe, supposaient une surveillance depuis le sol dans une chaîne de commandement raccourcie mais qui préserve la marge d'action de l'autorité opérationnelle.

Evoquant le pacte d'actionnaires d'EADS, M. Philippe Camus a précisé que l'accord n'arrivait pas à échéance en juin 2003, mais que tombait à cette date l'interdiction, pour les parties prenantes, de vendre leurs actions. Il a indiqué que des droits de préemption et d'autres mécanismes permettaient en tout état de cause de garantir un équilibre. Il a ajouté que la société EADS n'était pas parvenue au maximum de sa valorisation et que la structure actuelle de son capital et l'organisation qui en résultait étaient nécessaires à l'accès aux différents marchés européens. Il a souligné que le mois de juillet 2003 ne verrait probablement pas une mise sur le marché massive d'actions EADS Rappelant les déclarations faites par les actionnaires de référence, notamment Lagardère et Daimler-Chrysler, il a indiqué qu'il ne s'attendait pas à une modification de l'actionnariat à l'échéance de juin 2003, ni d'ailleurs à court/moyen terme.

S'agissant de la part détenue par l'Etat, l'actionnariat n'est pas l'unique moyen pour ce dernier de contrôle des sociétés du secteur de l'armement. Prenant l'exemple des Etats-Unis, il a indiqué que la législation l'administrationaméricaine pouvait ainsi permet à l'administration de s'opposer à toute prise de participation non américaine, même minoritaire, dans une entreprise du secteur de la haute technologie. Une clause similaire pourrait être utilement transposée au niveau européen.

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M. Luc VIGNERON
Président directeur général de GIAT-Industries

Le jeudi 14 novembre 2002

M. Luc Vigneron a tout d'abord souligné le caractère structurant, pour GIAT-Industries, des lois de programmation militaire, en raison du poids des commandes de l'armée de terre dans son chiffre d'affaires. En effet, la part de ce dernier, réalisée à l'exportation, a diminué, revenant d'environ 20 %, entre 1990 et 1995, à 12 % en 2001. En revanche, les commandes de l'armée française ont représenté un chiffre d'affaires annuel moyen de 600 millions d'euros entre 1998 et 2002, dont 350 millions d'euros pour le seul programme du char Leclerc.

Le projet de loi de programmation militaire pour 2003-2008 confirme plusieurs orientations : l'achèvement du programme Leclerc (livraison de 117 chars et de 15 dépanneurs), le lancement du programme VBCI (véhicule blindé de combat d'infanterie), 272 livraisons étant prévues d'ici 2008 sur une cible totale de 700 véhicules dont 550 de combat et 150 de commandement, la rénovation des AMX 10 RC (180 livraisons) et des automoteurs d'artillerie AUF-1 et AUF-2 (174 livraisons), enfin la livraison de 3.300 obus à effet dirigé (ACED). Le projet de loi de programmation prévoit également des crédits en hausse pour le maintien en condition opérationnelle des matériels. Au total, le projet de programmation devrait conduire à la stabilisation du chiffre d'affaires de GIAT-Industries au niveau de la précédente loi, mais hors programme Leclerc.

M. Luc Vigneron a ensuite présenté l'évolution globale du marché de l'armement terrestre, qui s'était effondré depuis 1989. Seuls aujourd'hui le Royaume-Uni et les Etats-Unis accroissent leurs dépenses dans ce domaine. L'armée américaine a ainsi entrepris une refonte et une modernisation complète de son organisation et de ses armements pour les adapter à des interventions sur des théâtres extérieurs. L'Allemagne a débuté la réorganisation de son armée de terre, ce qui ne devrait pas la conduire à augmenter ses dépenses d'équipement terrestre dans les prochaines années. En Europe, le programme de modernisation des blindés de l'armée de terre belge présente une opportunité à l'export pour GIAT-Industries à travers le VBCI. Hors d'Europe, les pays pouvant faire appel à GIAT-Industries sont ceux qui ne disposent pas d'industrie nationale dans l'armement terrestre. L'Arabie saoudite reste une opportunité potentielle importante, la date de la conclusion des négociations restant cependant incertaine.

En raison de l'évolution du marché, le paysage industriel s'est considérablement modifié depuis le début des années 1990. En effet, si l'on dénombrait à l'époque une cinquantaine de sociétés d'armement terrestre dans les pays occidentaux, il n'en reste guère que 20 aujourd'hui, en raison des nombreux regroupements intervenus. GIAT-Industries, qui était numéro 2 mondial en 1997, est à présent numéro 5, avec 800 millions d'euros de chiffre d'affaires. Le numéro 1 mondial est le groupe américain General Dynamics, dont l'activité dans l'armement terrestre représente 2,6 milliards d'euros ; vient ensuite le groupe allemand Rheinmetall, avec 1,6 milliard d'euros, ensuite le groupe américain United Defense (1,5 milliard d'euros), puis le groupe américain Alliant (860 millions d'euros), le groupe allemand Krauss Mafei (600 millions d'euros) et le groupe britannique Alvis-Vickers (500 millions d'euros) occupant les sixième et septième rangs. En France, GIAT-Industries devance largement les autres industriels intervenant dans le secteur, TDA, filiale du groupe Thalès, réalisant environ 80 millions d'euros, Panhard, filiale du groupe Peugeot, 60 millions d'euros, et Renault Trucks, filiale du groupe Volvo, réalisant 50 millions d'euros dans ses activités militaires.

M. Luc Vigneron a en outre indiqué que les groupes américains cherchaient à acquérir des entreprises en Europe et à renforcer leur position de généralistes de l'armement terrestre. GIAT-Industries reste pour l'instant à l'écart de ces regroupements mais préserve une offre commerciale globale. Il a par ailleurs insisté sur le fait que les principaux concurrents de GIAT-Industries étaient bénéficiaires et réalisaient des résultats comparables à ceux des sociétés spécialisées dans l'aéronautique de défense.

Abordant ensuite l'évolution de GIAT-Industries, M. Luc Vigneron a rappelé que le troisième plan social prenait fin en 2002. Au total, entre 1990 et 2002, les effectifs seront passés de 15.000 environ à 6.500. La baisse des effectifs s'est accompagnée d'une restructuration industrielle organisée par le « projet de refondation » décidé en 1998. Il a conduit à la fermeture ou à l'externalisation de 4 sites industriels sur les 14 que comptait GIAT en 1998, et à une évolution forte des méthodes de travail, permettant notamment à GIAT d'être le second groupe de défense en France à obtenir la norme de qualité ISO 9001-2000 et de réduire en 4 ans le cycle de fabrication du char Leclerc de 17 à 9 mois. Ces efforts n'ont pourtant pas permis à GIAT-Industries de retrouver une situation bénéficiaire, le contrat envisagé avec l'Arabie saoudite étant toujours en attente. M. Luc Vigneron a enfin indiqué que l'achèvement du programme Leclerc plaçait l'entreprise dans une situation difficile, et qu'une réflexion était en cours pour y faire face.

Puis un débat s'est instauré au sein de la commission.

M. Serge Vinçon s'est enquis de l'évolution du programme VBCI, de l'état du partenariat dans ce domaine avec RVI (Renault Véhicules Industriels), des perspectives de ce programme à l'exportation ainsi que celles du secteur munitions de la société, et enfin de l'appréciation de M. Luc Vigneron sur la mise en place d'une structure de maintenance interarmée.

M. Didier Boulaud s'est interrogé sur une future restructuration de l'armement terrestre à l'échelle européenne, et a souhaité recueillir le sentiment de M. Luc Vigneron sur ce point. Il s'est enquis de la charge de travail que pourrait espérer GIAT-Industries de la fabrication du VBCI. A cet égard, il a demandé des précisions sur l'évolution des spécifications du VBCI souhaité par les armées. Enfin, il s'est interrogé sur l'avenir de la société Satory Military Vehicle, spécialement créée pour commercialiser ce produit à l'exportation.

M. Xavier de Villepin a reconnu que GIAT-Industries traversait une situation difficile et rendu hommage à l'action conduite dans ces conditions par l'actuelle équipe dirigeante, estimant nécessaire que la France continue de disposer d'un pôle industriel d'armements terrestres. Il a interrogé M. Luc Vigneron sur la nécessité d'une éventuelle nouvelle recapitalisation, ainsi que sur l'existence d'une perspective européenne en matière d'industrie d'armements terrestres en contrepoint des ambitions américaines dans ce domaine.

Mme Maryse Bergé-Lavigne a rappelé que le centre de Toulouse avait, en 1992, abandonné la construction de munitions au profit de celle des circuits électroniques, ce qui s'était accompagné d'une forte réduction du personnel. Elle a souligné qu'aujourd'hui 60 % de l'électronique du char Leclerc provenait de ce centre, et s'est demandé si le maintien en condition opérationnelle (MCO) du parc de ces chars Leclerc, estimé à environ 800 unités, pourrait constituer une perspective d'avenir pour l'emploi local. Elle a exprimé la crainte que, dans le cas contraire, les éléments les plus compétents de ce centre n'envisagent de le quitter.

M. Robert Del Picchia a souhaité connaître le montant optimal de la future recapitalisation que l'Etat devrait effectuer, une nouvelle fois, au profit de GIAT-Industries. Il a souligné qu'une future coopération européenne en matière d'armement terrestre devrait s'effectuer dès le stade de la recherche, pour être en mesure d'appuyer réellement les futures coopérations.

En réponse, M. Luc Vigneron a apporté les précisions suivantes :

- le contrat notifié par la Délégation générale de l'armement pour la production de 700 VBCI est le premier qui délègue entièrement à GIAT la maîtrise d'oeuvre industrielle de ce produit. Lors de la présentation, début 2002, des premières maquettes ergonomiques à l'état-major de l'armée de terre, celui-ci a souhaité que les dimensions du véhicule soient revues pour tenir compte notamment du programme Félin qui dote chaque combattant d'équipements volumineux. L'armée de terre a également souhaité que la tourelle du char soit entièrement repensée. Des rectifications sont en cours de réalisation pour satisfaire aux demandes ainsi exprimées, mais elles impliqueront une croissance unitaire des coûts du matériel, ainsi qu'un décalage dans la livraison des premiers matériels qui sera différée de 2006 à 2007 ;

- le partenariat avec Renault Trucks, société à laquelle sont confiés 30 % de la réalisation du VBCI relevant de la composante « mobilité » se déroule sans difficulté ;

- les possibilités d'exportation en Europe du VBCI sont orientées actuellement vers la Belgique, dans une version dotée d'un armement plus conséquent. Ce véhicule a été conçu en fonction des besoins spécifiques de l'armée de terre française portant sur la protection de ses personnels, ainsi que la numérisation du matériel.

En réponse à MM. André Dulait, président , et Didier Boulaud , M. Luc Vigneron a précisé que l'évolution de la taille du véhicule n'affecterait pas sa compatibilité avec la capacité d'emport de l'A400M :

- on estime à environ un millier d'heures par véhicule l'activité industrielle directe qui découlera de la construction du VBCI, ce chiffre modique étant environ dix fois inférieur au nombre d'heures requises pour la construction du char Leclerc ;

- le canon d'artillerie Caesar a été conçu par GIAT-Industries. Ce canon est placé sur un camion, ce qui lui permettra de se substituer, à terme, aux engins blindés tractés, et lui conférera une très grande mobilité, lui permettant de faire face aux radars de contrebatterie. Ce matériel innovant et relativement peu coûteux bénéficie d'une bonne aérotransportabilité par des avions d'envergure restreinte comme le C-130. Il bénéficie, d'ores et déjà, de commandes fermes de l'armée française et des discussions sont en cours avec la Malaisie et l'Australie. Une démonstration effectuée aux Etats-Unis a par ailleurs donné des résultats très positifs ;

- la mise en place d'une structure interarmée de maintenance des matériels terrestres (SIMMT) s'inscrit dans une réflexion de l'état-major tendant à recentrer ses activités sur la maintenance opérationnelle. Le débat est en cours sur le périmètre optimal de la future SIMMT. A l'heure actuelle, GIAT-Industries est chargée, dans le domaine de la maintenance, de la fourniture des rechanges et des ravitaillements, et serait prête à élargir son intervention à la maîtrise d'oeuvre industrielle des opérations de rénovation et de modernisation ;

- la situation du site de Toulouse est difficile, car son activité dépend à 90 % de la construction du char Leclerc. La charge de maintenance des équipements électroniques de ce matériel est un créneau possible d'activité à terme, mais le risque existe, là comme ailleurs, d'un départ des savoir-faire, ce qui justifie la démarche entreprise, d'ailleurs, dans l'ensemble de la société, pour y maintenir les jeunes cadres ;

- le marché des munitions s'est effondré durant la décennie qui vient de s'écouler, et les normes de standardisation OTAN progressent, notamment pour celles de petit et de moyen calibre. Cette standardisation est souhaitable pour renforcer l'interopérabilité de ces matériels, mais elle amène à se heurter à la concurrence de fournisseurs américains. Le même mouvement ne tardera pas à toucher les munitions de gros calibre, que seules des commandes publiques pluriannuelles pourront protéger ;

- d'ores et déjà, la Grande-Bretagne et l'Allemagne encouragent le regroupement de leurs industries nationales d'armement terrestre, mais le souhait d'un regroupement européen ne s'exprime pour l'instant qu'au niveau des industriels. Les opérateurs américains, convaincus de l'importance de l'armement terrestre, procèdent à des acquisitions en Europe. Il importe que la France donne à son industrie d'armement terrestre les moyens de renforcer son attractivité à l'égard des autres industriels européens, qui sont pour la plupart des sociétés privées ;

- la dernière recapitalisation a été notifiée par l'Etat en 2001, à hauteur de 591 millions d'euros, dont la moitié a été libérée à la fin de l'année 2001, l'autre devant l'être au début de l'année 2003. Cet apport financier a permis d'apurer le passé, mais un nouveau besoin se fera sentir dès la fin de l'année en cours ; il incombera aux pouvoirs publics d'apprécier les besoins futurs de l'entreprise le moment venu.

M. Serge Vinçon a alors souligné la situation moralement difficile des personnels de GIAT, confrontés à la perspective de plans sociaux. Il a souhaité que le pays donne à GIAT les moyens d'apurer le passé afin de repartir sur des bases saines.

M. Xavier de Villepin a alors estimé essentiel que le personnel soit informé en toute transparence des contraintes actuelles. Il a souligné combien la France avait un besoin impérieux d'une industrie spécifique d'armement terrestre, en rappelant que 75 % des matériels de l'armée de terre provenaient actuellement de GIAT.

M. André Dulait, président, a salué l'action considérable déjà accomplie par M. Luc Vigneron pour le redressement de GIAT-Industries, et a également fait valoir que la France ne saurait se passer d'un constructeur national performant d'armements terrestres.

M. Luc Vigneron a fait observer que l'Armée de terre aurait à l'avenir la charge d'améliorer et d'entretenir son parc actuel d'équipements, ne devant plus à brève échéance espérer beaucoup de matériels totalement neufs. Dans ce contexte, le maintien d'un pôle industriel national d'armement terrestre est en effet essentiel.

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M. Jean-Marie POIMBOEUF
Directeur de DCN

Le mercredi 27 novembre 2002

M. Jean-Marie Poimboeuf a tout d'abord rappelé que DCN avait pour mission le développement, la construction et l'entretien des navires armés, ce qui suppose non seulement des capacités d'architecte naval mais aussi la maîtrise de l'architecture des systèmes de combat. Au niveau européen, le seul autre industriel capable de maîtriser l'ensemble de ces compétences est le britannique BAE Systems.

Le niveau actuel d'activité de DCN est encourageant : les troisième et quatrième sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de nouvelle génération (SNLE-NG) seront livrés respectivement en 2004 et en 2010, chacun d'entre eux représentant un montant de 1,5 milliard d'euros ; les programmes de frégate Horizon, de bâtiments de projection et de commandement, ainsi que le programme de torpille légère MU 90 se poursuivent dans des conditions satisfaisantes. Outre les programmes, l'entretien représente 30 % de l'activité de DCN et l'exportation, 25 %. L'activité à l'exportation a récemment porté sur des frégates pour l'Arabie saoudite et Singapour et des sous-marins conventionnels pour le Pakistan, le Chili et la Malaisie. Les carnets de commandes de DCN représentent aujourd'hui 5 années de chiffre d'affaires, soit 7,5 milliards d'euros.

Evoquant les perspectives offertes par la loi de programmation militaire, M. Jean-Marie Poimboeuf a considéré que le texte contribuait à conforter l'activité de DCN sur quatre dossiers importants :

- le programme de frégates multimissions, lancé en coopération avec l'Italie, prévoit la commande par la France de 8 bâtiments sur la durée de la programmation. Pour ce programme, l'objectif de DCN est de maintenir, sur le contrat de réalisation 27 bâtiments, une part correspondant aux 17 frégates françaises, soit 6 milliards d'euros ;

- le programme de construction de 6 sous-marins nucléaires d'attaque de type Barracuda devrait représenter 6 milliards d'euros. Par rapport à l'ancienne génération de sous-marins dont le déplacement était de 2.500 tonnes, les sous-marins Barracuda auront un déplacement de 4.000 tonnes et représentent pour DCN un chantier important. Le contrat de développement et de réalisation devrait intervenir en 2004 ;

- l'organisation industrielle relative au second porte-avions n'est pas encore déterminée. Trois études ont été lancées qui prévoient la possibilité d'une coopération avec le Royaume-Uni, un programme français pour un porte-avions à propulsion classique, et la construction d'un porte-avions à propulsion nucléaire proche du Charles-de-Gaulle, hypothèse dans laquelle DCN serait appelée à jouer un rôle majeur. En tout état de cause, la construction de ce type de navires suppose à la fois la maîtrise de l'architecture navale et de l'architecture des systèmes de combat, que DCN est seule à posséder en France ;

- l'entretien de la flotte représente une dépense annuelle de 500 millions d'euros par an. La loi de programmation prévoit 3 milliards d'euros sur la période 2003-2008, ce qui représente pour DCN des perspectives non négligeables.

M. Jean-Marie Poimboeuf a indiqué que les perspectives de prises de commandes, exportation incluse, s'élevaient à 9 milliards d'euros sur la période de la loi de programmation. A l'exportation, les prospects principaux de DCN sont l'Inde pour 6 sous-marins de type Scorpène, avec transfert de technologie, et le Portugal pour 3 sous-marins. DCN explore d'autres pistes, Singapour et l'Arabie saoudite pour les sous-marins et certains pays du Moyen-Orient pour des bâtiments de surface.

Ces perspectives offrent à tous les établissements de DCN la garantie d'un niveau d'activité satisfaisant.

Dans ce contexte, M. Jean-Marie Poimboeuf a évoqué l'évolution engagée le 6 juillet 2001, de transformation de DCN en société nationale. Selon le schéma d'organisation retenu pour la nouvelle société, le capital sera détenu à 100 % par l'Etat, les personnels sous statut d'ouvrier d'Etat étant mis à la disposition en contrepartie du remboursement de leur rémunération, les personnels recrutés après le changement de statut ainsi que les cadres étant placés sous contrat de droit privé. Un contrat d'entreprise définira les mesures d'accompagnement par l'Etat de la nouvelle société, notamment les perspectives d'activité, ainsi que les engagements de l'entreprise en termes de gains de productivité et d'efficacité.

M. Jean-Marie Poimboeuf a souligné combien ces transformations supposaient une évolution culturelle forte. Il a estimé que les activités d'entretien de la flotte exigeaient une réactivité incompatible avec l'actuel statut de DCN, et qu'il fallait permettre à cette dernière de participer aux évolutions en cours dans l'industrie navale militaire européenne. M. Jean-Marie Poimboeuf a rappelé que le paysage industriel de la construction navale avait subi un mouvement de concentration et d'alliances. Il a cité l'exemple de HDW, qui après avoir racheté un chantier suédois et un chantier grec, a noué des alliances avec l'industriel italien Fincantieri, avant d'être racheté, à son tour, par un fonds de pension américain. La France ne peut ignorer ces repositionnements.

Parmi les chantiers engagés, M. Jean-Marie Poimboeuf a mis l'accent sur le partage des immobilisations, sur les négociations sociales et sur la gestion économique et financière. Le plan à moyen terme vise à un retour à l'équilibre en 2005 et à un résultat net supérieur à 6 % en 2008, l'entreprise prenant à son compte les investissements nécessaires à la transition, qui portent notamment sur l'adaptation des infrastructures, le déploiement d'un nouveau système d'information interne à l'entreprise et l'accompagnement du passage à une culture industrielle.

Si les réformes ont notablement progressé, des points déterminants pour le calendrier du changement de statut restent à trancher : le montant de la capitalisation de la nouvelle société, ainsi que l'année de référence en matière comptable qui sera retenue par les commissaires aux apports. Sur ce dernier point, l'attente des comptes 2002 pourrait entraîner un léger décalage de l'entrée en vigueur du nouveau statut.

A la suite de cet exposé, M. Serge Vinçon a interrogé M. Jean-Marie Poimboeuf sur le montant de la capitalisation nécessaire à la future société DCN et sur la destination du crédit de 20 millions d'euros prévu dans le projet de loi de finances rectificative pour 2002, déposé le 20 novembre dernier. Il a également demandé des précisions sur le coût des différentes solutions à l'étude pour la réalisation du deuxième porte-avions.

M. Maurice Blin a souligné le contraste entre l'excellence technologique reconnue de DCN et les faiblesses qui lui sont souvent imputées du fait de la structure de son personnel ou de ses difficultés à dégager des bénéfices sur les contrats à l'exportation. Il s'est interrogé sur les perspectives ouvertes par la coopération plus étroite engagée avec Thalès, au travers de la société Armaris.

M. Xavier de Villepin s'est inquiété de la lenteur avec laquelle évoluait le statut de DCN, alors que la concurrence dans le domaine de la construction navale militaire s'avère de plus en plus vive. Evoquant le précédent de GIAT Industries, et en dépit des différences très sensibles entre les deux situations, il s'est demandé si la transformation de DCN en société suffirait à garantir sa compétitivité.

Soulignant le temps écoulé depuis le lancement du programme Charles-de-Gaulle, M. Robert Del Picchia a demandé si la solution consistant à en construire un deuxième exemplaire permettrait réellement d'obtenir un coût inférieur. Il a également souhaité savoir si un partage de la charge de travail entre DCN et les Chantiers de l'Atlantique, ces derniers réalisant la coque du porte-avions, était envisageable sur la construction de ce bâtiment. Enfin, il a demandé des précisions sur la poursuite de la construction d'un sous-marin pour le Pakistan à la suite de l'attentat de Karachi survenu en mai dernier.

M. André Ferrand s'est félicité des perspectives intéressantes offertes par le marché de la construction navale militaire en Amérique du Sud et, particulièrement, au Brésil. Il a évoqué la politique commerciale de DCN sur ce continent, en liaison avec Thalès, ainsi que la compétitivité des produits qu'elle propose, notamment par rapport aux frégates de type Floréal construites par les Chantiers de l'Atlantique.

Mme Hélène Luc a regretté que le personnel de DCN n'ait pas été suffisamment associé à la préparation et à la mise en oeuvre de la transformation de l'entreprise.

M. Philippe François a souhaité connaître le chiffre d'affaires de DCN, ainsi que les marges réalisées, tant pour les activités réalisées au profit de la marine qu'en matière d'exportation.

M. André Dulait, président, s'est demandé si la problématique de la réalisation du deuxième porte-avions ne serait pas affectée par le renforcement très important des normes de sûreté relatives aux chaufferies nucléaires et par les contraintes internationales qui s'imposent à un bâtiment à propulsion nucléaire. Il a souhaité des précisions sur les conditions de la coopération avec l'entreprise espagnole Izar dans les négociations avec l'Inde pour l'éventuelle conclusion d'un contrat portant sur des sous-marins Scorpène.

A la suite de ces interventions, M. Jean-Marie Poimboeuf, directeur de DCN , a apporté les précisions suivantes :

- les études commandées par DCN à des consultants extérieurs, s'appuyant sur des comparaisons avec des activités industrielles de même nature, ont conclu à un besoin de capitalisation initiale de la future société représentant le tiers du chiffre d'affaires, soit un montant de l'ordre de 540 millions d'euros ;

- du fait de son statut administratif, DCN a longtemps fonctionné sans recours à des relations contractuelles avec son client national, à savoir la marine, ce qui ne permettait aucune appréciation du résultat économique de ces activités ; les procédures contractuelles internes, qui ont été introduites depuis peu, permettent désormais d'évaluer la marge brute de DCN à 14,5 % sur cette partie de son activité ;

- en ce qui concerne l'exportation, l'analyse effectuée par la Cour des comptes sur les années 1990-2002, fait apparaître un bénéfice global, sur cette période, d'environ 150 millions d'euros ; la marge brute de DCN sur les contrats à l'exportation s'élève donc à 10 % et elle avoisine 13 % si l'on intègre les produits financiers de trésorerie qu'elle obtient sur ces contrats grâce à sa filiale Sofrantem ;

- le crédit de 20 millions d'euros prévu par le projet de loi de finances rectificative pour 2002 représente le budget de fonctionnement de DCN Développement, structure de préfiguration de la future société mise en place depuis mars dernier ; cette dotation recouvre en particulier le soutien apporté à DCN pour toutes les actions liées à sa transformation en société, par exemple le recours à des consultants extérieurs, y compris au profit des partenaires sociaux de l'entreprise ;

- indépendamment des réponses qui seront apportées l'été prochain par les trois études en cours sur la réalisation du deuxième porte-avions, on peut d'ores et déjà indiquer que certaines obsolescences intervenues depuis le lancement du programme Charles-de-Gaulle devront être comblées, y compris dans l'hypothèse de la réalisation d'un exemplaire identique, étant précisé que le développement représentait de 30 à 35 % du coût total de ce programme ;

- les contraintes tenant au renforcement de la sûreté des chaufferies nucléaires ont déjà été largement prises en compte dans le cadre des programmes de construction des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de nouvelle génération et des futurs sous-marins nucléaires d'attaque Barracuda ;

- la question des industriels appelés à participer à la réalisation du deuxième porte-avions importe moins que celle du choix du maître d'oeuvre qui aura la responsabilité de superviser l'intégration des différents systèmes de combat au sein du bâtiment ; DCN reste en France la seule entreprise disposant de ce type de compétences, même si nombre d'autres groupes industriels ont la capacité de prendre en charge tel ou tel aspect du programme ;

- les principales faiblesses de DCN tiennent aux contraintes administratives extrêmement pesantes qui lui sont imposées, du fait de son statut, dans le domaine des achats et des ressources humaines ; il est à cet égard frappant de constater que ces faiblesses disparaissent dans le cadre des activités à l'exportation que DCN réalise par l'intermédiaire des sociétés DCN International et DCN Logistique, qui peuvent s'affranchir de ces contraintes administratives ; la satisfaction témoignée par la marine américaine à la suite des opérations d'entretien et de réparation de l'un de ses bâtiments, confiées à DCN et effectuées à Toulon, contraste de ce point de vue avec les critiques fréquemment émises sur les conditions d'entretien des bâtiments de la marine française ; de fait, DCN, comme toute autre administration, obéit à des règles très contraignantes de passation des marchés qui imposent de longs délais et lui ôtent la réactivité que l'on serait en droit d'attendre d'un industriel ;

- la coopération entre DCN et Thalès est ancienne, notamment dans le cadre des contrats à l'exportation ; la création de la société Armaris, qui institutionnalise cette coopération, doit ouvrir la voie à un rapprochement beaucoup plus étroit entre les deux sociétés ;

- la transformation de DCN en société constitue moins un aboutissement qu'un point de départ devant permettre la conclusion d'alliances industrielles en France et en Europe ;

- l'Amérique du Sud offre effectivement d'intéressantes perspectives à l'exportation pour les constructions navales militaires ; la collaboration avec Thalès en matière commerciale dans cette région du monde est tout à fait satisfaisante ;

- le coût des frégates de type Floréal construites par les Chantiers de l'Atlantique ne peut être comparé à celui d'une frégate de type La Fayette construite par DCN, car il s'agit de bâtiments très différents, les premiers étant beaucoup moins armés et moins complexes que les seconds ; les excellentes capacités industrielles des Chantiers de l'Atlantique sur certains créneaux ne doivent pas masquer la spécificité du métier d'intégrateur de systèmes de combat navals qui constitue le point fort de DCN ;

- il a été décidé de poursuivre la coopération avec le Pakistan sur le programme de construction de sous-marins classiques ; une étude approfondie a été menée sur les conditions préalables nécessaires au retour à Karachi d'une équipe d'assistance de la DCN ;

- les personnels de la DCN qui seront au nombre de 13.600 agents en 2003 ont été largement impliqués dans la campagne d'information sur les raisons et les modalités de la transformation du statut de l'entreprise ; si ce changement continue à susciter des craintes, l'idée d'évolution nécessaire est aujourd'hui assez largement prise en compte par les personnels ; un décret intervenu en avril 2002 a très précisément défini les conséquences de la transformation en société pour chaque catégorie de personnel ; un espace d'information a été créé dans chaque site de la DCN, afin de fournir une réponse individuelle à toutes les questions que se posent les salariés ;

- la coopération avec Izar pour la préparation d'un éventuel contrat avec l'Inde sur les sous-marins Scorpène s'effectue dans de bonnes conditions.

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M. Charles EDELSTENNE
Président-directeur général de Dassault-Aviation

Le mercredi 27 novembre 2002

M. Charles Edelstenne s'est tout d'abord félicité que le projet de loi de programmation militaire pour les années 2003-2008 n'entraîne pas un nouvel étalement ou une nouvelle réduction des objectifs du programme Rafale. En effet, depuis son lancement, les étalements successifs ont conduit à plus de 9 ans de retard par rapport au calendrier initial. Le retour à des niveaux de crédits permettant de réaliser dans les délais prévus ce programme est donc satisfaisant.

Cependant, plus généralement, l'effort annoncé en matière de recherche, dans le projet de loi, ne permettra pas d'atteindre un niveau suffisant de crédits, l'objectif se situant à moins de 4,5 % des crédits du titre V, et non de 6 %, comme par le passé. M. Charles Edelstenne a souligné en contrepoint que les Etats-Unis avaient une volonté beaucoup plus forte de renforcer leur capacité technologique et consacraient pour la recherche militaire des sommes équivalentes à la totalité du budget de défense français.

Il a ensuite estimé que l'effort programmé en matière de maintien en condition opérationnelle était nécessaire et qu'il aurait des effets très positifs en matière de coût et de disponibilité, dans la mesure où il conduirait à une planification.

Enfin, abordant la question des drones, il a indiqué que la société Dassault-Aviation avait développé sur ses fonds propres deux démonstrateurs technologiques, intégrant des technologies de pointe et ayant une très faible signature radar. Dassault-Aviation sera ainsi à même de répondre à l'appel d'offres de la défense sur les drones multicharges multimissions (MCMM).

A la suite de l'exposé de M. Charles Edelstenne, un débat s'est engagé avec les commissaires.

M. Serge Vinçon a souhaité connaître l'appréciation que portait la société Dassault, en tant qu'industriel, sur le fonctionnement de la SIMMAD (structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques de la défense). Il s'est en outre interrogé sur les possibilités de développement en matière de drones de combat et d'un futur avion de combat européen, compte tenu de la participation d'un certain nombre de pays européens au programme américain d'avion F.35.

M. Maurice Blin , rapporteur pour avis de la commission des finances du projet de loi de programmation militaire , s'est demandé si les efforts faits en matière de recherche militaire continueraient, comme par le passé, à avoir des retombées dans le domaine civil.

M. Xavier de Villepin a souhaité des précisions sur les difficultés techniques du programme Eurofighter et sur les possibilités d'exporter le Rafale. Il s'est en outre interrogé sur l'organisation et l'efficacité des services de soutien aux exportations d'armement à l'étranger. Il a enfin souhaité savoir quelles étaient les perspectives techniques et industrielles pour la réalisation de la prochaine génération d'avions de combat.

M. Jean-Pierre Masseret a souhaité savoir si les insuffisances constatées dans les crédits de recherches militaires étaient propres à la France ou existaient également dans les autres pays européens. Il s'est également interrogé sur l'opportunité de créer un pôle de recherches européen en matière militaire.

Abordant les relations existantes entre les industriels et la Délégation générale à l'armement, il a interrogé M. Charles Edelstenne sur leur nature et sur leur évolution souhaitable. Puis il a fait valoir qu'en matière de politique européenne de sécurité commune « PESC », nos partenaires n'étaient pas toujours aussi déterminés que la France.

M. Christian de La Malène a souhaité recueillir la position de principe de M. Charles Edelstenne sur l'opportunité de la construction d'un futur avion de combat qui succéderait à terme au Rafale.

Mme Josette Durrieu , relevant la récente proposition franco-allemande en faveur d'une coopération accrue en matière d'Europe de l'armement, s'est interrogée sur la contribution que l'OCCAR (Organisme conjoint de coopération en matière d'armement) pouvait apporter en la matière dans l'attente d'une future agence européenne de l'armement.

Mme Hélène Luc s'est interrogée sur les secteurs de la défense les plus affectés par l'insuffisance des crédits de recherches.

Elle a demandé à M. Charles Edelstenne d'établir un bilan du programme Rafale. Evoquant le rôle déterminant occupé par les activités de renseignement dans le contexte international actuel, elle s'est interrogée sur les apports de la future loi de programmation militaire sur ce point. Enfin, elle a fait état de ses interrogations sur la compatibilité entre le rôle croissant de l'OTAN et le maintien de l'autonomie de défense européenne et nationale.

M. Jean-Guy Branger a regretté le retard intervenu dans le calendrier du Rafale et s'est interrogé sur son impact négatif sur la commercialisation de l'appareil.

En réponse à ces questions M. Charles Edelstenne a apporté les précisions suivantes :

- l'action de la SIMMAD est incontestablement positive, car cette structure offre une meilleure visibilité pour l'industrie et permet donc de « lisser » la charge de travail liée à la maintenance des matériels aéronautiques.

Dans ce contexte, M. Charles Edelstenne a marqué sa préférence pour une globalisation des charges d'entretien des équipements du maître d'oeuvre plutôt qu'à une répartition par fournisseur ;

- en matière de drones, la France possède actuellement des matériels voués à la reconnaissance et à l'observation. La loi de programmation militaire prévoit des drones de petite taille à faible autonomie, qui évolueront ultérieurement vers les drones MALE  (moyenne altitude longue endurance) ou HALE (haute altitude longue endurance). Les Etats-Unis ont commencé à travailler sur des avions de combat non pilotés, mais dont le coût pour certains est supérieur à celui d'avions de combat. La rationalité économique et opérationnelle devrait conduire à privilégier des drones de combat aptes à effectuer des missions à risque, mais moins coûteux que des avions pilotés ;

- le programme Rafale a été lancé en 1985, avec des perspectives de première livraison en 1998, ultérieurement avancées à 1996 grâce à une participation des industriels au développement à hauteur de 25 %. Au total, les industriels auront participé à 25 % de l'intégralité du développement du Rafale, alors que les premières livraisons de cet avion ont été différées de 1996 à 2005 du fait des carences budgétaires de l'Etat. Outre ces implications financières, ce retard a coïncidé avec l'émergence d'une forte concurrence sur le marché des avions de combat : F 16 Block 60, F 18, enfin l'Eurofighter (dont la commercialisation est cependant ralentie par des difficultés techniques de mise au point) auxquels s'ajoute désormais le projet américain d'avion F 35-JSF (joint strike fighter). La réalisation de ce projet a été accélérée par la décision d'augmenter considérablement le budget militaire américain, après le 11 septembre 2001. Ainsi, les Etats-Unis ont alors proposé le JSF à différents pays européens. Cinq d'entre eux, dont la Grande-Bretagne et l'Italie, qui participent déjà à l'Eurofighter, ont accepté de financer le développement du F 35. Les investissements de ces cinq pays représentent plus de 5 millions d'US dollars, c'est-à-dire 80 % du coût de développement du Rafale ;

- le coût budgétaire de l'Eurofighter est 25 % supérieur à celui du Rafale, démontrant, dans le cas d'espèce, qu'un programme en coopération en matière d'équipement militaire n'est pas nécessairement synonyme d'économies, contrairement à ce qui se passe dans le domaine de l'aéronautique civile. C'est toute une philosophie de la pratique de coopération européenne en matière d'avions de combat qu'il convient de revoir, domaine dans lequel la France détient un « leadership » évident.

M. Xavier de Villepin a souhaité avoir confirmation que le prix de vente à l'exportation d'un Eurofighter était supérieur à celui du Rafale, ce qui constituerait un avantage comparatif pour ce dernier.

M. Christian de la Malène a souhaité connaître la position respective de la Grande-Bretagne et des Pays-Bas en matière d'avions de combat.

M. Charles Edelstenne a apporté les compléments d'information suivants :

- le prix de vente d'un Eurofighter est plus élevé que celui du Rafale, et le coût budgétaire total du programme Eurofighter -développement-fabrication, commercialisation- s'avère supérieur d'un quart à celui du Rafale ;

- l'industrie française s'est engagée à maintenir les prix de vente du Rafale jusqu'au 294 e avion ;

- le coût total du programme Rafale est resté dans son budget initial, malgré un dépassement sur les coûts de développement dû à son étalement, ce surcoût ayant été compensé par des baisses sur les prix de série ;

- les premières livraisons du F-35 sont attendues au plus tôt pour 2013. Cette date peut sembler éloignée, mais elle n'en « gèle » pas moins déjà le marché, particulièrement celui des pays européens engagés dans le développement de cet avion ;

- les Etats-Unis ont modifié leur politique commerciale de matériels militaires en suprimant la possibilité d'offsets, sauf si une participation financière du client dans le développement de l'appareil était acceptée. Au surplus, ces participations industrielles sont soumises à des conditions de compétitivité ;

- l'armée de l'air britannique possède actuellement des avions Tornado en fin de vie, et s'est engagée dans l'acquisition de 230 Eurofighter. Lorsqu'est apparu le projet F-35, ce pays a également opté pour l'achat de 150 appareils. Si ces deux projets étaient réalisés, la capacité britannique en avions de combat croîtrait d'un pourcentage sensible ;

- à l'heure actuelle, la France est le seul pays européen qui dispose des capacités nécessaires pour construire des avions de combat. L'industrie des avions de combat utilise ou génère environ 70 % des technologies de pointe ;

- les technologies militaires développées autour des avions de combat ont des retombées positives dans le domaine de l'aéronautique civile ;

- le calendrier de construction de la prochaine génération d'avion militaire ne peut être établi aujourd'hui. En effet, le marché va être nourri jusqu'environ 2040-2050 par l'arrivée des Rafale, de l'Eurofighter puis du JSF à partir de 2015, appareils dont la durée de vie est d'au moins 30 ans. Il est donc nécessaire dans cet intervalle de maintenir les compétences techniques requises, en recourant par exemple à la recherche appliquée aux avions de combat non pilotés ;

- la question du maintien des compétences est essentielle. Elle déterminera la place de la France en matière de maintien des technologies de pointe et sa place sur la scène internationale ;

- les sommes affectées dans notre pays à la recherche militaire aéronautique sont faibles, même dans le cadre de la prochaine loi de programmation, qui permettra seulement une remise à niveau. Ainsi, Dassault a reçu ces dernières années, à ce titre, une moyenne annuelle de 150 millions de francs, soit environ 50 voire 100 fois moins que les sociétés américaines concurrentes. Au sein de l'ensemble européen, la Grande-Bretagne est le seul pays qui ait maintenu un haut niveau d'investissement en matière de recherche et d'équipement militaires ;

- les incertitudes qui affectent le plus la visibilité industrielle découlent des restrictions budgétaires successives ;

- les actions développées en matière de renseignement ont peu d'impact sur les activités de Dassault. La construction de drones, utilisés comme avions de reconnaissance, contribuerait au renforcement de cette activité.

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