2. Le recentrage nécessaire de l'État culturel
L'État a-t-il le monopole de l'intérêt général culturel ? Dans une optique à moyen terme, la question doit être posée. A la fois parce que jusqu'à présent, il a toujours préféré faire lui-même plutôt que faire faire, et parce qu'il a, spontanément, tendance à en faire trop : trop de nouveaux équipements, surtout à Paris, trop de nouvelles missions aussi dispersent les forces des fonctionnaires et absorbent des crédits en quantité toujours insuffisante.
Il serait sans doute temps de réfléchir à un nouveau partage des tâches, qui laisse plus de place à l'initiative privée ou décentralisée, ainsi qu' à la façon de réagir à une prolifération de l'offre culturelle qui ne parvient pas toujours à créer sa propre demande .
(1) Ajuster le partage des responsabilités et des ressources entre État et collectivités locales
Des expériences de décentralisation sont en cours dans deux régions, Lorraine et Midi-Pyrénées, celles-ci s'ajoutent aux protocoles de décentralisation et à ce qui pourrait être entrepris sur la base de l'article 111 de la loi du 27 février 2002 sur la démocratie de proximité. Le ministre de la culture ne devrait pas manquer de faire le point de ces diverses tentatives.
En attendant, force est de constater que, dans le domaine culturel, la répartition des tâches fait apparaître des différences d'engagements pas toujours justifiées.
Dans le domaine de l'enseignement musical, par exemple, la présence de l'État se fait relativement discrète et, aux yeux de certains élus, il s'agirait plutôt d'un « soutien sans participation ». A ce sujet, on peut citer une boutade du rapport de la commission d'études de la politique culturelle de l'État d'octobre 1996 présidée par M. Jacques Rigaud : « un conservatoire national de région n'est, le plus souvent, ni national ni de région, mais une école municipale ».
A l'autre extrême, l'on trouve le cas des fonds régionaux d'art contemporain, qui constituent le type même de ce partenariat imposé que les collectivités territoriales reprochent souvent à l'État. La politique contractuelle est bien souvent déséquilibrée : les collectivités territoriales participent financièrement, mais c'est l'État qui conserve la maîtrise des choix culturels.
De nouveaux domaines s'ouvrent néanmoins à l'action des collectivités locales. C'est ainsi que l'on assiste à la montée en puissance des régions et, surtout, des départements en matière de patrimoine monumental .
A l'issue de l'enquête qu'il a menée à ce sujet, votre rapporteur spécial estime que l'État pourrait transférer aux régions et aux départements une partie de ses compétences en la matière, étant entendu que continueraient de relever de lui les prérogatives régaliennes que sont le classement et l'inscription - si tant est qu'il faille à moyen terme conserver cette distinction dans un contexte d'assouplissement du monopole des architectes en chef des monuments historiques.
Le ministre ne devrait pas manquer de faire le point des travaux de la commission présidée par M. Jean-Pierre Bady, à l'occasion de la discussion budgétaire.
(2) Utiliser l'initiative privée et stimuler le mécénat
Le ministre de la culture place beaucoup d'espoir dans le mécénat pour prolonger et relancer la politique culturelle de l'État. Votre rapporteur spécial considère qu'il y a là un grand chantier et qu'il faut, effectivement, faire de plus en plus de place à l'initiative privée dans le domaine culturel.
Le développement du mécénat peut prendre deux voies complémentaires juridique ou fiscale.
La voie juridique est certainement une des plus prometteuses à moyen terme. L'introduction de la fiducie en droit français, aussi souhaitable soit-elle, soulève cependant une série de difficultés, tant en matière de droit civil que de droit des sociétés, qui ne permettent pas d'envisager une issue immédiate.
En revanche, la voie fiscale paraît plus prometteuse, même si l'état de nos finances publiques comme l'importance des avancées récentes, conduisent à n'anticiper que des aménagements ponctuels.
Il faut d'abord rappeler que le droit existant est déjà relativement favorable, notamment depuis que les dépenses et dons aux oeuvres peuvent être déduites dans la limite de 10 % du revenu imposable.
Par ailleurs, le dispositif véritablement révolutionnaire des articles 23 et 25 de la loi n° 2000-5 du 4 janvier 2002 sur les musées, devrait permettre d'endiguer l'exode des trésors nationaux si la situation économique et l'état de la bourse ne détournent pas les entreprises de ce type d'opération de notoriété.
Il serait ainsi possible d'aménager le régime de la dation pour permettre le maintien des oeuvres in situ .
Une voie encore à explorer serait celle indiquée par la proposition de loi de notre collègue Philippe Marini, consistant à instituer une réduction d'impôt en matière de droits de mutation et d'ISF en cas de dons à des fondations spécialement agréées à cet effet.
D'une façon générale, il faut s'appuyer sur les personnes privées pour mener la politique culturelle. Ceci est vrai tout particulièrement du secteur du patrimoine monumental, dans lequel ce sont les personnes privées qui sont les premiers conservateurs des monuments .
A ce sujet, il faudrait que le ministre de la culture fasse aboutir l'amendement adopté par l'Assemblée nationale lors de la discussion de la proposition de loi Lequiller sur la protection du patrimoine (Sénat n° 399-session ordinaire 2000-2001) permettant une exonération du droit de succession à concurrence de 50 % pour les monuments ouverts 30 jours par an.
Votre rapporteur spécial estime en outre, que l'on pourrait accorder le même avantage, sur agrément, pour certains monuments, tant pour les droits de mutation que pour l'impôt sur la fortune, dès lors que leur propriétaire s'engage à respecter certaines obligations notamment en matière d'entretien.
En dernier lieu, l'initiative privée pourrait sans doute participer au fonctionnement du service public . A l'issue de son enquête sur le patrimoine monumental et après avoir vu comment fonctionnait le château de Schönbrunn, votre rapporteur spécial estime que l'on pourrait expérimenter la concession d'un monument d'État à une entreprise privée .
(3) Réfléchir à une meilleure maîtrise de l'offre culturelle globale
Le rapport du cabinet KPMG déjà cité, insiste sur les effets inflationnistes pour le budget de la culture de la multiplication des grands équipements culturels. Il souligne, en reconnaissant que la question est régulièrement évoquée dans les rapports des assemblées et de la Cour des comptes, que l'on a créé de grands équipements sans avoir cherché à en évaluer les coûts de fonctionnement.
Il ajoute, et la nouveauté de l'approche mérite d'être signalée, qu'il faudrait également s'intéresser désormais aux charges de renouvellement. Cette notion d'amortissement n'est actuellement pas prise en compte ; or, plusieurs facteurs tendent à rendre cette notion de plus en plus pertinente : l'obsolescence des matériaux et le caractère de plus en plus technologique des bâtiments tendent à rendre nécessaires les opérations de restauration ou un renouvellement plus fréquent.
Il est à l'évidence trop tard pour ce qui concerne les grands équipements déjà ouverts ; mais la question reste actuelle dans la mesure où il faut s'interroger sur les coûts de fonctionnement des grands équipements qui restent encore à installer : le musée du Quai Branly, la cité de l'architecture et du patrimoine, la maison du cinéma et l'Institut national d'histoire de l'art.
Votre rapporteur spécial serait tenté d'ajouter le musée des arts africains ou océaniens auquel il faudra bien trouver une fonction.
A cet égard, la piste qu'a évoquée le ministre consistant à en confier la gestion à l'Union des arts décoratifs pour en faire un musée des années 30 lui est apparue prometteuse, en ce qu'elle ne s'accompagnait pas de la création d'un nouvel organisme.
Dans son ouvrage déjà ancien mais qui garde toute son actualité, « le gouvernement de la culture », Maryvonne de Saint-Pulgent, s'inquiète, à juste titre, de ce qu'elle appelle la « bulle culturelle ».
Bien qu'il n'ait pas été possible à votre rapporteur spécial de faire actualiser de données fournies dans cet ouvrage, on peut rappeler que « l'action combinée de la ville et de l'État, a doté la Ville de Paris de neuf orchestres permanents, de cinq théâtres lyriques, et d'une centaine de lieux de concerts dans la coûteuse cité de la musique [votre rapporteur spécial attend l'auditorium] et la collection high-tech des auditoriums de musée ».
Il faut rappeler que le musée d'Orsay, la Bibliothèque de France et le musée du Louvre développe une programmation musicale substantielle en toute indépendance vis-à-vis de la direction de la musique.
Maryvonne de Saint-Pulgent cite le chiffre de 6.000 soirées de musique classique en 1997 et un taux de remplissage de 60 %. On aimerait avoir des données plus récentes sur la question.
Or, il en est de la « bulle culturelle » comme de la « bulle Internet », elle pourrait bien se dégonfler et rendre inadéquat certains projets trop ambitieux. La régression du nombre d'entrées que l'on constate dans les musées et les monuments, doit être suivie de près pour savoir s'il s'agit de la conséquence des événements du 11 septembre ou de la manifestation d'une baisse à moyen terme de la demande de services culturels qui, si elle ne peut pas être considérée comme satisfaisante, doit conduire les pouvoirs publics à être attentifs à ne pas encourager une offre culturelle surdimensionnée.
Le budget pour 2003 marque un retour aux réalités. Après l'apothéose proclamée du budget de 2002 qui était censé, enfin, toucher au but mythique du 1 % du budget de l'État, le nouveau Gouvernement lance, non sans courage, une opération « vérité » tendant à ajuster les crédits inscrits en loi de finances initiale aux capacités du ministère à dépenser ses crédits d'investissement.
Le 1 % est un véritable mythe budgétaire : la part du budget de la culture dans le budget de l'État en termes de lois de règlement n'était que 0,87 % en 2001, et ce indépendamment du rattachement au budget de la dotation globale de décentralisation part bibliothèque.
Pour la première fois depuis longtemps, les crédits diminuent en crédits de paiement, même si les moyens d'engagement, c'est-à-dire la somme des dépenses ordinaires et des autorisations de programme, augmentent.
Si, pour la commission des finances du Sénat, la Culture fait partie des responsabilités essentielles de l'État, la hausse des crédits n'est pas un objectif en soi. L'augmentation du budget de la culture, dont le précédent gouvernement avait fait une de ses priorités, ne peut tenir lieu de politique.
Au moment où l'horizon économique est incertain, il conviendrait que le Gouvernement se place dans une optique à moyen terme et qu'il recherche résolument les moyens d' échapper à la fatalité du « toujours plus », c'est-à-dire du toujours plus de moyens pour, surtout, toujours plus d'objectifs .
C'est sans doute le moment de réfléchir à un certain recentrage de l'État sur ses tâches régaliennes , recentrage qui suppose qu'il mette en place les cadres juridique et financier lui permettant de s'appuyer, plus qu'il ne l'a fait par le passé, sur les initiatives des collectivités territoriales et des acteurs privés.