III. EXAMEN DU RAPPORT
Réunie le jeudi 17 octobre 2002 , sous la présidence de M. Georges Mouly, puis de M. Alain Gournac, vice-présidents , la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Louis Souvet sur le projet de loi n° 21 (2002-2003) , adopté par l'Assemblée nationale, relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi.
A titre liminaire, M. Louis Souvet, rapporteur , a rappelé que la commission avait exprimé, lors des débats précédant l'adoption des lois du 13 juin 1998 et du 19 janvier 2000, une triple crainte sur la politique de réduction du temps de travail menée par l'ancien gouvernement : l'absence de prise en compte des incidences de la réduction du temps de travail sur les minima salariaux risquant de provoquer un éclatement du SMIC et une augmentation du coût du travail, la priorité accordée à une réduction autoritaire de la durée du travail réduisant la place du dialogue social à la portion congrue et complexifiant à l'extrême un droit du travail déjà singulièrement illisible et, enfin, la complexité du dispositif d'aide financière, dont la pérennité des conditions de financement pérennes n'était, à l'évidence, pas assurée.
Observant que ces trois inquiétudes étaient aujourd'hui confirmées, il a indiqué que le projet de loi cherchait à y apporter une réponse pragmatique.
Il a d'abord souligné que le projet de loi engageait le processus de convergence des SMIC.
Jugeant que le dispositif posé par l'article 32 de la loi du 19 janvier 2000 constituait une véritable « bombe à retardement », il a présenté le scénario de convergence retenu par le projet de loi. A cet égard, il a souligné que ce scénario d'harmonisation « par le haut » en trois ans était d'ailleurs celui privilégié par le Conseil économique et social dans son avis de juillet dernier.
Il a déclaré souscrire pleinement à ce dispositif qui lui paraissait le seul véritablement praticable pour en finir avec l'éclatement des référents salariaux. Il a estimé que ce scénario permettrait de mettre fin en trois ans aux flagrantes inégalités salariales existantes, tout en garantissant au minimum le maintien du pouvoir d'achat. Observant qu'il n'était pas illégitime de craindre les conséquences de ce scénario en matière de hausse du coût du travail, il a toutefois précisé que le dispositif retenu permettait de lisser sur trois ans l'inévitable augmentation de 11,4 % du SMIC et que le nouveau dispositif d'allégement de charges permettra de compenser en grande partie le coût salarial supplémentaire. Il a également indiqué que cette solution avait l'avantage d'offrir une lisibilité inédite sur l'évolution des salaires sur trois ans.
Abordant le titre II du projet de loi relatif aux assouplissements des « 35 heures », M. Louis Souvet, rapporteur, a souligné que l'assouplissement essentiel concernait le régime des heures supplémentaires.
Après avoir rappelé que le régime actuel se caractérisait par son extrême complexité et sa forte rigidité, il a estimé que le projet de loi apportait une nouvelle lisibilité au régime actuel, renforçait le rôle du dialogue social et prenait en compte les spécificités des petites entreprises en étendant la période d'adaptation.
Il a ensuite indiqué que le projet de loi modifiait également le régime du temps de travail des cadres en renforçant notamment le rôle de la négociation collective pour la définition des cadres au forfait en jours. Il a toutefois estimé qu'il était nécessaire d'aller plus loin en la matière en élargissant plus encore la responsabilité de la négociation collective. Il a également jugé souhaitable d'étendre le système du forfait en jours aux salariés itinérants non-cadres.
Observant que le projet de loi prévoyait la « monétarisation » du compte épargne-temps, il a jugé que cette réforme favoriserait le développement de ce dispositif utile mais encore trop peu utilisé. Il a toutefois souligné la nécessité d'encadrer cette monétarisation afin que la réforme proposée ne remette pas en cause les règles actuellement applicables en matière de congés payés.
Après avoir rappelé que l'Assemblée nationale avait introduit un amendement clarifiant le régime de l'astreinte et que les organisations syndicales auditionnées par la commission avaient attiré son attention sur les conséquences de cette modification, il a jugé nécessaire d'étudier avec soin toutes les implications de la réforme proposée. Il a alors déclaré que cette question pourrait être à nouveau évoquée le mercredi 23 octobre prochain, lors de la réunion d'examen des amendements, si ces implications apparaissaient réellement préjudiciables à l'intérêt général.
Il est également revenu sur le dispositif de « sécurisation » introduit à l'Assemblée nationale. A ce propos, il a souhaité que les conséquences de ce nouvel article 13 soient examinées avec la plus grande attention. Il a notamment indiqué qu'il lui paraissait nécessaire de prévoir dès à présent l'impact de la future loi sur l'équilibre général des accords déjà conclus, notamment en matière de déclenchement du repos compensateur obligatoire. Il a alors considéré que le projet de loi ne devait pas avoir pour conséquence d'entraîner automatiquement la renégociation des accords actuellement applicables, à condition que leur légalité ne soit pas en cause.
Présentant ensuite les dispositions du titre III du projet de loi relatives à la nouvelle réduction de cotisations patronales de sécurité sociale, M. Louis Souvet, rapporteur, a indiqué que cette réduction remplacerait, à compter du 1 er juillet 2003, les deux principaux allégements en vigueur à savoir, d'une part, la ristourne sur les salaires, dite « ristourne Juppé », et, d'autre part, l'allégement lié à la réduction du temps de travail, dit allégement « Aubry II ».
Il a précisé que l'allégement de charges ainsi accordé aux entreprises, qui concerne leurs cotisations de sécurité sociale, d'accidents du travail et d'allocations familiales, serait de 26 points, sur un total dû de 30,2 points, pour une rémunération horaire égale au SMIC. Il deviendra nul pour une rémunération horaire égale à 1,7 fois le SMIC. Toutefois, et afin d'accompagner la convergence des minima salariaux, des modalités transitoires de calcul de cet allégement sont prévues pour les années 2003-2005.
Comparant ce nouveau dispositif avec la ristourne « Juppé » et l'allégement « Aubry II », M. Louis Souvet, rapporteur, a notamment souligné que la nouvelle réduction de cotisations était calculée sur la base du salaire horaire, et non de la rémunération mensuelle. Elle est ainsi cohérente avec les objectifs généraux du projet de loi qui assouplit, sous réserve d'accords collectifs, le recours aux heures supplémentaires. Il convient donc que le coût de ces heures supplémentaires ne soit pas dissuasif au point d'ôter toute signification à la possibilité aussi ouverte aux partenaires sociaux.
A ce sujet, M. Louis Souvet, rapporteur , a rappelé que le coût effectif d'une heure supplémentaire au niveau du SMIC était, actuellement, de l'ordre de 190 % pour une entreprise à 35 heures, et de plus de 200 % pour une entreprise à 39 heures. En effet, la ristourne « Juppé » et l'allégement « Aubry II » étant calculés sur la base de la rémunération mensuelle du salarié, chaque heure supplémentaire accroît cette rémunération et diminue, automatiquement, le montant de l'aide qui est dégressive en fonction du niveau du salaire.
M. Louis Souvet, rapporteur , a souligné que, dans le cadre du nouveau dispositif, calculé sur la base du salaire horaire, seule la bonification de l'heure supplémentaire contribuait à augmenter le salaire horaire moyen et, par conséquent, à réduire le montant de l'allégement accordé à l'entreprise.
M. Louis Souvet, rapporteur , a estimé que la nouvelle réduction de cotisations sociales ainsi définie était parfaitement adaptée aux objectifs que lui a assignés le Gouvernement, c'est-à-dire compenser le coût, pour les entreprises, de l'unification progressive des minima salariaux d'ici 2005, favoriser la création d'emplois, notamment d'emplois peu qualifiés et, enfin, simplifier les dispositifs existants.
Il a ajouté que le coût net résultant, pour la sécurité sociale, de la création de ce nouvel allégement de charges est estimé à un milliard d'euros en 2003, et à six milliards d'euros d'ici 2005. Il s'est félicité que ce coût soit intégralement compensé à la sécurité sociale, via le FOREC, sans détournement de recettes préalablement affectées aux régimes sociaux.
En conclusion, M. Louis Souvet, rapporteur, a estimé que le projet de loi était à la fois pragmatique et équilibré, permettant de concilier au mieux les aspirations des salariés et les contraintes des entreprises. Il a indiqué qu'il proposerait toutefois d'adopter une quinzaine d'amendements qui, sans remettre en cause l'équilibre général du texte, en prolongeaient la logique et lui apportaient de nécessaires précisions.
Observant que le rôle du législateur était avant tout de dégager l'intérêt général, M. Jean Chérioux a salué le souci d'équilibre recherché par le rapporteur et sa volonté de prendre en compte les observations exprimées par les partenaires sociaux lors de leur audition. Il a alors déclaré partager la proposition du rapporteur de ne pas exclure le dépôt d'amendements ultérieurs, notamment en matière d'astreinte.
M. Gilbert Chabroux , tout en reconnaissant que le rapporteur avait présenté un rapport clair et bien construit sur un sujet difficile et dans un laps de temps très restreint, a déclaré ne pas partager les conclusions qui venaient d'être exposées. Observant que les auditions réalisées par la commission avaient permis de montrer que seule, parmi les partenaires sociaux, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) était pleinement en accord avec le projet de loi, il a alors considéré que le ministre ne pouvait en aucun cas, se prévaloir d'un accord général.
Il s'est également interrogé sur les créations d'emplois suscitées par la ristourne sur les bas salaires entre 1993 et 1997, rappelant que les études économiques aboutissaient à des résultats contradictoires sur ce sujet.
S'agissant des amendements annoncés par le rapporteur, il a salué son effort de modération à l'exception de ses propositions d'extension du forfait en jours aux cadres et aux salariés itinérants. Il a notamment estimé que l'amendement sur la monétarisation du compte épargne-temps allait dans le bon sens et a également souhaité le dépôt d'un amendement sur l'astreinte et les établissements médico-sociaux. Il a toutefois considéré que les amendements proposés ne changeraient pas la nature du texte qui relève de la régression sociale.
M. Guy Fischer , observant qu'il s'agissait du premier texte social de la nouvelle législature, s'est interrogé sur la marge de manoeuvre réelle du Sénat en la matière. Il a considéré qu'il s'agissait d'un texte de régression sociale remettant en cause l'ordre public social au profit du contrat. Il a rappelé que les partenaires sociaux étaient très partagés voire très critiques sur ce texte, que l'examen à l'Assemblée nationale était loin d'avoir amélioré. Il a alors exprimé son intérêt sur les amendements que pourrait présenter ultérieurement le rapporteur afin de compenser les excès d'une lecture précipitée à l'Assemblée nationale et a souhaité en avoir communication dans les meilleurs délais.
M. Michel Esneu a estimé que le projet de loi avait atteint un réel équilibre en matière de temps de travail. Il a ainsi indiqué que le législateur restait le garant de l'intérêt général, mais que le projet de loi permettait de restaurer le rôle de la négociation contractuelle. Il a jugé cette démarche salutaire pour le développement de l'initiative privée et de l'emploi.
M. André Lardeux a considéré que le texte allait dans le bon sens en permettant de revaloriser le travail. Après avoir rappelé que de récents rapports avaient souligné l'écart croissant entre les États-Unis d'un côté et la France et l'Allemagne de l'autre, il a estimé que cet écart s'expliquait largement par la rigidité de notre système économique. Il a estimé qu'avec ce texte le Gouvernement faisait le pari, à son avis justifié, de la responsabilité des partenaires économiques et sociaux, dans un souci bien compris de recherche de l'intérêt général. Il a enfin jugé urgent de clarifier les conséquences de la réduction du temps de travail dans les établissements médico-sociaux.
M. André Geoffroy s'est inquiété des conséquences du nouveau régime de l'astreinte introduit à l'Assemblée nationale, notamment pour le secteur hospitalier et pour les services départementaux d'incendie et de secours.
En réponse aux différents intervenants, M. Louis Souvet, rapporteur, a déclaré que sa démarche avait été guidée par la recherche constante de l'intérêt général dans le peu de temps qui lui a été offert. A cet égard, il a, à nouveau, insisté sur les deux aménagements qui lui paraissaient le plus nécessaire : l'extension du forfait en jours aux cadres et aux itinérants non-cadres. Il a également précisé que les évaluations, dont il a cité les résultats, des créations d'emplois dues à la ristourne « Juppé » étaient le fruit d'une étude de l'INSEE publiée en août 2001.
Indiquant qu'il aurait souhaité pouvoir présenter immédiatement l'ensemble de ses propositions définitives, il a jugé qu'il était néanmoins plus raisonnable de se ménager un délai jusqu'à la semaine prochaine.
Puis la commission a procédé à l'examen des articles et des amendements présentés par le rapporteur.
Elle a adopté sans modification l'article premier (harmonisation des salaires minima).
A l'article 2 (assouplissements des 35 heures), outre trois amendements de précision ou de coordination, la commission a adopté un amendement visant à renvoyer plus largement à la négociation collective le soin de déterminer les cadres au forfait en jours, un amendement visant à permettre à des salariés itinérants non-cadres de relever de ce même forfait et un amendement visant à préciser les conditions de valorisation en argent des congés payés affectés au compte épargne-temps.
Elle a adopté sans modification les articles 2 bis (régime des astreintes) et 2 ter (coordination avec le code du travail maritime).
A l'article 3 (prolongation jusqu'au 31 décembre 2005 du régime transitoire applicable en matière d'heures supplémentaires pour les entreprises de 20 salariés au plus), elle a adopté un amendement de coordination.
A l'article 4 (transposition de certaines dispositions du projet de loi dans le code rural), elle a également adopté un amendement de coordination.
Elle a adopté sans modification l'article 5 (mesure spécifique aux établissements médico-sociaux).
A l'article 6 (dispositif d'allégement de cotisations patronales de sécurité sociale), la commission a adopté un amendement de cohérence rédactionnelle.
A l'article 7 (dispositif transitoire d'allégement de cotisations patronales de sécurité sociale), la commission a adopté deux amendements de précision ou de cohérence rédactionnelle, et un amendement visant à faire bénéficier les entreprises passées aux 35 heures, pendant la période transitoire, de la nouvelle réduction de cotisations au titre des salariés intérimaires qu'elles emploient, et ce dans les mêmes conditions que leurs propres salariés.
La commission a ensuite adopté sans modification l'article 8 (abrogation de l'allégement de cotisations sociales patronales lié à la réduction du temps de travail et coordination), l'article 9 (application du dispositif d'allégement de cotisations sociales patronales à certains régimes spéciaux de salariés) et l'article 10 (caractère individuel de l'aide incitative à la réduction du temps de travail afférente au salarié y ouvrant droit).
A l'article 11 (date d'entrée en vigueur du dispositif d'allégement), la commission a adopté un amendement de précision.
A l'article 12 (abrogation des règles d'accès, de suspension et de suppression de l'allégement de cotisations sociales patronales lié à la réduction du temps de travail), elle a adopté un amendement visant à corriger une erreur matérielle.
Elle a adopté sans modification l'article 13 (sécurisation des accords conclus par les partenaires sociaux).
La commission a enfin adopté le projet de loi ainsi amendé .