N° 87

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

Annexe au procès verbal de la séance du 22 novembre 2001

RAPPORT GÉNÉRAL

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur le projet de loi de finances pour 2002 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

Par M. Philippe MARINI,

Sénateur,

Rapporteur général.

TOME III

LES MOYENS DES SERVICES ET LES DISPOSITIONS SPÉCIALES

(Deuxième partie de la loi de finances)


ANNEXE N° 9

CULTURE ET COMMUNICATION :

COMMUNICATION AUDIOVISUELLE


Rapporteur spécial : M. Claude BELOT

(1) Cette commission est composée de : MM. Alain Lambert, président ; Jacques Oudin, Gérard Miquel, Claude Belot, Roland du Luart, Mme Marie-Claude Beaudeau, M. Aymeri de Montesquiou, vice-présidents ; MM. Yann Gaillard, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Philippe Marini, rapporteur général ; Philippe Adnot, Bernard Angels, Bertrand Auban, Denis Badré, Jacques Baudot, Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Eric Doligé, Thierry Foucaud, Yves Fréville, Adrien Gouteyron, Hubert Haenel, Claude Haut, Alain Joyandet, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, François Marc, Michel Mercier, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Pelletier, René Trégouët.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 3262 , 3320 à 3325 et T.A. 721

Sénat
: 86 (2001-2002)


Lois de finances.

PRINCIPALES OBSERVATIONS

Le présent budget, en dépit de dotations apparemment flatteuses, surtout lorsqu'on les rapporte à celles de 1997, ne donne pas aux sociétés nationales de programmes des moyens à la mesure des ambitions audiovisuelles qu'on leur assigne.

Il s'inscrit dans une politique qui, en particulier en matière de numérique terrestre, ne prend pas assez en compte ni les impératifs économiques, ni les enjeux culturels.

1. Le numérique terrestre sans perspectives immédiates

A peine adoptée, la nouvelle loi audiovisuelle apparaît dépassée. Tout se passe comme si, malgré les avertissements du Sénat, le Gouvernement avait du mal à tenir compte des réalités économiques.

La conjoncture ambiante a profondément changé. La bulle Internet et l'économie virtuelle ont éclaté ; le marché publicitaire régresse après des années d'expansion exceptionnelle et n'est plus forcément cette manne qui allait permettre de financer sans efforts tous les nouveaux développements numériques ; les valeurs TMT résistent, mais perdent, elles-aussi du terrain dans le climat d'incertitude, qui a suivi les attentats du 11 septembre.

Bref, la télévision numérique n'est plus ce nouvel Eldorado de l'audiovisuel, propice à toutes les initiatives et de nature à supporter les contraintes de service public ou de mise en concurrence systématique que le législateur emporté par l'ivresse nouvelles technologies avait voulu imposer.

L'affaire des « 49 % » est tout à fait significative du temps mis à se rendre à l'évidence : il était illusoire de croire que les actionnaires de certaines chaînes thématiques allaient renoncer au contrôle des chaînes qu'ils avaient créées sur le câble ou le satellite pour venir sur le numérique terrestre.

Le changement de climat est tel que l'on voit les opérateurs historiques du satellite envisager de « réduire la voilure » et ne pas refuser d'évoquer un rapprochement voire une fusion des bouquets hier encore impensable tant la concurrence était vive entre les deux « frères ennemis ».

En dépit de la sérénité affichée des pouvoirs publics, les hésitations des opérateurs privés se font de plus en plus manifestes au point d'alimenter un climat d'attentisme.

Tous les éléments recueillis par votre rapporteur spécial viennent à l'appui de ce qui semble une décision de prudence, voire de bon sens : quand le marché hésite, quand les opérateurs historiques privés traînent les pieds pour alimenter une offre adaptée, quand le service public n'a pas les moyens de se déployer et d'occuper sa place sur ce nouveau créneau, quand les industriels, enfin, tardent à se mettre d'accord sur un standard commun, on ne peut qu'en tirer les conséquences et réexaminer le processus de mise en oeuvre de la télévision numérique de terre.

A la question fondamentale : qui a intérêt au numérique de terre ? La réponse est simple : le secteur public, c'est-à-dire France Télévision et TDF. Mais est-ce suffisant pour garantir la réussite d'un projet qui suppose l'adhésion de tous les acteurs de cette aventure technologique et économique ? Méconnaître cette évidence, et en l'occurrence, « aller plus vite que la musique », c'est non seulement risquer de gaspiller l'argent public mais encore faire perdre à l'économie nationale le bénéfice d'un pari sur l'avenir comme cela déjà été le cas par le passé avec les expériences malheureuses du plan câble ou des satellites de télédiffusion directe.

(a) L'ébauche du paysage de la télévision numérique de terre par le CSA

Conformément aux dispositions de l'article 30-1 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a conduit en septembre 2000 une large concertation avec l'ensemble des acteurs publics et privés concernés sur l'aménagement du spectre hertzien dans la perspective d'un développement optimal de la télévision numérique de terre et a publié les résultats de cette concertation à la fin du mois d'octobre 2000. Le Conseil s'est largement appuyé sur les résultats de cette consultation dans ses travaux de planification des fréquences. A la fin du premier semestre 2001 , le Conseil, conformément aux dispositions de l'article 53 de la loi n° 2000-719 du 1 er août 2000, a publié une première liste de fréquences disponibles pour les services de télévision à vocation nationale et à vocation locale diffusés par voie hertzienne terrestre.

Par ailleurs, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a procédé à la rédaction du texte de l'appel aux candidatures pour la diffusion de services de télévision à vocation nationale. Afin de donner la plus large lisibilité à la procédure engagée, le projet d'appel aux candidatures a été mis en ligne, au printemps 2001, sur le site Internet du Conseil de façon à permettre à tous les acteurs intéressés de faire parvenir leurs observations à l'instance de régulation. Le texte définitif a tenu compte des différentes contributions et été approuvé par l'assemblée plénière du Conseil lors de sa réunion du 24 juillet 2001, date officielle du lancement de l'appel aux candidatures. Le Conseil avait fixé au 29 novembre 2001 la date limite à laquelle les dossiers de candidature doivent être remis . Mais avec le report de la parution des décrets « production » tout est reporté, à commencer par cette date limite, qui pourrait se trouver fixée à la fin janvier. Le démarrage des émissions de la télévision numérique de terre pourra-t-il bien commencer comme prévu à la fin de l'année prochaine ? La question peut être posée.

Une préoccupation essentielle du Conseil supérieur de l'audiovisuel a été de déterminer le nombre de services susceptibles d'être présents sur chaque multiplex. II convient en effet de tenir compte du besoin en bande passante pour la diffusion de chaque service et de la nécessité de veiller à une qualité suffisante du signal. Dans l'appel lancé le 24 juillet dernier, le Conseil a retenu le principe de la diffusion de trente-trois services de télévision répartis sur les six multiplex prévus par site de diffusion. Cela signifie donc que trois multiplex pourront contenir six services chacun alors que les trois autres multiplex ne comprendront que cinq services à la fois . Le Conseil a en effet souhaité faire preuve de prudence et a voulu tenir compte du fait que certains services, en raison de leur format, seront appelés à utiliser davantage de bande passante pour assurer convenablement la diffusion de leurs émissions.

L'interopérabilité des systèmes de réception représente également un enjeu important pour la réussite de la télévision numérique de terre. Le niveau d'interopérabilité doit être fixé, aux termes de la loi, par des arrêtés interministériels. Dans son avis du 24 juillet 2001, le Conseil a pris acte de la portée limitée des projets dans la mesure où ils ne permettent qu'une interopérabilité réduite des signaux émis et des terminaux de réception des services diffusés. Le Conseil considère, dès lors, qu'il faudra poursuivre avec les différents acteurs la recherche de moyens de nature à assurer une interopérabilité optimale . II convient, à cet égard, de rappeler que l'article 30-3 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée impose aux éditeurs autorisés pour l'exploitation de services faisant appel à une rémunération de la part des usagers de conclure les accords permettant l'interopérabilité de leurs systèmes d'accès conditionnel et de leurs moteurs d'interactivité. Ces accords devront intervenir dans les deux mois suivant la délivrance par le Conseil supérieur de l'audiovisuel de leurs autorisations aux distributeurs commerciaux.

Au delà des aspects techniques, il est évident que le succès de la télévision numérique de terre dépendra largement de l'équilibre économique de cette nouvelle télévision et en particulier celui des dix-huit nouveaux services privés de télévision.

Afin d'analyser les facteurs de cet équilibre économique , certains experts et en particulier ceux de la Direction du développement des médias, ont avancé un certain nombre d'hypothèses qu'il convient préalablement de présenter.

Les coûts de diffusion sont estimés entre 20 et 25 MF pour 80 % de couverture. En revanche, pour passer de 80 % à 85 %, le nombre d'émetteurs devra augmenter substantiellement et le coût pour la couverture de la quasi-totalité du territoire avoisinerait, dans ces hypothèses, les 50 MF par an.

Le coût de grille moyen retenu pour les nouvelles chaînes, qu'elles soient publiques ou privées, en clair ou payantes, est de 100 MF, tout au moins les premières années. Cette hypothèse est un minimum au regard du niveau de qualité attendu pour la télévision numérique de terre et semble cohérent avec ce qui se pratique pour les chaînes thématiques actuelles. L'équilibre économique des télévisions associatives sera, quant à lui, à rechercher en référence à un coût de grille unitaire nettement inférieur.

(b) Les hésitations des opérateurs historiques privés

En dépit de leurs différends en ce qui concerne l'émission Loft Story, les deux grands opérateurs historiques se rejoignent pour critiquer la façon dont est conduit le lancement du numérique de terre.

Ainsi, M. Patrick Le Lay, président-directeur général de TF1, a-t-il fait savoir dans le quotidien La Tribune qu'il espérait que le gouvernement allait « renoncer » au numérique terrestre. Les formules employées sont particulièrement fortes ; « Il n'est pas interdit, quand on est responsable, d'arrêter une catastrophe », a-t-il déclaré, dénonçant « l'écart entre les discours politiques et la réalité évidente du marché ».

Son analyse économique est non moins radicale : « Sur les cinq dernières années, quelque 80 chaînes thématiques ont été créées en France. Il y en a 60 de trop ». Pour lui, «il ne faut pas se voiler la face, la télévision payante perd de l'argent ». « On peut chiffrer à 26 milliards d'euros les pertes des chaînes du satellite et du câble, dans l'ensemble des pays européens ».

De son côté, M. Nicolas de Tavernost a développé des positions analogues dans des termes tout aussi directs.

« Nous allons vers de graves déceptions. Il faut confier cette technologie aux opérateurs existants. Pas pour protéger leur monopole, mais pour que le numérique terrestre, le câble et le satellite soient complémentaires (...) Ce n'est pas la peine d'autoriser tout un tas de chaînes si elles ne correspondent pas à un marché. Avant d'autoriser, le CSA doit regarder la composition de l'offre ». Il conclut : « le marché publicitaire a changé et ça s'est accéléré avec les événements aux États - Unis. La sagesse serait de réfléchir aux conséquences de l'arrivée de la TNT sur les autres supports avant le lancement ».

Certes, les thèses développées ont tendance à faire coïncider l'intérêt collectif avec les intérêts acquis. Mais la question de l'équilibre économique de la télévision numérique de terre mérite bien d'être posée.

De fait, les « nouveaux entrants », c'est-à-dire les opérateurs qui ne sont pas aujourd'hui présents dans la télévision hertzienne nationale, n'ont pas la même analyse : « Ce serait un sacrilège de ne pas présenter un certain nombre de dossiers », a déclaré de son côté, Arnaud Lagardère, PDG de Lagardère Média : « Qu'il y ait ce lobbying des grandes chaînes hertziennes contre le numérique terrestre est plutôt encourageant pour certains entrants » , même s'il a clairement signifié « qu'il n'acceptera pas «de perdre beaucoup d'argent sur la TNT ».

La France a besoin d'entreprises privées fortes sur leur marché national. Elle doit leur offrir un cadre législatif stable et de nature à assurer la rentabilité de leurs investissements. Une telle préoccupation doit être présente à l'esprit des pouvoirs publics au moment où l'on voit se poursuivre des grandes manoeuvres audiovisuelles à l'échelle mondiale, même s'il convient de les apprécier au regard des exigences du service public et du maintien d'une nécessaire concurrence.

Les opérateurs privés (TF1, Canal, M6 et les autres), réticents à se lancer dans cette aventure qu'ils jugent sinon hasardeuse du moins pas vraiment lucrative, souhaitent s'allier pour contrôler la distribution des 18 chaînes qui leur sont dévolues sur les 33 actuellement prévues.

Dans le cas particulier, la ministre de la culture et de la communication, a déclaré « s'agissant du développement d'un nouveau marché, la question est ouverte ». Elle a ainsi demandé à M. Laurent Fabius, ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, de faire examiner ce projet par la Direction générale de la concurrence les conditions «pour respecter à la fois les règles de la concurrence et celles du pluralisme, sans compromettre la viabilité économique du projet».

(c) La sérénité des pouvoirs publics en dépit des observations du CSA

Les pouvoirs publics affichent une confiance sans faille dans le caractère équilibré du processus programmé, dans lequel les enjeux économiques restent subordonnés aux enjeux culturels.

Mme Catherine Tasca s'est élevée contre les critiques reprochant au Gouvernement le caractère « trop volontariste » de sa politique en matière de numérique de terre. Pour elle, le Ministère de la Culture et de la Communication « a toujours avancé, à chaque étape de ce projet, avec pragmatisme et réalisme et su adapter les règles aux nécessités économiques. Mais, il est clair ... qu'elles ne sauraient occulter les enjeux de la création » : [...] de fait, « l'intérêt de la TNT est évidemment qu'elle contribue à la pluralité de la diffusion des oeuvres et à l'accroissement des sources de financement vers la création ».

Cette confiance dans la politique actuelle repose sur une analyse du marché exposée à plusieurs reprises par M. Marc Tessier 1( * ) . Estimant que « la France est le pays qui a le moins de chaînes de télévision généralistes », il considère que la télévision numérique terrestre constitue « l'opportunité de sortir de cet engrenage pour le moins malthusien qui limite dans notre pays l'offre de télévision et ralentit l'essor de chaînes thématiques ». Pour lui, l'offre nouvelle de chaînes thématiques est avant tout payante, chère, et donc limitée à une part très minoritaire de la population française. Par manque d'oxygène, ces chaînes thématiques ont une rentabilité précaire : l'assiette de leur diffusion est trop étroite et leurs ressources sont trop dépendantes des choix d'un petit nombre d'opérateurs commerciaux, CanalSatellite, TPS, les câblo-opérateurs, eux-mêmes liés aux groupes télévisuels historiques privés comme publics.

Pour les partisans de la procédure actuelle, c'est clairement le public qui est au coeur du projet de numérique terrestre. Celui-ci doit permettre « aux chaînes thématiques qui le souhaiteront d'étendre leurs zones de diffusion, donc leurs ressources, et par voie de conséquence améliorera la qualité des programmes pour les téléspectateurs... L'essentiel sera le doublement de l'offre de télévision en clair et la création pour la première fois dans notre pays de chaînes locales et régionales de plein exercice... A terme, c'est bien la fin du mode analogique qui est visée. Le saut qualitatif pour le téléspectateur sera décisif . »

Bref, qu'apporte en définitive, la télévision numérique de terre ? « Tout simplement l'opportunité de sortir de cet engrenage pour le moins malthusien qui limite dans notre pays l'offre de télévision et ralentit l'essor des chaînes thématiques. Ce résultat, elle l'atteint non pas en concurrence, mais en complémentarité avec les programmes proposés sur le câble et le satellite, ainsi qu'avec les télévisions hertziennes existantes. ».

C'est autour de cette idée de complémentarité et d'articulation des offres entre télévision hertzienne en clair, numérique terrestre - qu'il soit gratuit ou payant - et câble et satellite, qu'il faut chercher à définir la politique du numérique terrestre.

L'avis du CSA sur le projet de décret relatif à la production qui fixera les obligations des futures chaînes de la TNT, rendu public au début du mois d'octobre dernier, peut ainsi être interprété comme demandant plus de souplesse, de simplicité et de flexibilité afin d'assurer « la viabilité économique » du numérique terrestre. Et lui permettre de trouver sa place à côté du câble et du satellite.

En premier lieu, le CSA préconise la possibilité pour les chaînes du numérique terrestre de diffuser de la publicité toute la journée, contrairement à ce qui avait été prévu dans le projet de décret, qui ne la prévoyait comme c'est le cas de Canal+, que six heures par jour au maximum sur des programmes en clair. On note que se pose la question de l'ouverture de la publicité des secteurs jusqu'ici interdits (distribution, cinéma, presse et édition). Le CSA estime également qu'il faut plus de souplesse dans les quotas de production.

A la différence du projet de décret qui prévoit que la production d'oeuvres françaises doit atteindre, au bout de cinq ans, 16 % du chiffre d'affaire des chaînes, l'instance de régulation est favorable à la fixation d'une durée de sept ans, souhaitant à ce sujet des modifications du texte sur la définition de la production indépendante ou sur les quotas de diffusion d'oeuvres européenne ou d'expression originale française.

(d) Des inconnues économiques et juridiques

L'équilibre économique du paysage audiovisuel reste incertain. Indépendamment des inconnues techniques 2( * ) , il faut tenir compte des coûts et de recettes dont il faut admettre qu'elles sont problématiques ; qu'il s'agisse des péages ou de la ressource publicitaire, voire des incertitudes juridiques issues du projet de certains opérateurs de joindre leurs forces pour la commercialisation de la télévision numérique de terre. En tout état de cause, il est évident le succès de l'opération dépend en grande partie de l'engagement des opérateurs commerciaux, qu'il s'agisse des constructeurs d'appareils ou gestionnaires de bouquets 3( * ) .

D'une façon générale, les experts semblent s'accorder pour considérer que le numérique terrestre a un potentiel de marché. Avec moins d'un foyer sur trois abonné à au moins une offre de télévision payante (7 millions de foyers souscrivent aujourd'hui 9 millions d'abonnements), la France reste loin de la plupart de ses voisins européens à haut revenu, notamment lorsqu'ils disposent historiquement d'une forte implantation des réseaux câblés (Allemagne, Benelux, Suisse, Europe du Nord).

Avec un prix adapté de l'ordre de 100 Francs par mois hors location de décodeur, les experts du ministère estiment que près de la moitié des foyers pourraient être abonnée à la télévisions numérique de terre à horizon 2012, pour un accès à une quinzaine de chaînes payantes - de type « best of » des chaînes thématiques du câble, hors cinéma-sport -, et, bien sûr, à la quinzaine de chaînes gratuites y compris les chaînes historiques actuelles.

Les nouvelles chaînes en clair de la télévision numérique de terre, publiques et privées, s'inscriront dans un schéma économique fondé sur la ressource publicitaire, dont l'élasticité par rapport à la croissance globale peut-être estimé à long terme à 1,5%. Mais à court terme, en période d'incertitude, on peut craindre que les recettes de publicité ne soient pas au rendez-vous, surtout que le fonctionnement du marché publicitaire qui privilégiant les audiences de masse est plus favorable aux grosses chaînes qu'aux petites.

Enfin, il convient de sécuriser l'environnement juridique des opérateurs notamment en ce qui concerne la distribution. Peut-il y avoir ou pas un seul opérateur de la future télévision de terre ou bien, le droit de la concurrence oblige-t-il de garantir plusieurs opérateurs ? Face à l'initiative des opérateurs, le Gouvernement semble hésiter, non sans raisons, tant la matière est délicate.

D'un côté, il convient d'évoquer le contexte politique et administratif de cette affaire, dans la mesure où nombre d'observateurs ont vu dans cette initiative la volonté de M.Laurent Fabius, de se poser en interlocuteur. Aucun texte législatif ou réglementaire ne prévoyant de règles en la matière, cette liberté a priori pourrait se révéler un handicap, en inhibant les opérateurs peu enclins à prendre le risque d'une remise en cause de leurs accords ou de contentieux interminables entre opérateurs eux-mêmes.

La Direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes s'est ainsi vu confier « une mission d'analyse et de concertation ». Pour déterminer si « l'éventualité d'un seul opérateur commercial est pertinente et compatible avec les règles du droit de la concurrence français, voire européen » , étant entendu qu'il est a priori peu probable que même si la DGCCRF concluait à la possibilité d'un opérateur unique, il est probable qu'elle assortirait son aval d'un certain nombre d'exigences et de contreparties.

Bref, que le numérique de terre soit une nécessité, personne n'en doute. Mais, faut-il dans la conjoncture actuelle, y aller à marche forcée, toute la question est là.

2. Le secteur public sans marge de manoeuvre

Sans moyens adaptés aux objectifs multiples qu'on lui assigne, sans véritable doctrine, l'audiovisuel public est devenu avec la réforme de 2000, une sorte de colosse aux pieds d'argile. Il souffre de handicaps inutiles et d'un sous financement chronique, se voit saper les ressources qui lui sont affectée, et n'est pas incité à entreprendre les réformes de structures à défaut desquelles l'ensemble nouvellement créé ne trouvera les capacités réactives nécessaires dans un contexte concurrentiel.

La formule de Greg Dyke, directeur général de la BBC, selon laquelle « il faut choisir entre le changement et la mort lente , » vaut également pour France Télévision.

(a) La réduction de la durée de la publicité : un handicap inutile

La cristallisation du débat sur la question des ressources publicitaires apparaît à votre rapporteur spécial comme un débat daté. Comment ne pas rattacher l'invention de la réduction à huit minutes en heure glissante de la durée maximale des spots à l'euphorie ambiante des années 1999-2000 au cours desquelles le marché de la publicité télévisée connaissait une croissance à deux chiffres.

Aujourd'hui, quand les temps s'annoncent sinon nécessairement plus difficiles, du moins plus incertains notamment sur le plan budgétaire, une telle décision teintée d'idéalisme, ne devrait pas vraiment réduire la pression de l'audimat sur les programmes.

Au nom de l'idéal nostalgique voire régressif d'une télévision sans publicité, le gouvernement prive le secteur public de recettes, alors qu'il a besoin de toutes les ressources disponibles pour faire face aux investissements qu'exigent le numérique et la situation financière toujours fragile dans laquelle se trouvent un certain nombre des sociétés qui composent l'audiovisuel public.

La stabilisation de l'audience ne fait qu'accroître le manque à gagner pour le service public. Certes sur le plan de la qualité, on ne peut que se féliciter de ce que France télévision ait raflé 14 trophées lors des derniers 7 d'or, mais cela suffira-t-il à relâcher la pression de l'audimat ?

(b) Des besoins de financement insatisfaits

S'il ne veut pas être marginalisé, le secteur public doit bénéficier de ressources courantes - indépendamment de ses besoins d'investissements propres pour acheter des programmes mais aussi se placer sur le marché de l'interactivité -, dont la croissance reste du même ordre de grandeur que celle de ses concurrents .

Il lui faut investir dans des programmes suffisamment attractifs qu'il s'agisse de payer les droits de plus en plus lourds exigés pour les retransmissions sportives ou de conserver leurs animateurs vedettes - ce qui est un problème pas seulement pour la télévision mais également pour la radio - ou de faire réaliser des émissions de fiction de prestige -.

Ainsi, en ce qui concerne la Coupe du monde de football en 2002 et en 2006, dont les droits reviennent non pas à l'UER mais au groupe Kirch, la France et l'Italie sont les seuls grands pays n'ayant pas encore acquis leurs droits de retransmission , estimant le prix actuel de 100 M€ trop cher.

En outre, il faut noter qu'en vue de maîtriser l'inflation des droits sportifs, la BBC, France Télévision, la RAI, RTVE et ZDF sont parvenues à un accord dans la perspective de l'achat des droits de retransmission du Championnat d'Europe de football en 2004 pour demander à l'UER de réduire leur part de financement, qui atteint 80 % du total lors des grands événements. Les grands opérateurs publics auraient par ailleurs mis au point une répartition des charges entre eux, tenant davantage compte de leur audience respective.

Cette montée des charges ne fait que renforcer votre rapporteur spécial dans la conviction que France télévision ne dispose pas des marges de manoeuvre nécessaires sur le plan financier : il ne peut que rappeler qu'il a estimé, à la suite des travaux du groupe de travail de la commission des finances qu'il a eu l'honneur de présider, le besoin de financement global de France télévision pour l'horizon 2004, à entre 5 et 600 M€ de ressources publiques courantes annuelles, auxquelles il faut ajouter entre 125 et 275 M€ de dotations en capital.

Les données à long terme du problème n'ont pas changé : TF1 voit ses dépenses d'exploitation et d'investissement croître de plus de 10 % par an, tandis que le budget de France Télévision, lui, ne progresse que de la moitié environ. Il faut rappeler qu'en 2000 TF1 et M6 ont respectivement connu des croissances de leur chiffres d'affaires de 22,5 % et 18 %, à comparer à une hausse des produits d'exploitation de 12,7 % des sociétés du groupe France Télévision, année où, pourtant, les ressources de redevance avaient crû de plus de 1,27 Mds de F. Même quand l'État fait un effort exceptionnel, il est encore distancé par le secteur privé qui réalise des performances commerciales encore supérieures.

Certes le ralentissement du marché se profile avec une croissance des ressources sans doute inférieure à 5 % en 2001. Mais l'analyse générale reste selon votre rapporteur spécial tout à fait valable : l'évolution du budget de l'audiovisuel public tend à suivre celle du budget de l'État, alors que ceux de ses concurrents privés augmentent à la vitesse d'un marché en plein développement.

Les projets de développement de France Télévision dans le numérique sont actuellement évalués à 580 M€ (3,8 MdsF) pour la période 2001-2006. Le président de France Télévision avait évalué ces besoins en capitaux à 1,5 MdF sur cinq ans. Le Gouvernement lui en a accordé 1 milliard, soit 152,45 M€ financés sur les ressources de privatisations.

Par ailleurs, 800 MF, soit 122 M€ devraient provenir de la cession d'actifs non stratégiques dont la plus grande part viendrait de la vente de la participation que le groupe détient dans le bouquet TPS. Ce montant pourrait se révéler difficile à obtenir dès lors que, si l'on se base sur les évaluations données par la presse en ce qui concerne la valeur de la participation de France Télécom, la valeur de celle de France Télévision ne serait que de 85 M€.

En tout état de cause, ce décalage entre les besoins de financement des nouvelles chaînes que veut créer France Télévision dans le domaine de l'information et du sport, suppose soit que l'État trouve encore des ressources complémentaires, soit qu'on autorise France Télévision à trouver des partenaires privés.

A l'heure actuelle, les projets des chaînes « Info » et de chaînes « sport » en particulier, créneau déjà occupé avec succès par le secteur privé, sont en panne de financement, alors que la loi a réservé au secteur public une douzaine de chaînes.

Certes, France télévision peut compter sur la réalisation de sa participation dans TPS évaluée aux alentours d'un milliard de francs, mais ce montant reste d'autant plus limité que des informations de presse relatives à la cession de la participation de France Telecom, valoriserait à 85 M€ soit 560 MF.

(c) La redevance diminuée dans son volume et affaiblie dans son principe

L'année dernière, alors que le débat sur le principe même de la redevance pour droit d'usage d'un appareil de télévision continuait d'agiter les mondes de la politique comme des médias, on a vu surgir, au cours des débats à l'Assemblée nationale à l'initiative du rapporteur général du budget, un amendement prévoyant une exonération de redevance au profit de personnes âgées de plus de 70 ans non imposables à l'impôt sur le revenu et à l'impôt sur la fortune.

Cette année, l'Assemblée nationale fait un pas de plus dans la même voie en abaissant à 65 ans la limite d'âge ouvrant droit à cette exonération 4( * ) .

Certes, le régime actuel des exonérations n'est pas parfaitement satisfaisant, au regard de l'égalité entre les citoyens, mais on peut se demander s'il est souhaitable de le modifier à la marge dans un sens où il sera sans doute encore plus difficile voire impossible d'en rationaliser l'assiette.

Plutôt qu'un replâtrage plus ou moins opportuniste qui pourrait hypothéquer les chances d'une réforme à venir, votre rapporteur spécial estime qu'il serait préférable de revoir globalement l'assiette de la taxe et son mode de recouvrement.

Ce que l'initiative a d'inquiétant, c'est qu'elle semble constituer l'amorce d'un processus de désagrégation de la redevance, qui ne laissera dans l'avenir d'autre issue que sa disparition.

Pourtant le rapport de l'inspection générale des finances de novembre 1999, intitulé « rapport d'enquête sur le coût, l'efficacité et les perspectives d'évolution du service de la redevance audiovisuelle », explorait des voies intéressantes.

Défavorable comme l'inspection des finances à une budgétisation des ressources de l'audiovisuel public ainsi qu'à son financement par le produit des jeux , dans la mesure où il est essentiel de conserver au travers de la redevance un lien citoyen entre les Français et leur télévision, votre rapporteur spécial, estime que l'on pourrait effectivement adosser la redevance sur la taxe d'habitation mais sans les confondre : il s'agirait d'envisager une identité du fait générateur - disposer d'un local à usage d'habitation - et donc de l'identifiant informatique du contribuable/redevable, tout en distinguant les avis d'imposition et les modalités de perception de façon à ne pas créer de confusion des responsabilités entre l'État et les collectivités territoriales .

Une telle réforme, qui passe aussi par un renforcement des pouvoirs juridiques des services compétents - droit de communication amélioré, utilisation de l'avis à tiers détenteur -, permettrait à la fois d'augmenter substantiellement les ressources de l'audiovisuel public et de régler le problème des exonérations .

Le service de la redevance, dont votre rapporteur a pu apprécier l'efficacité, ne serait pas supprimé mais simplement restructuré pour ne plus avoir à traiter que l'émission des avis d'imposition et du contentieux, déchargeant en ce qui concerne cette dernière tâche les services de la comptabilité publique, ce qui devrait limiter les réaffectations et donc le coût social de la réforme.

Quant au niveau de la redevance, dont on a vu qu'il était nettement inférieur à celui des autres grands pays européens, votre rapporteur spécial estime que, surtout à défaut d'une réforme d'envergure de la redevance en augmentant sensiblement le produit, il faudrait en augmenter le montant, non seulement pour rattraper le retard pris sur l'évolution des prix et du SMIC, mais encore pour permettre le financement de toutes les activités qui vont aller de pair à l'expansion des marchés de l'Internet et du numérique de terre.

Pour sauver le modèle audiovisuel français, il faut y mettre les moyens financiers. Le rapporteur spécial ne peut que , surtout à l'orée d'une nouvelle période de vaches maigres budgétaires , réitérer sa position de principe : il faut non seulement conserver la redevance mais encore avoir le courage de l'augmenter pour la mettre au niveau de celle des grands pays européens.

(d) Les questions de productivité différées avec la priorité aux mesures salariales

Productivité et responsabilité sont des impératifs catégoriques faute desquels l'argent public que l'on s'apprête à injecter, a toutes les chances de s'évaporer .

Le poids des mesures salariales, qui doivent absorber plus de la moitié des moyens nouveaux accordés aux organismes de l'audiovisuel public indique clairement où sont les priorités du présent budget.

(en millions d'euros)

Programmes

39,45

42,25 %

Mesures salariales

46,94

50,27 %

Diffusion

0,53

0,57 %

Impôts, taxes et prélèvements divers

3,48

3,73 %

Dotations aux amortissements

2,84

3,04 %

Autres charges

0,13

0,14 %

Total

93,38

100 %

Le tableau ci-dessus montre que sur les 47 M€ de mesures nouvelles allant aux mesures salariales, la moitié correspond en fait aux créations d'emplois rendues nécessaires dans le cadre de la réduction du temps de travail au sein du groupe France Télévision.

 

France 2

France 3

La 5e

Créations d'emplois prévues

85

220

10

Créations d'emplois effectives au 30 juin 2001

70

218

10

Coût global du passage aux 35 heures

5,18 M€

15,85 M€

0,3 M€

Il est grand temps que l'on accorde, en toute transparence, une autonomie normale aux entreprises publiques de communication audiovisuelle . Celles-ci doivent pouvoir investir et donc emprunter comme le font leurs concurrentes du secteur privé . Il faut espérer que les contrats d'objectifs et de moyens - celui de France télévision devrait être signé fin novembre - tiendront compte de cet objectif.

Il faut rappeler que, si le gouvernement de M. Blair a refusé à la BBC en février 2000 une redevance spéciale pour financer ce passage au numérique, il a accepté une hausse progressive de la redevance en contrepartie d'un plan d'économies de 2,7 mds € sur sept ans. En application de ce plan, la BBC doit réduire ses frais de fonctionnement, de 24% de son budget en 1999/2000 à 19% en 2000/2001. L'objectif est d'arriver à un ratio de 15% d'ici cinq ans.

3. Les télévisions locales sans horizon défini

A la différence de toutes les grandes démocraties, la France n'est pas parvenue à développer un réseau dynamique de télévisions locales.

La baisse des coûts de diffusion et l'arrivée du numérique terrestre vont-elles changer les données du problème ? On avait pu espérer un changement de politique après la parution en novembre 1998, du rapport de MM. Michel Francaix, député (PS) de l'Oise, et Jacques Vistel, conseiller d'État, pour lesquels il est « nécessaire de donner aux télévisions locales les chances d'un nouveau départ... ». Mais quoiqu'en dise le Gouvernement, les progrès introduits par la loi du 1er août 2000 restent limités.

Le ministère de la culture et de la Communication estime, certes, que pour favoriser la constitution de réseaux de télévisions locales de proximité, la loi du 1er août 2000 a d'ores et déjà ouvert certaines possibilités en prévoyant, notamment, que les associations puissent se porter candidates à l'usage de fréquences et se voir délivrer par le Conseil supérieur de l'audiovisuel une autorisation d'émettre d'une durée de dix ans.

La loi prescrit également que le Conseil supérieur de l'audiovisuel doit veiller, sur l'ensemble du territoire, à ce qu'une part suffisante des ressources en fréquences soit attribuée aux services édités par une association et accomplissant une mission de communication sociale de proximité. Le Gouvernement reconnaît toutefois qu'alors qu'il existe près de 600 radios locales associatives sur l'ensemble du territoire métropolitain et des départements d'outre-mer, les télévisions de proximité à vocation non commerciale, qu'elles soient diffusées par câble ou par voie hertzienne, restent peu nombreuses dans notre pays et sont souvent dans une situation financière précaire.

Pour évaluer la viabilité des projets de diffusion télévisuelle en ligne, le gouvernement a confirmé le prochain dépôt devant le Parlement conformément aux dispositions de l'article 59 de la loi sur l'audiovisuel du 1er août 2000, d'un rapport sur le développement des télévisions citoyennes de proximité. Cette attitude attentiste du Gouvernement se justifie d'autant moins que le Conseil supérieur de l'audiovisuel à désigné des pistes pour le développement des télévisions locales .

Constatant que la télévision de proximité peine à trouver sa place dans le paysage audiovisuel français, M. Dominique Baudis, président du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel a récemment fait connaître son diagnostic. « Notre paysage télévisuel ressemble au paysage radiophonique des années 70 : une dominante nationale et généraliste qui s'impose à part entière, imprime sa spécificité dans notre paysage audiovisuel et freine l'émergence d'une vraie télévision de proximité », d'autant plus que son développement se heurte à deux obstacles, la rareté des fréquences hertziennes et les problèmes de financement.

Pour lui un certain nombre de pistes restent à défricher : accès sous certaines conditions du secteur de la distribution à la publicité pour les télévisions locales ; financement dans un cadre contractuel par les collectivités ; création d'un fonds de soutien pour les projets associatifs sur le modèle de ce qui existe déjà dans le secteur radiophonique.

Votre rapporteur spécial, qui lors de la discussion du dernier projet de loi audiovisuel était intervenu pour faciliter les initiatives des collectivités territoriales en matière de télévision de proximité, ne peut mieux dire. Il approuve encore le président du CSA lorsqu'il estime que « la numérisation de la télévision hertzienne de terre apparaît comme une véritable chance pour la télévision de proximité avec le soutien des collectivités locales, qui peuvent en effet participer au succès de la télévision numérique terrestre ».

Certes le président de l'autorité de régulation a raison de s'interroger : «Comment en effet rendre ce développement possible, sans créer de fracture ou d'exclusion, comment encadrer le mode de financement des médias par les collectivités locales sans le restreindre, comment encourager les initiatives et les innovations, favoriser la participation citoyenne ? » Mais il ne faudrait pas que ces questions légitimes ne retardent le processus législatif et réglementaire d'intervention des collectivités territoriales, auxquelles votre rapporteur spécial fait confiance pour trouver sur le terrain les réponses adaptées.

L'attitude du CSA ne fait pas l'unanimité. Ainsi, l'Association des villes pour le câble et le multimédia (Avicam) a regretté que la décision de ne faire porter «les appels à candidatures pour le local qui doivent être lancés fin novembre, sur la moitié du multiplex de la télévision publique, soit trois services, constitue «une division par deux des capacités prévues il y a deux ans, et surtout une organisation non adaptée aux spécificités de la télévision locale».

En outre, toujours selon l'Avicam, le choix du CSA implique des surcoûts : «émetteurs plus puissants, liaisons de contributions plus longues, standards de qualité plus élevés pour être compatibles avec les chaînes publiques». Enfin, selon elle, elle «favorise le développement du national, au détriment du local, sauf dans une région ou un multiplex sera dédié : la région parisienne». Sans entrer dans le fonds du débat, votre rapporteur spécial estime que les spécificités des télévisions locales doivent être prises en compte dans l'architecture des multiplex, sans exclure que celles-ci puissent s'intégrer dans un réseau national.

Il y a là un enjeu important pour la viabilité des télévisons locales et notamment pour les initiatives que la presse locale prend à ce niveau 5( * ) . A cet égard, on ne peut que reprendre en première analyse, l'opinion exprimée par M. Jean, Louis Prévost président de la voix du Nord, président de la PQR , selon laquelle le numérique hertzien n'est pas la panacée : « Ce dossier arrive au contraire à un mauvais moment. La montée en charge du numérique terrestre va être lente et coûteuse. Pour une chaîne locale, commencer par le numérique hertzien serait très dangereux, ne serait-ce que parce qu'au démarrage, dans certaines villes, seulement la moitié des foyers pourront en effet recevoir la nouvelle télévision. Pour notre part, nous attendons toujours que le Conseil supérieur de l'audiovisuel prenne une décision concernant l'attribution de nouvelles fréquences analogiques aux télévisions locales. La PQR n'a pas besoin de la TNT pour développer des chaînes de proximité ».

La PQR estime que la libéralisation des secteurs interdits de publicité envisagée par le Gouvernement et même l'ouverture à la grande distribution que ce dernier n'évoque d'ailleurs qu'avec prudence, ne suffira pas à rendre la télévision locale économiquement viable . Pour Jean-Louis Prévost, « Toutes nos études prouvent que même avec la grande distribution, les télévisions locales seraient déficitaires. Plus globalement, le marché local ne finance pas ce type de projet. Pour être rentables, nous avons besoin d'attirer les annonceurs nationaux. Mais tant qu'on n'aura pas réuni le potentiel de spectateurs qui les intéresse, nous n'y parviendront pas. Pour avoir accès à la publicité nationale, nous devons avoir entre 12 et 15 télévisions de proximité qui fassent de 2 % à 3 % d'audience nationale en cumul. »

La ministre de la culture et de la communication, Madame Catherine Tasca, s'est effectivement déclarée favorable à l'ouverture «ciblée et progressive» à la publicité télévisée de certains secteurs actuellement interdits et, en premier lieu, de la presse, tout en précisant qu'en ce qui concerne la grande distribution, également interdite de publicité à la télé, «la réflexion devra être poursuivie».

Tous ces éléments d'information témoignent de ce que le Gouvernement n'est pas en mesure, indépendamment même des incertitudes liées à la conjoncture économique générale, d'offrir un cadre clair aux initiatives en matière de télévisions locales.

4. L'audiovisuel extérieur sans dynamique

«Mon rôle est de faire de la politique audiovisuelle extérieure l'une des principales priorités de notre action extérieure», a récemment affirmé M. Hubert Védrine 6( * ) , ministre des Affaires étrangères, qui s'est déclaré convaincu que « la place de la France dans le monde globalisé d'aujourd'hui, et encore plus de demain, dépendra en grande partie de la force et de la présence de ses images et de ses entreprises d'information. Au premier chef RFI et TV5, mais également, en toute indépendance, l'AFP. Il faut élargir les zones couvertes par TV5, notamment en favorisant le sous-titrage sur cette chaîne, développer l'audience de RFI, susciter le partenariat entre chaînes françaises ou francophones et chaînes locales. »

On ne saurait mieux dire. Mais, selon votre rapporteur spécial, on pourrait sans doute mieux faire. La stratégie paraît difficilement contestable, tout comme les objectifs intermédiaires. Mais se donne-t-on les moyens d'une telle politique ? Certes M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, peut défendre son bilan : « Avec mon soutien, Jean Stock a créé TV5 Monde et simplifié les structures de TV5. Depuis le 1er août, deux nouveaux signaux vers les États-Unis et l'Amérique latine s'ajoutent aux cinq existants. Maintenant, il faut poursuivre l'enrichissement de la programmation. Des moyens importants, 25 MF, ont été dégagés à cette fin dans le budget du ministère des Affaires étrangères pour 2002. Pour RFI, un contrat d'objectifs et de moyens sera prochainement signé avec l'État pour la période 2002-2006. RFI doit réussir la numérisation et renforcer sa présence dans des régions stratégiques, mais poursuivre aussi ses efforts de rationalisation.

Par ailleurs, réfléchir à une télévision en partenariat avec un pays arabe, à destination du public arabophone ou imaginer une chaîne de divertissement d'abord destinée à la jeunesse sont effectivement des orientations stratégiques avancées par le ministre qui méritent d'être étudiées.

En revanche, l'objectif affiché consistant à développer les « synergies possibles entre les différents opérateurs, nationaux et à vocation internationale, mettre à profit les possibilités nouvelles des chaînes numériques, par exemple la future chaîne d'information de France Télévision », ne paraît guère avancé dans la mesure ou, semble-t-il France télévision a tendance à vouloir placer France télévision sur des bouquets de chaînes publiques. Cette volonté n'est pas forcément illégitime mais devrait être englobée dans une stratégie d'ensemble.

En dernier lieu, la façon dont s'est effectué le remplacement de Jean Stock 7( * ) à la tête de TV5, a donné lieu à quelques tiraillements entre la France et ses partenaires francophones, manifestement irrités par le fait qu'on ne leur ait pas laissé le choix . A ces grincement externes se sont ajoutés des frottements internes : Serge Adda de Canal + horizons, le candidat finalement choisi n'était pas celui de France télévision actionnaire muet de TV5 et sans doute quelque peu frustré de ne pouvoir resserrer ses liens avec sa filiale théorique.

Bien que sachant que BBC WorldWide bénéficie d'un budget de 760 M€ plus de trois fois supérieur à celui que la France consacre à l'audiovisuel extérieur (234,4 M€), votre rapporteur spécial estime qu'il conviendrait au préalable de développer les synergies entre tous les acteurs de l'audiovisuel extérieur, ce qui lui semble loin d'être le cas tant au niveau national que sur le terrain à l'étranger.

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